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l'imagination au pouvoir
20 février 2020

mécréants ?

Un instant avec Dieu

 

-          Quand je pense que même Gérard n’aurait pas aimé avoir tous ces salamalecs pour son fichu enterrement... glissa un homme à son voisin, dans un recoin de l’église.

-          Oui, ça se traîne...

Le voisin bailla. Derrière lui, une femme tricotait, faisant semblant d’être intéressée. Quelqu’un d’autre fut pris de toux et, de plus en plus, l’église fourmillait de petits bruits. Les petits-enfants du défunt avaient aussi du mal à se tenir tranquilles, peu habitués à la fréquentation d’un tel endroit.

-          … Gérard Cousin, disais-je, qui croquait la vie à pleines dents avant de tirer sa révérence, est venu ici retrouver le Très Haut…

Au premier rang aussi, on étouffait des bâillements. Le prêtre s’interrompit :

-          Vous écoutez, au moins ?

Il eut droit à un « oui » poli, reprit son homélie où il l’avait laissée. Cinq minutes plus tard, il entendit une femme intimer aux enfants de se taire, approuva discrètement et continua.

-          Quelle barbe, ça n’en finit pas… fit une nièce du défunt, suffisamment haut pour que le prêtre l’entende, sans toutefois le faire exprès.

-          C’est vrai, tonton Gégé aurait détesté, approuva son frère de la même façon, et le prêtre entendit le frémissement, la désinvolture de ses ouailles.

-          Pardonnez-moi, mais vos remarques sont très déplacées ! tonna-t-il tout à coup, et tous se turent, surpris.

-          Je vous en prie, continuez, fit la veuve du défunt, au supplice.

-          Uniquement pour ceux qui croient et respectent Dieu !

Le ton du prêtre était tel, que l’assistance, l’espace d’un instant, resta figée.

-          Et Son fils, du haut de Sa croix, vous regarde ! Cessez d’offenser Sa vue, et que ceux qui ne croient pas en Dieu aillent dehors !

-          Volontiers ! lança quelqu’un. Viens, Micheline, on va prendre l’air !

A son grand désarroi, le prêtre vit son église se vider en un clin d’œil, eut un gros soupir. S’il restait une dizaine de personnes, c’était le maximum.

-          Mon Dieu, pardonne-leur… murmura-t-il avant de reprendre son office.

 

-          Pauvre tonton Gégé… fit le neveu du défunt à sa sœur, histoire de reprendre la conversation entamée dans l’église.

 

-          Il n’est quand même pas gêné, le père Gandelin, fit le frère du défunt. Virer tout le monde ! Ça ne se fait pas !

 

-          Tu te faisais chier autant que nous, papa.

 

-          Antoine, voyons ! le rabroua sa mère.

 

-          De toute façon, je préfère attendre dehors, moi aussi, dit Jules, le frère du défunt. Il fait même plus chaud ici !

 

-          Oui, la saison s’annonce bien, commenta un de ses amis, Jean-Paul, tout en allumant une cigarette. Bientôt, on pourra être en bras de chemise…

 

-          Et quels sont vos projets, pour l’Ascension ? demanda la femme de Jules, Anne, à Jean-Paul.

 

-          Oh, je ne sais pas... Sabine et moi pensions à la Bretagne, à moins qu’on aille chez ma sœur à La Rochelle… Et vous ?

 

Antoine et sa sœur avaient retrouvé la dame au tricot, entourée de ses enfants et de ses petits-enfants, qui était une amie d’enfance de Gérard. Il avait été le parrain de l’aîné de ses petits-enfants, Olivier, mais ce dernier n’avait jamais aimé fréquenter les bâtiments de culte, d’autant plus qu’un de ses amis s’était radicalisé, en faisant partie d’un mouvement anti-avortement, entre autres « diableries ». Olivier était très content de l’initiative du prêtre, et en profitait pour peloter sa fiancée, qu’il devait épouser quelques mois plus tard. Ils s’étaient mis dans un coin, et tout à coup, Justine s’exclama :

-          Oh ! Le beau chat !

Alors tous deux entendirent une voix grave, comme venant du chat :

-          Je vous en prie, faites comme si je n’étais pas là…

Les deux amoureux regardèrent partout, et le chat s’approcha du couple, pour se frotter aux jambes de Justine.

