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l'imagination au pouvoir
24 mai 2021

Conte cruel

La fleur flétrie.

 

La Belle rêvait… Quelqu’un venait vers son château et, mené par elle ne savait qui ou quoi, le prince charmant, surpris par le manque de vie alentour,  décidait d’entrer pour comprendre ce mystère. La présence de fumée fétide dans les douves aurait pourtant dû alerter ce dernier que rien de bon ne s’y tramait. Cet homme allait donc hardiment et, une fois devant le pont-levis, grand ouvert, quelque chose bougea dans les douves. Son cheval renâcla quelque peu, et poussa un grand hennissement en en voyant surgir un dragon. La Belle bougea dans son sommeil. Mais l’homme de son rêve ne se démontait pas pour autant, et il dégaina son épée. L’aventure semblait lui plaire.

-          Laisse-moi dormir ! fit le dragon, quelque peu courroucé.

-          Oh, je voudrais seulement entrer… Il y a là un mystère à éclaircir qui me plaît… surtout si vous êtes là… sauf votre respect, monsieur le dragon, ajouta le prince avec un sourire.

-          Veux-tu donc que je te grille ? Tu ferais un très acceptable petit déjeuner !

-          Pourquoi ne voulez-vous pas que j’entre ? Y a-t-il des choses à ne pas voir ?

-          Des gens, plutôt. Et mon travail est de veiller sur eux ! répliqua le dragon, de plus en plus contrarié, et il cracha quelques flammèches.

-          Si vous le prenez comme ça….

Et le prince attrapa son bouclier pour se prémunir des flammes. La bataille s’engagea. Il savait qu’il fallait frapper la bête au cœur, tout en se protégeant du feu qui sortait de sa gueule. Les quelques buissons qui restaient devant l’entrée du château prirent feu à leur tour, mais le prince n’avait pas peur.

-          Il ne va jamais s’en sortir, murmura la Belle dans son rêve. Tant pis pour lui…

Pourtant, le dragon finit par s’écrouler, harcelé par l’importun qui lui envoya son épée en plein cœur. Le monstre sombra dans les douves, et le prince récupéra son épée comme il put, après une ultime cascade. Puis il mena son cheval à l’intérieur du château, mais il ne trouva personne pour le recevoir.

-          Etrange… se disait-il.

Le château semblait en effet aussi à l’abandon à l’intérieur, qu’à l’extérieur. Chacun s’y était endormi, même le cuisinier, surpris par le sommeil alors qu’il allait gifler son marmiton, lui aussi figé dans une position incongrue, pour essayer de se dérober au coup. Et le prince retrouva quelques étincelles roses autour de sa propre tête, et cette voix qui lui disait : « Elle est là ! »

-          Oui, mais où ? fit-il, brisant ainsi le silence de mort, impressionnant qui régnait là. Et qui ça ?

-          Laisse-moi te guider…

Le prince traversa tout le château, puis trouva une tour, en gravit les escaliers. Les étincelles roses autour de lui disparaissaient peu à peu, la voix, lointaine, lui disant qu’il n’aurait plus besoin de ses services, de grimper et d’entrer dans la pièce du haut.

-          Quelle étrange aventure, se dit le prince. 

Enfin, après la quatre-vingt-dix-neuvième marche, il se trouva face à une porte. Tout d’abord, intimidé, il frappa. Mais c’était toujours le silence. Le prince regarda alors tout autour de lui, mais il n’y avait que cette porte. Alors il frappa de nouveau. Toujours rien. Il finit par s’enhardir, et l’ouvrit sans difficulté.

Dans un premier temps, il ne vit pas grand-chose. La chambre était aussi calme que les autres pièces du château, et les rideaux, épais, étaient fermés. Y régnait là une douce quiétude, à laquelle le prince fut sensible. Et enfin, il avisa le lit. C’était un grand lit à baldaquin, paré d’une tenture étoilée. L’homme finit par s’en approcher, malgré la forte impression que lui donnaient les lieux. Puis il entendit un souffle léger. Quelqu’un dormait dans le lit. Il écarta doucement la tenture, et vit une figure charmante, encerclée de longs cheveux blonds tout emmêlés. Les traits de la Belle étaient très fins, elle semblait ne pas avoir plus de quinze ou seize ans. Le cœur du prince s’emballa.

