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l'imagination au pouvoir
6 juillet 2021

Du bon usage des rondeurs

Rondeurs attirantes

 

Il était une fois… une jolie princesse, mais fort ronde, qui de ce fait se trouva difficile à marier lorsque l’âge lui en fut venu. Elle avait un fessier somptueux, une forte poitrine et, malgré tout, la taille bien prise. En véritable princesse, elle était blonde aux yeux clairs qui satisfaisait presque  aux critères alors en vogue. Mais aucun prince ne se trouva pour l’épouser, plus apeuré par ses formes, que par des dragons à mater. En somme, les années passaient, et le roi son père se désespérait de la caser. Les sœurs de la princesse Estelle (car elle se nommait ainsi) avaient fait de beaux mariages et de beaux enfants, et l’un de ses frères était parti avec sa dulcinée. Le dernier, Alexandre, était encore un peu jeune, et restait dans cette cour, en attendant de succéder à son père, qui jouissait toujours de toutes ses facultés. Alexandre n’était de toute façon pas pressé, profitant de nombreux privilèges et ayant une bonne place à table, non loin de son père.

Les années passaient donc, et Estelle fêta ses trente-et-un ans sans joie : aux yeux de son père, elle approchait déjà de l’âge critique. Sa mère savait mieux que son mari ce dont il s’agissait, et était moins inquiète au sujet de sa fille. Mais ni elle, ni le roi, ne savaient comment débloquer la situation.  

Or, pourquoi la princesse Estelle grossissait, ce n’était un secret pour personne : elle était gourmande et aimait même cuisiner. Elle était donc la première à goûter à ses propres petits plats. Et même s’il tiquait, pensant que cela n’était pas digne d’une princesse, le roi se régalait de cette cuisine comme tous les autres. Un jour qu’Estelle avait fait des crêpes, et qu’ils les dégustaient en famille, le prince Alexandre eut tout à coup une idée :

-          Père, je sais comment trouver un mari pour ma sœur.

-          Parle, mon fils, ça m’intéresse.

Estelle et sa mère les regardèrent, surprises.

-          Une bonne épouse doit savoir tenir un foyer, expliqua Alexandre. Et pour commander aux cuisines, savoir cuisiner est un plus. Mieux, ma sœur fera des économies domestiques, si elle veut le faire elle-même. Les princes devraient le savoir, père, mais ils se fichent pas mal des contingences…

-          Ma foi, tu as raison ! s’exclama la reine. Mais que proposes-tu ?

-          Ma sœur n’a qu’à cuisiner de bons petits plats. L’odeur de ses crêpes parfume tout le château ! N’est-ce pas, père, que vous êtes accouru en sentant cette bonne odeur ?!

Le roi toussota.

-          Ahum ! fit-il, un peu gêné, et la reine eut un rire discret. Et, euh… ma fille, qu’en penses-tu ?

-          Que je serais ravie de régaler un beau prince, répondit-elle en baissant les yeux.

-          Eh bien, soit. Alexandre, je te remercie. Et toi ma chérie, que dis-tu de cette idée ?

-          Elle est excellente, messire mon époux. En outre, notre château est bien situé, non loin du chemin principal du royaume.

-          Et puis ça peut marcher, fit Alexandre, et il ajouta, coquin : En plus, tes crêpes sont vraiment délicieuses, Estelle…

La princesse rosit, à ces mots.

-          C’est vrai, en plus, reconnut le roi la bouche pleine, et la reine lui fit du coude.

