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l'imagination au pouvoir
10 janvier 2018

pour commencer l'année sur les chapeaux des roues !

L’auréole

 

5 novembre 2014

Ce n’est pas possible. Cette femme va me rendre cinglé. C’est le troisième accident de voiture qu’elle me fait en deux mois. Et cette fois, je n’ai pu éviter les dégâts collatéraux. Sa voiture est à la casse, elle porte une minerve et s’est luxé une épaule. Naturellement, son mari est furieux. C’est vrai : elle conduit trop vite. Je devrais agir sur les causes, mais c’est une vraie blonde, avec peu de neurones et de synapses. Je ne sais plus comment m’y prendre. C’est une surveillance de tous les instants, je n’en peux plus. Encore heureux que les antidouleurs lui permettent de dormir : comme ça, je peux profiter de la nuit pour me reposer un peu, ou en parler à mes collègues. Mais le Ciel est souvent vide… Plus il y a d’humains sur la planète, et plus il y a besoin d’anges gardiens : c’est mathématique. Et celle dont je m’occupe n’a pas cinquante ans. Le but est de l’aider à vivre, mais être tout le temps sur le pont, c’est trop dur. En plus, on m’a collé une insomniaque. J’ai été bien inspiré de lui instiller l’amour des livres. Quand elle lit, rien ne peut arriver… si ce n’est de brûler le dîner. C’est une passion, chez elle. Les livres, pas la nourriture… Pour moi, que faire ? Tant qu’elle ne fiche pas le feu à son appartement… Mais non, il faut tout envisager. Cette femme, c’est madame Catastrophe. Il faut que j’en aie le cœur net.

 

8 novembre.

Pas de catastrophe, l’autre jour. Ouf ! De toute façon, Vanessa est en arrêt maladie, puisqu’elle a toujours sa minerve et ses douleurs dans l’épaule. Elle ne peut pas conduire et tout est compliqué. Mais n’allez pas croire que j’ai du répit pour autant. C’est qu’elle a mauvais caractère. Moi qui croyais qu’elle resterait tranquille, je me suis trompé. Il est vrai que c’est la première fois qu’elle est blessée. Et elle se plaint qu’elle a mal partout… et que, aujourd’hui  jour de shopping, elle ne peut pas sortir.

J’ai parlé avec le collègue qui s’occupe de son mari, hier. Il dit qu’il faudrait qu’on empêche Vanessa de conduire. Il épouse complètement les vues de son client. Il me parle d’assurances, de malus, d’argent. Il me semble que je suis plus détaché de ma cliente, moi. Est-ce un bien, un mal ? Ça n’empêche que je la connais, ma Vanessa. Elle ne supportera jamais qu’on l’empêche de conduire. C’est juste qu’elle va trop vite. Elle est toujours pressée. Ce sont des maux très modernes. Mais l’argent… De toute façon, elle est fonctionnaire. C’est son mari, qui est davantage sur la branche, en tant que commercial. Mais leurs deux enfants sont assez heureux, moi, c’est cela, que je regarde. Est-ce que je prends mon emploi trop à cœur ? Un ange gardien peut travailler sur deux personnes à la fois, mais avec Vanessa, j’ai eu vite fait de comprendre. Il lui en faut un pour elle toute seule… Il y a vraiment des moments où elle me flanque la trouille. Il faut que je sois fort.

10 novembre

Vanessa est toujours  en arrêt maladie. Sa fille, qui a seize ans, en profite. Vanessa lui fait ses devoirs de français. Je sais, à la décharge de ma cliente, qu’elle est bonne pédagogue. Pas méchante. Juste écervelée. Une blonde, en somme.

Aujourd’hui a été assez calme, Vanessa a beaucoup lu, et contacté son remplaçant au lycée où elle travaille habituellement. Elle reprendra lundi prochain. Et il faut, d’ici là, que je me débrouille pour qu’elle ne se prenne plus pour Fangio. Le week-end dernier, son mari a racheté une voiture. Comme tous les hommes, il aime les grosses cylindrées avec des chevaux sous le capot. Vanessa  a râlé, elle en aurait voulu une petite plus maniable. «  On verra ça quand tu te seras calmée », lui a rétorqué son mari, devant leurs enfants. Le plus jeune, qui a onze ans, a ricané. Ça a horriblement vexé ma cliente. Elle n’a pas répondu. J’ai un peu accentué la douleur dans le cou et l’épaule, pour suggérer de prendre de l’antidouleur. Ça a fonctionné, et j’ose espérer qu’elle va dormir…

 

12 novembre

Nom de Satan ! Vanessa a été odieuse, hier. C’était férié en France, alors ils sont restés entre eux, une visite à ses parents à elle. Les enfants étaient ravis, ça les a changé des jérémiades et des disputes chez eux. Ils sont restés dehors à jouer au ballon, pendant que le père de Vanessa l’enguirlandait pour sa conduite trop sportive. Elle s’est rebellée, bien sûr. Son mari faisait chorus, et la mère de Vanessa a tenté infructueusement de faire le tampon. En rentrant, Vanessa a été d’une humeur massacrante. J’ai bien cru que j’allais devenir fou. Je suis allé voir Gabriel.

-          Ecoute, ce n’est plus possible, lui ai-je dit, cette Vanessa Bogue me rend complètement dingue !

-          Comment tu dis ?

Gabriel n’avait pas l’air étonné. Il m’a regardé, et a bien vu que ça n’allait pas, que j’étais à cran.

-          Vanessa Bogue, ai-je répété.