-          Qu’elle est belle !

Et il appela, tout doucement :

-          Mademoiselle ! Mademoiselle !

La Belle ne se réveillait pas. « Que c’est frustrant », pensa le prince, alors il bouscula les convenances, et ses lèvres se posèrent sur le front de la jeune fille. Il y eut un frémissement, ses cils eurent un léger mouvement, ce qui n’échappa pas au prince.

-          Oui… réveillez-vous... Je suis là…

Mais la Belle n’ouvrit pas les yeux. L’homme tenta le tout pour le tout, au risque de se prendre une bonne gifle, et ses lèvres effleurèrent celles de la jeune fille. Elle sursauta, eut un long soupir, et se redressa. Un homme dans sa tour ? Depuis tout ce temps ? Mais à peine avait-elle ouvert les yeux, que le prince la regardait, subjugué par son regard bleu ciel. Il comprit aussitôt qu’il en  était tombé amoureux, malgré la chemise de nuit complètement démodée que  portait la Belle.

-          Qui… qui êtes-vous ? demanda-t-elle.

-          Je… je suis le prince Philippe, j’allais à l’aventure du côté de ce château… Et vous ?

-          Je suis la princesse Rose. Mais que m’est-il arrivé ?

-          Je ne le sais pas, et peu importe. Vous êtes ma vie, princesse.

Rose ne répondit pas tout de suite. Elle voyait devant elle un bel homme, blond, au regard franc, vêtu de bleu, ce qui faisait ressortir celui de ses yeux. Les manches de sa chemise étaient quelque peu déchirées à cause du combat contre le dragon, il en avait aussi les cheveux en bataille, ce qui le rendait encore plus séduisant. La jeune femme n’y résistait pas, il le sentit et la serra dans ses bras. Enfin elle sortit du lit, et lui fit un beau sourire. Son corps était aussi parfait que son visage et, sous le charme, Philippe lui prit la main.

-          Je vous emmène chez moi, et… je vous épouse. Le voulez-vous ?

-          Oui, beau prince. Mais d’abord, laissez-moi m’habiller.

Rose regarda la pièce, alla prendre des vêtements, et passa derrière le paravent, pour se vêtir discrètement. Quand elle réapparut, Philippe eut envie de rire, tant la tenue de la jeune femme était démodée.

-          Mais depuis combien de temps dormez-vous ? demanda-t-il pour garder contenance.

-          Je ne sais pas. Très longtemps… Attendez.

Rose ouvrit tous les rideaux, et le soleil apparut, auquel elle sourit. Philippe y fut sensible. Le visage de la jeune femme irradiait.

-          Enfin, le soleil ! dit-elle, ravie.

Philippe alla poser une main sur son épaule, et elle avoua :

-          Je ne sais même pas en quelle saison nous sommes…

-          C’est l’été. Les fruits sont déjà bien mûrs.

-          Ah…

Le prince caressa sa joue.

-          Allons-y, si vous le voulez bien.

-          Oui, mon prince.

Rose le voyait mieux, à la lumière, et le trouvait magnifique, avec sa chemise déchirée, ce qui la faisait sourire encore plus, de bonheur. Elle alla enfiler des chaussures, puis Philippe fit descendre la jeune fille de sa tour, la prenant par le bras. Et il refit le chemin en sens inverse, passant par les mêmes pièces que précédemment. A leur passage, la valetaille se réveillait, le marmiton reçut sa gifle, les chiens se mirent à aboyer puis, dehors, les chevaux à hennir. Mais après être sortie du palais, la princesse commença à moins bien marcher, à avoir mal à ses articulations.

