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l'imagination au pouvoir
15 septembre 2021

En cette rentrée...

Transmissions.

 

«  - Maman, je sais que tu n’as pas démérité, au contraire. Continueras-tu l’œuvre de papa ?

Dit dans ces circonstances, cette question de mon fils me fit chaud au cœur. Je lui répondis, tout en essayant de sourire :

-          Mais bien sûr. Maintenant, ce que ton père a fait, je peux le faire. Je compte bien prendre la relève. Je n’ai pas soixante-quinze ans…

-          Alors, pourrais-tu parler de ton expérience à Maxime ? Il nous cause tant de soucis, à Elisabeth et à moi…

-          Toujours ses troubles de concentration ?

-          Oui. Son maître est inquiet. Il redouble son CE2… La rentrée était il n’y a pas si longtemps… Si papa n’avait pas eu ce cancer, je le lui aurais demandé avant. J’ai un peu honte, maman.

-          Ne t’inquiète pas. Je vais m’occuper de lui. Mais terminons ce repas de famille…

-          Je le préférerais dans d’autres circonstances, avoua Jean-Loup.

-          Mais papa est encore avec nous, lui fit remarquer sa sœur Anne. Ne te focalise pas sur tes soucis, nous sommes restés ensemble, et c’est ce qui compte.

-          Mais ton frère s’inquiète pour l’avenir de ses enfants,  et c’est bien normal, lui fis-je observer. Aucun sujet n’est tabou. J’y tiens.

-          Oh, merci maman !

Mon fils était si soulagé, qu’il se pencha pour me faire un gros baiser.

-          Mais tu me parleras de Maxime demain, pour le moment Dieu est en train d’accueillir ton père. Je me sens encore…

Mais je ne savais pas très bien comment l’exprimer. Je devais tant à Luc, ma lumière !

-          Pardon, c’est vrai, nous l’avons enterré il y a deux heures… reprit mon fils.

-          Ta carbonnade est délicieuse, maman, dit mon autre fille, Louise, pour changer de conversation.

-          Anne m’a aidée à la faire. C’est un plat de saison, et nous sommes nombreux…

Nous soupirâmes tous les quatre, mes enfants et moi. Les plus jeunes se régalaient de frites, au point que je me demandais s’ils comprenaient bien ce qu’il se passait. Mes gendres et ma belle-fille s’occupaient des leurs, un peu moins touchés par les événements de ces derniers jours. Mais nous nous soutenions tous, ce qui me faisait sentir moins seule, d’autant que mon mari m’avait tout appris…

 

-          Alors Maxime, qu’est-ce qui se passe, à l’école ? lui demandai-je quelques jours plus tard, un samedi que Jean-Loup était venu seul avec lui. Ça ne va pas ?

-          Bin, pas vraiment, mamy…

Mon petit-fils en était tout désolé, cela se voyait.

-          Je me doute que ce n’est pas drôle, de redoubler, lui dis-je. Mais si tu ne comprends pas quelque chose, il faut savoir le dire.

-          On me dit que je n’écoute pas, mais ce sont les autres, qui m’empêchent d’écouter. Je n’arrive pas à… à rester concentré, même pour les matières que j’aime. C’est très difficile, pour moi. Des fois, je ne comprends rien du tout, et on se fiche de moi.

Il baissait le nez, semblant près de pleurer.

-          Mais il y a des matières que tu aimes, compris-je, voulant le rassurer. Lesquelles ?

-          La découverte du monde. Le dessin, aussi. Mais ce que j’aime le plus, c’est le sport…

Cela me fit sourire. Maxime avait toujours eu besoin de se dépenser, quitte à tomber, mais il se relevait toujours. Là où il était particulièrement bon, c’était dans une piscine, dans l’eau il ne pouvait pas se blesser. Son crawl était déjà efficace, aux dires de son père.

-          Et tes copains, est-ce que les sciences les intéressent ? L’école ?

-          Oui. Moi, je n’aime l’école que parce que j’y vois les copains.

