L’acc’œil du commissaire.
Après une énième dispute avec sa femme, Julien était parti au travail sans même un sandwich pour le midi, aussi, sa matinée terminée, il sortit du commissariat pour se procurer un en-cas. C’était la première fois qu’il faisait ainsi, et, sur les marches menant à la rue, il avisa une femme, l’air perdu, qui se débattait entre son masque, et son mouchoir. Gentiment, il s’approcha d’elle, pour demander :
- Ça ne va pas, madame ?
- Oh, rassurez-vous, ce n’est qu’un rhume… Mais excusez-moi, je crois qu’il faut que je remette mon masque.
La jeune femme batailla encore, mais Julien, sous le charme de cette beauté brune, put voir ce dont il était privé : un joli sourire. Et son cœur se mit à battre plus fort. Sans réfléchir, ni même penser à sa femme, il dit :
- Vous avez un sourire charmant, et de très beaux yeux bleus.
- Vous êtes gentil.
- Vous devriez croiser les élastiques du masque. Regardez, comme ça.
Et il lui montra avec son propre masque. Ayant compris le mouvement, elle en fit autant.
- Je vous remercie.
Julien s’enhardit
- Comment vous appelez-vous ?
- Anna. Et vous ?
- Julien.
- Et vous êtes policier…
- C’est vrai, j’ai gardé ma tenue, s’aperçut-il. C’est plus simple…
- J’ai toujours rêvé de policiers…
- Ne vous y fiez pas. Je suis malheureusement le roi des gaffes… Ce matin, j’ai verbalisé un SDF, et je me suis fait taper sur les doigts…
Cela fit rire Anna.
- En effet ! Mais vous êtes honnête, j’apprécie.
- Voulez-vous que nous déjeunions ensemble ? s’entendit proposer Julien. Ou vous êtes déjà prise ?
- Mon compagnon ne supporte pas cette période de coronavirus, de confinement… notre couple bat sérieusement de l’aile.
- Moi aussi, je ne cesse de me disputer avec ma femme. Si ça se trouve, mon couple bat de l’aile aussi…
A présent, chacun cachait son sourire sous son masque, et pourtant, tous deux se sentaient fondre. Anna se dit que Julien était vraiment beau gosse, et accepta son invitation. Lors du repas, même sur le pouce, ils convinrent que cette période de confinement était proprement insupportable et, avant de se quitter, Julien et Anna échangèrent leurs numéros de portable.
Cet après-midi là, Julien était ailleurs, ses pensées allant vers Anna. Il vérifia distraitement des attestations produites par quelques passants, et Adrien eut fort à faire, il cherchait la petite bête et la trouvait. Pour finir, vers seize heures les deux policiers eurent une prise de bec, et Adrien prit la responsabilité de retourner au commissariat, pour faire arbitrer leur dispute par Jean-Paul Drac. Là, on trouva Julien pas comme d’habitude. Il ne regardait plus autant la photo de Fiérot, et Charlot le fixait de ses petits yeux depuis l’amphore de l’aquarium.
- Oh, ça tourne, par ici, dit le brigadier Biette au commissaire. Nous n’avons pas besoin d’aide, c’est comme d’habitude. Cette ville n’est pas si grande…
- C’est vrai, ça doit être autre chose à Paris, reconnut le commissaire Drac. Mais je voudrais recaser monsieur Moret… Monsieur Gras m’a fait des révélations compromettantes à son sujet.
- Ah ? Mais on ne met plus d’agent à la circulation…
- Je sais.
Derrière le commissaire, Julien Moret n’en menait pas large, cachant ses grimaces sous son masque. Jean-Paul Drac ajouta :
- Si les écoles étaient ouvertes, il pourrait sécuriser les rues pour les enfants…
- Dans ce cas, il n’y a pas trente-six choses à faire, commissaire… l’accueil, l’administratif.
- Eh, mais c’est vrai, au fait ! Moret ! A partir de demain matin, vous ferez l’accueil du commissariat. Et rompez !
- Mais… où… où vais-je aller, maintenant ?
- Potasser l’administratif ! Puisque vous êtes si procédurier, autant faire les choses bien, non ?!
Julien se sentait blessé, mais préféra ne rien dire.
Le soir, chez lui, il se redisputa avec sa femme, en lui racontant sa journée. Alors il appela Anna, qui se révéla adorable.
Six mois plus tard, il divorçait, pour se mettre avec Anna qui, elle, sut le prendre. Elle travaillait comme professeur remplaçant et avait de belles perspectives de carrière, se fichant pas mal que son compagnon se retrouve à un accueil de commissariat, ou à une sortie d’école maternelle…
FIN