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l'imagination au pouvoir
17 décembre 2017

l'appel de l'océan

Maylis.

 

-          Vous êtes sûr, vous allez pouvoir retrouver le bateau ? Vous m’avez tout l’air d’un bleu, monsieur Besse…

-          Quoi, moi, un bleu ?! J’ai plongé en Sicile, au large de Marseille… aux Bahamas…

-          Vous ne savez pas ce qui vous attend ici.

-          C’est justement pour ça que je suis là !

-          Je ne suis pas d’accord. Ne plongez pas seul. Vincent, tu vas avec lui. Et tu ne le lâches pas !

-          Je m’y attendais, Robert. Je vais plonger aussi, je suis là pour ça. Donnez-moi juste le temps d’enfiler mes palmes…

-          Combien d’autonomie, dans vos bouteilles ?

-          Deux heures grand maximum, répondit Vincent.

A vrai dire, Martin Besse faisait la tête, malgré son enthousiasme. Il connaissait bien les Landes, et fantasmait depuis tout petit sur le gouf de Capbreton. Il n’allait pas laisser tomber alors que son rêve allait se réaliser ! Alors il n’aimait pas le prêchi-prêcha de Robert. Il était persuadé qu’il était sur le point de voir des merveilles. Et ce Vincent qui prenait tout son temps pour mettre ses palmes, vérifier son équipement ! Martin quant à lui était prêt depuis longtemps. Au bout d’une éternité, Vincent lui conseilla de se tenir prêt, mais de ne pas plonger d’un  seul coup, pour s’assurer qu’il pouvait respirer à l’aide des bouteilles. Au besoin, Martin nageait comme un poisson, mais…

-          Pas d’apnée dans le gouf ! le morigéna Robert. Je ne veux pas d’un accident sur les bras !

-          J’y veille, fit Vincent. On va pouvoir y aller. A combien sommes-nous des côtes de Capbreton ?

-          Hum… cent cinquante mètres, je dirais. Un peu plus.

-          De toute façon, nous sommes déjà au-dessus du gouf. Monsieur Besse, à vous l’honneur !

Enfin ! L’excitation aidant, Martin fut vite dans l’eau. Avec Vincent, il fit encore des essais, puis plongea. Après deux mètres, trois mètres, il fut déçu : il ne voyait pas grand-chose. Il évoluait rageusement. Du geste, Vincent lui fit savoir que tout allait bien, qu’il fallait continuer la descente. Il connaissait les profondeurs du gouf, lui. Les deux hommes nageaient de conserve, Martin ayant compris qu’il ne fallait pas perdre son compagnon de vue. Ils descendirent encore de quelques mètres, et là…

Martin écarquilla les yeux. Il faisait un peu moins obscur et, de ce fait, il apercevait tout un monde marin différent. Il avait bien choisi son jour : c’était la fin de l’été, et le ciel, comme l’océan, était clair, la température extérieure agréable. Il voulait faire un article là-dessus pour le quotidien local, Sud Ouest, où il travaillait. Il aurait voulu noter ses sensations là, tout de suite, mais son dictaphone ne lui aurait été d’aucune utilité : le lieu était particulièrement silencieux, et dans la pénombre. Vincent l’entrainait un peu plus au fond, par paliers successifs. Ce dernier consultait régulièrement sa montre. Vincent était plongeur professionnel, Martin savait qu’il était bien accompagné. Mais tandis que l’un regardait sa montre, l’autre ouvrait grand les yeux. Il y avait surtout quantité d’animalcules, et de céphalopodes de toutes les tailles, des seiches aux calmars. Ces derniers atteignaient une quarantaine de centimètres. Au loin, Martin distingua une femelle requin, avec son bébé. Il voulut s’approcher, mais Vincent l’en dissuada.

