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l'imagination au pouvoir
15 janvier 2022

En avant toute !

Les trésors de la fée.

 

Jason, une fois de plus, rentra du collège la mine renfrognée : il avait eu une mauvaise note en dictée, une autre tout aussi mauvaise en anglais, ce qui lui valait deux heures de colle le mercredi suivant. Son père n’était qu’à moitié réveillé, et signa sur les copies sans trop réagir, si ce n’est un soupir et un « mais comment peut-on l’aider, ce foutu gamin… » et il se colla lui-même devant la télévision. Alors Jason en fit autant, une tartine avec du Nutella à la main. Il demanda seulement quand rentrerait sa mère.

-          Quand je partirai chercher ton grand frère à son club de foot, répondit tout aussi laconiquement son père.

-          Vous allez encore vous rater, maman et toi.

-          Je sais…

Le dialogue s’arrêta là. Le père ne demanda même pas s’il avait des devoirs à faire, des leçons à apprendre. Donc, comme d’habitude, Jason se débrouilla, quand sa mère rentra et le lui rappela. Il était tard, et il n’osa pas lui parler de ses notes. Travailler ? Ce n’était pas un père éboueur qui l’aiderait, ni une mère qui devait apprendre des chiffres par cœur pour ne pas se tromper dans les comptes de la boutique où elle travaillait. Les pourcentages lors des soldes étaient sa bête noire, et ce n’était un secret pour personne.

-          Notre fils est encore collé, finit par dire le père à la place de Jason, avant de se coucher le premier.

-          Si ça pouvait lui  servir à apprendre ses leçons… Moi, à la dernière réunion avec son prof principal, j’étais très mal à l’aise.

-          Je n’ai pas les moyens pour des cours particuliers, et toi non plus.

-          Le club de foot de Freddy revient cher, je te rappelle.

-          Il faut bien qu’il se défoule ! Et je ne souhaite pas à mes enfants de faire le même métier que moi. Courir derrière un camion et y accrocher les saletés des autres, non…

-          Mais Freddy n’a même pas eu son brevet ! Et ça va faire pareil avec Jason… Au moins, un maillot de bain et l’abonnement à la piscine, c’est vite vu…

Les deux parents se regardèrent, perdus.

-          Comment c’est, chez les  autres ? demanda le père.

-          Je ne sais pas. Mais Jason a peut-être des amis, au collège, qui pourraient lui répondre. Son pote Quentin, peut-être…

-          Pote ? Jason est jaloux de lui, parce qu’il a toutes les filles qui lui tombent dans les bras…

-          Pourquoi, tu as déjà essayé de l’envoyer chez le coiffeur, avec sa tignasse qui part dans tous les sens ? En plus, il préfère le jogging même aux jeans, alors excuse-moi, mais pour plaire aux filles… Pourtant, bien habillé, bien coiffé, il pourrait être aussi beau que Freddy…

La mère de Jason était amère. Fonder un foyer, pour quel résultat ? Elle avait certes eu le brevet, mais pas le bac… Quant à son mari qui aurait préféré être professeur de sport… Ce soir-là, au lit, alors que ce dernier dormait, elle eut quelques larmes. Elle ne savait pas quoi faire pour ses fils. Comme elle ne dormait pas,  elle finit par se lever, et alla dans la chambre de ses enfants, grimpa la petite échelle des lits superposés.

-          Jason…

Il dormait, lui, et ne réagit pas. Ce fut Freddy qui râla.

-          Ton frère m’inquiète, lui avoua la mère à voix basse.

-          Je sais, il est collé. Il va détester l’école. Il fera des petits boulots, comme moi. Maintenant,   fiche-nous la paix.

En larmes, Jessica alla s’effondrer dans le canapé de la salle à manger. Au bout d’un moment, Freddy apparut, un peu penaud, et alla s’asseoir à côté d’elle.  

-          Excuse-moi, maman. Je ne peux pas me rendormir. Mais… j’ai peut-être une idée.

-          Une idée pour quoi ?

Et Jessica renifla.

-          Maman…

Freddy la prit dans ses bras, l’embrassa.

-          Je le sais, ce qui nous manque, dit-il.

-          Oui, de l’argent… Excuse-moi. 