-          Heureusement, mon cher époux, que nous sommes entre nous…

-          Pardonne-moi, ma douce…

Mais à cet échange, Alexandre et Estelle avaient éclaté de rire, alors la reine ne se retint plus ; et on se garda bien de les déranger, même si la valetaille n’en pensa pas moins…

Dès le lendemain, la reine elle-même s’occupa de faire approvisionner le château, tandis qu’Estelle et Alexandre allaient dans la forêt, non loin de là, pour cueillir des baies et des champignons. Pendant que sa soeur en ramassait tout en en mangeant une partie, le  prince leva trois lièvres, qu’ils rapportèrent au palais, et ils étaient de ce fait fort chargés. La saison était belle, et la princesse avait trouvé des framboises, des fraises des bois, qu’elle apprêta aussitôt. N’ayant qu’à cuisiner, elle était heureuse, et elle remerciait son frère tant et plus, car elle avait parfaitement compris la démarche.

-          J’ai entendu dire, dit Estelle à sa mère un peu plus tard, que le chemin du cœur d’un homme passait par son estomac…

-          Oui, c’est pour cela que je pense que l’idée de ton frère peut marcher. Mais on ne sait pas qui va arriver… Tu viendras apporter tes plats toi-même à table. Ton père a dit que le programme de séduction commencera dès demain. Le lièvre de ce soir était vraiment délicieux, mais demain tu auras tout ce dont tu as besoin, et il convient de ne pas tarder.

-          Il est plus facile de trouver des victuailles, qu’un homme intelligent…

-          Tu as un très beau visage, mon Estelle. Mais il vaut mieux que tu fasses un chignon, plutôt que de porter une tresse… c’est tellement… classique… un peu daté, peut-être !?

-          Oui, mère. Ou détachés, pour retrouver ces messieurs…

-          Pourquoi pas.

Et toute la matinée du lendemain, Estelle s’activa aux cuisines, aidée de marmitons à qui elle savait donner des ordres, ayant tout de même son rang à tenir. Si bien que le château était animé, chacun se demandant ce qui sentait si bon, et des hommes de passage se présentèrent déjà, pour faire des requêtes au roi, qui les convia tout naturellement à sa table. Aussi, très vite, Estelle tomba le tablier, s’habilla d’une tenue flatteuse et détacha ses longs cheveux blonds. De toute façon, il ne restait plus qu’à passer les plats dans la grande salle à manger. Mais c’était des marchands, deux vavasseurs du roi sans subtilité, qui se contentèrent de la complimenter et de lui mettre la main aux fesses. Et cela heurta quelque peu la reine, d’autant que son mari se gardait bien de faire des remarques. Alors que ce dernier décidait de faire une sieste, la reine vint lui parler et lui dire ce qu’elle pensait de son attitude.

-          Vise plus haut, bon sang ! lui dit-elle, outrée.

-          Et comment veux-tu que je fasse ?! Si j’organise une joute, tu diras qu’il n’y a que des chevaliers !

-          Eh bien, invite des princes, tout simplement ! Je sais qu’il y en a, ton royaume n’est pas si grand, en une journée de cheval ils seront ici !

Le roi s’empourpra, vexé pour son royaume, mais reprit contenance et accepta la suggestion de sa femme. Pourtant il n’agit qu’après la sieste, car le repas servi par sa fille avait été copieux, d’où une certaine langueur de sa part. Même s’il eut du mal à dormir réellement, ayant été piqué au vif par sa femme, et étant tout de même soucieux de sa fille. Dans un demi-sommeil, il s’était dit qu’un vrai prince se garderait bien de mettre la main aux fesses d’Estelle, sous ses propres yeux… Donc, ayant fini par décider que la sieste était terminée, il se leva, et rédigea un message à la population alentour, y compris aux frontières de son royaume, qu’il donna à son crieur public. Non  sans le recopier pour le faire mander aux royaumes voisins, afin que chaque roi soit au courant.

Le lendemain, ce furent des suppliques de ses suzerains, mais malgré tout, Estelle retourna aux cuisines du château, pour préparer un bon repas. Les cuissots de biche furent appréciés outre mesure, et quand Estelle parut, les suzerains la complimentèrent, lorgnant vers son décolleté. D’un regard, le roi vit leurs mouvements vers sa fille, et il fronça aussitôt les sourcils. Il n’eut rien besoin de dire, et ses invités se tinrent tranquilles. De toute façon, ces suzerains se révélèrent tous déjà mariés. Mais ils repartirent ravis, d’autant que le roi avait écouté leurs doléances, et promis d’y donner suite – il faut dire que c’était un très bon roi.

