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l'imagination au pouvoir
29 octobre 2021

"Chatterie"

Chats de rêves.

 

Elodie sortit, morose, de son travail, où elle avait encore dû subir de petites humiliations, notamment de son patron qui ne supportait de la voir qu’en tant qu’opératrice de saisie. Depuis que celui-ci avait changé, la situation d’Elodie avait empiré. On ne voyait en elle que sa vitesse de frappe, alors qu’elle se savait capable de choses moins basiques. Elle ruminait, au volant de sa voiture, évita un cycliste in extremis, et se dirigea vers la base aéronautique, là où se trouvait son plaisir.

-          On n’attendait plus que toi, Elodie ! lui dit l’un des moniteurs, Arthur.

-          Excusez-moi, tous, j’ai fait au plus vite… et j’ai très envie de sauter.

Mais d’abord, le petit groupe se retrouva, et ils firent quelques mouvements de gymnastique avant de vérifier chacun son attirail. Cela fait, ils montèrent tous avec entrain dans un petit avion. Elodie n’avait absolument pas peur, faisant cela depuis plusieurs années. Son saut, depuis les hauteurs du ciel, fut parfait. Son parachute s’ouvrit exactement au moment voulu, et en attendant, elle se sentit comme un oiseau, battant un peu des bras. Le parachute la fit remonter légèrement, mais Elodie s’arrangea pour tomber au milieu des blés, traversant le ciel avec joie. Elle maîtrisait parfaitement la situation et son atterrissage ne lui causa aucune douleur, même, elle ne savait ce qui était le plus doux, les blés ou la toile de son parachute. Elle se roula à terre, heureuse, puis se releva, replia ses « ailes » et remit tout en place.

-          Arthur ! Encore !

Elle rejoignit son petit groupe, tous atterrissaient les uns après les autres, Arthur était aussi ravi qu’elle.

-          C’est le temps idéal, il n’y aura pas d’accident, dit-il. Tous ceux qui le souhaitent, venez avec moi !

Elodie fit en tout encore trois sauts, se grisant de l’air. Mais Arthur n’était pas dupe, il la connaissait depuis longtemps.

-          Tu sais, ce n’est pas le tout, ces sports… lui dit-il en retournant à la base. Et une fois dans l’air, il est compliqué de parler… J’ai bien vu, à ta tête, que tu avais passé une mauvaise journée.

-          Oui, c’est vrai, reconnut Elodie. Mais ouf ! Quand je vole, je suis loin de tout ça…

-          Toujours pas de nouvelles de… d’Axel ?

-          Depuis qu’il m’a envoyé le  faire-part de naissance de sa fille, j’ai carrément coupé les ponts. Ne me parle plus jamais de lui, Arthur !

-          Oh, pardon, excuse-moi… mais je me préoccupe de toi, tu le sais.

Elodie retrouva son petit sourire.

-          Oui, c’est très gentil… mais pour moi, tu es juste le grand frère que j’aurais voulu avoir.

-          Et c’est déjà pas mal .Fringués comme nous sommes, c’est difficile de draguer…

Ils se regardèrent, eurent tous deux un petit rire.

-          Et de toute façon, ajouta Arthur, être ton grand frère me suffit.

-          Et peu importe l’âge !

-          Bien sûr. Toi, tu es jeune, tu remplaceras Axel facilement, j’en suis sûr. Tu es une jolie gazelle… Quel âge ça te fait ?

-          Trente-trois ans.

-          Bah ! Alors tu as la vie devant toi…

-          A quarante ans, on l’a aussi, Arthur. Si ça peut te rassurer…

-          Oh, moi…

Elodie savait son moniteur très pudique, et n’insista pas.