Ils descendirent encore de deux, trois mètres. Alors toute la faune marine les environna. Martin, subjugué, regardait de tous côtés. Oui, c’était bien les merveilles dont il rêvait ! Il n’était jamais descendu aussi bas. Le gouf était immense, il se sentait tout petit. S’il avait pu, Martin aurait bruyamment laissé exploser sa joie. Il avait à peine trente ans, son rêve de gosse était en train de se réaliser ! Il tournait et retournait sur lui-même, le mouvement de ses palmes l’enivrait. Vincent s’es aperçut, et s’alarma. Il voulut qu’ils remontent tous les deux, mais Martin refusa, et donna un grand coup de palmes pour aller plus avant. Vincent le suivit, un peu inquiet. Il en fut plus attentif à ce qu’il se passait autour d’eux.

C’est qu’il y avait du mouvement dans les eaux. Vincent se retourna, et aperçut un cétacé de grande taille qui s’approchait. « Si c’est un cachalot, on est mal », se dit-il. Il se rapprocha de Martin, pour lui signifier l’urgence de retourner à la surface. Mais Martin regardait devant lui, et non derrière. Vincent alla vers lui, doucement, car les animaux du gouf n’avaient pas l’habitude des hommes. Pour lui, de ce fait il fallait craindre leurs réactions. Vincent ne voulait pas remuer trop d’eau. En outre, à cette profondeur le courant se faisait toujours sentir. Il prit toutes ses précautions, puis se planta devant Martin, et montra la bête du doigt, toujours plus proche. Martin se retourna d’un coup. Le cachalot, à quelques mètres seulement, fonça sur eux.

 

-          Où suis-je ?

Martin ouvrit les yeux, et s’aperçut qu’il était sous la jetée du port de Capbreton. Une dame nue, de longs cheveux bruns jusqu’à la taille, lui tenait la main. Elle avait un très beau sourire, mais son regard était inquiet.

-          Fous que vous êtes, vous autres humains ! Pour un peu, ce cachalot vous arrachait une jambe, ou faisait pire ! Ne refaites plus jamais cela, monsieur !

-          De… de quoi ?

-          De plonger ! Ce gouf est à moi !

-          Mais qui êtes-vous ? De quel droit osez-vous prétendre que ce gouf vous appartient ?

-          Parce que je suis ici depuis extrêmement longtemps, des siècles ! J’étais là bien avant vous, figurez-vous !

-          Mais alors…

La sirène battit l’eau de sa queue. Martin n’avait jamais vu rien de tel. La façon dont elle s’exprimait indiquait bien son statut. Et cette queue de poisson était réelle. Longue, fine, légèrement translucide, à la fois verte et grise. Mais la sirène préféra rester le bas du corps dans l’eau, sans doute pour passer pour une nageuse quelconque. Elle s’affala sur son rocher.

-          Quand même, votre curiosité est sans limites… fit-elle pensivement.

Martin retrouvait peu à peu ses réflexes. Il prit encore une goulée d’air.

-          Où est mon compagnon ?

-          Je l’ai emmené un peu plus loin. Il est en train de reprendre ses esprits. Non, ne bougez pas monsieur ! Surtout, pas de mouvement brusque.

-          Alors…

Après le réflexe de plongeur, Martin retrouva celui de journaliste.

-          M’accorderiez-vous une interview ?

La sirène eut un rire cristallin.

-          Une interview, moi ? Je ne suis pas une de vos stars !

Martin lui décocha un beau sourire. Mais la créature des eaux, la maîtresse du gouf, ne laissa pas le rapport s’inverser : elle ne saurait succomber aux charmes d’un être à deux jambes. Sous sa combinaison de plongée, Martin était plutôt beau garçon. De plus, il était du genre à rouler des mécaniques devant les filles. Il était assez musclé, et avait quelques cheveux follets dans le cou. Il continuait de sourire à la sirène, mais il finit par comprendre que ce serait en pure perte. Alors il utilisa son bagout.

-          Une belle, et si  ancienne sirène, doit avoir quantité de choses à raconter… Vous savez, c’est si exotique, pour nous les hommes, que le monde sous-marin !

-           C’est vrai, reconnut la sirène. Ou du moins, des choses à raconter aux hommes…

-          Exactement. Alors, m’accordez-vous cette interview ?

-          Si vous voulez. Mais avez-vous votre matériel ?