-          Non, ce n’est pas à ça que je pensais. Je connais un cousin de Quentin, qui a dix-sept ans comme moi. Quentin est bon en classe parce qu’il est curieux, et… il lit.

-          Excuse-moi, mais que font ses parents ? Sans doute pas éboueur et vendeuse…

-          La mère de Quentin est documentaliste, et le père dirige une petite entreprise. Je suis allé une fois chez eux, il y a pour trois siècles de lecture ! Mise là-dessus, programme une rencontre, je ne sais pas… L’Avare de Molière était au programme, quand j’étais moi-même en 4ème.  Je n’y ai pas compris grand-chose, mais enfin, ça fait rire…

-          Merci, Freddy.

-          Vas donc te coucher, maman.

Et le jeune homme embrassa encore sa mère. Un peu rassurée, Jessica put retourner se coucher.

Les jours suivants, elle se débrouilla, à la boutique, pour demander à partir plus tôt au moins une fois, sous prétexte de voir un des professeurs de son fils cadet. Jason fut tout surpris, en la voyant parmi tous ses amis.

-          Qu’est-ce qu’elle est belle, ta mère ! lui dit son meilleur ami, Matthieu. Dommage qu’on ne la voie pas souvent…

En effet, Jessica était tout sourire, au milieu de ces adolescents.

-          Madame Lacaze ! Matthieu a raison ! lui  lança Quentin, qu’elle reconnut à sa figure avenante et à son regard pétillant.

-          Tu voulais voir un de nos profs ? fit Jason, un peu contrarié.

-          Pas forcément. Je voudrais m’occuper de toi… Et si vous veniez goûter chez moi, les garçons ?

Et Jessica regarda Matthieu et Quentin.

-          Oh, cool ! firent les deux garçons, et Jason, bien que surpris, en fut très content : ce n’était pas tous les jours que les copains venaient chez eux…

Jessica avait fait un gâteau tout simple, et les trois garçons et son mari s’en régalèrent. Mais Quentin remarqua tout de suite ce qui manquait : des livres. Il n’y fit qu’une allusion, tout en parlant, alors que Matthieu regrettait que Jason n’ait pas le mercredi suivant à cause de ses heures de colle.

-          Non, samedi je m’occupe de toi, dit Quentin à Jason. Je t’emmènerai voir quelque chose que tu ne connais sans doute pas.

La curiosité en éveil, et aussi parce que c’était quand même un copain, Jason accepta. De plus, Quentin insinua qu’il y aurait peut-être des filles…

Aussi Jason fut-il très surpris, le samedi venu, de se retrouver devant la bibliothèque municipale de la ville.

-          Tu vas voir, tu n’es pas obligé de payer, et tu pourras… choisir tranquillement ce que tu veux lire, lui expliqua Quentin en essayant de ne pas lui faire peur. Si tu ne sais pas, il y a des adultes qui peuvent t’aider.

-          J’aime pas lire, grommela Jason.

Mais Quentin avait prévu le coup, et avisa la jolie Vanessa, qui arrivait dans le même but que lui. A vrai dire, Quentin avait combiné tout cela, sachant très bien que Jason en était amoureux.

-          Même avec Vanessa ? C’est une habituée…

Cette dernière entra dans la bibliothèque après avoir fait un discret clin d’œil à Quentin, tout naturellement. Jason se serait liquéfié, en la voyant passer, mais il se reprit et décida de rentrer dans le bâtiment inconnu, un Quentin hilare à ses trousses.

-          Vanessa, où vas-tu ? demanda Jason.

-          Chut ! Ici, si on parle, ce n’est qu’à voix basse. On voit que c’est la première fois que tu viens…

Jason se retourna vers Quentin, quelque peu contrarié. Ce dernier lui dit à voix basse, alors que Vanessa franchissait le portillon :

-          Tu pourras mieux la draguer, puisqu’elle est là… et en toute discrétion.

Comme il était derrière Jason, cela ôtait toute retraite possible au jeune garçon. Alors Jason entra dans la grande salle de la bibliothèque, et poussa une exclamation, ce qui amusa ses amis. Dans un premier temps, il suivit Vanessa du regard, qui allait rendre les deux livres empruntés une fois précédente. Quentin, lui, n’en avait pas à rendre, et il entraîna Jason au milieu du rayon de science-fiction, qu’il lui montra.