Sur le chemin du retour, elle mit la radio, et chantait encore en rentrant chez elle. Mistinguett et Bikini, ses deux chattes, coururent la retrouver, eurent leur content de caresses… et de croquettes. Elodie quant à elle fila sous la douche, puis s’abîma dans la lecture d’un magazine, avant de prendre un peu sa guitare, emballant ainsi ses chats. Ses cheveux mouillés lui donnaient un air très rock n’roll, gouttaient encore sur l’instrument. Elodie dut s’arrêter. Mais même ainsi, elle se sentait rassérénée. Jusqu’au lendemain matin… Seul le sport lui permettait de se dépasser, déjà qu’elle n’était pas épaisse, elle avait des articulations quelque peu saillantes. L’hiver, ça ne se voyait pas beaucoup, mais on remarquait la finesse de ses traits. Ses parents s’inquiétaient facilement de son état, surtout avec ces sports à risque qu’elle pratiquait, elle avait déjà eu un accident en faisant du parapente. Ils devinaient ce que cela cachait, et l’attitude d’Axel à l’égard de leur fille leur avait fortement déplu. Ils avaient hâte qu’Elodie se recase, leur donne des petits-enfants. Leur fils, venu après, ne se pressait pas non plus. Elodie avait des relations compliquées avec sa famille, ce qui accentuait sa solitude. Finalement, elle était contente de ne pas avoir su caser Bikini, qu’elle avait gardée avec sa mère. Mais de ce fait, Mistinguett avait été opérée. Elodie ne comprenait pas que ses parents aient voulu lui  forcer la main pour vendre des chatons, elle qui ne parlait que d’amour et de bons soins. Et elle avait fait à sa façon, estimant que l’amour d’un chat n’était pas monnayable. Avec ses parents, elle se disputait souvent... Elle les trouvait horriblement prosaïques.

Sa vie se passait donc ainsi, entre le placard de l’entreprise où elle travaillait, et le sport, la musique. Elodie était toujours heureuse d’arriver au week-end, ce qu’elle appelait son moment de grâce. Elle faisait les boutiques avec une amie, ou du sport, de la musique. Elle avait ses habitudes dans un bar, où elle allait avec sa guitare, pour chanter des classiques du rock. Elle avait une jolie voix, qui savait porter, et cela plaisait. En fait, elle aurait voulu être artiste, ou sportive de haut niveau, mais ses parents lui avaient expliqué, très sûrs d’eux, que ces carrières-là étaient trop aléatoires pour rapporter réellement quelque argent. C’est pourquoi ils l’avaient plus que poussée à faire des études dont elle se fichait, en lui disant qu’une fois sortie de l’université, ils ne lui donneraient plus un sou. D’ailleurs, Elodie avait dû financer en partie ses études, travaillant en même temps, alors qu’elle vivait encore chez ses parents. Donc, une fois son diplôme en poche, elle était partie en claquant la porte. Et depuis une dizaine  d’années, elle avait vécu avec deux hommes successivement, hérité de Mistinguett et rencontré Axel, ce dont elle se repentait, à présent… Seuls ses chats, deux femelles, trouvaient grâce à ses yeux.

Les jours suivants, Elodie essuya encore des piques à son travail, ce qui finit par occasionner des larmes, qu’elle cachait à l’heure de midi. Elle avait vite compris que les signes de faiblesse pouvaient desservir une carrière. Cela non plus, elle ne voulait pas le dire à ses parents, ni même à son frère, qui avait pourtant quitté la maison familiale sans attendre la fin de ses études. Il faut dire qu’il pouvait avoir des réactions violentes, qu’il ne maîtrisait pas toujours. De ce fait, il faisait de la boxe et du kung-fu pour canaliser cette violence. Il faisait encore plus peur à sa famille qu’Elodie, ce qui n’était pas peu dire. A la vérité, le frère et la sœur étaient tous deux suivis psychologiquement. Elodie avait un traitement, au cas où elle craquerait, ce qui arrivait quelquefois, depuis qu’elle travaillait dans cette entreprise en tant que sous-secrétaire. C’est pourquoi lle cachait ses larmes à son travail. Mais ce soir-là en rentrant chez elle, elle ne put plus se contenir, et s’écroula dans son canapé.  

