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l'imagination au pouvoir
23 février 2022

Histoire d'un DJ

La relève des grottes de Lascaux.

 

-          Hourra ! fut le cri unanime, quand la bête énorme s’éteignit enfin, sous les coups  des hommes.

-          ‘vais allumer feu, déclara tant bien que mal le vieil Aor.

Leurs appareils phonatoires n’étaient de toute façon pas tout à fait au point, aussi personne ne pouvait le remarquer.

Les plus jeunes se mirent à observer la scène : l’énorme masse du mammouth, frappé à mort pour leur donner la vie. Car tout dépendait de lui, à présent. Aor, qui était le chamane, avait assez de science pour allumer un feu, mais il commençait à ployer sous les ans et donc à diminuer. Aussi, il demanda à un enfant de venir près de lui, pour souffler sur les braises au moment voulu, et ainsi avoir un beau feu grand et clair. A vrai dire, la bête était tombée à plusieurs mètres de la grotte, il fallait donc fournir un effort supplémentaire pour le déplacement. Tous les hommes se mirent à dépecer, découper le mammouth en morceaux. Pour commencer, ils lui coupèrent ses longues défenses, pour les donner aux femmes, qui en feraient de menus objets. Puis il fallut prélever la peau de l’animal. Quelques enfants, tout excités, s’enroulaient dans l’épaisse toison du mammouth, il fallut les écarter pour ne pas les blesser. Tor, qui aidait Aor au feu, se félicita intérieurement d’avoir été choisi par le chamane pour cette tâche, car il savait très bien à quel point le silex pouvait être coupant, et donc dangereux. Dans cette ambiance, revigoré, Aor fit enfin apparaître une flamme, et Tor se mit à souffler, assez doucement, sous ses indications..

Bientôt, tous s’installèrent autour du feu, et Aor se leva, aidé de son bâton de marche.

-          ‘fais-tu ? lui demanda une femme qui venait de mettre à rôtir un gros morceau de mammouth.

Aor montra sa tête, de son index valide, puis la bête au loin.

-          Idée, répondit-il.

Et il alla chercher un morceau de peau, puis revint, et s’assit un peu à l’écart. Tous le regardaient avec respect, surtout Tor, encore très fier de l’avoir aidé à allumer le feu. Aor, voyant cela, esquissa un sourire, et prit un genre de plat creux, en bois, pour y fixer la peau. Tout le monde se demandait ce qu’il faisait.

-          ‘faudrait… quelque chose… pour, euh… fit-il.

Tous le regardaient d’un air interrogateur.

-          Pour tendre la peau ? demanda Tor le premier.

-          Oui. Brave graçon.

Et Aor tapota la tête du petit. Et en effet, Tor avait dû comprendre son idée, car il fila au mammouth muni d’un silex. Il revint un peu plus tard, avec des tendons de l’animal. Il bricola de ses petites mains un instrument, sous le regard bienveillant du chamane. Tor dut s’y reprendre à plusieurs fois, allant chercher de nouveaux tendons du mammouth, et enfin, après avoir mangé en dernier, il tendit leur invention au chamane, avec qui il partagea un regard d’intelligence.

-          Moi… pas tant… voix, fit Aor. Essai.

Et, tout doucement, par petites tapes, il émit des sons sur le premier tambour. Tous étaient émerveillés, à présent.

-          Je peux ? fit Tor.

-          Oui, enfant.

Et il donna l’objet au petit. Et Tor composa aussitôt quelque chose. Le son portait, dans la grotte, et il eut comme une révélation. Mais il sentit aussi qu’il fallait perfectionner le système, pour ne pas crever la peau. Aussi, pendant l’hiver, son activité fut toute trouvée. Désormais, de plus en plus, couplé au feu, l’instrument éloigna les bêtes sauvages, ce qui sauva probablement des vies. Ses aînés ne regrettèrent pas la peine qu’ils s’étaient donnée pour faire du bois ce que Tor attendait, brûlant le reste pour se nourrir, se chauffer et avoir de la lumière. A la fin de la saison, Tor jouait de cet instrument, auquel il ne savait donner de nom, et les hommes battaient la cadence, tandis que les femmes dansaient en entrechoquant leurs bijoux d’ivoire de mammouth. Mais Tor était insatisfait, sentant qu’il manquait quelque chose. Une véritable étincelle, se disait-il.

