Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
l'imagination au pouvoir
12 juillet 2019

crise

 

L’autre.

 

J’ai toujours eu l’impression d’être autre. Mais je n’en ai eu la confirmation qu’assez tard, à une trentaine d’années. Jusque là, tout allait bien, vie familiale harmonieuse, divers succès, professionnels notamment. Et puis ça n’a pas duré. Ma mère, celle qui comprenait tous mes chagrins, est morte d’un cancer foudroyant. C’est alors que j’ai plongé. Mon compagnon ne supportait pas mes larmes, me montrait pour exemple mon frère et ma sœur, qui faisaient face courageusement. Mais de ma fratrie, j’étais la petite dernière, la seule à être aussi proche de ma mère. En me soutenant si mal, mon compagnon a aggravé ma déprime, qui est devenue une véritable dépression. Mon médecin a dû me mettre en arrêt maladie de longue durée, alors que j’aimais beaucoup mon travail. Je me suis donc retrouvée seule face à moi-même. Ça a été très angoissant. Me voyant ainsi, mon compagnon ne comprenait plus ce qu’il se passait. Il ne me reconnaissait pas. Il ne reconnaissait plus la petite femme pleine de vie que j’avais été jusque là. Je suis devenue l’ombre de moi-même, à passer des journées en pyjama, à ne même plus savoir utiliser la douche pour me laver. Je ne me maquillais plus, et je dormais mal, des cernes énormes autour des yeux. Voyant cette déchéance, mon compagnon a jeté l’éponge.

-          J’étais amoureux d’une jolie femme, et tu es devenue un zombie, m’a-t-il dit avant de prendre le large.

-          Alors tu ne m’aimes plus, ai-je compris, et je me suis retenue de pleurer.

-          Mouche-toi, a-t-il fait d’une voix peu amène. On dirait une gamine.

J’ai obéi sans rien dire.

-          Je veux une Charlotte souriante. Fais un effort.

Je me suis encore retenue. J’ai dû avoir des yeux de chien battu, je l’ai senti à son regard.

-          On ne tirera rien de cette fille-là, a-t-il grommelé, et il a ajouté : Je retourne chez ma mère.

Sa mère. Que n’avait-il pas dit là ! Je me suis effondrée. Je n’avais plus ma mère, moi. Je suis partie en courant dans la chambre, criant au-revoir. Et il est sorti de ma vie.

Alors ça a été encore pire. Je suis retournée chez mon père, qui a fait ce qu’il a pu, le pauvre. Moi, je me sentais de plus en plus mal.

La maison de mon père se trouvait à l’écart de la ville, non loin de la forêt. Peu de temps après, mon père a dû sortir pour une raison quelconque, et je me suis retrouvée seule à la maison, avec tous ces souvenirs.  L’angoisse m’a alors étreinte. Et je n’avais plus de larmes. Tout à coup, quelque chose de sourd est monté en moi, de l’estomac à la gorge, et… mon Dieu, que s’est-il passé ? Un bruit autre est sorti de ma bouche. Comme un rugissement. J’ai crié une première fois, ai porté les mains à ma bouche. Mes membres tremblaient. Et le tremblement me gagnait de plus en plus. Un deuxième rugissement est sorti de moi, sans que je puisse le contrôler. Je me suis alors jetée sur mon lit, dans mon ancienne chambre, ai voulu étouffer mes cris dans l’oreiller. Mais ma tête a refusé de s’enfoncer, je me suis redressée. Je me suis retrouvée debout sur mon lit, à griffer le mur, comme un animal sauvage. J’en aurais vu des griffes au bout de mes doigts. J’ai arraché mon pull, dégrafé mon soutien-gorge, toujours à pousser des hurlements venus de Dieu sait où. Ma fenêtre était ouverte, j’ai sauté dehors, souplement, comme si j’avais fait ça toute ma vie. La forêt étant proche, c’est là que je me suis réfugiée, à demi nue. J’y ai couru, presque à quatre pattes. J’avais l’impression que, derrière moi, une queue battait l’air. Moi ? Mais qui étais-je ? Que faisais-je ? J’ai couru longtemps, à une vitesse inimaginable. Tous mes sens étaient en alerte, dans la forêt, je me sentais un grand prédateur. Un loup ? Je sentais le vent sur ma peau, la transpiration. Je ne maîtrisais plus rien. J’ai encore hurlé, et j’ai entendu un chien aboyer. La civilisation ! Je ne devais pas être loin de la maison. Sans doute avais-je tourné en rond. J’ai entendu une détonation. J’ai couru me mettre à l’abri, derrière un buisson de fougères.  La saison de la chasse. Alors la parole m’est revenue, et j’ai hurlé :