-          Mais il y en a beaucoup trop ! se récria Jason, et Quentin mit un doigt sur sa bouche. Oh, pardon…

-          Tu n’es pas obligé de tout lire. C’est impossible, et c’est ce qui est fascinant. Il suffit de trouver le bon livre.

Jason haussa les épaules.

-          Comment veux-tu que je le sache ?!

-          C’est bien pour ça que je suis là…

Mais Jason lorgnait vers Vanessa.

-          Jason ! le rabroua gentiment Quentin. Tiens, regarde, tu peux commencer par Wells, avec L’homme  invisible… C’est un très bon auteur. Ou bien des nouvelles, si tu préfères, je vois Bradbury… Tu peux aussi lire une nouvelle confortablement assis, et remettre le livre en place si ça ne te plaît pas… Les bibliothèques sont là pour ça.

-          Mais Vanessa…

-          Qu’est-ce que tu crois qu’elle va faire ?

-          Alors je chercherai un livre avec elle… peut-être. Si elle veut bien de moi…

Quentin étouffa un rire.

-          Regarde au moins les quatrièmes de couverture…

-           Les quoi ? Et à supposer que je prenne un livre, je ne pourrai pas le payer.

-          Si tu veux emprunter, ce sera sur ma carte à moi. Laisse-toi faire. Regarde donc le résumé de L’homme invisible, au moins.

Un peu à contre-coeur, Jason obéit.

-          Eh ! fit-l, puis il baissa la voix. Oui, pourquoi pas…

A ce moment précis, Vanessa était de l’autre côté, dans les romans du XIXème siècle, et un livre tomba, puis d’autres. La jeune fille devait les retenir, en prit un sur le pied, et eut un « ouch ! » Sans lâcher le volume de Wells, Jason fila l’aider à tout remettre en place.

-          Ça va ?

Et il se pencha en même temps qu’elle, eut le nez sur une épaule et aussi ses avantages féminins. Il n’osa pas la toucher, troublé, ramassa deux livres, et un troisième, grand ouvert sur un dessin de carte au trésor, attira son attention. Il posa les livres, et saisit celui à la carte.

-          Tu cherches un roman d’aventures ? demanda Vanessa.

-          Je… je sais pas. Je m’attendais pas à…

Jason ne trouvait pas ses mots.

-          Qu’est-ce que tu cherches, alors ?

-          Mes… mes mots, souffla-t-il, et la carte du livre sembla grandir, grandir, le prendre, l’envelopper.

Il entendit Vanessa rire, appeler Quentin, et il disparut.

 

-          Où suis-je ? fit Jason en apparaissant dans un univers inconnu.

Il regarda les arbres, le soleil qui commençait à descendre vers l’ouest, et entendit une drôle de voix qui faisait « Pièces de huit ! Pièces de huit ! » Jason vérifia qu’il était bien là, entier, dans son jogging informe et avec les lacets de ses baskets à l’avenant.

-          Pièces de huit !

Il rassembla tout son courage, et décida d’aller voir ce qu’était ce bruit. Il savait à peu près reconnaître celui du vent dans les arbres, il  lui semblait que cet endroit n’était pas désert vu ce qu’il entendait par ailleurs. Mais « Pièces de huit ! «  sur ce ton nasillard ? Il fit quelques pas devant lui, au hasard, et découvrit une plage.

-          Merde ! J’ai pas mon maillot de bain !

-          Que dites-vous, jeune homme ? fit une voix, et quelqu’un approcha avec une démarche étrange.

-          Pièces de…

-          Tais-toi, toi ! fit l’arrivant à son perroquet.

-          Crââ !

Jason les regardait, sidéré. Il n’avait jamais vu un perroquet de sa vie, et celui-ci avait un plumage magnifique, de toutes les couleurs, juché sur l’épaule de celui qui devait être son maître. Ce dernier marchait à l’aide d’une béquille, calée sous son épaule gauche, car il lui manquait une jambe. Son air intimida Jason.

-          Excusez-moi monsieur, dit-il enfin, mais où suis-je ?

-          Sur une île au trésor, mon garçon. Mais d’où diable sors-tu ? Quel est cet accoutrement ?

Jason ne comprit pas.