-          Non, mais j’ai bonne mémoire. A moins que vous ne me laissiez le temps d’aller à  ma voiture, pour prendre mon dictaphone.

-          Non, je ne veux pas rester ici trop longtemps. Mais je peux demander à un vieil ami de transcrire nos propos…

-          Un vieil ami ? Un triton ?

-          Les tritons sont en voie de disparition. Non, je pensais à un encrier géant…

Martin ne comprenait pas. Il se gratta la tète, ôta la capuche de sa combinaison. La sirène éclata de rire, puis appela son ami à sa manière. Ce fut un chant mélodieux et profond à la fois, d’une tessiture de mezzo-soprano. Martin crut devenir fou, en entendant ce chant, mais il se reprit juste avant que cela ne s’arrête. Deux minutes plus tard, un long tentacule émergeait près d’eux. Martin sursauta.

-          Ne craignez rien, dit la sirène. Oscar va prendre en note notre entretien. Il ne tentera rien sur vous en ma présence. J’ai juste besoin de ses services de… d’encrier géant.

-          Mais qui est Oscar ?

-          Mon calmar. Oscar, mon chou, sors un peu ta tête de l’eau !

Les tentacules filèrent. Enfin, une tête énorme parut, pourvue d’yeux de plus d’un mètre de diamètre. De surprise, et de frayeur à la fois, Martin tombait dans l’eau, ou plutôt manqua tomber, car la sirène le rattrapa à temps avant qu’il ne se fracasse au bas des rochers. Ses mains étaient douces et fermes, et elle avait de la poigne. Martin crut comprendre comment il s’était retrouvé là.

-          Oh nom de Dieu, fit-il en reprenant appui sur les rochers.

-          Ne vous inquiétez pas. Oscar, tu vas bien écouter, et écrire tout ce qui va être dit entre monsieur et moi.

L’eau frémit, ce qui sembla être une réponse positive du calmar.

-          Merci Oscar. Dis-moi quand tu es prêt.

Martin avala sa salive, réfléchit à toute allure. Enfin, la sirène l’informa que tout le monde était prêt, et il démarra l’entretien.

-          Tout d’abord, pouvez-vous nous parler de vous ? Comment vous appelez-vous ?

-          Je m’appelle Maylis. Nous avons certes des noms, chez les sirènes, mais à la condition de nous entretenir entre nous. Habituellement, nous sommes des êtres solitaires. Quelque part dans le golfe de Gascogne, j’ai une cousine qui m’aide à veiller sur ce gouf. J’en suis la maîtresse, car c’est moi qui l’ai créé. Chaque sirène crée sa maison, même si en réalité, nous régnons dans toutes les eaux, salée de préférence.

-          Alors, pourquoi l’Atlantique ?

-          Oh, cet océan est si grand… Il y a de la place pour tous. Moi, j’ai été engendrée par les flots non loin d’ici. Jusqu’à il y a moins de deux siècles, les Landes étaient très dangereuses, personne ne venait par ici. Ni pour se baigner d’ailleurs. Ça doit faire un siècle, seulement, que les gens viennent y prendre des bains… Donc, pas de rencontres inter-espèces, ce qui valait mieux, sans doute.

-          Donc vous ne vous montrez jamais aux êtres humains ? Pourtant, ça doit arriver, puisqu’on a longtemps cru aux sirènes… et en fait, on avait raison !

-          Oui, c’est vrai, ça arrive. Mais généralement, c’est lors de catastrophes. Par ici à Capbreton, il y avait beaucoup de baleiniers. Or, nous autres sirènes, nous n’aimons pas qu’on touche à nos amis. Plus ça va, plus les humains nous énervent. Alors nous ripostons. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai créé ce gouf…