-          A l’aide !

Je me suis sentie redevenir humaine, à pouvoir prononcer ces mots. D’ailleurs, la sensation des ronces, sur ma peau à vif, s’est tout à coup rappelée à mon souvenir.

-          A l’aide !

Un chasseur et son chien m’ont trouvée là. C’était un homme d’une quarantaine d’années, vêtu d’un treillis, avec des yeux d’un bleu magnifique, presque céleste. Et il était beau. Il s’est penché sur moi.

-          Ça ne va pas ?

J’ai croisé les bras pour cacher ma poitrine. Je tremblais.

-          Je… je ne sais pas ce que j’ai…

Il a attrapé doucement une de mes mains, et a sifflé son chien. Un épagneul.

-          Où habitez-vous ?

-          Là… Pas loin… ai-je fait avec un regard perdu.

Il m’a serré la main dans sa grande paluche.

-          Il y a quelqu’un chez vous ?

-          Non. Mon père est sorti.

-          Je vous emmène chez un médecin. Mais attendez. Vous allez prendre froid.

Et l’homme a enlevé son tee-shirt à l’effigie de Bruce Springsteen, pour me le prêter.  Je l’ai vite enfilé, rouge de confusion. Torse nu, lui était impressionnant. Il me faisait rêver. Je n’ai rien osé dire, et il m’a emmenée, est resté avec moi pour pouvoir payer le médecin. J’ai essayé d’expliquer à ce dernier ce qui m’arrivait, il a été très compréhensif. Enfin, je me sentais entre de bonnes mains. En sortant de là, l’homme qui m’avait emmenée m’a dit :

-          Je m’appelle Yann. Vous pouvez me parler, si vous voulez. Je vais vous ramener chez vous. Voulez-vous qu’on se revoie ?

-          Ne serait-ce que pour vous remercier.

-          J’ai cru que vous étiez tombée sur un loup.  Qu’en est-il, exactement ?

-          J’ai fait une crise d’angoisse.  Le loup, c’était moi.

Yann a éclaté de rire, et a appelé son chien :

-          Cookie ! Gros malin, va !

-          C’est lui, qui a aboyé, dans la forêt ?

-          Oui. Et j’ai eu peur, moi aussi.

-          Vous, avoir peur ? ai-je fait candidement.

-          Oui, ça m’arrive.

Il m’a repris la main, m’a fait remonter dans sa voiture. Je lui ai indiqué le chemin. Mon père était rentré, entre-temps, et il était inquiet de ne pas me voir. Yann lui a expliqué ce qui s’était passé, et c’est ainsi qu’il est entré dans ma vie. Et je sais que, lui, m’aime avec mes faiblesses. Car, quelquefois, je peux redevenir loup. Yann le comprend, et s’est employé à soigner mes blessures.

 

© Claire M. 2014

Publicité
Publicité
Commentaires
l'imagination au pouvoir
  • Entrez donc dans l'un des royaumes de l'imagination, la mienne, où vous croiserez êtres fantastiques, âmes en peine, beaucoup de chats... Vous pourrez y trouver d'autres aventures, ou jouer avec moi, les mots... Le continent des lettres est si vaste !
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Publicité