-          Pardon ? Je… j’étais dans une… une…

Le pirate partit d’un franc éclat de rire, et le perroquet en secoua ses plumes, de surprise.

-          Je vois ! Tu cherches les mots !

-          Oh, mais un trésor, ça me va très bien aussi… fit Jason, tout décontenancé.

-          Je ne partagerai pas. Il faut aller vers le large, mon garçon. Le trésor ici a été trouvé, mais il y en a plein d’autres…

-          Mais comment repartir ? Je sais même pas comment je suis arrivé ici !

-          Déjà, fais tes lacets. Et après, décampe !

-          Oui mais comment ? insista Jason, comprenant au contexte. Je vois un bateau, mais…

-          Ah non ! J’ai assez d’un petit jeune homme qui me met des bâtons dans les roues ! Vas donc dormir, ça te remettra les idées en place.

-          Pas tout de suite ! Je vais voir à quoi ressemble cet endroit.

-          Soit. Mais sois parti demain !

-          Euh… je… Oui monsieur.

-          On m’appelle Silver. John, pour les intimes. Si tu retournes dans ma patte, n’en rajoute pas avec tes « monsieur » ! Allez, file !

Jason préféra obtempérer, laissant tomber l’idée d’un bain dans la mer, et retourna dans la forêt tandis que Long John Silver lui lançait :

-          Tes lacets, jeune homme !

Maté, Jason préféra obéit. Il savait au moins qu’il fallait se méfier des racines des arbres… D’ ailleurs, il regarda autant que possible où il mettait les pieds. La canopée bruissait du son des oiseaux et des singes qui y cavalaient, et Jason avait un peu peur de se retrouver face à des animaux sauvages, lui qui n’aimait que les chats et les lapins… Les serpents, surtout, lui auraient fait peur. Cet environnement ne lui était pas du tout familier, aussi son cœur battait-il la chamade. Souvent, il s’appuyait sur un arbre. Elle était bien loin, la bibliothèque ! et il ne comprenait rien à ce qui lui arrivait. Il en était tout étonné. Il finit par s’asseoir sur une souche, non sans vérifier qu’il pouvait y poser les fesses. Il reprit peu à peu ses esprits, n’osant appeler. En plus, il avait faim. Il n’allait pas souvent au grand air, or cela creusait l’estomac, surtout à un adolescent en pleine croissance. Que faire ? Dormir ? Le soleil baissait vers l’ouest… Jason en était là de ses réflexions, quand les buissons bruissèrent, découvrant un homme uniquement vêtu d’un pantalon, à la barbe et aux cheveux hirsutes.

-          Ça va, l’ami ? fit-il.

Jason le regarda et eut un peu peur. Cela lui fit repenser à sa précédente rencontre sur l’île, et il se méfia.

-          Oui… comment vous appelez-vous ?

-          Ben. Et toi ?

-          Jason. Pourriez-vous m’aider ? Je suis perdu, et j’ai faim.

-          Je ne sais pas d’où tu viens, mais tu es drôlement habillé…

-          Votre tenue est sûrement plus adaptée au… climat.

Cela fit rire Ben, qui lui enjoignit de le suivre, et tous deux allèrent dans une petite cabane de branchages. Jason put se restaurer avec une nourriture dont il n’avait pas l’habitude, mais cela fit son effet, et il se sentit mieux après. Puis Ben le fit parler.

-          Oui, j’ai le trésor… reconnut-il, mais le grand patron ne te le cédera pas. Il n’est pas pour toi. Il a eu raison de te dire de dormir. Tu rêveras, et tu sauras ce qui est le mieux pour toi. Dans une heure, il fera noir.

De toute façon, Jason n’en pouvait plus de fatigue, et une heure plus tard, il dormait du sommeil du juste, malgré des conditions spartiates. Etait-ce pour cela qu’il se réveilla deux heures plus tard ? Il se retourna sur sa paillasse, et vit une lumière bleue approcher de lui. Il se souleva un peu, cligna des yeux, eut un « ouch ! » à cause des branchages qui s’enfonçaient dans ses côtes.

-          Ne bouge pas, fit une voix douce, féminine. Je vais t’emmener là où tu veux aller.

-          Mais qui êtes-vous ?

-          On m’appelle Azzurra. Cela veut dire « bleue », en italien.