-          Miaou ? Ma maou ? fit Mistinguett, qui connaissait bien sa maîtresse.

-          Ma Mistinguett !

-          Miaou !

Et la chatte se lova contre Elodie. Bientôt, Bikini les rejoignit, venant ronronner avec sa mère, contre leur  maîtresse. Cette dernière se reprit peu à peu, et elles restèrent longtemps ainsi, toutes les trois. Elodie gardait les yeux fermés, une main sur chaque chat, et finit par se lever pour boire quelque chose et remplir les gamelles. Puis elle prit sa guitare, et composa une petite complainte.

Malheureusement, ce même type de scène se reproduisit le lendemain, puis le surlendemain et, le vendredi soir, n’y tenant plus, Elodie prit toute une barre de Lexomil, sans en compter les morceaux, et se coucha, espérant échapper quelques heures à ce monde qui lui donnait si peu de satisfactions.

 

-          Notre petite maîtresse ne va pas bien, déclara Mistinguett à sa fille. Nous allons nous occuper d’elle, si tu veux bien.

-          Pendant sa sieste ? Les humains ne dorment presque pas…

-          Ce n’est pas parce que nous dormons deux fois plus qu’eux, qu’ils ne dorment pas, fifille. Ils sont différents de nous, c’est tout.

-          Pardon, maman. Je ne suis pas très âgée…

-          Je sais bien. C’est normal, que tu apprennes encore. Je vais t’expliquer ce qu’on va faire… Toi, tu vas aller tout contre elle, pelote-la, ça te fera ronronner et notre maîtresse aura un sommeil réparateur. Ne bouge que si je te le dis, moi, je m’occupe du reste.

-          Bien maman.

Et Bikini s’engouffra sous la couette pour mettre aussitôt leur projet à exécution. De toute façon, elle aimait beaucoup Elodie et n’eut pas de mal à se faire pelotante. Bientôt, elle ronronnait comme un petit moteur, tandis que Mistinguett s’installait sur la longue chevelure brune de leur maîtresse. La queue  de la mère chatte alla sur les yeux de la jeune femme, puis Mistinguett miaula trois fois, doucement, avant de dire à sa fille d’en faire autant. Bikini obéit encore, et patouna de nouveau Elodie.

-          Maintenant, disons « ma » toutes les deux, indiqua Mistinguett. Tu te souviens, c’est la clef de notre monde…

-          Compris, maman.

Quelques secondes plus tard, Elodie bougea, rouvrit les yeux, et Mistinguett dit à sa fille de s’écarter de cette dernière, tandis qu’elle en faisait autant. Assises sur leurs derrières, les deux chattes virent leur maîtresse s’étirer, et porter un regard étonné sur leur pays.

-          Où suis-je ?

-          Là où les chats parlent, répondit Mistinguett. Nous avons une civilisation très… je veux dire plus avancée que la vôtre.

-          Donc je suis en train de rêver.

-          Euh… si tu veux. De toute façon, il s’agit bien de rêve et de réalité.

Elodie s’attendait à se lever de son lit, en bougeant les jambes, mais en réalité, elle se rendit compte qu’elle était sur un lit composé de mousse verte.

-          Mais où suis-je ? répéta-t-elle.

-          Tu vas comprendre, reprit Mistinguett. Visiblement, seuls les chats peuvent t’aider.

-          C’est vrai, vous êtes formidables, Bikini et toi, fit Elodie avec un sourire.

-          Ce n’est pas ce que je veux dire… Mais je ne suis pas sûre de savoir te l’expliquer simplement. Suis-nous.

Enfin, Elodie se leva, fit quelques pas dans l’herbe.

-          N’aie pas peur. C’est très doux, sous les coussinets, intervint Bikini.

-          Fifille, les humains n’ont pas de coussinets…

-          C’est vrai, au fait, je suis pieds nus… Il n’y a pas de danger, vous êtes sûres ?

