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l'imagination au pouvoir
3 octobre 2020

entre Occident et Orient...

Les mystères de l’Orient.

 

C’était un beau mariage, à la cour du roi Léon : sa fille Annabelle, jolie, aux rondeurs juvéniles et attirantes, épousait le fils du roi voisin, Gauthier, avec qui elle filait le parfait amour depuis plusieurs mois. Les deux souverains, ravis de voir s’unir leurs enfants et leurs royaumes, se tapaient dans le dos, parlaient politique. Les mariés étaient magnifiques et, le soir venu, se retirèrent dans leurs appartements. Gauthier faisait construire un petit château pour y abriter leurs amours mais, en ces temps-là, de tels travaux étaient très longs. Le palais le plus proche étant celui du roi Léon, Annabelle pouvait rester parmi les siens pendant que s’édifiait leur petit château.

Une vie relativement tranquille se mit en place, Gauthier plaisait beaucoup aussi à la reine Vinciane, et il faisait rire son beau-frère, Arnaud, jeune homme d’une quinzaine d’années. Tous deux prirent vite leurs habitudes, aimant l’un autant que l’autre les plaisirs de la chasse et des grandes cavalcades. Et, bien entendu, Gauthier et Annabelle prenaient du bon temps ensemble. Seulement voilà : six mois après leur mariage, aucun héritier ne se profilait sur la silhouette d’Annabelle. Aussi, au bout de quelques temps, le roi Léon décida de parler à sa fille.

-          Voyons père, ce n’est pas si simple… En vérité, vous ne connaissez rien aux femmes.

Piqué au vif, le roi rétorqua :

-          D’accord, je n’ai que toi et ton frère, mais j’ai engrossé six fois ta mère ! Si ça se trouve, j’ai même eu quelques bâtards avant d’accéder au trône !

-          Et alors ? Vous autres les hommes, vous ne pensez qu’à ça ! Quand j’en ai parlé à Gauthier, il a compris qu’on avait tout le temps pour avoir des enfants… et la chasse et les longues chevauchées, ça fatigue !

-          Que veux-tu dire, il n’est pas bon amant ?!

-          Je n’ai pas dit ça, père. Au contraire. Simplement, nous ne nous employons pas tous les jours à avoir un enfant… et puis, qui vous dit que ce sera nécessairement un fils ?

-          Espèce de raisonneuse ! Le travail des princesses est d’avoir des enfants et de s’en occuper !

Annabelle s’empourpra.

-          Mêlez-vous de ce qui vous regarde, père ! De toute façon, je n’ai pas l’intention d’être une femme soumise, et Gauthier l’a très bien compris !

-          Non mais !!

Et le roi leva la main.

-          Pas de violence dans votre palais, père, fit Annabelle en s’esquivant et en claquant la porte derrière elle.

-          Souviens-toi de la tour ! cria le roi, rendu furieux par l’attitude de sa fille.

-          Je me moque de votre tour ! Notre palais sera bientôt terminé !

Puis le roi Léon n’entendit plus sa fille.

Il ne la revit que le lendemain matin, toute pimpante dans la robe dorée qui seyait si bien à son teint et à son opulente chevelure brune. Voir sa fille si belle le rendit fier, et il lui fit un beau sourire. Annabelle baissa les yeux, et :

-          Bien le bonjour, mon père.

-          Bonjour, Anna la belle, dit le roi, et la princesse eut un beau sourire à son tour. Pardonne-moi si je  t’ai courroucée, hier. Quand je vois ton sourire… c’est vraiment dommage.

-          Ça ne fait rien, père. Les choses viendront en leur temps.

-          Certes, fit le roi, et il changea de sujet.

 

Un peu plus tard dans la journée, le chambellan vint trouver le couple royal. Il avait toujours l’air très affairé, mais cette fois-là, il arborait un sourire jusqu’aux oreilles.