-          Vanessa Bogue… Ce nom me dit quelque chose… Voyons, que je me souvienne…

Et il a réfléchi bien cinq minutes, sans rien dire.

-          Ah, oui, ça y est ! J’ai eu la visite d’un pilote de Formule 1 qui voulait se réincarner, et dans la liste, il y avait ce nom…

J’ai blêmi, si c’était possible d’être encore plus blanc que je n’étais.

-          Surtout pas ! Pas elle ! Ou alors, c’est que j’aurai définitivement rendu les armes ! Vanessa a encore eu un accident de voiture, et elle a été blessée.

-          Alors tu as bien fait de venir me voir. Je ferai savoir de ne pas toucher à elle.

-          Je te remercie, Gabriel. Mais moi, ai-je droit à un congé maladie ?

Gabriel a éclaté d’un rire clair.

-          A moins que tu veuilles rendre les armes, comme tu dis ?

-          Si tu me colles un pilote de Formule 1 là-dessus, c’est sûr, je te fais un burn-out…

Gabriel riait toujours.

-          Allons ! a-t-il fait. Tu as besoin de repos, Glinglin, ça se voit. Celle-là te fera accéder à la sainteté. Sois rassuré. Va piquer un roupillon sur un nuage, un rêve t’inspirera. De mon côté, je vais chercher à interdire, peut-être, les réincarnations de pilotes de Formule 1….

Alors j’ai dormi. Et j’ai su.

 

14 novembre

-          Dis donc Caïus, qu’est-ce que tu fous là ? ai-je lancé la nuit dernière, alors que ma protégée dormait d’un sommeil profond, pour une fois.

-          Qui me parle ? a fait une voix caverneuse.

-          Glinglin ! Sors de cette femme, et plus vite que ça !

Une fumée grise est sortie par les narines de Vanessa, et s’est matérialisée sous la forme d’un petit diable.

-          Qu’est-ce que tu me veux ?

-          Te poser quelques questions au sujet de Vanessa… Mais allons parler ailleurs, veux-tu ?

Caïus a accepté de me suivre. Nous ne sommes pas allés loin : dans la cuisine.

-          C’est la première fois que je vois une chose pareille, ai-je commencé. Es-tu un cacodaimon, ou un vrai diable ?

-          Oh… je suis un diable de seconde zone, a reconnu Caïus.

-          Et, comme tous les diables, tu veux la mort de Vanessa, je suppose.

-          Euh… la mort, pas forcément. Le négatif en tout cas. La vie n’aurait pas de sel, sans nous.

-          Tu philosophes ?

-          Les diables aiment bien philosopher.

-          Même les diables de seconde zone ?

-          Oh, c’est pour le principe. Là, tu m’as démasqué… a dit Caïus en faisant la grimace.

-          J’ai mes indics. C’est bien toi, n’est-ce pas, qui fais rouler trop vite ma Vanessa ?

-          Je croyais que c’était une vraie blonde !

-          Blonde, et encore bien pour son âge. Tu crois vraiment que je vais te laisser faire ?

-          Il faudra me…

Je ne l’ai pas laissé finir. Tout en parlant, j’avais étendu le bras vers l’évier, et saisi une poêle à crêpes qui séchait. Et je crois que pour un coup d’essai, je m’en suis pas mal sorti. Le coup sur la tête a été net, précis, en tout cas assez pour estourbir Caïus. Puis j’ai fait apparaître un écouvillon qui suintait l’eau bénite, et suis tombé sur le diablotin en hurlant « vade retro, Satanas ! » Caïus a disparu dans une explosion, laissant une odeur de soufre dans la pièce. Le choc a été rude. Je ne sais comment, je me suis retrouvé coiffé de cette poêle. Et j’ai entendu le rire clair de Gabriel.

-          Je le savais, que tu gagnerais ton auréole !

Honteux, je ne me suis rendu compte qu’à ce moment-là que la poêle était sur ma tête. Je l’ai ôtée de là, très gêné, me demandant si Gabriel ne se moquait pas de moi, par hasard. Il l’a compris, et m’a fait un bon sourire.

-          Rassure-toi, a-t-il repris. Tu n’es plus un ange de seconde zone. J’ai regardé le dossier de Vanessa, et c’est vrai qu’elle n’est pas facile. Mais je te garantis que sans Caïus, elle n’aura plus d’accidents.

-          Mais c’est madame Catastrophe…

-          Mais ça, mon cher Glinglin, ça arrive à tout le monde… Il y a juste des gens qui font moins attention que d’autres. Ce n’est peut-être pas une sinécure, de s’occuper de Vanessa, mais ce sera de toute façon moins pire qu’avant.

J’ai baissé le nez.

-          Alors mon auréole…

J’ai regardé la poêle, que j’avais reposée près de l’évier. Gabriel a souri.

-          Excuse-moi, je n’ai pas été gentil, a-t-il reconnu. Mais tu l’as méritée, ton auréole. Une vraie, sans manche. Suis-moi au Ciel.

J’ai obéi. Le sourire m’était revenu. Sur le grand nuage-amiral, on m’a remis une vraie auréole. J’ai simplement l’impression, depuis, qu’une odeur de crêpe me suit… Une des rares choses que Vanessa sache faire en matière de cuisine !

 

© Claire M. 2014

 

 

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  • Entrez donc dans l'un des royaumes de l'imagination, la mienne, où vous croiserez êtres fantastiques, âmes en peine, beaucoup de chats... Vous pourrez y trouver d'autres aventures, ou jouer avec moi, les mots... Le continent des lettres est si vaste !
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