-          Aucun. Tu ne trouveras ici aucun objet en verre, ou blessant d’une façon ou d’une autre. Les seules choses à craindre sont les ronces et les orties, mais nous n’allons pas en forêt, expliqua Mistinguett.

Rassurée, Elodie emboita le pas de ses chats, pour aller vers de petites collines herbues envahies par des papillons multicolores. Bikini avait très envie de folâtrer mais, comprenant qu’elle avait une mission, elle se retint, même en ne pouvant s’empêcher de regarder partout – tout comme sa maîtresse, d’ailleurs. On entendait aussi les oiseaux  chanter, et tout cela était très apaisant. Mistinguett s’arrêta devant une colline, et appela de manière féline, puis se tourna vers Elodie.

-          Je viens d’appeler notre vieux sage. Il se fait appeler Maestro. S’il n’est pas trop endormi, il ne devrait pas tarder.

Elodie sourit, curieuse de l’aventure. Elle se disait que si c’était un rêve, il était très joli. En attendant Maestro, elle regardait toujours autour d’elle, tandis que Bikini s’amusait avec les papillons. Cette dernière en estourbit un, et faillit le croquer, mais le papillon, dans un sursaut, s’envola au loin. Bikini en tomba sur son arrière-train, montrant ainsi son ventre blanc, et cela fit rire sa maîtresse, qui se pencha sur elle pour la caresser. Le ventre et le bout des pattes de Bikini mis à part, les deux chattes étaient grises. Irrésistibles. Maestro arriva, alors qu’Elodie pelotait son chat le plus jeune, toutes deux étalées dans l’herbe.

-          Voilà qui est fort bien, déclara le vieux matou, un maître chat, noir, aux yeux phosphorescents. Je vois que madame nous aime…

-          Excuse-les, ma fille fait du gringue aux humains sans même s’en rendre compte…

-          Oh, je sais que certains humains nous adorent… et pas seulement parce que nous garantissons leur garde-manger.

-          Tu sais, en appartement nous avons la belle vie… Elodie !

Mais Elodie n’entendit pas Mistinguett, le nez sur le petit ventre de Bikini. La chatte n’insista pas, disant à Maestro :

-          Ça ne fait rien, nous avons le temps… En fait, elle ne va pas bien, et cette fois, elle se réfugie dans le sommeil. Je suis à peu près certaine que sa vie est un cauchemar. Ces jours derniers, elle rentrait en larmes… Et pour soigner ce genre de choses, nous autres chats sommes experts… à commencer par toi, Maestro.

Le matou hocha la tête.

-          Il faudrait que je constate les choses par moi-même… Comment dis-tu qu’elle s’appelle ?

Le « Elodie ! » de Maestro fut plus fort que celui de Mistinguett, et Bikini sursauta, manquant d’égratigner le nez de sa maîtresse. Alors, la jeune femme se tourna vers Maestro.

-          Mais tu es mignon, toi aussi ! s’exclama-t-elle.

Il faut dire que le chat noir s’était installé en majesté, les yeux mi-clos, et Elodie lui caressa la tête, l’échine. Maestro eut un moment de bien-être.

-          Tu aimes les chats, n’est-ce pas Elodie ? !

-          Tu connais mon nom ?

-          L’un de tes chats vient de me le dire.

Bikini regarda Maestro de travers, l’air de dire : « Et moi, alors ? » De ce fait, Mistinguett alla vers sa fille, et lui lécha le museau en guise d’excuse, alors que Maestro reprenait pour Elodie :

-          Dirais-tu que ta… réalité est un cauchemar ?

Elodie était surprise, mais répondit à la question posée.

-          Ça dépend pour quoi. Mais c’est clair que ce n’est pas la vie dont je rêvais.

Maestro ferma les yeux, puis les rouvrit.

-          Caresse-moi encore.

-          Bien sûr ! Quel beau rêve !