Ce fut à partir du troisième jour que de vrais princes se présentèrent, qui surent se tenir, mais les arguments physiques d’Estelle leur firent un peu peur, ce qui la choqua. Elle ne savait plus ce qui était le pire, et eut quelques larmes, que sa mère la reine sut sécher. Le jour suivant, l’un d’eux fut salace en paroles, aussi fut-il repoussé, son attitude n’étant pas digne d’un prince. Et la scène se répéta le lendemain avec un autre, mais il y avait alors, parmi les invités, un très beau prince, jeune, quasiment imberbe, au physique avantageux. Ce jeune prince s’insurgea, et lança au premier :

-          Et qu’est-ce que vous en savez, de l’aptitude des demoiselles en tant que futures épouses ?

-          Bah ! Pour faire des enfants, ça va toujours !

La reine soupira, et quitta la table, choquée. Son mari ne put la retenir.

-          Allons, ma douce, encore un peu de compote ?!

-          Non ! Pardonnez-moi.

-          Pardonnez-lui, princesse, dit alors le beau prince à Estelle.

-          A qui, messire ?

-          A cette andouille qui me tient lieu de voisin... Il n’y connaît rien en femmes.

L’interpellé s’empourpra, mais le regard du roi se posa sur lui, et il quitta la table à son tour.  

-          Et vous, qu’y connaissez-vous ? s’enquit le roi auprès du  beau prince.

-          Je suis moderne, voyez-vous : je pense qu’une femme peut être d’aussi bon conseil qu’un homme. Votre fille est très belle, laissez-moi donc m’entretenir avec elle, si vous le voulez bien.

A ces mots, Estelle rosit : c’était bien la première fois de sa vie qu’un prince lui fasse compliment pour sa beauté… Et en outre, lui-même était à son goût…

-          Requête acceptée, déclara le roi, mais à une condition.

-          Je vous écoute.

-          Que vous n’ayez pas de gestes déplacés envers ma fille. Dans le cas contraire, elle aura le droit de s’en plaindre à moi pour que je vous écarte.

-          Bien sûr Majesté, c’est bien normal.

-          Encore une question, cependant.

-          Je vous en prie…

-          Quel est votre nom ?

-          Je m’appelle Ange, et je suis d’un royaume voisin du vôtre, derrière quelques… monts. Mon père est le roi Robert de Lambin.

-          Fort bien ! fit le roi, ravi, car il appréciait l’homme en question. Je serai heureux de faire alliance avec votre père.

Ange lui sourit, se leva, et alla baiser la main de la princesse.

-          Où pouvons-nous échanger, jolie Estelle ?

-          Oh, je ne sais… Père ?

-          Allez donc dans le salon privé. Je vais y faire poster un garde.

De ce fait, tous trois se levèrent, après avoir croqué quelques amandes. Et Ange et Estelle purent se parler. Ce fut même elle qui engagea la conversation :

-          Vous semblez bien jeune, prince Ange… Le seriez-vous plus que moi ?

-          C’est fort possible, je n’ai pas trente ans…

-          Et cela ne vous fait pas peur ? Ou bien mes… mes attraits ?

-          Vous êtes magnifique, princesse, répondit Ange, qui la mangeait des yeux. Votre différence fait de vous une vraie beauté.

-          Je ne l’aurais pas vu comme cela. Mais si vous le dites…

-          J’en suis persuadé. Puis-je vous poser quelques questions ?

-          Bien sûr.

-          Que pensez-vous du rôle d’une reine ?