-          Oui, expliquez-nous pourquoi…

-          L’homme navigue depuis très longtemps, puis a appris à écrire… L’écriture lui a servi pour lancer des S.O.S ! Vous n’imaginez pas, depuis quelques siècles, tous les messages  que j’ai trouvés, ou qui me sont carrément tombés sur la tête ! A une époque, les sirènes étaient plus nombreuses. Il y avait donc un vrai risque de nous blesser. Par ailleurs, nous pouvons être assez susceptibles… Alors il y a quelques siècles, à force de recevoir des bouteilles sur la tête, je me suis énervée, et ai foncé bas, toujours plus bas, encore plus bas, créant ce gouf du même coup… Je me suis arrêtée, à deux cent cinquante kilomètres de la côte environ, à une profondeur de quatre mille mètres. Depuis, je suis plus tranquille par rapport aux hommes. En outre, ce gouf est si étendu et si profond… C’est pourquoi ma cousine Ategina m’aide régulièrement.

-          Dans tout le golfe de Gascogne ? Je veux dire : vous êtes deux pour… gérer tout cet espace ?

-          Pas exactement. En réalité, nous sommes un peu plus nombreuses. Ategina va davantage vers l’Espagne, voire le Portugal. Nous nous partageons l’espace à quatre ou cinq. D’autres êtres marins nous aident aussi. Les baleines, par ici, nous doivent une fière chandelle ! Elles nous transportent quand nous sommes fatiguées, par exemple, ou nous régalent de leurs chants…

-          C’est vrai, il paraît que les baleines chantent… Pourtant, pour nous votre monde est celui du silence…

-          Et pour nous, votre monde est celui de la vitesse et de… la consommation. Je suis constamment obligée de nettoyer mon gouf de toutes les immondices, les poches en plastique que vous nous envoyez, et qui sont si nocives à l’environnement… et les bouteilles à la mer, que je collectionne, maintenant elles sont en plastique aussi… et encore d’autres choses plus bizarres les unes que les autres…

-          Alors rassurez-vous, les poches en plastique viennent d’être interdites, d’ici quelques mois elles n’existeront plus du tout.

-          C’est toujours ça de pris ! Maintenant excusez-moi, je dois mettre de l’ordre dans mon gouf… Vous et votre ami nous avez fait peur !

-          Une dernière question ! Pourquoi nous avez-vous sauvés, mon compagnon et moi, de ce cachalot qui nous fonçait dessus ?

-          Mais… parce que nous écartons les gêneurs, tout simplement ! Vous êtes trop… bêtes pour comprendre pourquoi vous gênez, alors j’espère que vous réfléchirez à cette aventure. C’est mieux que de vous tuer, car j’aurais très bien pu le faire… Aussi, vous m’avez rappelé un triton que j’ai aimé il y a fort, fort longtemps…

Et, devenant toute pensive, la sirène se tut. Il y eut un court silence, puis un tentacule de calmar s’éleva, et tendit à Martin l’interview de Maylis.

-          Excusez-moi, dit Martin à la dame du gouf, mais alors, les sirènes ont un cœur ?

Les yeux plein de larmes à l’évocation de son amour de jeunesse, la sirène fit signe que oui. Martin passa une main sur son visage, et cueillit une larme.

-          Moi, je crois que ce gouf est rempli de vos sanglots. Mais je le garderai pour moi.

La sirène murmura « merci », et plongea. Martin courut rejoindre Vincent, qui s’approchait en titubant.

-          Avec qui étiez-vous ?

-          La star du gouf. Je vais faire un papier du tonnerre !

Mais Martin, qui était plus délicat qu’on aurait pu le penser, tint sa promesse. Il fit son article, reproduisit l’interview, mais tut les amours de la maîtresse du gouf.

 

Quelques jours plus tard, à la plage d’Hossegor, tout près de Capbreton, il rencontra une autre sirène, aux très longs cheveux de jais et aux jambes fuselées. Marylène l’enchanta, et de plus, elle avait la tête bien faite. Ils firent leur vie ensemble, mais Martin n’oublia jamais Maylis. Marylène ? Maylis ? De peur de se tromper, toujours il l’appela : « ma sirène »…

 

© Claire M. 2016

 

encore une source d'inspiration : les Landes, mes landes, où toujours je me retrouve... à la mer mais aussi, quand j'étais petite, à la campagne...

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