-          Mais je ne vous vois pas…

-          Dis-moi comment tu t’appelles.

-          Jason.

-          Comment ? Djaisonne ?

-          Je sais, j’ai un mauvais accent, en fait je suis français. Je suis nul en anglais.

-          Ah ! Tu veux dire Jason, l’Argonaute ! C’est un très beau nom.

-          L’Argonaute ?

-          C’est une histoire très ancienne. Suis-moi, je te la raconterai.

Jason n’avait rien contre, et en plus la femme qui lui parlait semblait invisible. Il se leva donc, curieux, et dit :

-          Je voudrais voir à quoi vous ressemblez… ou alors, c’est que je suis en train de rêver.

-          Sortons d’ici, alors. Même si tu me verras mieux quand il fera jour.

-          Et… Ben ? Que dira-t-il ?

-          Je m’en occupe.

Jason distingua un objet qui tapa sur le nez du dormeur, tenu par une jolie petite main, comme si c’était une baguette magique. Mais ce que c’était lui échappait tout à fait. Il aurait voulu le saisir, mais l’objet disparut, et la petite main saisit la sienne pour l’entrainer hors de la cabane.

-          Oh !

La femme était petite, ses cheveux bruns formaient un chignon branlant dont s’échappaient de jolies boucles, et elle était vêtue d’une robe bleue plutôt courte, sur des jambes effilées. En outre, elle avait la taille fine et une jolie poitrine. « Comme Vanessa, mais en mieux », pensa Jason, subjugué.

-          Je comprends pourquoi on vous appelle « bleue », dit-il enfin.

-          Et tu le comprendras encore mieux quand il fera jour. Pour l’instant, nous devons partir.

-          Où ? Et comment ? Monsieur Silver m’a dit de filer, mais je sais même pas ce que je fiche ici et comment en sortir !  A moins de nager, c’est une des rares choses que je sais faire…

-          Je te le déconseille. Il y a des requins dans le coin…

Jason en laissa tomber les bras, déjà découragé.

-          Mais… euh… Allez-vous m’aider ?

-          Bien sûr. Comment veux-tu partir ?

-          Si seulement je savais comment je suis venu !

-          Je crois que tu as des choses  à découvrir. Dis voir, si tu as une idée.

-          Je ne vois que le bateau… mais je sais pas en faire.

-          Je vais t’aider. Donc, un bateau. Comment le vois-tu ?

-          Petit, juste pour vous et moi. Mais à part ça…

-          Je vois, fit Azzurra, et l’objet qu’elle avait utilisé pour Ben réapparut dans sa main. Il était une fois !

Jason reçut un coup de papier sur le nez sans s’y attendre, et regarda sa compagne, perdu.

-          Mais qu’est-ce que c’est ? fit-il.

-          Le meilleur moyen de ne pas se perdre dans ses aventures. Maintenant, tu peux imaginer le bateau dans lequel nous allons quitter cette île.

-          Mais je…

-          Tout le monde a de l’imagination, il suffit de la titiller. Allons sur la plage, et dans une heure, nous serons partis.

Au grand étonnement de Jason, Azzurra lui fit concevoir un petit bateau, qu’il voulut à moteur, et elle tint sa promesse : une heure plus tard, ils étaient effectivement partis, sur une petite vedette. Il y avait même un coin où dormir. Azzurra savait que les adolescents avaient besoin de sommeil, en outre Jason aurait été bien embarrassé pour conduire même ce genre de petit bateau.

-          Je mets le cap à l’est, dit-elle, comme ça, revenir en Europe sera plus facile. Vas donc te recoucher.

Jason y fut beaucoup plus à l’aise que dans la cabane de Ben Gunn… L’aventure commençait à lui plaire, il était ravi de son bateau. Le matin venu, Azzurra vint lui demander ce qu’il voulait pour le petit déjeuner.

-          Des céréales, du lait, du jus d’orange… Eh !

Tout ce qu’il avait dit apparaissait au fur et à mesure, et Jason regarda Azzurra, stupéfait. En outre, de jour elle était encore plus belle, avec des yeux d’un bleu qu’il n’avait jamais vu.