-          Elle doit savoir s’effacer quand la situation l’exige, prince… Nous autres les femmes, nous sommes tenues à l’écart. Tout juste bonnes à passer au lit, comme le disait votre voisin.

-          Moi, je pense que vous êtes plus que cela.

-          Il est vrai que je sais lire et écrire. Ne serait-ce que pour des recettes de cuisine… Je sais aussi compter, pour ne pas me tromper dans les dosages.

-          Fort bien ! Vous me plaisez de plus en plus, Estelle.

Elle rosit, et il reprit :

-          Je suis sûr que vous serez une excellente épouse. Je vous aime déjà de tout mon coeur. Et vous ?

-          Vous êtes jeune et beau… répondit Estelle, toute rêveuse, et cela fit sourire Ange.

-          Le direz-vous à votre père, si je vous prends dans mes bras ?

-          Eh bien… non. Vous aussi vous me plaisez. Vous allez au-delà des apparences, et vous êtes le premier homme intelligent que je rencontre…

Alors Ange serra la princesse contre lui, sans aller plus loin.

-          Parlons encore, ma mie…

Et ils s’entretinrent pendant une heure, parlant de choses plus ou moins sérieuses. Ange était déjà fort épris d’elle, et ils allèrent voir le roi, mais en chemin, le prince croisa ses rivaux, essuya leurs quolibets, mais il leur répondit avec calme qu’ils n’étaient que des andouilles et que de toute façon, il s’en allait. Mais il ne leur précisa pas qu’il ne serait pas seul.  Le roi se réjouit de voir les deux jeunes gens ensemble, mais il s’agissait, à cause des rivaux, de partir discrètement… et ce ne fut pas chose aisée. Alors ils passèrent par les écuries, qui donnaient presque sur la route principale. Le prince monta sur son cheval aisément, mais il n’en alla pas de même pour Estelle, pour qui la bête était haute. En outre, le cheval d’Ange renâclait.

-          Bon sang ! finit par s’énerver le palefrenier. Faites donc un effort, princesse !

Enfin, elle parvint à monter, en amazone, auprès de son prince, tandis qu’on entendait les éclats de voix depuis la cour du château. En plus, le cheval hennit, sans doute à cause du poids sur son dos, mais finalement, ils partirent alors que les autres princes arrivaient aux écuries.

-          Bah ! dirent-ils en les voyant s’éloigner. Nous en trouverons de plus fines à engrosser…

Une fois sur la route, Ange et Estelle respirèrent. Estelle se sentait dans une position malcommode, mais elle ne pouvait bouger. Le prince dut la rassurer, ainsi que son cheval, mais il se garda bien de l’éperonner, ayant pitié de lui à cause de leurs poids respectifs.

-          Ce sera un peu plus long que prévu, mais ça ne fait rien, expliqua-t-il à Estelle. Mon cheval n’a pas l’habitude de transporter deux personnes… et vous cuisinez mieux que vous ne montez dessus.

-          Surtout à deux. Si j’avais été seule sur un cheval, peut-être…

-          Allons, je vois bien que ce n’est pas votre truc…

Estelle eut un petit sourire contrit.

-          Pardonnez-moi, prince.

-          Mais bien entendu ! s’écria-t-il. C’est si bon, de vous sentir près de moi… Je n’échangerais ma place pour rien au monde.