-          C’est vrai qu’il  est mignon, remarqua Olivier. Il a une façon de se tenir… malgré son petit bidon…

-          Oui, il est bien nourri ! fit Justine en riant.

-          Ça  m’est égal, je sais que je suis le plus bel être de la Création.

Olivier et Justine sursautèrent, mais le chat ne partit pas, les regardant en penchant la tête, ce qui le rendit absolument craquant. D’ailleurs, leur réaction immédiate à tous deux fut de le caresser.

-          Que tu es beau ! fit Justine en lui grattouillant la gorge.

-          Pourtant c’est un chat de gouttière, mais c’est vrai, qu’il est beau…

-          Il a un regard magnétique…

-          Oh, merci, c’est bon…

Et le chat se roula par terre. Justine se coucha dans l’herbe pour lui flatter le ventre. Des enfants arrivèrent en courant, contents de ne plus être obligés de se taire, et de pouvoir courir. Le chat se leva pour aller vers eux, et la dame au tricot s’exclama, le reconnaissant :

-          Mais c’est Zéphyr !

-          Qui est-ce ? demanda Anne.

-          C’est le chat du père Gandelin. Ils se ressemblent, la brioche les guette tous les deux !

Et tout le monde rit.

-          Non, il est très mignon, dit Marine, la sœur d’Antoine, par qui le scandale était arrivé.

-          Merci, c’est gentil, lui dit le chat de sa voix grave. Je voudrais vous parler, à tous.

Tous regardaient partout, estomaqués, cherchant d’où venait cette voix.

-          C’est moi, Zéphyr. Ou Dieu, si vous préférez.

-          Il n’existe pas, déclara péremptoirement Olivier. J’en ai la preuve.

-          Ah oui, et laquelle, monsieur Olivier ? demanda courtoisement la voix.

Le jeune  homme resta confondu.

-          Mais… un chat connaît mon nom ? Parle ?

-          Si fait, reprit le chat en ouvrant bien la gueule pour parler, et en faisant un signe de patte. Ou plutôt, moi, Dieu, ai pris forme féline pour vous parler. Dans l’église, je n’y serais pas arrivé. Mais le père Gandelin a été maladroit. Je vous rassure tout de suite : si vous l’avez irrité, moi, dans  ma grande mansuétude, je ne le suis pas.

-          Mais alors… on peut vous parler ? risqua Anne.

-          Bien sûr. Mais caressez-moi. J’adore être cajolé, ça me manque. Je sais que vous n’êtes pas de mauvais bougres.

Tous regardaient le chat, très étonnés. Celui-ci leva ses fesses, pour aller se frotter contre Marine.

-          Oui, tu es très mignon, Zéphyr, dit-elle, le caressant. Si tu nous aimes vraiment, n’oublie personne…

Alors le chat commença à se frotter à toute l’assemblée. Micheline, une vieille dame jolie comme un cœur, le caressa avec bonheur, remercia son mari de l’avoir faite sortir de l’église. C’était des cousins du défunt, qui avaient tenu à faire acte de présence même si, notoirement, ils ne croyaient pas en Dieu. Mais ils adoraient les chats, et Zéphyr/Dieu le sentait bien.

-          Dis-nous, Zéphyr, ou je ne sais pas comment on t’appelle, fit Jules quand ce fut son tour, mon frère n’est pas vexé, de là où il est ?

-          Pas du tout, répondit aussitôt le chat. C’est sa femme, qui est confite en bigoterie. Vous êtes tous là pour lui dire au revoir. Si vous préférez les grandes tablées chaleureuses aux églises froides, c’est votre  droit.

-          Cela ne sonne guère divin, remarqua Anne.

-          Chacun sa façon de célébrer les morts, déclara Zéphyr / Dieu.

-          J’ai caressé Dieu… fit Antoine, pensif.

-          Et il est tout doux, ajouta un enfant. Dis, Zéphyr, c’est bientôt fini, ces… salamalecs dans l’église ? Je veux ma mamy…

Tous se mirent à sourire.

-          Oui, Théo. Mais ta grand-mère a intérêt à rester jusqu’au bout. Mon ministre du culte est furieux.