-          Eh bien, mon bon ! Qu’est-ce qui nous vaut un si beau sourire ? lui demanda plaisamment la reine.

-          Nous avons de la visite. Des musiciens. Ils viennent d’un pays lointain, au-delà de Notre Mer. Voulez-vous les entendre ?

Un « oh ! » fusa des deux bouches royales.

-          Volontiers ! réagit le roi. Si ça manque de jeunes enfants, eh bien, nous aurons de la musique !

-          Vous verrez, ils ont des instruments étranges… mais le peu que j’ai entendu m’a beaucoup plu.

-          Nous sommes d’accord, ma douce ? demanda le roi à sa tendre moitié, qui répondit par un beau sourire. Dans ce cas, ouvrez-leur les portes. Et offrez-leur le gîte.

-          Bien, Sire.

 

Peu après, pour le repas, les musiciens étaient en place pour faire passer un moment agréable à la famille royale. Annabelle remarqua le chanteur principal, typé, au regard et au sourire fascinants. La musique, d’inspiration orientale, l’emballa, et d’ailleurs, tous, à table, étaient charmés. La reine Vinciane se prit même à rêver, son regard allant de son mari, au beau chanteur qui tenait l’oud. Le roi Léon portait encore beau, mais avait au moins vingt ans de plus que ce jeune homme…

-          Merci pour ce bon moment, dit le roi aux musiciens quand le repas fut fini. Voulez-vous manger quelque chose, vous aussi ? Vous a-t-on dit que vous étiez nos hôtes ?

-          Oui, Sire, et nous  vous en remercions du fond du cœur, répondit le chanteur au nom de sa petite troupe, les regardant, et chacun opina du chef.

En tout, ils étaient quatre, et le roi serra la main à tous.

-          Et vous a-t-on montré vos appartements ?

-          Oui, Sire, dit encore le chanteur. Mais nous ne connaissons pas encore bien votre palais…

-          Mon fils ou ma fille vous le montrera. Je vous en prie, asseyez-vous, je vais vous faire apporter de quoi vous restaurer.

-          Grand merci, Sire. C’est votre fille, avec la robe dorée ? Elle est magnifique.

Le roi n’y vit pas malice, et s’en montra fier. Mais Annabelle, qui était encore là, l’entendit, et rougit à part elle, se détournant. Elle vérifia que Gauthier était déjà parti, et de fait, il avait disparu avec Arnaud, probablement à la chasse, ou peut-être à jouter dans la cour du château.

-          Qui cherches-tu, Annabelle ? demanda la reine. Veux-tu rester avec eux ?

-          Arnaud est parti ? répondit la princesse.

-          Oui, avec Gauthier.

-          Donc c’est à moi qu’il revient de rester avec les musiciens.

-          Nous en serons très flattés, mademoiselle, fit le chanteur en lui décochant son plus beau sourire, et Annabelle se sentit fondre.

Elle se reprit en demandant les noms de leurs hôtes.

-          Je suis Karim. Et voici Malik, Abdallah et Nourredine. Et vous, jolie princesse ?

Annabelle répondit, toute rose.

-          Nous pouvons te laisser alors, Annabelle ?

-          Oui, mère, et je tiendrai mon rôle.

-          Nous n’en attendons pas moins de toi, ma fille, déclara le roi, et Annabelle se retrouva seule avec les musiciens.

Aussitôt, Karim lui saisit les mains, baisa la dextre,  ce qui émut la jeune femme.

-          Vous êtes magnifique, princesse.

Rosissant encore, Annabelle bafouilla.

-          Mais je… je suis déjà mariée.

-          L’amour ne connaît pas ces restrictions, répartit Karim. Je suis déjà fou de vous.

-          Je vous en prie… pas ici, Karim. Je… je vais vous montrer le palais. 

-          S’il vous plaît, fit Nourredine avec un sourire. Lâche madame, Karim.