-          Tu vois, que tu as du pouvoir, dit-elle doucement, et elle disposa les denrées sur une petite table. Par contre, tu manques encore un peu d’imagination… Je parie que c’est ce que tu prends tous les matins. Un autre m’aurait demandé des viennoiseries !

-          Quoi donc ?

-          Genre croissants, pains au chocolat, chauss…

-          Oh oui ! Deux pains au chocolat !

-          Bah voilà !

Et Jason mangea tout puis, rassasié, alla sur le pont. La mer était calme, mais aucune terre n’apparaissait à l’horizon.

-          Si tu as faim, tu sais quoi faire, maintenant. A moins que tu veuilles apprendre à pêcher…

-          J’aime pas le poisson.

-          Que vous êtes difficiles, toi et tous tes semblables ! s’exclama Azzurra. Je te prouverai que c’est délicieux. Mais d’abord, avancer.

Le bateau filait donc, sur une mer étale. Jason regardait ce qu’il s’y passait, fasciné : les baleines, les ailerons de requins qui dépassaient… De temps en temps, un poisson volant sautait hors de l’eau. Pendant ce temps-là, tout en maintenant la direction, Azzurra lui racontait les aventures de Jason et des Argonautes, et il écoutait avec plaisir. Il voulut savoir qui était Hercule, Azzurra enchaîna. Quand il ne comprenait pas un mot, elle le lui expliquait. Après l’histoire de Roland à Roncevaux, elle eut faim à son tour et, pour être sûre d’avoir du bon poisson, elle utilisa, outre une canne à pèche, son objet magique. Un peu plus tard, Azzurra servit à Jason une tranche de thon on  ne peut plus frais, accompagné de poivron et de riz. Il fut surpris d’aimer ça.

-          C’est autre chose que le thon en boîte de ma mère !

-          Rien ne vaut la fraîcheur, Jason. Tu permets que je le prononce à la française ?

-          Mais vous êtes française, ou italienne ?

-          Les deux, et même plus encore ! fit Azzurra, amusée. Mais j’apprécie que tu me poses des questions. Alors on pourra faire quelque chose de toi.

Jason eut un grand sourire.

-          J’aime beaucoup la façon que vous racontez des histoires.

-          La façon dont vous racontez des histoires. Mais tant mieux. Je crois que je sais d’où tu viens, Jason. Quel est ton milieu. Tu n’as pas envie de te faire beau ? Tu sais que tu peux faire apparaître ce que tu veux, ici.

-          A  part un jean, franchement…

-          Si tu veux draguer les sirènes…

-          Non, je n’aime que Vanessa. Et… et vous.

-          Alors, je te le demande. Et je te rhabille, décida Azzurra.

Habillé d’un jean et d’une belle chemise, des baskets propres, et lacées, aux pieds, Jason n’était clairement plus le même. Azzurra dompta les cheveux du jeune homme, en coupa une partie, puis s’exclama :

-          Mais tu es magnifique !

Jason rosit, n’ayant pas l’habitude qu’on le complimente, et cela fit rire Azzurra.

-          Allez, cap à l’est. En route pour une autre île !

Le soir venu, après bien des histoires, Azzurra mit le bateau au mouillage dans une petite rade, et ils descendirent à terre, sur une nouvelle île, où ils furent très bien reçus. En réalité, on les traita comme des dieux, par des petits hommes brun- rouge, qui allaient uniquement vêtus d’un pagne, les femmes avec aussi un bandeau sur la poitrine. Certaines tenaient des petits enfants dans leurs bras. Azzurra semblait connue, les enfants un peu plus grands coururent à elle. Jason était surpris de comprendre ce qu’ils se disaient, lui si mauvais en langues. Il profita lui aussi des histoires qu’on réclamait à Azzurra. Ils passèrent la nuit à terre, avec de meilleures paillasses que celles de Ben Gunn.

-          Vous voulez déjà partir ? firent, déçus, les habitants de l’île en voyant leurs hôtes se lever le lendemain matin.

-          Je suis en mission, déclara Azzurra avec un petit sourire charmant, et Jason la regarda, étonné. Si, je dois te mener à bon port. Tu n’as pas encore tous les mots.

-          Je… Vous…

-          Tu vois bien.

Autour d’eux, on souriait, et on finit par les laisser partir. Une fois dans le bateau, Jason était tout songeur.