-          Pourquoi ?

-          En français et en maths, c’est une catastrophe. Ça rend maman folle, et l’année dernière, la maîtresse me disait que je ne ferai jamais rien de ma vie, si je n’écoute pas à l’école. Dis mamy, est-ce que tu peux m’aider ?

-          Avant de t’aider, je vais te raconter une histoire. Mon histoire.

-          Comme quand j’étais plus petit ?

Ses yeux s’étaient mis à étinceler. Maxime était un beau petit garçon, plein de vie, avec ses mèches blondes et son regard malicieux. Je lui caressai la tête.

-          Installe-toi dans le canapé. Tu sais, quand j’ai rencontré ton grand-père, je n’étais rien. Je savais à peine lire et écrie.

-          Ah bon ? Et quel âge avais-tu ?

-          Vingt-deux ans. Il était beau, et il avait une situation, il débutait comme…professeur des écoles, comme on dit maintenant. De mon temps, on les appelait « instituteurs ». Ton grand-père était un peu plus âgé que moi, il avait vingt-six ans. J’ai eu honte, quand il m’a demandée en mariage. Je suis à peine allée à l’école.

-          C’est possible ? s’étonna Maxime.

-          De mon temps, c’était possible… surtout dans la cambrousse où j’étais, du côté d’Hazebrouck… Mes parents travaillaient la terre, j’étais l’aînée, alors j’ai dû m’occuper de mes frères et sœurs à leur place. Du coup, j’ai trop raté l’école pour vraiment savoir lire et écrire. Quand j’ai cherché un métier, eh bien, j’ai fait des ménages. Mais ce n’est pas une situation… En plus, j’avais du mal à déchiffrer les noms des produits que j’utilisais, ça pouvait être gênant.

-          Au moins, j’arrive à lire…

-          Oui, mais ça ne suffit pas toujours. Il y a aussi l’orthographe. Le français a  une orthographe compliquée et…

-          A qui le dis-tu !!

Cela venait clairement du cœur. Je regardai Maxime, amusée. Mais il comprit de lui-même, malgré tout, et se reprit.

-          Excuse-moi, mamy. Continue.

-          Alors quand ton grand-père m’a expliqué qu’il était maître d’école, j’ai baissé le nez, la première fois. On se connaissait depuis peu, mais il faisait battre mon cœur, il était très bel homme, tu connais les photos de famille…. Il avait tout pour lui, à mes yeux, je le voyais forcément intelligent, puisqu’il faisait mieux que lire et écrire. J’ai vraiment cru que nous n’étions pas du même monde, j’en pleurais. Un jour, ma mère m’a demandé pourquoi j’étais si triste, alors je le lui ai expliqué. Et elle m’a dit que ton grand-père était ma chance. Alors je suis revenue vers lui, et il m’a demandée en mariage… j’ai dit oui.

-          Tu as un très joli sourire, mamy.

-          C’est l’émotion, mon lapin. Ton grand-père m’a ouvert des horizons que tu n’imagines pas… Excuse-moi un instant.

J’avais aussi la larme à l’œil, à cette évocation. Je sortis un mouchoir, et Maxime me fit un gros baiser.

-          Et comment tu as rencontré papy, alors ?

-          A force de passer devant l’école, quand j’ai commencé à travailler à Hazebrouck. Il m’a repérée, et un jour il est venu vers moi en me disant que j’étais la plus belle de toute la ville… Ça a commencé comme ça. J’étais flattée, j’avais au moins ça…

-          Continue ton histoire, ma jolie mamy.

-          Tu es aussi enjôleur que ton grand-père ! fis-je en riant, et Maxime me refit un baiser.

Puis je repris :

-          Nous nous sommes mariés quelques mois après notre rencontre, et dans un premier temps, ton grand-père m’apprenait à ne pas confondre, par exemple, le vinaigre avec d’autres liquides, en lisant sur les bouteilles. Ayant épousé l’instituteur, je continuais d’avoir honte, mais il me fascinait, avec tous ses livres, alors assez rapidement, à ma demande, il m’a lu des histoires. Et tous ces livres qu’il achetait ! Alors je regardais sa bibliothèque, ça me faisait rêver. Lire et écrire me semblait encore si compliqué ! Je n’avais pas confiance en moi… Et toi, tu as confiance en toi, Maxime ?