Et la main d’Elodie parcourut de nouveau la tête, le dos de Maestro, qui en frémit.

-          Ce que tu vis là n’est pas un rêve, dit-il ensuite. Le pays des chats est réel, et c’est un paradis.

-          Il y a d’autres chats ? Aussi beaux que toi ?

-          Les… tiens en sont. Nous venons tous d’ici.

-          Je… je ne comprends pas.

-          Tu poses des questions bizarres. Plus que des chats, nous sommes des maîtres du rêve. Nous pouvons transformer les cauchemars en de beaux rêves, mais c’est assez rare que les humains viennent par ici.

-          Je t’ai emmenée là, car tu me fais de la peine, en ce moment. Je voudrais tant te voir heureuse ! intervint Mistinguett, ce qui émut sa maîtresse.

-          Alors ce n’est pas pour me faire voir ce beau chat ?

-          Maestro peut t’expliquer bien des choses. C’est un peu un chef, en plus il en est à sa huitième vie. C’est te dire s’il a de l’expérience…

-          Merci, Miss. Tu m’as caressé, Elodie, et maintenant je sais ce que tu vis, ce que tu ressens. Je peux t’aider.

-          Mais… en quoi faisant ?

-          Tu es le cas typique de celui qui vit un cauchemar et qui voudrait que ça s’arrête. Sache que la réalité humaine est en fait nos rêves à nous, les chats.

-          Je… je te demande pardon ?!? Mais… pour vous rendre indispensables ?

-          Il y a de ça, convint Maestro. Mais nous voulons vous rendre heureux, vous faire voir la beauté du monde.

-          Je ne comprends toujours pas. La beauté du monde, c’est vous…

-          Merci, mais ça ne suffit pas… fit doucement Maestro. Le monde humain est rarement harmonieux. En revanche, regarde ici… et écoute.

Elodie fit un signe, regarda tout autour d’elle, écouta les oiseaux. Bikini était venue tout contre sa mère, et émettait un léger ronflement. Un papillon voleta au-dessus de ses oreilles.

-          Ce monde a l’air très apaisant, dit enfin Elodie.

-          Il l’est, confirma Maestro. Veux-tu retrouver ces sensations dans… ta réalité ? Je veux dire nos rêves à nous…

-          Oh… oui, j’aimerais bien, mais pour moi, ta présence est un rêve.

-          Non. Mistinguett m’a appelé parce qu’elle n’arrive pas à modifier son rêve, et je pense qu’il en va de même pour… Bikini. Je suis là pour pouvoir t’impliquer dans son rêve. Je vois bien que tu es une mère à chats.

Cela fit sourire Elodie.

-          Mes chattes ne m’ont jamais déçue.

-          Bikini et moi t’adorons, avoua Mistinguett, qui  n’osait plus bouger à cause de son petit chat allongé tout contre elle, en plein sommeil.

-          Elle dort ? lui demanda Maestro.

-          Il me semble bien…

-          Tant mieux. Elodie, tu vas poser ta main sur Bik, et tu vas faire ce que je te dis.

-          C’est sans danger ?

-          Absolument aucun. Je vais t’apprendre à distordre ce rêve, pour que tu sois mieux lotie.

Avec précaution, pour ne pas la réveiller, Elodie alla près de Bikini, posa une main sur son poil, et perçut son petit ronflement. Elle avait envie de l’embrasser, tellement le chaton était craquant, mais elle se retint. Mistinguett ne bougea pas davantage.

-          C’est bien, fit Maestro. Maintenant, pense à une situation qui te pose problème. Concentre-toi, tu peux fermer les yeux.

Elodie obéit, pensa à son goût pour la musique, à la plénitude qu’elle éprouvait en jouant de la guitare. Elle ne disait toujours rien, écoutant les instructions de Maestro.

-          Tu y es ? demanda-t-il.

-          Oui.

-          Si tu es bien concentrée, tu verras une porte. Alors, tu avanceras, et tu l’ouvriras.