L’interpellé obéit à regret, et les quatre hommes suivirent la princesse, qui leur montra les principales pièces, et leurs chambres, que des suivantes étaient en train de finir de préparer. Une fois là, Karim entraîna sans difficulté Annabelle, dans un coin de sa chambre. Tous deux étaient attirés l’un par l’autre, et n’eurent pas besoin de longues palabres, la princesse accepta donc le baiser du musicien. Le moment dura un peu, puis Nourredine vint chercher son compagnon, alors Annabelle les ramena dans la salle commune où tous avaient l’habitude de prendre leurs repas.

-          Pouvez-vous rester, ma princesse ? demanda Karim, qui la mangeait des yeux.

-          Ce ne serait pas très séant, monsieur, répondit Annabelle avec un sourire. Et puis je voudrais savoir où est passé mon mari…

-          Ah, oui…

-          Bon appétit, messieurs.

-          Merci ! firent en chœur les trois autres hommes.

 

Plus tard dans la journée, Annabelle se mit à broder, toute songeuse. Elle ne pensait plus à Gauthier, mais à Karim, soupirait. Combien de temps resteraient les musiciens ? Karim l’embrasserait-il encore ainsi, avec fougue et passion ? Elle n’osait retourner le voir, bien qu’elle en eût très envie. Que faisaient-ils, au fait ? Mais Annabelle ne pouvait s’empêcher de penser que ce n’était guère séant, et de plus, elle avait Gauthier, même si celui-ci aimait passer son temps à cheval, en forêt ou sur les routes. Il était beau, avec un regard franc, avait beaucoup de prestance. Mais il n’avait pas le regard chaloupé du musicien, ni son sourire irrésistible. Et puis Karim n’était pas prince, juste un homme venu de loin, d’un pays dont Annabelle n’avait jamais entendu parler. Elle avait l’impression d’être ensorcelée par ces hommes et leur musique. Y repenser lui fit revenir un de leurs airs en tête, et tout à coup, elle fredonnait…

-          Vous êtes toute pensive, madame… fit alors une de ses suivantes.

-          Je ne peux m’enlever cet air de la tête, Jeannette. Il est de ces musiciens que père a accepté de recevoir…

-          Ah ! La cuisinière m’en a parlé, elle les a entendus aussi… Ma foi, je n’ai guère pu en profiter, quant à moi…

Annabelle se surprit à sauter sur l’occasion.

-          Voulez-vous que nous allions leur demander de jouer pour nous ?

-          Croyez-vous que nous puisions le faire ?

-          Je suis la princesse de céans, après tout…

Aussi, Karim put refaire un aparté avec Annabelle, après que les deux femmes les eurent écoutés. Jeannette retourna ensuite à son ouvrage, émerveillée, laissant Annabelle avec eux. Malik arrangea la chose, proposant à Karim de garder sa porte. Et ce dernier put ainsi profiter des courbes de la princesse… Elle quitta la pièce, resplendissante, et alla soupirer dans sa chambre.

Les quatre musiciens restèrent là quelques jours, et pendant ce temps-là, Annabelle et Karim ressentaient une passion toujours plus grande, profitant de la moindre occasion pour se voir, même simplement pour discuter. Karim parlait de son pays, qu’il appelait celui du jasmin, fleur qu’Annabelle ne connaissait pas, celle-ci ne fleurissant pas, ou très peu, en Europe. A présent, ils se tutoyaient en privé, mais Karim comprit vite la bienséance européenne, et ils maintenaient une distance protocolaire au moment de faire entendre la musique du petit groupe.

Au bout d’une semaine environ, les quatre musiciens se décidèrent à quitter les lieux,  malgré la bourse que leur donna le roi pour les remercier de les avoir divertis, et, pour Karim, malgré la douceur d’Annabelle. Quand ils partirent, cette dernière fila vers une porte dérobée, pour aller partager un dernier baiser avec Karim.

-          Je reviendrai dès que je le pourrai, ma jolie princesse. Dès que nous aurons amassé quelque argent. Et nous ne voulons pas être importuns.