Puis le printemps arriva, et la nature fut un peu plus hospitalière. A vrai dire, Tor avait envie de se dégourdir les jambes. Aussi, pendant quelques temps, il joua avec ses pairs, sous l’œil de ses parents, qui étaient très fiers de lui et de ses inventions. Malgré cela, son père lui fit comprendre que sa première véritable initiation serait de partir à la chasse avec des adultes. Dans cette optique, le père de Tor lui  enseigna à observer silencieusement la nature, et à manipuler les armes pour pouvoir tuer des animaux. Cela soulagea sa mère, qui était de nouveau enceinte. Tor ne comptait plus ses frères et sœurs, ceux qui étaient en vie et ceux qui avaient disparu très vite. Il était leur deuxième, c’est tout ce qu’il savait. Il avait eu un grand frère, mort lors de l’hiver précédent, de maladie. De ce fait, il s’était retrouvé aîné d’une demi-douzaine de frères et sœurs. Depuis son invention avec le chamane, ce dernier avait envie de lui passer la main en lui enseignant son art, mais le père de Tor en avait décidé autrement. Aussi, quand le soleil darda ses rayons, après la moitié de la saison, il emmena les hommes en chasse, avec son fils. Tor avait développé sa vue, et avait surtout de bonnes jambes pour courir. Ils échappèrent tous à un troupeau de bisons, lors de sa deuxième chasse, mais Tor leva plusieurs lièvres grâce à une petite arme de jet que son père avait confectionnée pour lui. Son père ébouriffait sa grosse tignasse, quand ils revinrent au camp.

-          ‘érie.. fier de Tor…

La mère du petit avait un grand sourire, en les voyant revenir avec tous ces lièvres, plus que ce que les mains de Tor pouvaient porter. Il y en avait une dizaine au bas mot. Et ils n’étaient que les premiers à revenir ! La chasse, ce jour-là, avait été excellente. De joie, Tor reprit son petit tambour, dont le son s’éleva dans la grotte, ce qui donna de l’ardeur aux femmes pour préparer le repas. Avec tous ces lièvres, ce bison resté en arrière et tué par un de leurs hommes, et, entre autres, quelques œufs de cailles qu’ils avaient trouvés, il y avait de quoi faire un festin.

-          Excellent élément, dit Aor en posant une main sur la tête de Tor, se tournant vers le père.

-          Bon chasseur, fit ce dernier.

-          Pas dispute, fit la mère, méfiante.

-          Oui ‘érie. Mm… mm… ménage-toi.

-          Quand terme ? lui demanda Aor.

-          Prochaine saison… répondit évasivement la mère de Tor.

Tor et Aor se regardèrent.

-          Moi… moi… vieux, rappela Aor.

A vrai dire, Tor ne savait pas très bien ce qu’il voulait. Il avait passé l’initiation de la chasse avec succès, mais il se voyait plutôt fabriquer des instruments. D’autres tambours, déjà. Ou tailler des silex. Mais il ne savait comment le dire, gêné par un cerveau encore relativement rudimentaire, même s’il émettait plus facilement des sons que les générations précédentes. Il était encore trop jeune, trop limité pour exprimer tout ce qu’il avait en lui. Il ne répondit rien, échappa aux adultes et récupéra la peau de bison, les tendons.

Son deuxième tambour eut un son légèrement différent du premier, un peu plus puissant. Tor avait bien tendu la peau, et au bout d’un moment, il put s’enhardir et sa musique s’éleva. Tous levèrent la tête.

-          Gamin a… don… fit Aor, subjugué. Encore, graçon !

-          Attends, lui dit Tor, et il alla lui donner lui donner le tambour dont ils avaient partagé la conception. Toi aussi.

