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l'imagination au pouvoir
3 avril 2019

à travers l'Europe

La discrète.

 

            Ils étaient cinq jeunes troubadours venant d’une contrée le long de l’Atlantique, qui parcouraient le monde pour se faire quelque argent. Le chanteur était singulier : doté d’un charisme exceptionnel, il savait tirer parti de toute situation, et de sa musique tout particulièrement. Chacun jouait d’un instrument différent, mais ils s’accordaient bien, tous ensemble.

 

            Un jour d’hiver, alors que la petite troupe et sa carriole traversaient une forêt allemande, ils vinrent à rencontrer une vieille femme, peinant à porter deux seaux d’eau.

-          Oh là ! cria aussitôt Ricardo au cheval, et la carriole s’arrêta, et deux des jeunes gens en descendirent.

L’un se chargea des seaux, l’autre fit monter la vieille, qui se réchauffa entre lui et Fernando, le chanteur, qui était abîmé, selon sa coutume, dans une profonde rêverie. La vieille femme le vit, mais eut un sourire en coin et ne dit rien. Les jeunes gens la menèrent à son logis, une vieille bicoque en bois. Le feu menaçait de s’éteindre, l’un des musiciens s’empressa de le raviver, tandis que l’on faisait descendre la vieille femme.

-          Grand merci, leur dit-elle alors. Passez donc la nuit chez moi, et acceptez mon potage en échange.

Fernando revint de sa rêverie pour parler au nom de la petite troupe, la remerciant pour son hospitalité, qu’ils ne sauraient toutefois accepter, car ils voulaient rejoindre la ville la plus proche afin de gagner de l’argent. La vieille le regarda, sourit et dit :

-          Tu es jeune, résistant et beau. Je sais que tu aimes la musique plus que l’argent, et les jolies filles plus que la musique. A toi qui es beau et intelligent, je veux te venir en aide à mon tour. Suis-moi.

Fernando n’eut guère de mouvement d’hésitation, bien qu’il se doutât que la vieille était un peu sorcière ; il avait regardé les seaux et s’était étonné, en son for intérieur, que, par ce froid, l’eau n’y ait pas gelé. Il suivit donc la vieille dans un recoin de la chaumière.

-          Il y a une princesse », commença alors la vieille » dont très peu connaissent l’existence, tant elle est discrète. Elle vit recluse dans un château, mais elle aime la musique. Allez au royaume de Danemark, tout au bout du Skagerrak. Elle vit face à la mer. Je n’ai pas réussi à connaître son nom. Le roi, son père adoptif, la garde farouchement. «  Tandis qu’elle parlait, le jeune homme rosissait. » Nous en reparlerons. »

L’argument fonctionna. Les troubadours restèrent à souper chez la vieille femme puis, comme ils étaient en train, ils jouèrent pour elle, et pour le plaisir. La vieille femme, toute sorcière qu’elle était, tomba sous le charisme du chanteur et sous le charme de la musique, toute en nuances. Se sentant près de perdre la tête, elle saisit Fernando par le bras et l’entraîna de nouveau dans le recoin de sa chaumière.

-          Jeune homme, cette princesse ne te résistera pas. Donne-moi ta main.

Lui était stupéfait, il se laissa faire. Les yeux de la vieille étincelèrent, puis elle lui lâcha la main.

-          Je te promets qu’elle sera à toi, si tu ne te sépare pas de ceci. » Et elle lui donna une petite flûte. « Si tu joues do sol mi do, tu pourras commander à tout. Cela te sera extrêmement utile, ainsi que cette bourse, car le voyage vers le Skagerrak va être long… Je te donne aussi la bague qui rend invisible. »

Fernando n’eut pas une hésitation. Il prit la flûte et la bague avec reconnaissance, la bourse avec réticence. La vieille insista, et tout le monde partit se coucher. Lui n’avait plus qu’une envie en tête : partir pour le Danemark. Le lendemain, il s’installa lui-même au poste du cocher, contrairement à ses habitudes. Bien que pestant contre le froid, de plus en plus intense, ses amis durent faire le voyage.