-          Qui êtes-vous, Azzurra ? finit-il par demander, alors qu’ils repartaient.

-          Oh, je ne suis qu’une guide… Tiens,  je vais te montrer  comment on dirige un bateau. Il faut aussi que tu saches faire tout seul.

-          Alors vous me quitterez ?

-          Pas avant la fin de ta quête.

-          Mais je… bon.

Azzurra avait un regard très doux, Jason aurait voulu la prendre dans ses bras.

-          Tu ne veux pas continuer ? demanda la petite femme bleue.

-          Si… si.

Et ils repartirent. Une fois Jason plus à l’aise aux commandes, Azzurra recommença à raconter des histoires au jeune garçon, qui lui semblait grandir. Au bout de deux histoires, Jason se surprit à  demander :

-          Mais comment puis-je vivre tout cela, avec vous ?

-          C’est tout simplement ton imagination qui se réveille. Je n’ai eu qu’à t’emmener. Tu vois ? Il suffit de presque rien, la mer, les aventures… Ça te plaît ?

-          Oui, répondit Jason, fasciné par les yeux d’Azzurra qui pétillaient, et qui n’avaient jamais été aussi bleus.

Elle le perçut, s’en amusa d’un rire clair.

-          Là où je t’emmène, ça va être l’apothéose. Tu vas voir.

-          La… quoi ?

-          C’est une très belle aventure, que tu es en train de vivre. Tu t’en souviendras toute ta vie.

-          Je l’espère, Azzurra.

-          Tu vois, tu commences à rouler les r ! Et ils rirent tous deux. Allez, tiens bien le bateau. Tu as compris la manœuvre ?

-          Oui. Et c’est bien mieux qu’un scooter ! ajouta Jason, ravi d’y parvenir.

Ils arrivèrent sur une petite île luxuriante à la mi-journée.

-          En fait, je voudrais retrouver  Vanessa à la bibliothèque…

-          Il n’est pas encore temps, déclara Azzurra. Il te manque encore les mots !

Jason soupira.

-          Bon. Mais cette fois, je voudrais me baigner… s’il n’y a pas de requins.

-          Alors, utilise ton imagination.

Jason imagina un filet un peu plus loin au large, pour éviter toute rencontre de ce genre, puis fit apparaitre son maillot de bain. Azzurra le regarda évoluer, fascinée à son tour. Jason nageait un crawl impeccable, et connaissait même la brasse papillon. Il resta un bon moment à se baigner, à chevaucher presque les vagues. Il en ressortit enchanté, fit apparaître uen grande serviette dans laquelle il se sécha. Pendant ce temps-là, Azzurra avait fini par aller lever un lapin, qu’elle lui servit avec des champignons sauvages. Jason dévora, et elle aussi, à vrai dire. Azzurra n’avait pas manqué de cueillir des fruits inconnus, au goût incomparable.

-          Vous savez tout faire, lui dit Jason à la fin du repas. Vous êtes comme une… une mère.

-          Je t’ai raconté pas mal d’histoires, depuis hier. Mais les ados… ça mange. Et ça a besoin de se défouler.

-          Mon père dit ça aussi.

Tous deux se regardèrent en souriant.

-          Que fait ton père ?

-          Il est éboueur. Il aurait voulu être prof de sport, c’est vous dire… Mais il a raté plusieurs fois le concours, à cause de son orthographe, et surtout parce qu’il dit ne pas être capable de… comment dit-il ? de monter un… projet… pédagogique.

-          Un esprit sain dans un corps sain, fit doctement Azzurra. C’est dommage.

-          J’ai des parents adorables, mais… pas armés pour nous aider, mon frère et moi.

-          Mais les mots commencent à te venir.

-          Oui, je le sens.

-          Alors tu es mûr.

-          Attendez… j’ai besoin de digérer un peu. En attendant, racontez-moi encore une histoire.

Azzurra s’exécuta bien volontiers, ravie de voir l’adolescent dans de telles dispositions. Il lui semblait qu’il grandissait de plus en plus. Enfin, à la fin de l’histoire, ils se levèrent, et Jason suivit Azzurra jusque vers une grande grotte.

-          Connais-tu le mot de passe ? lui demanda-t-elle alors.

-          Euh… avoine… non.

-          Je t’ai raconté cette histoire hier après-midi. Souviens-toi.

