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l'imagination au pouvoir
15 avril 2022

Chemin de traverse

Pour une fois, j'assortis quelques mots à ce texte pour lequel je m'y suis prise différemment, ayant été malade. Ne pas écrire ? Impossible pour moi, qui ai fait mienne la devise d'Emile Zola, c'est-à-dire "Pas un jour sans une ligne". Le chemin que j'ai adopté a été trouvé dans un cahier datant de l'année 2005. Inventer était peut-être compliqué, mais récupérer l'existant, cela, c'était possible. J'ai donc amélioré ce court texte qui, je l'espère, résonnera en vous. Dans ce contexte, il ne peut être que sans prétention, si ce n'est celle de passer un moment agréable, soit pour l'écrire (pour moi), soit pour le lire (pour vous).

Quant à moi, je me considère enfin comme guérie, car en plus, les idées affluent ! A bientôt des nouvelles !

CM

 

Liberté chérie

 

En sortant du bar, l’homme au chapeau gris buta sur quelque chose. Il se redressa, hoqueta, essaya de se rétablir, et lâcha quelques jurons avant de choir comme une loque. Son chapeau roula à terre, mais il ne s’en aperçut pas. Il macula aussi le trottoir, trop mal en point pour se relever, après tout ce qu’on lui avait fait boire pour se débarrasser d’une bande de voyous à son propre insu. Il n’était qu’un homme de paille… tellement ivre qu’il ne savait plus où il était et ce qu’il faisait.

-          Eh, l’ami !

L’homme dressa la tête, distingua un képi. La vision du gendarme lui fit faire le bravache, et il dit quelques gros mots. L’autre lui cloua immédiatement le bec :

-          Vos papiers !

Mouché, l’homme, désormais tête nue, obéit. Il retrouva non sans mal son portefeuille dans une poche de son pardessus, et en sortit sa carte d’identité.

-          Paul Martin, 1, 75 mètre…

Le gendarme compara la belle photo du document, avec le visage bouffi et tuméfié de son interlocuteur, qui grommelait encore des « allez vous faire foutre », ainsi que d’autres insanités à son encontre.

-          Très bien. Monsieur Martin, je ne vous demande pas de souffler dans le ballon ?! De toute façon, vous êtes en état d’arrestation : vous avez cassé deux nez, et quasi étranglé un homme, manifestement sous l’effet de l’alcool. Et histoire d’aggraver votre cas, vous venez de proférer des insultes à mon égard…

 

-          Où suis-je ? demanda Paul, soudain dégrisé.

 

-          Je suis votre… compagnon de cellule, répondit un homme mal rasé, aux vêtements rapiécés. Ils m’ont pris en train de brûler des cartons pour pouvoir dormir au chaud, près du local à poubelles d’un immeuble. Il paraît que je suis pyromane.

 

Paul le regardait, effaré. Quoi, se retrouver avec un vagabond ? Un tel loquedu ? Mais que s’était-il passé ? Sa tête lui faisait atrocement mal, et il était moulu. Il s’assit sur sa couchette en soupirant, comprenant qu’il était emprisonné. L’autre le regarda, et ricana.

-          Ils vous ont amené, la nuit dernière, vous étiez complètement gris. D’ailleurs, il a fallu faire le ménage à la porte. Au fait, puisqu’on est dans le même bateau, on va peut-être se tutoyer ?

La bonne éducation de Paul refit surface, et il eut un signe de dénégation.

-          Monsieur, nous n’avons pas gardé les cochons ensemble.

Le vagabond eut un rire gras.

-          Et tu sais, peut-être, combien de temps tu vas rester là ?! Si ça se trouve, t’en as pris pour plus d’un an, mon vieux !

Paul frissonna, tout d’abord, puis se fâcha.

-          On ne me parle pas comme ça ! J’ai été entraîné, je suis innocent !

-          Innocent ?

Le rire du vagabond résonna dans la cellule.

-          Bien sûr mon gars, t’es innocent ! Mais tout le monde est innocent,  ici !

Paul était furieux. Il invectiva son compagnon d’infortune, mais à présent qu’il était à jeun, la chose se révéla plus digne du capitaine Haddock, que vraiment méchant. Alors dans les cellules alentour, la diversion amusait.

-          Chouette, un petit nouveau !

-          Le petit nouveau vous emmerde ! beugla Paul, et il demeura prostré, assis sur sa couchette, le dos au mur, à cogiter toute la journée.

Il cogita encore le lendemain, puis les jours suivants, observant la vie dans une prison, enregistrant toutes ces nouvelles données. Au fil des jours, il subissait des interrogatoires. Le résultat de l’enquête était sans équivoque : il avait bel et bien tabassé trois hommes, manquant en tuer un, alors qu’il était en état d’ébriété. Ses soi-disant nouveaux amis avaient déguerpi sans laisser de traces, aussi ces preuves accablantes ne lui laissaient-elles aucune chance. Paul comprit vite de quoi il retournait, écœuré : il était incarcéré pour deux ans, et que faire de ces deux ans ? Les premiers temps, il resta anéanti, supporta son compagnon de cellule, qui se fichait bien de lui et de ses pensées. Mais cela ne dura que quelques jours et, assez rapidement, l’homme d’action qui sommeillait en Paul refit surface. C’est ainsi qu’un matin, il demanda à son codétenu :

-          Vous avez mis le feu à des cartons, c’est bien ce que vous avez dit ?