Ils ne dirent rien pendant un moment, jusqu’à ce qu’ils arrivent dans une forêt plus obscure que celle qu’Estelle connaissait. Ange lui expliqua qu’ils devaient la traverser, pour éviter les grands dénivelés qui séparaient d’un côté leurs royaumes respectifs, et il s’assura de son épée, puis effleura la joue de la princesse de ses lèvres. Elle se sentit toute chose, et accepta d’autant mieux la situation, malgré sa position sur le cheval. C’était bien la première fois qu’elle inspirait de tels sentiments… Alors ils entrèrent dans la forêt, dans le froufroutement des fougères et des herbes hautes. Ainsi accompagnée, Estelle n’avait pas peur. Elle sentait la forêt vivre, et cela détourna son attention, de sa douleur aux fesses. Elle regardait de tous côtés, repérait quelquefois un oiseau, ou un chevreuil qui passait. Les lapins couraient non loin d’eux. Mais le couple se dirigeait vers les profondeurs de la forêt, et finalement Estelle préférait cela, que de marcher dans les hautes herbes, à la merci des ronces et peut-être aussi des serpents. Occupé à éclaircir le chemin autant que possible avec son épée tout en tenant de l’autre main la bride de son cheval, le prince ne disait plus grand-chose, et Estelle respectait son silence, de crainte d’être importune.

-          Nous arrivons à une clairière, dit-il enfin. Voyez-vous cette trouée, là un peu plus loin ?

Estelle regarda et, plus observatrice que le prince, remarqua :

-          On dirait même qu’il y a une colonne de fumée.

-          Ah ! Alors, nous pourrons nous y arrêter… Je crois que vous êtes fatiguée, il faudrait que nous nous dégourdissions les jambes en descendant de cheval.

Estelle se contenta de sourire.

-          J’apprécie votre réserve, princesse.

-          Mon rang me l’impose.

-          Vous serez mon égale.

-          Mais je ne le suis pas encore… Que je sache, nous ne sommes pas arrivés chez vous.

-          C’est vrai. Et nous prendrons notre temps s’il le faut. Mais avançons donc !

Un quart de lieue plus loin, à peu près, ils trouvèrent une belle clairière, avec une maison surdimensionnée. Effectivement, une cheminée fonctionnait, alors le prince y dirigea son cheval, et ils allèrent frapper pour demander l’hospitalité. Mais ce fut une grande ogresse qui leur ouvrit, et de derrière elle, ils entendirent quelqu’un s’exclamer :

-          Mais ça sent la chair fraîche !

Estelle frémit, mais Ange posa la main sur la garde de son épée.

-          Si nous ne pouvons pas nous reposer une heure ou deux chez vous, nous passerons notre chemin… dit-il. Nous sommes fourbus, nous deux et notre cheval.

-          Mais voilà une pièce de choix ! fit un ogre en avisant la princesse Estelle.

-          Si seulement j’avais une poêle à frire, je vous l’assénerais sur la tête ! rétorqua cette dernière, et le prince posa son autre main sur son bras.

-          Ne les asticotez pas trop… souffla-t-il.

-          Vous sous-estimez mon adresse à la poêle à frire… j’ai faim, moi aussi !

Le couple d’ogres fut surpris.

-          Vous n’êtes que des freluquets, tous les deux ! dit enfin l’ogre.

-          Oh, vraiment ?! fit Estelle. Mais laissez-nous vivre, si votre garde-manger est rempli, vous mangerez mieux si je m’y mets, et si vraiment cela vous déplaît, vous nous mangerez après…

Et elle ajouta à voix basse, pour son prince :

-          Laissez-moi faire, et nous sortirons vivants de cette aventure. Sans tirer votre épée ni effusion de sang. Vous allez voir.

Le prince était surpris et charmé, et accepta, un peu anxieux cependant. Puis il fit une révérence aux deux ogres, et Estelle demanda le chemin des cuisines. L’ogresse la lui montra, curieuse, et aussitôt, la princesse fit le tour du garde-manger : pour un être humain, il y avait là facilement pour un mois de victuailles. Elle se mit immédiatement au travail, tandis que l’ogresse mettait la table, appelait ses deux enfants, des ogrillons aussi grands qu’un adulte, comme le prince Ange au moins. Estelle cuisina le maximum qu’elle put, choisissant les mets les plus roboratifs, alourdissant ses sauces, mettant encore plus de matières grasses qu’il n’en aurait fallu. Ce fut l’ogresse qui servit à table, et c’était parti pour soupe au lard et aux fayots, choucroutes garnies, brochets comme ci et comme ça, pâtes feuilletées remplies de poulet et de champignons et d’une béchamel bien épaisse… Sans compter de grosses salades et de gros gâteaux aux noix. Visiblement, le programme réussissait aux ogres, qui s’empiffraient en regardant à peine la bienfaitrice de leurs estomacs.