-           Qu’avez-vous, belle Rose ?

-          Je ne sais pas... j’ai du mal à marcher, j’ai mal partout. Mais c’est peut-être normal, depuis tout ce temps que j’étais allongée…

-          Si vous ne savez pas vous-même depuis combien de temps vous dormiez… Mais ce n’est pas grave.

Rose fit un beau sourire à son prince.

-          Avez-vous un cheval, ou préférez-vous monter sur le mien ? demanda encore Philippe.

-          Un cheval d’ici sera peut-être aussi gourd que moi… Je vois tous ces gens se réveiller….

-          C’est vrai, c’est étrange. Même les animaux… Dans ce cas, je vous prends sur mon cheval.

-          Merci.

Et ils firent ainsi. Rose respirait le grand air avec délices, un plaisir qu’elle avait oublié… Au tout début, Philippe et elle chevauchaient sans encombres, même si la princesse avait manqué tomber au moment de monter sur le cheval. Alors Philippe la tenait, un bras passé autour de sa taille, ce qui n’était pas pour déplaire à la jeune fille. Elle ne disait trop rien, d’autant que le prince devait, d’une seule main, diriger son animal. Elle s’étonna seulement de ne plus rien voir de la forêt qui avait entouré son château.

-          Comment, il y avait une forêt ? s’étonna Philippe. Mais je ne l’ai jamais vue, alors que le royaume de mon père n’est qu’à quelques lieues d’ici !

Rose voulut tourner la tête vers lui, et manqua crier, ce faisant. Il s’en aperçut, et :

-          Mais qu’avez-vous ?

-          Je ne sais pas, j’ai mal partout… La peau me tire.

-          Ne bougez pas, conseilla le prince. Vous avez l’air… tendu…

-          Je ne sais ce qui m’arrive, avoua Rose. Dans mes rêves, j’attendais ce jour avec impatience…

« Comme cela est étrange », pensa Philippe, mais il ne dit rien, et il serra un peu plus la jeune femme contre lui. Elle se laissa faire, voulut fermer les yeux, de bonheur, mais les rouvrit aussitôt, car ils étaient las d’être fermés. Alors elle regarda le soleil, heureuse de le revoir, d’être avec son prince, malgré sa peau qui la tiraillait et les douleurs diverses qui se réveillaient aussi en elle, venant elle ne savait d’où. Elle croyait n’avoir que seize ans, que son anniversaire était la veille, et puis… mais que s’était-il passé, qu’elle ait dormi si longtemps ? Elle se souvenait de son château animé, de la forêt alentour. Arriver dans une prairie, avec des vallées et des collines, lui rappela d’anciens souvenirs. Mais quand diable était-ce ?! A vrai dire, Rose ne comprenait rien à ce qui lui était arrivé, à ce qui lui arrivait présentement. Elle aussi se disait que tout cela était étrange, en eut un tremblement.

-          Ma princesse ?

-          Ce n’est rien, beau prince… je me pose simplement tant de questions sur ce qui m’est arrivé, que vous m’ayez trouvée en train de dormir…

-          Vous ne le savez pas ?

-          Non.

-          Vous n’avez aucun souvenir ?

-          Je me suis piquée à un objet inconnu, et puis… plus rien. Jusqu’à votre arrivée. Vous-même êtes… bizarre. Vous êtes si… débraillé…

-          Disons que nos tenues respectives ne s’accordent guère, fit Philippe avec un sourire, et Rose eut un rire léger. Vous êtes… délicieuse.

La jeune femme rosit, charmée du compliment, voulut de nouveau se tourner vers le prince.