-          Nous jouerons pour cette princesse ! ne cessait de répéter Fernando.

-          Mais nous jouerons pour les autres aussi !

C’est ainsi qu’en arrivant à la frontière danoise, nos amis avaient assez d’argent pour souper à l’auberge. On voyait qu’ils venaient de loin, à leur physique, et nos amis grelottaient de froid. Le tenancier de l’auberge danoise les soigna, leur demandant ce qu’ils venaient faire au Danemark, au plus fort de l’hiver.

-          J’ai entendu parler d’une princesse, répondit narquoisement Miguel, qui brille tant par sa discrétion, que Fernando en serait épris sans même connaître son nom.

-          Votre ami Fernando a bon goût. J’en ai entendu parler. On parle beaucoup, aux frontières, des mystères de notre beau pays.

Fernando réagit vivement.

-          Comment s’appelle-t-elle ?

-          Hélas ! Nul ne le sait. Présentez-la-moi, si vous parvenez à l’approcher.

-          Je ne cesse de dire à Fernando que sa beauté pourrait être dangereuse.

-          Nous sommes de toute façon sur la route, répliqua Fernando. Quelle est la direction du Skagerrak, je vous prie ?

L’aubergiste la lui indiqua, lui souhaitant bonne chance.

            - N’oubliez pas de me la présenter !

Et le voyage reprit. Nos cinq amis durent traverser tout le Danemark, s’enquérant de la princesse inconnue, jouant de la musique pour se réchauffer. Enfin ils parvinrent à la pointe extrême du Skagerrak. En apercevant le château adossé à la mer, Fernando, de joie, se mit à chanter et, fouette cocher ! ils pénétraient dans la journée dans le château. En apprenant qui ils étaient, ce fut la reine, que l’on envoya chercher. Elle goûtait en effet fort la musique, contrairement au roi.

-          Vous jouerez pour ma fille et moi, si vous pouvez rentrer dans les bonnes grâces de mon mari. Je vous attends pour le souper, on va vous montrer le château et de bonnes chambres. Mais de grâce, soyez courtois avec le roi et, peut-être, ne jouez pas trop longtemps !

Fernando avait confiance. Il s’en alla voir le roi, après avoir visité le château, sans dire qui il était, et lui donna de fort bons conseils pour le royaume. Pendant ce temps, ses quatre compagnons aidèrent à l’intendance du château.

 

            Enfin, l’heure du souper arriva. Le roi fit la grimace, en voyant des troubadours dans son château. Fernando l’accueillit à table d’un guilleret « do sol mi do », qu’il joua jusqu’à l’arrivée de tous les convives. La princesse arriva la dernière, d’un pas hésitant, et elle rougit en voyant le beau flûtiste. Lui s’arrêta tout d’un coup en la voyant, ses compagnons prirent le relais et il commença à chanter. Les musiciens jouèrent tout au long du repas, puis ils furent conviés à manger, et ils avaient grand appétit. Ils allaient sortir de table, quand la princesse revint, rosissante, une bourse à la main. Elle alla à Fernando, qui se sentit rougir à son tour, tendant la bourse.

-          Grand merci » balbutia-t-elle, «votre musique m’a ensorcelée. J’aimerais la réentendre demain soir au souper » ajouta-t-elle en rougissant de plus belle.

Les musiciens eurent à peine le temps de la remercier pour la bourse, que la princesse s’enfuyait.

-          Attendez !

Miguel se mit à courir, mais ne put rattraper la gracieuse princesse. Sérgio se mit à courir après son compagnon pour l’empêcher de faire quelque sottise, mais à cet instant ils virent la princesse disparaître dans une tour.

-          J’irai la voir cette nuit, décida Fernando quand ses deux compagnons l’en avisèrent.

-          Tu es fou.

Mais Fernando prit un air mystérieux.

-          Ne vous inquiétez pas. Où est cette tour ?