Tous deux se regardèrent, et Aor eut un sourire édenté. Puis ils firent un duo. Les plus jeunes se mirent de nouveau à danser. Grâce à la saison, les journées rallongeaient, et cette fois-là, seuls quelques nuages cachèrent, mal, le soleil. Aussi il y eut une joyeuse sarabande. Le chamane eut une vision, ferma les yeux, un peu de salive coula, puis il se reprit.

-          Toi… plus tard… grand, dit-il à Tor.

Ce dernier avait un grand sourire. Il aimait la musique plus que tout, aussi il ne retint que ce qui lui servait pour cela, c’est-à-dire ne pas chasser les animaux uniquement pour leur chair. Il essaya tous types de peaux, apprit à manier des outils pour les corps en bois de ses instruments, perfectionna l’art d’utiliser les tendons pour fixer les peaux sur une caisse de résonance.

Lorsqu’il entra dans l’âge adulte, la fabrication des tambours n’avait plus de secrets pour lui. Il tournait de plus en plus autour des filles du clan, mais celle qu’il préféra fut Elana, pour son air franc et rieur, ses belles hanches, sa façon de marcher. Tout naturellement, ils eurent un premier enfant, qu’Aor accueillit avant de partir lui-même pour l’Au-delà. Ce dernier s’était fait une raison, et avait enseigné son art chamanique à un cousin de Tor qui s’intéressait aux pouvoirs des herbes, à la science plus ou moins médicale. Il était un peu plus jeune que Tor, et tous deux portaient le renouveau dans le clan. Les générations passaient, c’était ainsi. L’un et l’autre en étaient conscients. Elana aussi parlait mieux que leurs aînés. Ils en étaient à leur deuxième enfant, accroché au sein de la jeune femme, quand Tor remarqua :

-          Marre du tambour. Manque… quelque chose.

-          Quoi, mon chéri ?

-          Je ne sais pas… En changeant la forme de la… caisse, peut-être ?

-          Je ne vois pas ce que tu veux dire.

-          Fait rien. Je vais chercher.

Et Tor fit une provision de bois, à sculpter. Il aimait beaucoup sa compagne, ses hanches l’inspirèrent, et il en retraça les contours au silex, puis travailla son bois, passa du temps à imaginer un autre instrument que le tambour. Les flûtes en os l’intéressaient moyennement, il pensait à quelque chose de plus puissant. A chaque gros animal tué à la chasse, il prélevait les tendons et, à force de chercher, conçut    un instrument nouveau. Il eut le temps de perdre un enfant, d’en avoir un autre. Malgré cela, Elana continuait de le soutenir, Tor avait une certaine tendresse pour elle, la respectait beaucoup. La perte de leur enfant les avait affectés tous les deux.

-          Toi… pas comme les autres, dit Elana en voyant l’ébauche de l’instrument conçu.

-          Il manque quelque chose… mais je ne sais pas bien quoi.

-          Tu n’as pas utilisé de peau…

-          Je veux trouver quelque chose de… différent.

-          Qu’as-tu fait de tes tendons ?

Tous deux se regardèrent.

-          Je ne comprends pas, avoua Tor.

-          Viens voir.

Elana montra à son compagnon son métier à tisser rudimentaire, s’y installa et dit :

-          Ecoute.

Et elle se mit à pincer ce qui permettait d’utiliser l’engin.

-          C’est un tour de notre aînée, dit-elle alors qu’un léger son se faisait entendre.

-          Oh !

Tor tendit l’oreille, essaya d’en faire autant.

-          Les tendons ! Je sais !

Tous deux se regardèrent de nouveau, et Tor sauta sur ses pieds, pour aller voir leur dernière prise, s’il pouvait encore en récupérer quelque chose. Et en revenant, il fit un détour par une petite grotte où les femmes du clan bavardaient. Puis il monta un instrument avec des « cordes », au nombre de quatre car il n’en avait pas trouvé davantage, fixant celles-ci grâce à ce qu’il avait récupéré chez les femmes. C’est que leurs vêtements s’élaboraient aussi… Elana, de son côté, devenait experte en la matière.