Elodie ne tarda pas  à voir une porte ouvragée, ornée de fines sculptures figurant les dieux du sommeil, Morphée, Hypnos, au milieu d’étoiles. Elle se concentra encore un peu plus, et alla ouvrir la porte. Une légère nuée l’enveloppa aussitôt, ce qui eut pour effet de l’apaiser. Puis :

-          Maestro ?

-          Je suis toujours là. Tu peux avancer dans le couloir, en regardant bien autour de toi. Tu verras d’autres portes. Tu ouvriras celle qui convient à la réalité que tu veux distordre.

Elodie supposa que ce serait la porte de la musique, mais les regarda toutes, progressant lentement. Elle passa devant celle de l’Amour, cilla, et continua. Elle finit par ouvrir la porte dont le pêne figurait une clef de sol à l’horizontale, avec écrit, tout en haut, « Musica ».

-          J’y suis, dit-elle alors à haute voix.

-          Alors écoute-moi bien. Si tu as trouvé cette porte, et qu’elle te correspond réellement, tu entres, et tu vas t’asseoir contre le mur du fond. Il y a toujours des sièges libres. Tu t’y mettras, formuleras ton vœu et décriras à haute voix ce que tu veux. Puis tu pourras sortir, par la porte du fond, et tu retrouveras l’endroit où tu dors, et tes chats. Tu pourras retourner dans ce monde, comme je viens de te l’expliquer. Si, à un moment ou un autre, tu vois un chat, caresse-le. Surtout, n’y manque pas. C’est le seul prix à payer, mais pour toi qui nous aimes, ce ne sera pas un problème. As-tu compris ?

-          Oui. Et je peux donc le refaire chez moi ?

-          Oui. Mais il faut qu’au moins un de tes chats dorme. Bik sera le vecteur idéal, pour toi. As-tu d’autres questions ?

Elodie réfléchit un peu, puis répondit par la négative. Maestro la laissa aller, n’intervint plus. La jeune femme alla s’asseoir dans un genre de siège sans dossier, avec un coussin confortable, et réfléchit encore une minute ou deux au vœu qu’elle allait formuler.

-          « Je voudrais vivre de la musique ! » Oui…

Et elle précisa son vœu à  voix haute, puis, en chantonnant The sound of silence, elle quitta doucement la pièce comme Maestro le lui avait indiqué, et elle se réveilla. Contre sa mère, lovée sous un bras d’Elodie, Bikini, mais aussi Mistinguett, ronronnaient doucement.

-          Merci pour ce beau rêve, murmura la jeune femme à ses chats, tout en les frôlant.

Mais Mistinguett regarda sa maîtresse, pour essayer de lui faire comprendre que ce n’était pas un simple rêve. Une voix, en Elodie, s’éleva, celle de Maestro, qui lui susurrait de vivre ses rêves. Mais il était tard, la quadruple dose de Lexomil faisait encore son effet, alors Elodie attendit le lendemain, pour se rendre, avec sa guitare, dans ce bar dont elle avait l’habitude. Prise d’une inspiration subite, elle joua The sound of silence, puis la complainte qu’elle avait composée les jours précédents. Elle n’avait jamais été si concentrée, et les applaudissements furent encore plus nourris que d’ordinaire. Un peu gênée, Elodie fit parler sa guitare à sa place, mais les applaudissements redoublèrent. « Mais que se passe-t-il ? » se demanda-t-elle. En outre, le patron lui offrit une boisson, mais elle fut raisonnable, se contentant d’un Perrier-citron. Elle retrouva aussi quelques amis, bavarda avec eux, et au point où elle en était, elle fit la fermeture du bar, jouant encore quelques airs connus sur sa guitare. Elle rentra tard, ravie, chez elle.