-          Bien sûr, mon cœur.

-          A bientôt, ma petite gazelle.

-          Mais où partez-vous ?

-          Vers le nord. Mais je peux être ici très vite. Si tu le souhaites, envoie-moi un message par ce pigeon voyageur.

-          Oh, merci Karim !

Et ils se séparèrent. Annabelle retrouva sa place, après s’être discrètement occupée du pigeon, et se mit de nouveau à broder, accompagnée de sa fidèle Jeannette. Mais la princesse avait la tète ailleurs, ce que sa suivante ne manqua pas de remarquer.

-          Quelque chose vous chagrine, madame ?

Annabelle ne répondit pas tout d’abord.

-          Madame ?

-          Pardon Jeannette, j’ai toujours ces airs en tête…

-          Sont-ce les musiciens, ou leur musique, qui vous manquent déjà ?

Annabelle rosit.

-          Pardonnez-moi, madame, mais il me semble que vous êtes en train de vous trahir…

Cette fois, elle était rouge comme une pivoine. Mais elle porta un doigt à sa bouche.

-          Chut ! Si ma famille le savait…

-          Je serai une tombe, madame.

-          Cela vaudrait mieux. Et puis, sans doute que je ne verrai plus Karim… Mais ça me… oh !

Et Annabelle fondit en larmes.

-          Ne mouillez pas cette broderie. Venez.

Et Jeannette mena sa maîtresse à sa chambre, pour pouvoir parler plus commodément. Annabelle lui expliqua qu’elle était prise de passion, que Karim lui manquait déjà, qu’elle ne pensait presque plus à Gauthier. D’ailleurs, quand elle retrouva son mari à la fin de la journée, il fut étonné de la voir avec la mine défaite.

-          Que se passe-t-il, ma douce ? Ça n’a pas l’air d’aller…

-          Je suis fatiguée, tout simplement. J’ai joué à la balle avec mes suivantes, et nous avons batifolé un peu dehors…

Gauthier goba le mensonge.

-          Tu  es si belle, si rayonnante d’habitude !

-          Ça ira mieux demain, mon prince.

-          Veux-tu que je dorme avec toi ?

-          Oui, s’il te plaît.

Annabelle s’était toujours sentie bien, dans les bras de son prince, mais à présent qu’elle connaissait Karim, l’effet en fut limité. Cela dit, Gauthier respecta sa fatigue, un peu inquiet, mais le lendemain au réveil, il voulut un câlin, et Annabelle se laissa faire. Elle eut un peu plus d’entrain que la veille, mais son cœur appelait toujours Karim. A table, toute à ses pensées, elle picora. Si bien que sa mère la reine lui suggéra d’aller se reposer, ou bien de jouer à la balle, de rester entre femmes, dehors, puisque le soleil brillait. Gauthier tiqua, il regardait sa femme, l’air préoccupé, et finit par lui dire de rester plutôt à l’intérieur, pour reprendre des forces. A vrai dire, la princesse avait toujours eu bon appétit, aussi personne n’était habitué à la voir ainsi. Pour se rassurer, le soir venu, Gauthier retourna dormir avec sa femme, et même faire un peu plus… Et Annabelle s’aperçut que les assauts de son mari lui faisaient du bien – plus que la broderie…

Mais les jours suivants, l’appétit d’Annabelle ne revint pas. C’est que, la nuit, elle rêvait de Karim… Et elle n’osait même pas en parler à sa mère, se disant que ses pensées, ses rêves n’étaient pas convenables. Annabelle était mariée, et d’ici environ un mois, son petit château serait construit… A présent, l’avenir sans Karim lui faisait peur. Pourtant tous, autour d’elle, étaient très prévenants, s’inquiétaient de son état. A présent, Gauthier chassait aussi pour oublier ses préoccupations….