-          Ne bougez pas, dut-il lui rappeler. Vous allez attraper un torticolis…

Elle obéit, d’autant plus sensible à l’argument, que son corps lui semblait se détraquer alors qu’ils chevauchaient. Ils allaient vers le soleil… Alors Rose observa le paysage, qu’elle redécouvrait. Depuis quand elle ne l’avait pas vu, elle n’aurait su le dire. Voir le soleil, surtout, lui faisait du bien. Ni lui ni elle n’osait plus parler, et Philippe se sentait heureux rien qu’en sentant la taille de la princesse sous son bras. Et ils allaient tranquillement, au trot, vers le palais du père du prince. Ils y parvinrent assez tard, et de temps en temps, intriguée par ce qu’il se passait en elle, Rose touchait son propre visage, et y sentait de drôles de choses, avec ses mains, comme des plis. Cela la faisait se demander toujours ce qui lui arrivait, alors que le prince dont elle avait rêvé l’avait libérée de son sommeil de plomb… Quelque chose n’allait pas, mais quoi ? Philippe, de son côté, mettait les reflets blancs de la longue chevelure de sa compagne sur le compte d’une illusion générée par le soleil. Comme elle lui tournait le dos à demi, il ne pouvait voir son visage. Il ne fut alerté que par les visages connus des sujets de son père, en arrivant dans son royaume.

-          Mais qui est cette dame, prince ? lui demanda-t-on, intrigué.

Et un autre :

-          Toujours à défendre la veuve et l’orphelin… mais que vous passe-t-il par la tête, messire Philippe ?

-          C’est la dame de mon cœur, répondait-il, d’abord fier, puis troublé par cette situation.

Une fois devant le palais de son père, il clama :

-          Ouvrez-moi ! Je suis de retour, avec une fiancée à nulle autre pareille !

Le pont-levis fut abaissé promptement, la herse relevée, et tous deux pénétrèrent dans le château.

-          C’est vrai, que votre fiancée n’est à nulle autre pareille, ironisa un garde, et le prince le foudroya du regard.

Il ne comprit que lorsque Rose descendit, la première, de cheval, et qu’il dut sauter de sa selle aussitôt, en l’entendant crier, manquant de s’effondrer. Il la reçut dans ses bras, et la regarda, écarquilla les yeux.

-          Mais… que se passe-t-il ? demanda-t-il.

-          J’ai mal, si mal… partout…

La voix de la princesse en chevrotait, et il la voyait ridée, avec quelques taches brunes. Ses cheveux avaient réellement blanchi.

-          Rose ! Ma Rose !

Philippe était épouvanté.

-          Rose ! C’est bien vous ?

-          Oui…

-          Venez, ma princesse. Je vais vous mener à mes propres appartements, et vous pourrez faire une petite toilette, après un tel voyage…

-          Oh oui, je vous en remercie, mon prince… après, je pourrai rencontrer vos parents.

Philippe essayait de se reprendre, de se raisonner. Cette dame, sa fiancée, était-ce la si jolie Rose qui dormait en son château ? Le cœur gros, il la prit par la taille, et la mena, tout doucement, à sa salle d’eau. Une fois là, il la laissa, pour aller donner le bonjour à ses parents, mais il était triste.

Pendant ce temps, Rose se débarrassa de sa robe, alors qu’on lui apportait de quoi faire une rapide toilette.

-          Voulez-vous une tenue plus… euh… adaptée à  votre statut ? lui demanda une camériste.

-          Oh oui, je vous prie, répondit Rose, troublée de voir ses mains toutes fripées avec, là aussi, quelques tâches brunes.

Les regards qu’elle avait croisés l’inquiétaient, tout à coup, et elle pensa à ses parents, qu’elle avait laissés dans son palais, et qu’elle n’avait pas salués en  partant, toute à la joie qu’un beau prince l’ait réveillée.  En se lavant, elle s’aperçut que sa si jolie poitrine était plus flasque et, à la fin, elle alla se regarder dans la psyché au fond de la pièce. Elle poussa alors un grand cri, et s’évanouit.