Jason ferma les yeux pour mieux se souvenir, puis lança :

-          Sésame, ouvre-toi !

Une immense porte s’ouvrit dans la falaise, et Azzurra intima à Jason d’entrer avec elle. Il y avait là beaucoup d’objets hétéroclites, certains brillaient comme de l’or. Le jeune homme était émerveillé. Il y avait des lampes, des jarres à huile, des malles, des robes de toutes les couleurs suspendues à des cintres, des tableaux figuratifs, quelques vieux grimoires. Azzurra s’assit sur un genre de petite chaise curule, et dit à Jason :

-          Tu vois, c’est mon petit domaine. Maintenant, il faut que tu trouves la clef de la porte du fond, et alors tu trouveras la malle au trésor. Vas-y, explore.

Jason ne se le fit pas dire deux fois, faillit en oublier l’objet de sa quête. Mais Azzurra ne s’impatientait pas. Pourtant, elle ne donnait aucune indication pour l’aider. Quand Jason relevait la tête pour la regarder, elle était là, un livre à la main, très absorbée. Il sentit qu’elle y passerait l’éternité, s’il ne se reprenait pas. Alors au bout d’un moment, ce fut lui qui s’impatienta.

-          Cette clef, bordel de m….

-          Je te demande pardon ? Cherche des mots plus adaptés, s’il te plaît !

-          Pardon.

-          « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage », cita encore Azzurra, et elle se replongea dans son livre.

Voyant cela, Jason commença à être pris de mauvaise humeur. Il donna un coup de pied dans une jarre qui se trouvait là, et entendit un « ssss… » qui le fit frémir.

-          Non ! fit-il.

Azzurra releva la tête, seulement pour dire « Tu vois ? » Terrorisé, Jason vit le serpent se lever vers lui et le regarder.

-          Azzurra ! lança-t-il.

La bestiole devait faire facilement trois mètres de long, ses anneaux se déliaient, mais, tout doucement, il alla plutôt vers Azzurra sur son petit siège. Jason respirait très fort, dut s’asseoir à son tour, sur le sol. Son cœur battait la chamade.

-          Azzurra !

-          C’est à toi de jouer ! N’oublie pas la clef !

Jason se remit à chercher, le sang battant à ses tempes. Azzurra lisait toujours, et le serpent se lovait à ses pieds, la tête sur ses genoux. Elle posa une main sur lui, et Jason comprit qu’il ne pourrait se fier qu’à lui-même. Alors il se rassit, et tenta de réfléchir posément. La clef n’était pas dans les jarres, ni dans l’espace laissé par le serpent. Que n’avait-il pas regardé ? Il avait exploré les malles, regardé derrière les tableaux, fouillé dans les poches des robes. Enfin, il sauta sur ses pieds : les grimoires ! Il en saisit un, et se mit à lire, à la recherche d’il ne savait pas bien quoi. Il tourna les pages, utilisa des sommaires, et enfin tomba sur ce qu’il cherchait : comment retrouver des clefs. Il tourna sept fois sa langue dans sa bouche, ferma les yeux et prononça  la formule ; et la clef apparut dans sa main.

-          Bravo ! lui dit alors Azzurra. Il n’y a plus qu’à ouvrir la porte du fond.

La petite femme bleue était à côté de lui, et il l’attira à lui et l’embrassa sur chaque joue.

-          Oh, ce n’est pas fini, puisque tu es toujours là… lui fit-elle. Viens.

Et la malle promise s’ouvrit à lui. Jason ne fut guère étonné d’y voir des livres, eut un clin d’œil pour Azzurra.

-          Il te manquait un mot, lui dit-elle. Le mot « apothéose ». Prends le dictionnaire, et trouve-le. Mais d’abord, n’oublie pas ceci.

Et elle lui donna son objet magique : un marque-page bleu. Alors Jason s’exécuta. Cela lui prit un peu de temps, et enfin…

 

-          « Pièces de huit ! Pièces de huit ! «  lisait Jason, y mettant le ton avec bonheur.

-          Encore, papa !

-          « Pièces de huit ! »

-          Encore à faire l’andouille avec notre fils ?

-          Oui, ma petite fée…

© Claire M. 2021

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l'imagination au pouvoir
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