-          Ouais, j’ai fait ça ! C’est qu’il fait encore frisquet, la nuit, en cette saison ! Le problème, comme je t’ai dit, c’est que j’étais à côté de poubelles. Ha ! Quel feu de joie, t’aurais vu ça ! Magnifique ! Moi, ma foi, je me suis réchauffé ! Ils m’avaient cueilli pendant la nuit, et pour mon malheur, j’avais mon briquet à la main ! Mais quel con ! Mon briquet à la main ! « Circonstance aggravante », comme ils disent ! Bref, me voilà en taule, et bon, je suis au chaud, alors je me plains pas…

-          Vous ne voulez pas… Paul baissa la voix. Vous évader ?!

-          Pourquoi donc ? Par contre,  toi, si tu veux et que t’es malin, vas-y !

-          Vous me donneriez un coup de main ?

-          Quel drôle de gars tu fais, toi ! Enfin, comme tu veux. Tu aimerais que je sois ton complice, c’est ça ?

-          Pas si fort, nom de nom !

Et Paul échafauda son plan. Quelques jours plus tard, son compagnon assommait le plus discrètement possible le geôlier, alors que celui-ci apportait le repas. Puis Paul enfila ses vêtements à la place des siens, termina la tournée comme il l’avait vu faire, puis il sortit tranquillement de la prison. Il fit ses premiers pas dehors, quelque peu hébété par sa liberté retrouvée. Enfin, il se reprit et commença à courir, ce qui mit la puce à l’oreille des employés de la prison qui l’avaient vu sortir. Une course-poursuite s’engagea, et Paul avait pris la direction de la rivière, qui était non loin de là. Sur le point d’être rattrapé, il plongea.

 

Paul réapparut quelques mètres plus loin, en plein milieu de la rivière. Il reprit sa respiration, constata qu’on ne l’avait pas perdu de vue. Il replongea aussitôt et, avec de  grandes brasses malgré ses vêtements, suivit le courant sans se montrer, puis fit le mort une fois revenu à la surface. Enfin, il s’enfonça dans l’eau.

-          Il est fichu ! entendit-il.

-          Monsieur Martin ! Ne jouez pas au plus malin !

Il y eut un « blub ! » sous les quelques roseaux.

-          Il faut repêcher le corps ! Vite ! Peut-être peut-on le sauver !

Paul comprenait que son plan marchait. Il avait été maître-nageur, et connaissait les ficelles. Restant légèrement sous l’eau, il alla se plaquer contre le bord opposé de la rivière. Il entendit ses poursuivants courir, et risqua un œil : le personnel de la prison filait chercher de l’aide en sens inverse. Il sortit avec moult précautions, discrètement, côté forêt, où il courut s’abriter. Son corps, naturellement, ne fut jamais retrouvé, et on déclara Paul Martin mort noyé.

La forêt, à mesure qu’il avançait, devenait de plus en plus dense. Pour comble de malheur, même si la saison était belle, le soleil refusait de se montrer. Alors Paul se mit à errer, ayant perdu le peu de sens de l’orientation qu’il avait. Il voulait néanmoins sortir de là. Il perdit sa première journée de liberté à essayer de se retrouver. Il dut dormir à la fraîche, seulement vêtu de son slip et de son débardeur. Le lendemain matin, le soleil brillait, et ses vêtements étaient à peu près secs, aussi se crut-il sauvé, même s’il était transi de froid. Mais Paul avait oublié par où il était passé, et il perdit encore une journée pour tenter de prendre ses propres repères. Au bout du compte, il était de plus en plus perdu. Alors il décida de s’en remettre au hasard, et alla droit devant lui. Il se retrouva bientôt face à la rivière, et il là il prit peur, et partit en courant à travers la forêt.

Il se mit à manger ce qu’il trouvait, devait aussi se procurer d’autres choses à se mettre sous la dent. La tenue de son geôlier lui était utile, car il possédait au moins un  couteau à tout faire, même si le briquet avait pris l’eau. Paul se mit donc à chasser, perdant encore du temps pour pourvoir à ses besoins naturels, dormir. Mais il continuait à chercher une sortie, jusqu’au jour où il s’aperçut que finalement, cette vie au grand air lui plaisait beaucoup. Malgré les difficultés de la vie quotidienne, il ne s’était jamais senti si libre. Alors il ne fit que chercher une clairière où construire une cabane, et il s’y employa. Petit, il en avait faites, avec ses frères, dans la nature non loin d’Arcachon, et cela lui rappela cette période bénie. De ce fait, il se sentit bien, et surtout beaucoup plus léger. Ce n’était pas si vieux : il n’avait que trente-cinq ans. Il perdit du poids, prit de la barbe, et était redevenu l’athlète qu’il était dix ans plus tôt. Aussi Paul s’établit-il dans sa petite cabane, et se mit  à couler des jours tranquilles.