Et, pendant que ses compagnons dormaient, il enfila la bague qui rend invisible et quitta son lit. La porte de la chambre de la princesse, en haut de la tour, était fermée à clef, mais un doux « do sol mi do » l’ouvrit. Fernando remarqua la robe à terre, alla au lit, il n’y avait personne. Perplexe, il alla à la fenêtre, qui donnait sur la mer. Quelle ne fut pas sa surprise, en voyant une échelle de corde descendre de la fenêtre. Mais il ne put rien voir de plus. Dépité, il retourna se coucher, et rangea l’anneau et la flûte.

 

            Le lendemain se passa comme la veille. Après le repas la princesse, encore plus confuse que la première fois, vint leur porter une deuxième bourse et une deuxième requête, et s’enfuit de la même façon que la veille. Fernando contint son impatience et, enfin, s’introduisit de la même façon dans la chambre de la princesse. Il alla au lit, puis à la fenêtre. Là, il vit la princesse monter, ses longs cheveux bruns mouillés. Elle réintégra prestement sa chambre, soupira en regardant ses jambes fuselées, se sécha et se mit au lit. Bientôt, elle dormait. Fernando trouvait cela singulier, mais la beauté de la jeune femme l’avait tant subjugué, qu’il retourna à sa chambre tout chancelant. Il n’en dormit pas de la nuit. Le lendemain, cela ne l’empêcha pas de conseiller le roi, qui en venait à se demander si le jeune troubadour n’était quelque prince renégat. Le soir venu, en voyant arriver les troubadours, il voulut se fâcher et demander une explication. Sa fille l’en empêcha la première.

-          Permettez, père, qu’ils jouent ces airs si merveilleux à mes oreilles, avant de vous fâcher.

-          Nous partirons demain matin, pour ne point vous importuner davantage.

-          Une dernière fois, père, je vous en prie.

Une série de «do sol mi do » acheva de dompter le roi, et les troubadours jouèrent comme à l’accoutumée. Mais la nuit venue, Fernando se leva, muni de sa bague et sa flûte. Il alla droit à la fenêtre sur la mer, et descendit l’échelle. Il se retrouva dans l’eau et nagea jusqu’à la princesse, qui tantôt caressait un poisson, tantôt se laissait porter par la vague. Ses jambes scintillaient de vert, à la lueur de la lune. Fernando alla la saisir par la taille, et la rétive se débattit. Mais Fernando la tenait bien.

-          Comment vous appelez-vous ?

Effrayée, la princesse répondit :

-          Brunella.

-          Reconnaissez-vous ma voix ? Je suis Fernando.

Et il redevint visible. La princesse, prise de panique, lança un son très aigu, et une armée de poissons se précipita sur Fernando, qui n’eut que le temps de saisir sa flûte pour rester en sécurité. La princesse tapa alors du poing dans l’eau.

-          Vous avez éventé mon secret !

Et elle enroula sa queue de poisson autour des jambes du troubadour, pour le plonger dans l’eau. Mais notre chanteur avait du souffle, et il finit par presque se dégager. La sirène, alors, chanta pour le noyer plus sûrement. Sa voix était de cristal, claire et envoûtante à la fois. Fernando, qui avait vite compris la situation, se mit derechef à couvrir la sienne de sa voix chaude et sensuelle, se bouchant les oreilles de ses mains. Le subterfuge fonctionna, si bien que la sirène commençait à se dissoudre dans l’eau. Fernando, qui l’observait tout en chantant, s’en rendit compte et s’arrêta tout net.

-          Brunella !

Et il la saisit dans ses bras et nagea jusqu’à l’échelle de corde, qu’il commença à grimper. Au contact de l’air, la queue de Brunella se divisait en jambes. Mais Fernando y prenait à peine garde, montant à la chambre à l’aide d’une seule main. Il y hissa la princesse, puis se laissa tomber à terre. Le premier geste de la princesse fut de se vêtir en toute hâte, avant de ramener à la vie le beau jeune homme qui avait tant risqué. Elle le regarda se lever, admirative, rosissante. Il balbutia un «merci » dans sa langue maternelle et elle répondit «de rien «  de même. Puis :

-          Ainsi c’est vous mon fiancé.