-          Ministre du culte ? répéta Théo sans comprendre.

-          Le curé, lui expliqua Jules. Le père Gandelin. Mais il n’est pas méchant, juste susceptible.

Cela fit rire tout le monde.

-          Zéphyr, tu as vu mon doudou ? demanda une petite fille.

-          Non, mais je vais te le donner.

Et le doudou en question apparut dans les mains de la petite.

-          Merci Zéphyr ! fit-elle sans s’étonner.

-          Ah çà ! s’exclamèrent tous les adultes.

La dame au tricot eut l’idée de demander une pelote de laine, l’obtint aussitôt. Alors tous se mirent à réclamer quelque chose, des clefs, des mouchoirs, de l’amour, Justine voulut être sûre qu’elle et Olivier auraient beaucoup d’enfants.

-          Voilà qui est mieux, jugea alors Zéphyr/ Dieu. Ce que j’apporte, c’est l’amour. Et vous l’avez. Je vais pouvoir enguirlander mon… le père Gandelin. J’ai eu le temps de faire trop de miracles…

-          Zéphyr !

-          Je ne suis qu’un chat…

-          Reste !

-          L’office va se terminer. J’ai deux mots à dire à mon maître…

-          Ton maître ? Mais qui parle, alors ? réagit Anne.

-          Mon maître, ou mon serviteur. Ça dépend de quel point de vue on se place. Maintenant, excusez-moi. Mais souvenez-vous : je vous aime…

Et le chat entra dans l’église, dont la porte était en train de s’ouvrir.

-          Zéphyr ! Que fais-tu là, mon chat ?! fit le père Gandelin, qui précédait la procession.

-          J’aurais deux mots à te dire, rétorqua Dieu, et le prêtre manqua de lâcher son goupillon.

-          Qui a parlé ?

-          Zéphyr ! lança tout le monde dans un bel ensemble.

-          Il nous a fait une très belle messe ! ajouta Jules.

-          J’ai eu un très beau câlin avec Dieu, fit Justine avec un joli sourire. Et il m’a promis de beaux enfants avec mon fiancé.

-          Et Léa a retrouvé son doudou.

-          Il nous a tant donné ! dit la dame au tricot.

-          Dieu ne peut être qu’un chat, dit Micheline. Vous devriez l’écouter.

Le père Gandelin faillit s’offusquer, mais choisit de rester digne, et ne dit rien.

-          Rendez-vous dans la sacristie, lui dit son chat. En vous attendant, j’espère qu’il y a des croquettes dans ma gamelle ?! Les miracles, ça creuse…

Presque tous rirent, mais le père Gandelin tint son rôle, et mena Gérard Cousin dans son ultime demeure. Quand tous furent partis, triste et fulminant à la fois, il se rendit à la sacristie. Pour commencer, Zéphyr se frotta à ses jambes.

-          Toi aussi tu manques d’amour, Albert, dit-il.

-          Oh… Ne me fais pas penser à mes parents…

-          Ce n’est pas ça qui me préoccupe, de toute façon. Mais tu as été très maladroit, en virant les soi-disant mécréants.

-          Soi-disant ?!

-          Sais-tu à qui tu parles ?

-          Es-Tu vraiment Dieu ?

-          Je me suis incarné dans ton félin, pour ramener tout le monde à la raison. On ne croit plus de la même façon, Albert.

-          J’ai passé soixante ans, je suis  de la vieille garde, reconnut le prêtre tout en essuyant ses lunettes dans un pan de sa soutane.

-          Il faut faire revenir les gens dans l’Amour, celui avec un A majuscule. Quel que soit l’endroit. Ne fais plus jamais ça ! Je te sais caractériel, mais tout de même !

Humblement, le père Gandelin cessa de frotter ses lunettes, et s’agenouilla devant le chat. 

-          Pardonne-moi, mon Dieu.

-          Oui, je te pardonne. Juste une dernière chose, Albert : ton chat a fini ses croquettes, et il a encore faim.

-          Puis-je Te caresser, moi aussi ?

-          Je suis ton chat….

Et Zéphyr se roula par terre, montrant son ventre. Et tous deux eurent un long câlin sur le sol de la sacristie, dans la poussière…

 

© Claire M., 2019

 

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