-          Regardez-les… disait celle-ci à son prince, alors que tous deux mangeaient beaucoup plus raisonnablement. Je gage qu’ils vont finir comme mon père…

-          Que voulez-vous dire, mon aimée ?

-          La sieste ! Et… mais chut !

Le prince jubilait, comprenant la situation. Effectivement, au bout d’un moment, les ogres n’en purent plus de faire ripaille, et s’endormirent en ronflant. Ange et Estelle purent filer de leur côté, discrètement, sans qu’ils ne s’en aperçoivent. La difficulté, une fois de plus, fut de monter à cheval. Cette fois, l’animal avait pu se restaurer de l’herbe fraîche, trouvé une auge pleine d’eau, et il était en meilleure forme. Il se sentit quand même un peu écrasé par la princesse, râla. Son maître tira sur le mors, ce qui le fit taire, et Estelle réessaya de monter dessus. Mais elle dut encore s’y reprendre à deux fois, et Ange n’était pas tranquille… Il lui sembla qu’ils quittaient l’endroit juste à temps, car il entendit du bruit dans la maison des ogres. Une pression sur les flancs du cheval le fit partir au galop, mais celui-ci ne tint guère la distance. Ce n’était pas bien grave, car à présent les jeunes gens étaient de nouveau à couvert, sous les grands arbres de la forêt. Alors, seulement ils purent parler, et le prince remercia sa bienfaitrice d’un chaste baiser.

-          Vous avez été formidable, ma princesse. En somme, je vous dois la vie…

-          Bah ! c’était simplement un repas…

-          Simplement ? Vous vous êtes donné beaucoup de mal, pour les endormir… et de la plus agréable des façons. C’était délicieux.

-          Oui, mais j’ai forcé la dose. Pour nous, c’est quand même étouffe-chrétien…

-          Vous vous tenez mieux à table qu’à cheval, mais vous avez été raisonnable…

-          Oui, pour monter sur votre cheval… minauda Estelle, et le prince l’embrassa de nouveau sur la joue.

-          Qu’ils sont mignons ! s’exclama alors une voix. Plantus, descends donc voir !

Et un petit lutin apparut, toussota dans sa main. Estelle avait fermé les yeux, et sursauta.

-          Attention, ma princesse ! réagit Ange. Qui va là ?

-          Oh, je ne suis qu’un messager… On m’appelle Plantus. Mais que faites-vous ainsi, un plan drague ?

-          C’est ma fiancée.

-          Vous en avez, de la chance… Attention, mademoiselle !

Et le lutin rattrapa Estelle juste avant qu’elle ne tombe à terre. L’homme et le lutin l’assirent mieux sur le cheval, et tout frêle qu’il était, avec sa barbe blanche, Plantus n’en avait pas moins de la force et de la poigne, ce que la princesse ne manqua pas de remarquer.

-          On dirait que vous faites cela tous les jours…

Cela fit rire les deux hommes.

-          C’est vrai, pourtant, reprit enfin Ange plus sérieusement. Je suis avec une beauté, mais… comment dire… je ne veux pas vous désobliger, princesse… disons que vous êtes un peu plus lourde que la moyenne.

-          Je ne suis pas vexée. Contrairement aux autres, vous savez vous tenir, avec une forte femme comme moi…

-          C’est vrai, que vous êtes très belle. En fait, vous êtes très beaux, tous les deux.

Le prince et la princesse rosirent.

-          Je n’ai pas pour habitude de me faire complimenter par une barbe blanche, l’ami.