-          Ah bon ?

-          Les sirènes connaissent leur destin », fit-elle mystérieusement. « Vous vous demandez comment une sirène peut être princesse sur terre, n’est-ce pas ? »

-          Je croyais que les sirènes ne vivaient que dans la mer.

-          C’est que je suis née dans un lieu magique. Connaissez-vous la Grotte bleue, en Italie ?

-          J’en ai entendu parler.

-          A leur naissance, les sirènes connaissent leur destin. La Reine m’a dit que j’épouserai un terrestre à condition de renoncer à ma queue la plupart du temps et, surtout, si j’étais capable d’aller au Danemark par l’Atlantique. Je l’ai fait. J’ai nagé jusqu’à Ålborg, je ne connaissais rien de ce pays. Je suis allée vers le nord et l’eau m’a manqué, le roi, mon père adoptif, m’a trouvée à moitié morte dans son royaume. Par chance, son palais jouxtait la mer du Nord. Il m’a adoptée car la reine n’avait pas su lui donner d’héritier. Ainsi je peux, deux heures par nuit, redevenir sirène. Mes pieds me font atrocement mal, quand je marche. Je les utilise le moins possible, c’est pourquoi on me voit si peu, et c’est pourquoi je ne me suis pas habituée à la vie des hommes.

-          Les prétendants ne doivent cependant pas manquer, vous êtes si belle !

Brunella rougit violemment au compliment.

-          Personne ne me voit, sauf les musiciens. Chez les sirènes, nous aimons la musique. Je suis heureuse d’être tombée sur un chanteur. Vous avez une voix merveilleuse.

Et elle passa timidement les bras autour du cou de Fernando.

-          Je dois partir demain, votre père est fâché.

-          Je sais. Il n’aime pas la musique, et ce n’est pas la coutume que les troubadours restent aussi longtemps en ce palais. Il faut que nous partions cette nuit.

Fernando se laissa retomber.

-          Pour aller où ? soupira-t-il.

-          Chez vous !

-          Mais le Portugal est loin !

-          Peu importe ! Je pars sur-le-champ, rendez-vous à l’embouchure du Tage !

Mais la princesse dut d’abord apaiser le jeune homme. Quand enfin il fut résigné à partir, elle l’embrassa furtivement et disparut par la fenêtre, lui laissant un gobelet d’or pour qu’il puisse l’appeler. Fernando dut aller réveiller ses compagnons en pleine nuit, pour partir. On fit bien des histoires, mais enfin on se mit en route. Les portes du palais s’ouvrirent comme par magie et, à l’aube, les troubadours s’étaient déjà bien éloignés du château.

 

            Le premier but de Fernando fut de montrer, comme promis, la princesse au tenancier de l’auberge de la frontière. Prétendant qu’elle se trouvait cachée dans leur carriole, il alla remplir le gobelet d’or au premier point d’eau venu puis monta dans la carriole.

-          Brunella !

Elle apparut, toute petite, dans le gobelet, prit forme humaine, enfila prestement une robe et alla apparaître au bras de son promis, toute rougissante. L’aubergiste en oublia de leur faire payer le repas.

            Fernando, impatient, n’abusa cependant pas de cette possibilité. Chaque soir, il lui demandait où elle en était de son voyage, pendant qu’eux-mêmes progressaient. Au début du printemps, le Tage s’annonça au loin. Fouette cocher ! Et Fernando et Brunella furent ensemble.

-          Plonge ! enjoignit Brunella lorsqu’ils se retrouvèrent.

Il obéit et nagea jusqu’à elle. Son premier mouvement fut de l’embrasser. Il sentit alors ses jambes s’unir et former une queue de poisson. Il nagea maladroitement, ses compagnons étaient effrayés. Brunella les rassura et, enfin, leur dit :

-          Revenez ici dans un an.

Un an plus tard, elle leur tendait son premier enfant. Celui-ci était destiné à devenir un futur roi du Portugal. C’est pourquoi les Portugais sont le peuple de la mer.

 Claire M.

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