La camériste, en revenant, la trouva ainsi, la fit revenir à elle, l’aida à s’habiller, tout en faisant prévenir le prince. Il arriva peu après en courant, et trouva Rose en larmes, dans un grand fauteuil. Elle était habillée plus à la mode, mais à part cela, elle était désespérée. De grosses larmes coulaient sur ses joues ridées, et la tendresse l’emporta sur l’épouvante, pour Philippe.

-          Pardonnez-moi… je n’ai pas compris… fit-il en balbutiant, caressant une joue de sa princesse.

-          Pas compris quoi ? hoqueta Rose. Si seulement je savais ce qu’il se passe ! Mais combien de temps ai-je donc dormi ?!

-          Là… Venez dans mes bras, ma princesse, ma jolie Rose…

Elle se laissa faire, et la valetaille laissa le prince seul avec sa Belle, impressionnés par la scène. Philippe tâcha de rassurer sa compagne, disant qu’elle avait peut-être été victime d’un mauvais sort.

-          Mais de qui ? Pourquoi ? réagit-elle en essuyant encore ses yeux rouges d’avoir tant pleuré. Ne… ne me laissez pas !

-          Je resterai avec vous. J’ai dit à mes  parents que vous étiez fatiguée du voyage. Allongez-vous donc un peu…

-          Pas question ! Je ne veux plus être allongée.

-          Alors, restez dans ce fauteuil, puisqu’il vous plaît. C’est vrai qu’il est très confortable.

-          Merci…

Rose eut un soupir. Philippe était caressant, et semblait comprendre la situation, même s’il avait du mal à l’accepter : l’amour de sa vie, pour qui il avait vaincu le dragon des douves, était désormais une très vieille dame… La princesse, dans ses bras, s’apaisait peu à peu, et il l’embrassa sur le nez. Cela chatouilla Rose, qui eut un petit rire.

-          J’aime mieux vous voir ainsi… dit doucement Philippe.

-          Alors vous ne me détestez pas ?

-           Bien sûr que non. D’ailleurs, nous pourrions nous tutoyer…

-          Si vous… si tu le souhaites.

Ils se regardèrent en souriant, et Rose rendit son baiser à son prince.

-          Je suis sûr que tu n’es pour rien dans cette histoire, ma Rose.

-          Et moi, je l’espère… même si je ne comprends pas.

Peu après, tous deux se dirigèrent vers la salle à manger du château, pour y dîner avec le couple royal. Philippe fit les présentations, alors que  ses parents regardaient Rose avec de grands yeux. Celle-ci baissait le regard, gênée, les articulations douloureuses. Elle aurait voulu être à cent pieds sous terre. Mais le roi et la reine furent fort civils, et Rose fut heureuse de pouvoir s’asseoir, car elle avait les genoux en compote. Comme elle mourait de faim, elle fit honneur au repas, tout en discutant avec les parents du prince Philippe, sans oublier pour autant les convenances dues à son rang.

-          Il y avait une princesse Rose, il y a fort longtemps, dans le royaume voisin, se souvint la reine. Elle passe pour morte…

-          Pour autant que je sache, mes grands-mères ne portaient pas mon prénom.

-          Mais vous… semblez âgée, fit le roi.

-          J’ai seize ans…

-          C’est impossible, ma dame, reprit le roi, mais Philippe eut alors une illumination.

-          Si, quand je t’ai réveillée, ce matin, tu avais effectivement l’air d’avoir seize ans !

-          Oh mon Dieu ! s’exclama alors la reine.

-          Quel est le nom de votre père ? demanda le roi.

-          C’était le roi Stéphane. Mais… pouvez-vous me dire ce qu’il s’est passé ?

Le roi et la reine se regardèrent, perplexes. Philippe et Rose attendaient une explication, avec tous deux le cœur sur les lèvres. La reine se racla la gorge avant de répondre.

-          J’ai entendu parler d’un sort, d’une histoire de rouet. La princesse Rose devait en mourir. Je n’en  sais guère plus.

-          Ça ne me dit pas combien de temps j’ai dormi. Et qu’est-ce qu’un rouet ?