 

Il s’était déjà bien habitué à cette vie, lorsqu’un matin, il entendit des coups répétés à ce qui lui tenait lieu de porte. D’abord il se rendormit, croyant avoir rêvé. Mais les coups redoublèrent, puis il entendit une voix féminine :

-          Il y a quelqu’un ?

Paul fut tout surpris. Il avait presque oublié la civilisation. Sans prendre garde à sa nudité, il alla ouvrir, et vit une charmante petite femme aux cheveux emmêlés, en déséquilibre sur ses talons, l’air complètement perdu. Vite, il cacha sa virilité en rougissant.

-          Que faites-vous là ?

-          Eh bien je… je vis ici…

-          Ne soyez pas si bête ! Vous avez fait un pari stupide avec un ami, n’est-ce pas ?

-          Pas du tout, je…Attendez…

Paul enfila maladroitement ce qui restait de son pantalon, puis se reprit :

-          Que vous arrive-t-il ? Vous êtes perdue ?

-          Oui… Je cherchais des champignons… J’ai perdu le sentier.

-          Moi aussi j’ai perdu le sentier, fit Paul. Et puis j’ai construit cette cabane.

-          Et puis ? s’amusa la petite bonne femme.

-          C’est-à-dire que je… euh… j’avais perdu ma liberté.

-          Oui, vous aimez être libre et avoir le zizi à l’air !

Et la jeune femme s’esclaffa, alors que Paul rougissait de plus en plus sous sa barbe. Elle le regardait et il se sentait ridicule.

-          Mademoiselle, je… laissez tomber. Je ne sais pas où est la sortie, et je m’en fiche.

Et il voulut fermer sa porte, mais elle le retint.

-          Vous savez que vous êtes beau garçon ?

Paul ne s’était jamais senti aussi rouge. Il était tout à fait désarmé.

-          Vous… vous êtes charmante, dit-il enfin.  Comment vous appelez-vous ?

-          Je vous le dis à une condition.

-          Hum. Laquelle ?

-          Que vous vous rasiez. Vous devez être encore plus beau bien rasé.

-          Si vous saviez comme je m’en fiche !

-          Pas moi.

-          De toute façon, je ne sais plus ce que c’est qu’un rasoir, je n’en ai pas. Je n’ai rien pour faire ça.

-          Qu’à cela ne tienne ! Je vous passe le matériel.

Et, médusé, Paul vit la jeune femme fouiller dans son grand sac à main, et en extraire de quoi se raser. Il eut un petit sourire : voilà bien les femmes ! Il en profita pour demander si elle avait un briquet, et elle en sortit un. Son sourire s’élargit. Il n’était pas mécontent d’avoir enfin de la compagnie. La jeunette était mignonne, avec ses fossettes et ses cheveux bruns en désordre. Elle insista encore pour qu’il se rase, et Paul finit par obéir, allant vers le ruisseau voisin. Il rasa donc sa barbe, déjà assez épaisse, puis il se releva, un sourire éclatant aux lèvres. La fille se liquéfia, et Paul comprit qu’elle lui plaisait énormément. Elle se reprit, pour se jeter à son cou.

-          Alors, comment tu t’appelles ?

-          Mathilde, répondit-elle.

-          Moi, c’est Paul. Enfin non, Tarzan. Et toi, tu es Jane.

-          Quoi ? Mais pas du tout ! Je dois retrouver mes amies ! Me balancer au sommet des arbres, très peu pour moi !

-          Et d’ailleurs tu as un rasoir dans ton sac. Tout pour les apparences !

-          Si je te plais, tu me suis en ville !

-          Pas question !

Il savait bien qu’elle lui plaisait, mais il n’avait aucune envie de retrouver la « civilisation ». Il se sentait frais parce qu’il s’était rasé, certes, mais il s’en moquait comme de l’an quarante. Il savait qu’il était quelqu’un de bien, même là. Le passé était le passé. Il saisit le sac à main de Mathilde sans faire de détails, et le balança tel quel dans le ruisseau.

-          Tu laisses tomber ça et tu restes ici avec moi, déclara-t-il en la serrant contre lui.

Mathilde en fut impressionnée, et se plut dans les bras de Paul. Elle n’en sortit jamais. La forêt devait bientôt résonner de cris d’enfants, de bonheur et de courses-poursuites, dans le plus simple appareil.

 

© Claire M, 2005/2022

 

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Commentaires
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  • Entrez donc dans l'un des royaumes de l'imagination, la mienne, où vous croiserez êtres fantastiques, âmes en peine, beaucoup de chats... Vous pourrez y trouver d'autres aventures, ou jouer avec moi, les mots... Le continent des lettres est si vaste !
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