Trois semaines passèrent ainsi, et Annabelle avait perdu du poids, ne pleurait que face à son miroir et à Jeannette. Cette dernière tenait parole : personne ne connaissait la vraie raison de l’état de sa maîtresse.

-          Je vais finir par envoyer le pigeon à Karim… fit Annabelle cette fois-là.

-          Je comprends bien, madame, mais l’entreprise est risquée… Et puis, peut-être vous a-t-il oubliée…

-          Non, et de cela je suis certaine. Il faut que je le revoie. Il m’a dit que je pouvais lui envoyer un message par pigeon voyageur.

Jeannette regarda la princesse, amaigrie, le cheveu triste, se sentit prise de pitié.

-          Soit, dit-elle, mais c’est moi qui enverrai le pigeon. Rédigez votre message, et confiez –le moi.

-          Mais tu ne vas pas me trahir, ma bonne Jeannette ?

-          Si vous le souhaitez, je vais tout de suite chercher le pigeon, et vous me verrez attacher votre message à sa patte. Il peut partir sous vos yeux.

-          Alors faisons ainsi. Je vais chercher de quoi écrire, décida Annabelle.

Et, comme promis, le pigeon partit vers le nord, sous le regard de la princesse et de sa suivante. Le message était formulé ainsi : «  Reviens vite, mon beau Karim, je ne suis que l’ombre de moi-même, sans toi. Ta princesse, Annabelle… »

 

 

Deux jours plus tard, Karim arrivait à bride abattue, mais, se méfiant de l’entourage de la princesse, préféra camper un peu à l’écart du château, toujours accompagné d’Abdallah, Nourredine et Malik. Puis il réfléchit.

-          Enlève ce turban, lui dit Nourredine, et mets des chaussures plus… occidentales. Je me charge de prévenir ta princesse.

-          Oui, mais comment vas-tu faire, toi ?

-          Je m’attendais bien que vous deviez vous revoir… Tu es fou d’elle, Karim, est-ce que je me trompe ?

-          Non, répondit Karim avec un sourire.

-          Je suis plus petit que toi, et j’ai repéré la porte par où est passée ta belle pour te dire au revoir. Je vais enlever mon turban moi aussi, et on ne devrait pas se méfier d’un étranger seul, si je croise quelqu’un.

-          Oh, Nourredine, tu es un frère !

-          Très bien, nous t’attendons, Nourredine. Le temps de fumer une pipe… fit Abdallah.

-          Ne reste pas loin, Karim, conseilla encore Nourredine.

-          De la grande porte du château ?

-          Oui.

-          Tu fumeras une pipe avec nous, en attendant, dit Malik à Karim.

-          Bonne idée.

Mais le temps parut très long à Karim. Il s’était posté non loin de la grande porte du palais du roi Léon, sous le couvert de la forêt voisine. Enfin, la porte s’ouvrit, et Annabelle apparut, escortée de la fidèle Jeannette. Alors Karim, sans réfléchir, sauta sur ses pieds, et courut à elle.

-          Mon cœur, il y a les gardes… souffla Annabelle alors qu’il tendait déjà les bras pour l’enlacer.

De plus, derrière les deux femmes, se tenait Nourredine, qui avait ramassé une branche d’arbre afin qu’elle lui serve de canne, pour compléter l’illusion. Et Nourredine fit discrètement signe à son ami de réfréner ses ardeurs. De ce fait, Karim se contint, et s’agenouilla devant sa princesse.

-          Je vous en prie, redressez-vous, lui dit Annabelle, toute frémissante.

Karim lui baisa la main auparavant, puis se redressa, bouleversé.

-          Que... vous est-il arrivé ? Vous aviez le teint si clair !

Alors qu’Annabelle allait répondre, son frère surgit, menant un jeune cheval, et remarqua quelque chose, mais ne reconnut pas Karim, sans son turban ni ses chaussures habituelles.

-          Bien le bonjour, monsieur ! Que faites-vous avec ma sœur ?!