-          A l’école ? Non, pas tellement. Par contre, on dit qu’on peut compter sur moi pour faire des bêtises…

Cela me fit rire.

-          Mais mamy, je ne le fais pas toujours exprès…

-          Excuse-moi, mon lapin. D’ailleurs, ce n’est pas très  gentil, si on te dit ça.

-          Justement…

-          Ne t’inquiète pas. Tu as envie de savoir lire et écrire ?

-          Oui ! lança spontanément Maxime, et cela me rassura, alors je souris. Tu as vraiment un joli sourire… la plus belle d’Hazebrouck ! Mais continue ton histoire.

-          Je parlais de la bibliothèque de ton grand-père, de tous ces livres qui contenaient de si belles histoires… Je me sentais toute petite, face à ça, il me faisait la lecture… Et puis quelques mois après notre mariage, je suis tombée enceinte de ta tante Anne. J’étais si heureuse ! Ton grand-père était fou. C’est quand j’ai compris vraiment que j’attendais un bébé, que j’ai eu le déclic. Ton grand-père travaillait beaucoup, alors je voulais lire moi-même des histoires à mon enfant, mes enfants, mes petits-enfants, pour lui alléger la tâche. Un soir, j’ai pris mon courage à deux mains, et je lui ai dit : « Luc, il faut que j’apprenne à lire et à écrire, pour nos enfants. » Je me souviendrai toujours à quel point il s’en est réjoui. Et il a insisté pour me l’apprendre lui-même. Nous y avons passé des soirées entières, il a eu une patience ! Finalement, je me débrouillais pas si mal, à la  lecture, c’est l’orthographe, qui m’a posé le plus problème. Surtout pour écrire. Quand ta tante est née, j’avais quand même bien avancé. Nous n’avions pas encore beaucoup d’argent, et il m’achetait des livres faciles à lire, qui ont servi aussi pour Anne, puis pour ta tante Louise, et enfin pour ton père. Ton grand-père ne m’a jamais laissée tomber, même une fois tes tantes nées, nous avons continué ces leçons particulières. Et je lisais de plus en plus, ce qui me permettait de fixer ce que j’apprenais avec lui. Dès que j’ai moins ânonné, j’ai commencé à lire des histoires à ta tante Anne. A vrai dire, ton grand-père et moi avons pris l’habitude, et le goût, d’en lire à deux, pour nous, puis pour nos enfants.

-          Et pour mes cousins, mes demis, et moi…

Maxime était fasciné.

-          Exactement, mon lapin.

-          Et tu arrivais à te concentrer ?

-          Rester longtemps sur les études m’était difficile, surtout au début. Alors ton grand-père me faisait faire des pauses. Il disait que je n’étais pas sotte, et la suite le lui a prouvé. Depuis sa retraite, nous nous étions tous les deux engagés dans l’alphabétisation, tu sais, pour apprendre à lire à des adultes. Ton grand-père disait que savoir lire et écrire, et compter, donnait confiance en soi. J’ai été capable, au bout d’un moment, de lire des auteurs classiques, et l’imparfait du subjonctif m’a même livré ses secrets. C’est comme ça que j’ai pris goût à la langue française… Ecrire des livres a été libérateur, pour moi, mais j’ai attendu d’avoir quarante ans, pour cela. Ton grand-père était très fier. Il m’arrivait d’intervenir dans ses classes, pour raconter mon histoire, que rien n’est impossible, pour peu qu’on soit de bonne volonté. Si tu sais pourquoi tu vas à l’école, tu progresseras.

-          Oui, je le sais, mamy.

-          Si tu veux, j’irai voir ton maître pour lui en parler. Tu as sans doute besoin de temps. As-tu des devoirs, pour lundi ?