De ce fait-là, elle put affronter la semaine suivante, même si les piques, à son travail, continuaient. Le soir, selon le temps qu’il faisait, elle allait faire du parachute, ou elle rentrait chez elle pour jouer de la musique. Le succès avait été te que, le samedi, elle retourna à son bar préféré, sa guitare sous le bras. Le patron, en la voyant, cligna de l’œil, mais Elodie fit la moue.

-          Je ne pensais pas à mal, mademoiselle Granier, crut-il bon de dire. Grâce à vous, mon bar va être couru…

-          Je ne fais pas ça pour rencontrer des hommes, répliqua Elodie.

-          Ça, on verra…

La jeune femme regarda la panse du patron, prenant un peu peur, et se félicita de ne pas avoir mis de jupe. Elle consomma, joua de son instrument, les chansons qu’elle interprétait étaient parfaitement au point. Au bout d’une petite heure, elle s’arrêta, dîna d’un croque-monsieur et d’une bière. Elle était encore à piocher dans sa salade verte, quand un homme d’une cinquantaine d’années vint s’asseoir devant elle.

-          Vous permettez ? On m’a parlé de vos talents musicaux… Eh bien, vous êtes vraiment douée, je suis sous le charme.

Elodie rosit, au compliment.

-          Je vous remercie… fit-elle, un peu gênée. 

-          Je vous en prie, finissez votre dîner…

-          Oh, j’ai presque fini.

-          Je sens que ce genre de compliment doit être rare, pour vous. Venez-vous ici souvent ?

-          En fait, oui. J’y étais samedi dernier, et il est rare que je laisse passer plus de quinze jours sans venir.

-          Le patron m’a dit que vous vous diversifiez beaucoup… et j’ai pu mesurer vos dons.

-          Moi, des dons ?! Mais je fais ça en dilettante !

-          Ça n’empêche pas le talent... et j’en suis un découvreur, je suis payé pour ça. Si vous saviez le nombre d’artistes inconnus qui en ont… je veux vous donner une chance.

Elodie termina son croque-monsieur, et sursauta, tout à coup : ce rêve ! Maestro ! Elle resta sidérée, et regarda son interlocuteur, un petit chauve à lunettes avec un sourire débonnaire. Il la dévisagea, et crut comprendre.

-          Vous ne vous y attendiez pas…

-          Non, en effet.

Elodie se reprit avec une bouchée de salade, s’excusa, toujours ébahie, le coeur battant. La voix de Maestro s’éleva en elle, lui rappelant de vivre ses rêves, et la jeune femme se souvint également de ce qu’elle avait considéré, sans doute un peu hâtivement, pour un simple beau rêve. Alors elle parla avec ce monsieur, se laissa faire. Ils passèrent une petite heure ensemble, puis elle reprit sa guitare et fit une autre prestation.

Le lundi à son travail, elle alla voir son patron, pour lui demander une journée et ainsi voir ce monsieur, pour discuter d’une éventuelle carrière dans la musique. Mais elle cacha la véritable raison de cette démarche, de peur de prêter le flanc à de nouvelles critiques. Le patron lui accorda une journée avec un geste de dédain, et lui ordonna de vite retourner à son poste. Elodie préféra obtempérer, mortifiée par son attitude.

Mais cette fois elle se dit, en allant se coucher, qu’il fallait en avoir le cœur net. Bikini la rejoignit la première, et s’endormit sous ses caresses. Elodie n’attendait que cela, pour essayer de retourner dans le monde des rêves, et assez vite, elle en retrouva la grande porte ouvragée. Elle se rendit dans une pièce dédiée au Travail, et souhaita en changer, pensant toujours à la musique. En revenant dans sa réalité, elle ne manqua pas de caresser un chat roux, puis se réveilla. Mistinguett dormait à ses pieds, alors elle ne voulut pas bouger, et se rendormit.