Quand l’instrument fut prêt, tout doucement, Tor se mit à en jouer. Un son chaud en sortit, qui réveilla son petit dernier. L’enfant se mit à le regarder, subjugué ; tout s’arrêta, dans la grotte. Pourtant, il ne faisait qu’égrener des notes. Tor ne savait pas encore très bien comment il tiendrait le manche de ce qu’il avait créé, alors il chercha, améliora encore l’instrument. A la lune suivante, il inventa la sérénade, pour Elana… Mais il jugea utile de se procurer d’autres tendons, pour en faire autant de cordes. Son cousin chamane l’y aida. Le deuxième modèle de ce qu’il appela une « gratte » fut donc plus élaboré. En outre, le hasard, qui faisait bien les choses, cassa une sorte de cercle, quasiment sous l’endroit où Tor avait fixé les « cordes » pour pouvoir les tendre. Il était encore en train d’en jouer, et le son se fit rond, puissant. Il y passa encore du temps, perdit un autre enfant et en eut deux autres, deux beaux garçons robustes, des jumeaux. Elana avait eu un long travail, difficile, et fait le lien entre la conception, et la naissance des enfants. Aussi, quand elle se refusa à son compagnon, ce dernier finit par comprendre. Mais Tor était fidèle, et Elana une compagne attentive, qui le comprenait, le soutenait.  Il disait que, toute sa vie, il lui jouerait la sérénade, avec sa « gratte ». Leur fille, dès qu’elle fut en âge de comprendre, la lui chipa, mais l’instrument était trop grand pour elle ; Tor le transforma donc, revint à quatre cordes. Mais la petite, nommée Gaya, ne le prit pas comme il l’attendait, avec sa main droite.

-          Mais Gaya, non… je… tu…

-          Quoi, papa ? Moi aussi, je peux faire !

-          Ta main... là ! Celle-là ! Ce n’est pas comme ça !

-          M’en fiche ! fit la gamine, et elle insista, à caresser les cordes de bas en haut.

-          Par l’Ancien ! s’exclama alors Tor, en entendant le son que cela rendait. Joue encore !

Gaya eut un sourire de triomphe, et obéit, tandis que son père saisissait un tambour. Cette section rythmique marcha si bien, que tous arrivèrent dans leur coin de grotte, dont il faut dire que l’acoustique était excellente. Quelques hommes essayaient d’y représenter des scènes de chasse, pilant des couleurs, demandant à leurs enfants de tendre leurs mains pour les imprimer, à leur manière, sur les parois. Les jumeaux se mirent à les observer, émerveillés, tout en écoutant la musique de leur père et de leur sœur. Chacun avait plus de cœur à l’ouvrage, de ce fait-là. Le cousin chamane éteignit alors sa pipe, et prit une gratte pour les accompagner.

Le son coula très vite.

-          Il faut utiliser autrement notre bouche, suggéra le cousin. Mais je…

-          Oui ? !fit Tor, s’interrompant. Que veux-tu dire, Yaho ?

-          Euh… je ne sais pas… Attends. Mon aîné…

Et Yaho appela son frère aîné, puis ils firent des sons avec leurs bouches, et enfin, finirent par comprendre ce que voulait dire le chamane.

-          Attends, lui dit son frère, et il alla chercher son fils le plus jeune.

Le gamin, bien qu’encore petit, comprit vite ce qu’on attendait de lui : il lança un grand « Yeah ! » puis se mit à faire des vocalises, Tor frappa alors son tambour, Gaya sa petite basse, et Yaho la gratte.

Alors il y eut comme un éclair dans la grotte, à travers les siècles des siècles, et une voix tonitruante, sortant de la bouche d’un petit moustachu aux cheveux jusqu’au cou, qui lance :

-          C’est dans « Wango tango », le DJ des grottes de Lascaux qui repart à la chasse au mammouth ! Avec cette découverte, bande de petites graisseuses, bande de petits graisseux : Metallica, Hit the li i ights ! C’est dans votre boîte à tonnerre, retenez ce nom : Metallica !

Car, dès la Préhistoire, l’âge du metal avait commencé ainsi… Comment diable « tonton Zézé », sur RTL,  le savait-il, c’est ce qui reste un mystère…

 

© Claire M, 2021

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