-          Oh, c’est un ami qui vient me rendre visite… répondit Annabelle. Tu l’as oublié, il ne vient pas souvent…

Arnaud toisa l’arrivant.

-          Alors je crois qu’il est amoureux de toi. Tu ne devrais pas le laisser entrer. Pense à Gauthier, sœurette !

Les deux amoureux devinrent aussi confus l’un que l’autre, ce qui les trahit. Arnaud comprit d’un coup, et s’écria :

-          Je le dirai à père !

-          Va faire ta promenade, au lieu de m’importuner ! Et mêle-toi de tes affaires !

Arnaud eut un petit rire, et Annabelle et Karim se regardèrent, contrariés.

-          Venez, dit Karim à voix basse à la princesse. En promenade dans la forêt. Et votre suivante ?

-          Oui, Jeannette est là. Qu’elle vienne avec nous, et elle répondra de nos actes, lui répondit Annabelle de la même façon. Tu entends, frérot ? Je ne sors pas sans Jeannette.

-          Oui…

Arnaud flatta son cheval, sauta en selle.

-          Tu es tout seul ?

-          Je vais aller retrouver mon ami Gérald. J’ai dit à père et à mère que je rentrerai ce soir.

Annabelle respira à part elle, et ils se séparèrent quelques mètres plus loin, partant dans des directions opposées. Jeannette menait les amoureux, qui ne se touchèrent pas tant qu’Arnaud était à leurs côtés. Après son départ, Karim obliqua vers son campement, et Jeannette repéra le chemin. Ce n’était pas très loin, et Nourredine arriva peu après eux, jetant enfin sa branche d’arbres pour marcher de son pas habituel. Tous se regardèrent, se sourirent.

-          Je réponds de vos actes, princesse, dit alors malicieusement Jeannette, et Nourredine réprima un rire.

-          Je vais fumer une pipe, je l’ai bien mérité, déclara ce dernier.

-          Grand merci à tous, fit Karim.

-          Jeannette, reste avec nous. Karim et moi ne ferons rien de répréhensible.

-          Sauf quelques baisers, ma princesse… reprit Karim, et il l’enlaça enfin.

Jeannette s’assit un peu dans l’herbe, puis eut l’idée de ramasser des mûres. Elle avait pris un panier, au cas où elle pourrait le remplir de fruits sauvages et de champignons, se servit au passage pour elle-même, tandis que Karim et Annabelle échangeaient des mots d’amour. Mais ces derniers avaient peur de rester trop longtemps ensemble, alors Jeannette et Annabelle rentrèrent, non sans avoir fini de remplir leur panier ni, pour Annabelle, de manger des mûres, constatant du même coup que l’appétit lui était revenu.

Quand elles rentrèrent en leur château, Arnaud n’était pas encore revenu, mais Annabelle n’était pas tranquille. Jeannette lui suggéra d’aller se débarbouiller, ce qu’elle fit. Mais le soir à table, Arnaud raconta ce qu’il avait vu, en plus Annabelle dévorait la nourriture à nouveau – « un signe », assura le jeune prince. Le roi Léon entra dans une colère terrible ; Gauthier était plus peiné qu’autre chose. Et la menace royale s’accomplit : Annabelle fut enfermée dans la tour, la plus haute du château. Du fait de sa hauteur, il y avait de grandes fenêtres, par lesquelles personne ne se serait risqué – à moins de vouloir en finir avec la vie. Plus jeune, avec son frère, Annabelle avait appelé cet endroit « la tour des bêtises ». Et Jeannette fut renvoyée séance tenante.

Mais la brave suivante ne perdit pas le nord. Comme elle avait repéré le chemin, elle courut au campement des musiciens, pour les prévenir.

-          Ya Allah ! s’exclama Karim, dont le sang ne fit qu’un tour, et il bondit sur ses pieds. Abdallah ! On laisse tomber les chevaux ! Malik, Nourredine !