-          Oui, papa m’a dit de les prendre, pour les faire avec toi. J’ai justement des exercices de français à  faire…

-          Montre-moi.

 

Ainsi, je vis comment était Maxime face au savoir. Aussi fasciné et démuni, à la fois, que moi au début. Mais ses bases étaient plus solides, au moins pour la lecture. Patiemment, je lui réexpliquai la grammaire, l’aidai à écrire des mots de dictée donnés par son instituteur (je continuais à l’appeler ainsi, pour le panache), me souvenant de tout ce que Luc m’avait appris. Alphabétiser les gens, à ses côtés ou non, m’apprenait encore beaucoup, si bien que je me sentis même capable de faire de l’aide aux devoirs. Cela nourrit également mon écriture. J’écrivais toujours, aimais faire de la calligraphie. Je facilitai l’accès au savoir de Maxime, et Jean-Loup et Elisabeth m’en surent grand gré. Je vis également son instituteur, au mois de janvier suivant.

-          Madame Desmet, vous avez fait un miracle ! Avec ma classe de vingt-sept élèves, j’étais vraiment embêté…

-          Je fais ce que je peux. Peut-il aller cinq minutes dans le couloir, quand il décroche ?

-          Oui, votre fils m’a expliqué comment vous aidiez Maxime. Décidément, c’est dans les vieilles marmites qu’on fait de la bonne soupe, votre méthode doit être éprouvée !

-          C’est celle de mon mari. Il y a une cinquantaine d’années… J’ai l’impression que maintenant, on veut faire faire trop de choses aux enfants.

-          Je sais. Mais le ministre actuel veut revenir aux fondamentaux.

-          Oui, et il a raison, appuyai-je. Même si depuis quelques années, ils disent tous ça…

Monsieur Chaumont me regarda. Il avait une barbe poivre et sel et l’œil vif, ce qui me plaisait beaucoup.

-          Je crois que vous écrivez, madame Desmet ?! me demanda-t-il. Pour les enfants ?

-          Oui, entre autres.

-          Et si vous interveniez dans ma classe ? Voire dans l’école ? Vous avez à cœur de transmettre, j’ai l’impression.

-          C’est vrai.

Mais j’étais flattée. L’idée fit son chemin et, de fil en aiguille, j’écrivis le livre que vous tenez entre vos mains. Je vais donc enfin vous dévoiler mes petits secrets… De lecture, de fabrication de livres, comment on peut accéder au savoir à tout âge. En ce XXIème siècle, cela me semble important. Grâce à mon mari, j’aime lire, et aussi écrire. Et vous ? »

 

-          Papa, mamy était vraiment formidable ! lançai-je, une quinzaine d’années plus tard, lorsque ma grand-mère mourut. Je voudrais que ce livre-là, qu’elle a écrit, soit connu partout, en particulier à l’Education nationale…

-          Ecoute, fais-en ton miel, fiston. Avec tes études, tu peux aussi bien être éditeur…

-          Je ne sais pas… tu sais que je fais tout pour faire le même métier que papy. Transmission familiale, dirais-je…

-          Tu verras bien, Maxime. Tu es aussi très bon en sport.

-          Non, je préfère en faire avec mes cousins. Non, tu sais quoi, mon copain Léonard veut être éditeur. Je lui  en parlerai sûrement.

-          Et il t’éditera aussi ! s’esclaffa mon père, et nous échangeâmes un regard complice… Je te parie que, d’ici quelques années, le nom de ta grand-mère sera plus connu que celui de Bernard Pivot… Mathilde Desmet, autrice !

Et nous éclatâmes de rire.

 

© Claire M., 2019

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Commentaires
l'imagination au pouvoir
  • Entrez donc dans l'un des royaumes de l'imagination, la mienne, où vous croiserez êtres fantastiques, âmes en peine, beaucoup de chats... Vous pourrez y trouver d'autres aventures, ou jouer avec moi, les mots... Le continent des lettres est si vaste !
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