Le lendemain au travail fut comme les autres, et encore le jour suivant. « Ah, bon, si c’est ça… » se dit Elodie à la fin de la journée, mais quand elle rentra chez elle, après quelques sauts en parachute, elle croisa un voisin inconnu d’elle dans l’ascenseur, qui lui assura l’avoir entendue jouer de la guitare la veille au soir, alors il demanda :

-          Vous m’apprendriez à en jouer ? Depuis longtemps, j’en ai envie, mais je connais très mal le solfège, ça me bloque.

-          On peut s’y prendre autrement, lui répondit Elodie. Mais le problème, c’est que j’ai peu de temps, car il m’arrive de me produire dans les bars, et je fais aussi du parachute, à part mon travail.

-          Et ce travail vous plaît ?

-          Non, répondit spontanément Elodie.

-          Alors si jamais vous voulez faire une reconversion, pensez à moi… Zut, nous sommes à votre étage !

Tous deux éclatèrent de rire, et Elodie ouvrit la porte.

-          Vous êtes juste au-dessous, alors ?

-          Mes parents. Excusez-moi, bafouilla le garçon, et il sourit à Elodie. Je m’appelle Lionel.

Elle le remercia de la même façon, et l’engagea à passer chez elle à l’occasion, avant qu’ils ne se quittent.

-           Des cours de guitare ?! s’émerveilla Elodie en posant son sac, mais Bikini arriva en trombe, ce qui la fit éclater de rire, et de ce fait l’image du pays des rêves ne lui vint pas tout de suite à l’esprit.

Et elle ne lui vint qu’une fois au lit. Mais le lendemain, Elodie appela sa meilleure amie, qui lui conseilla de foncer, pour jouer et enseigner la guitare, pourquoi pas aussi le chant. Et Elodie y fut sensible. Elle entrevoyait la fin du placard…

Aussi dix jours plus tard, quand elle vit celui qu’elle appelait son imprésario, l’entrevue se passa à merveille, et elle en profita pour lui demander quelles opportunités s’offraient à elle dans le milieu de la musique. Et elle fut tout à fait rassurée. Elle sortit de là toute légère, prête à signer pour un album, faire de la scène ou même encore d’autres choses. Elle retrouva sa banlieue, des étoiles plein les yeux, et remercia Mistinguett et Bikini avec de gros câlins. A partir de là, Elodie assura ses arrières, avant de démissionner de son travail un mois plus tard. Cela lui coûta les sauts en parachute, mais elle devinait un travail davantage fait pour elle. Pour autant, elle garda le contact avec Arthur le moniteur, et pensait toujours à Lionel.

Six mois plus tard, elle enregistrait son premier disque, et la machine se mit alors véritablement en branle. Par sécurité, elle donnait effectivement des cours particuliers, de guitare mais aussi de chant, et s’était mise aussi à faire le tour des écoles élémentaires pour faire chanter les enfants. Plus souvent, aussi, elle put aller à des concerts, au cinéma. « Mais il me manque quelque chose », pensait-elle. Plus que de se réconcilier tout à fait avec ses parents, elle avait besoin d’une véritable présence à côté d’elle. Mais son cœur ne battait pour personne… Alors, pour la troisième fois, elle se rendit dans le monde des rêves. Elle dut y caresser deux chats, et entra dans la pièce qu’ouvrait une serrure en forme de deux cœurs entrelacés. Sur un siège confortable, elle dit, les yeux fermés : « Je veux rencontrer l’amour ».

-          Mais pourquoi ne l’as-tu pas demandé plus tôt ?! fit la voix de Maestro dans sa tête, et Elodie caressa encore un chat avant de retrouver les siens.

Quelques temps plus tard, elle rencontra le beau Léo, un enseignant remplaçant, et ils tombèrent l’un sous le charme de l’autre. Alors Elodie put vivre la vie de ses rêves, avoir des enfants et enfin se réconcilier avec ses parents… Devant son frère qui n’en revenait pas, elle parla du pays des rêves, mais il ne la crut pas.

-          Tant pis, moi je suis heureuse ainsi…

 

© Claire M., 2021

 

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