-          Je vous demande pardon ? fit Jeannette sans comprendre.

-          Nous avons un autre moyen de locomotion, lui expliqua Karim, puis il donna des ordres.

Tandis que ses acolytes les accomplissaient, il sortit, aidé de Jeannette, un grand tapis, qu’il déroula. Jeannette en fut émerveillée : le tapis, rouge et or, était finement brodé de dessins, de caractères qu’elle ne connaissait pas. Ses franges tressées ondulaient, alors qu’il n’y avait pas un souffle de vent. Karim le mit dehors, et la lune l’éclaira. Le musicien s’assit en tailleur dessus, muni de la flûte de Malik, puis demanda :

-          Jeannette, voulez-vous rester avec nous, et traverser les mers ?

-          Oh mon Dieu ! Mais…

-          Cette histoire vous a coûté votre place, rappela Abdallah.

-          Vous n’avez pas intérêt à rester ici, ajouta Karim. Si vous avez vos affaires, restez avec nous.

-          Mais le voyage va être très long ! Et Annabelle, que deviendra-t-elle ?

-          Je vais la chercher. Vous m’avez dit qu’il y avait de grandes fenêtres à la tour. Dans une heure, je reviendrai avec elle.

-          Mon Dieu, mon Dieu ! Mais qu’allez-vous faire ?!

-          Rassurez-vous, brave Jeannette, intervint Nourredine. Vous ne connaissez pas les mystères de l’Orient… Faites-nous confiance. Abdallah, Malik et moi allons tout vous expliquer.

Et, sous les yeux effarés de Jeannette, le tapis s’éleva au-dessus du sol, au son de la petite flûte de Malik. Il prit de l’altitude, puis Karim se dirigea vers le château. Jeannette en était tombée dans les bras d’Abdallah.

 

Karim trouva la tour, et entendit des sanglots qui venaient de l’intérieur.

-          Ma princesse ! appela-t-il.

Dans sa tour, Annabelle sursauta.

-          Ma princesse !

-          Qui… qui m’appelle ? Gauthier ?!

-          Montre-toi à une fenêtre, ma jolie princesse, fit Karim d’une voix suave, et Annabelle le reconnut alors, et obéit, courant à la fenêtre la plus proche, dont elle poussa les rideaux.

-          Je suis là ! Mon beau Karim !

Le tapis vint flotter auprès de la fenêtre.

-          Mais quel est ce prodige ?

-          Ton seul moyen d’évasion, ma princesse.  Personne ne nous entend ?

-          Absolument personne. Il n’y a qu’un escalier, et les gardes se tiennent tout en bas.

-          C’est notre chance, comprit Karim. Sous ces latitudes, personne ne sait faire voler des tapis…

Annabelle lui sourit, saisit sa main.

-          Attends, je me rapproche. Tu n’as pas peur ?

-          Avec toi, jamais.

Cinq minutes plus tard, Annabelle était sur le tapis, et ils partaient vers le campement.

-          Jeannette ! Ma brave Jeannette !

Annabelle avait tout de suite compris, en la voyant, son rôle dans cette affaire.

-          Et je reste avec vous, chère maîtresse. Le roi votre père m’a chassée, comme vous savez.

Les deux femmes étreignirent leurs mains, puis Karim invita tout le monde à s’installer sur le tapis, et ils quittèrent l’Occident, sans regrets. Malik « conduisait » le tapis ; et Karim et Abdallah tenaient chacun leur belle.

Une fois au pays du jasmin, Karim installa Annabelle dans une petite maison, et ils eurent cinq filles. Annabelle trouva reposant de ne plus être une princesse, et s’initia à la langue, la calligraphie de son nouveau pays, où ils menèrent une vie simple et agréable. Jeannette aussi apprit les mystères de l’Orient, qu’Abdallah lui enseigna. Et tout ce petit monde vécut heureux et longtemps…

 

© Claire M., 2020

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