-          Plantus, insista le lutin. Je voudrais vous aider. Vous allez loin ?

-          Le royaume de mon père est de ce côté-ci de la forêt, à quelques lieues, répondit Ange.

-          Je peux vous y mener en un clin d’œil.

-          Quel tour nous réservez-vous ? fit le prince, méfiant.

-          Aucun, messire.

-          Vous avez de la force, et vous venez de nulle part, insista Ange. Que nous voulez-vous ?

-          Seulement du bien, je vous l’assure. Ce n’est pas parce que votre fiancée est si jolie, mais je veux réellement vous aider.

-          Nous venons d’échapper à une famille d’ogres, allez donc voir là-bas si nous y sommes ! rétorqua le prince, qui commençait à être agacé, et Estelle posa une main sur son bras.

-          Pourquoi le prenez-vous ainsi ? dit-elle doucement. Seriez-vous jaloux ? Je me sens mieux tout contre vous, et personne d’autre.

Percé à jour, Ange fit la grimace, mais saisit sa main.

-          Pardonnez-moi, ma princesse. Mais croyez-vous que nous puissions faire confiance à… au… au premier venu ?

-          Si ça se trouve, ce n’est qu’un test. Dites-le nous clairement, Plantus.

Les yeux du lutin pétillèrent.

-          Je veux vous donner ma bénédiction. Vous êtes courageux, tous les deux. Et… votre cheval aussi, messire. Pensez à ma proposition.

Mais Ange se méfiait encore.

-          Je ne crois pas à la magie.

-          Il ne s’agit pas de magie, mais de foi, répartit Plantus. Vous allez vous marier ?

-          D’abord, il faut que mon père y consente. Donc nous sommes pressés !

-          Tout doux, messire ! Oui, princesse, c’est un test. En qui placez-vous votre foi ?

-          En Dieu, avant mon… fiancé.

-          Et vous, prince ?

Surpris, Ange regarda Estelle, puis le lutin.

-          Eh bien… moi aussi.

-          Alors votre mariage devant Dieu vient à peine de se faire. Vous verrez, il vous enverra une belle postérité.

Ange et Estelle se regardèrent, s’aperçurent qu’ils étaient transfigurés tous les deux.

-          N’est-ce pas mon Dieu, qu’ils sont mignons ?! ajouta Plantus. Envoyez-les donc chez le roi Robert de Lambin… Vous êtes bénis tous les deux.

A leur grande surprise, Ange et Estelle se retrouvèrent devant le château de Lambin, et le prince appela pour se faire ouvrir. Ils franchirent le pont-levis, et Ange avait la tête haute, fière, il resplendissait, si bien qu’il ne vint à l’idée de personne de critiquer sa fiancée quand elle fut annoncée comme telle. A leur arrivée, le roi Robert accourut pour les accueillir, et eut un grand sourire.

-          Quel beau choix, mon fils ! dit-il alors qu’Estelle massait ses fesses endolories. Ta fiancée est magnifique.

A vrai dire, Estelle allait de surprise en surprise. Le roi l’embrassa sur chaque joue, et la recevait comme si elle était déjà sa belle-fille. Cependant, la reine était arrivée à son tour, et félicita son fils, puis Estelle. Cette dernière comprit qu’elle ne perdait pas au change, là où elle était désormais, et en plus, tous la mangeaient des yeux. Pourtant, elle osa dire :

-          Mais… je suis… Pourtant, je sais que je suis grosse…

-          Allons, chère Estelle, dit alors le roi, vous savez ce qu’on dit, au-delà, bien au-delà des montagnes ?« Rond est beau »…

Toute rosissante, Estelle entra dans le château de Lambin, main dans la main avec son prince… et ils restèrent là et eurent une longue vie pleine de petits bonheurs et d’enfants coquins et ronds.

 

© Claire M, 2021

 

 

 

 

 

 

                                                                                                                        

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