-          Cela permet de filer la laine, ou d’autres matières, et…

Mais la reine s’interrompit, en  voyant Rose porter une main à sa bouche, comprenant enfin.

-          C’est cela ! Je dors depuis tout ce temps-là ! Oh mon Dieu !

-          Comment cela ? réagit le roi. Vous dormiez donc depuis… un siècle ?!

-          Un siècle ?!

Rose eut de nouveau un étourdissement, et Philippe versa aussitôt de l’eau dans son verre, pour la faire boire, et la princesse se reprit. Il en était lui-même tout tremblant, mais il se décida vite.

-          Il faut que j’appelle Sapience après le repas ! Non, sans tarder !

-          Allons, mon fils…

-          Laissez-moi faire, père. Elle seule saura quoi faire. Si c’est un sort, c’est une fée, elle nous tirera d’embarras. Dans le pire des cas, je t’épouserai ainsi, ma princesse.

Rose sourit à son prince.

-          Et en attendant, surtout, tu ne bouges pas, reprit Philippe pour elle.

-          Mais mon fils, le repas….

-          Je n’en aurai pas pour longtemps, mère. Si vous saviez comme Rose était jolie, lorsqu’elle dormait ! Même si tu l’es toujours. Tu es juste un peu flétrie…

-          Va, mon prince, dit alors Rose, et il se leva précipitamment.

Mais le prince fut un peu long, et quand il reparut, un certain soulagement se lisait sur son visage.

-          Alors, fils ? demanda le roi, curieux.

-          J’ai eu un peu de mal à joindre Sapience, car elle est fort loin. Elle m’a dit qu’elle arrivait dès que possible malgré tout.

-          Merci, mon prince.

Philippe prit la main de Rose, la baisa, et put terminer son repas, le cœur un peu plus léger. Le roi et la reine souriaient, en  le voyant. Mais plus tard, quand il fut temps d’aller au lit, Rose rechigna, prétendant ne plus supporter la position allongée ni de fermer les yeux.

-          Mais comment vas-tu dormir, ma mie ?

-          Comment veux-tu que je dorme, maintenant, après un siècle ainsi ? répondit doucement Rose à son prince.

-          Que vas-tu faire, alors ?

-          Y a-t-il une bibliothèque, dans ce château ?

-           Oui. Je vais t’y mener.

Mais le prince lui-même, une fois au lit, ne put dormir non plus. Que faisait Sapience ? Il trouvait le temps bien long, et se tourna et se retourna quasiment sans discontinuer.

La fée le trouva dormant à moitié, le lendemain dans la matinée.

-          Où est ta Belle, mon filleul ?

-          Dans la bibliothèque. Allons-y.

Philippe se leva aussitôt, suivi des petites étincelles roses de la fée, qui scintillaient. Ils virent Rose dans un fauteuil, un livre tombé à terre à côté d’elle.

-          Ah, elle s’est quand même endormie, fit alors le prince, rassuré, et il alla vers elle, Sapience le suivant toujours, battant de ses ailes roses.

-          Non, Philippe, comprit-elle aussitôt. Regarde ses yeux, ils ne sont pas fermés… Je suis désolée, je suis arrivée trop tard…

-          Comment, mais….

La fée alla vers Rose, posa une main sur son cœur et, toute désolée, lui ferma les yeux tout en disant :

-          Pauvre princesse… Je n’avais pas pensé à cela, en contrant la sorcière qui avait été oubliée.

Le prince prit une main de Rose, constata qu’elle était froide, et s’effondra, en larmes, à ses pieds. Sapience le ramena à ses parents, et leur dit de veiller sur lui. Mais de fait, Philippe ne voulut jamais se marier, ce qui lui coûta le trône, au profit de l’un de ses frères. Sa blessure d’amour était telle, qu’il mit rapidement fin à ses jours, et il retrouva Rose, dans la fraicheur de ses seize ans, dans le royaume d’où l’on ne revenait pas…

 

© Claire M., 2021

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