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l'imagination au pouvoir
20 mai 2022

Mille et une siestes

Nuits câlines.

 

«  Ô Sultan, voici « :

Dans le palais du grand vizir d’Ispahan, tout à coup, on s’affairait autour de ce dernier, et il envoyait ses hommes, ses esclaves, à droite, à gauche, en vue des préparatifs de retrouvailles : son fils, le bel Amir Al Akmar, arrivait avec une nombreuse troupe, après trois longues années d’absence. Et apparemment, sa troupe n’était pas disséminée, au vu de la poussière soulevée sur la route qui menait au plateau soutenant la ville.

Enfin, le jeune homme, qui n’avait pas plus de vingt-cinq ans, au visage encore presque glabre, parut devant le palais paternel, et la liesse fut générale. Il était tout ému, à l’idée de revoir ses parents, de leur apporter de nombreux présents et, de surcroît, il avait trouvé l’amour en la personne d’une princesse de la lointaine Bactriane, Lalla. Aussi, en entrant dans le palais, il sollicita un eunuque, pour lui faire prendre en charge la jeune femme. Après quoi, il alla trouver son père. Ce furent de grandes effusions, entre le vizir et son fils, puis Amir retrouva son frère, qui était promis au trône, enfin ses sœurs et sa mère. Des larmes de joie coulaient de tous les yeux, et le vizir se sentit tout retourné en voyant paraître la compagne de son fils, ses longs cheveux noirs dénoués, ravissante, magnifique dans une robe aux couleurs de l’arc-en-ciel laissant deviner ses attraits. Lalla baissa les yeux, puis baisa la terre entre les mains du vizir en signe de soumission, mais il la fit aussitôt se relever.

-          Sois la bienvenue, ô Lalla, princesse venant de si loin pour soutenir mon fils ! Tu as dû faire un très long voyage… La bénédiction d’Allah soit sur toi, et sur mon fils Amir Al Akmar !

-          Et sur toi aussi, vizir fortuné ! répartit la princesse. Mon père, le puissant Rachid, t’envoie quelques chameaux de notre contrée heureuse, ainsi que quelques autres présents, et son salaam.

-          Puisses-tu être heureuse parmi nous, Lalla !

-          Père, je désire épouser ma jolie princesse ici, sous ton toit. Puis nous nous installerons un peu à l’écart, si tu le veux bien.

-          Soit, fils ! Je te l’accorde bien volontiers. Je vais de ce pas hâter les préparatifs du festin pour ton retour.

Amir rosit légèrement, à ces mots.

-          Je suis accompagné par ce qu’il reste de ma suite, c’est-à-dire huit hommes, sur quarante, et par celle de Lalla, qui compte ses eunuques et ses servantes, outre quelques hommes de main qui ont permis d’écarter de nous quelques brigands…

-          Fort bien ! Vous irez dans le palais d’été, sur le Zand-é rud, je vais y envoyer des personnes qui le rendront encore plus accueillant.

Ainsi fut fait et, en attendant, Amir alla au hammam, pour paraître au festin en son honneur dans toute sa beauté, et habillé de frais. Sa chevelure noire encadrait un visage parfait qui, par contraste, en rendait la peau encore plus blanche, ce qui lui avait valu son nom : Amir Al Akmar, soit « Prince des Lunes ». Il n’était pas très grand de taille, mais proportionné à sa manière, et avait un sourire magnifique, qui le faisait irradier. Il éclipsait son frère en beauté, mais ne serait pas sultan, étant le cadet. Il allait donc retrouver son pays, fonder une famille et vivre loin des soucis, ne doutant pas qu’il finirait bien par avoir une place à la cour du sultan.

 

-          Où est donc passé le bel Amir Al Akmar !! gémissait la gennia Fatima qui, depuis quelques mois, le cherchait partout dans le monde.

-          Peut-être puis-je le retrouver, chère sœur, suggéra le genni Nourredine. En combinant nos pouvoirs, et avec l’aide du Très Haut, cela doit pouvoir se faire. Où l’as-tu vu, la dernière fois ?

-          Il allait vers la Bactriane, avec la douzaine d’hommes qui lui restaient fidèles. Peut-être en a-t-il encore perdus, au cours de ses aventures !

Fatima s’en tordait les mains.

-          Oui, je sais, celui que tu aimes est beau et valeureux. Allons, reprends-toi, et dis-moi où tu n’es pas encore allée le chercher.

 

Mais les yeux de Chat-Razade se fermaient, aussi elle se tut, et ronronna en dormant contre Sultan. A la fin de la sieste, elle reprit :

 

Dis-moi où tu n’es pas encore allée le chercher.

Fatima tâcha de suivre le conseil de son frère, respira plusieurs fois puis interrogea ses souvenirs.

-          Dans les provinces les plus reculées, répondit-elle enfin. La Bactriane et vers l’Asie.

-          A moins qu’il soit retourné dans l’Arabie heureuse…

-          Ou en Perse, où il réside ? se demanda la gennia.

-          Tu crois qu’il serait rentré à Ispahan ?

-          Je n’en sais rien. J’ai perdu sa trace alors qu’il traversait le désert de Lut, en direction de la Bactriane. Quelque chose m’a empêchée de le suivre…

-          Ne t’en fais pas, ma sœur. Je vais le retrouver. Tu es si belle, que cela te trahirait. Mais dès que je l’aurai localisé, je viendrai te le dire, et tu pourras l’emmener ici à Enna, dans son sommeil, comme nous autres le faisons.

-          Oh, je t’en serais si reconnaissante ! Son image emplit tellement mon âme…

-          Alors je pars sans tarder, promit Nourredine.

Et il devint fumée, passa par la fenêtre qui était grande ouverte, et disparut au loin, en direction de l’Asie.

Il fut absent quelques jours, pendant lesquels Fatima s’était languie, pleine d’espoir. Nourredine ne donnait pas de nouvelles, pas même indirectement, aussi l’attente pesait d’autant plus sur la gennia. Elle se bourrait encore de cannoli locaux et de baklava, quand Nourredine revint enfin, un grand sourire aux lèvres. Elle comprit aussitôt :

-          Tu l’as retrouvé !

-          Oui, en effet. J’ai interrogé le roi de Bactriane, qui l’a vu, car Amir Al Akmar est tombé amoureux de sa fille Lalla, et ce dernier l’a emmenée avec lui chez son père, à Ispahan.

-          Oh,  par Allah Très Haut !

Fatima manqua de s’évanouir, à cette annonce.

-          Ça va aller, petite sœur, lui dit Nourredine en la prenant dans ses bras. Tes sortilèges d’amour sont puissants…

-          Il… il faut que je me remette, balbutia la gennia. La première fois que je l’ai vu, il était célibataire…

-          Le roi de Bactriane m’a raconté qu’Amir Al Akmar a sauvé sa fille qui venait de se faire enlever par des brigands. Et ces deux-là se sont plu… A l’heure où je te parle, ils sont mariés, et la vigueur de celui que tu aimes va bientôt porter ses fruits.

-          Tu veux dire que…

Mais Fatima ne put terminer sa question, et tomba évanouie.

-          Oh là ! s’écria Nourredine, et les servantes de sa sœur  parurent aussitôt.

Elles aidèrent cette dernière à reprendre ses sens, redoublant d’attentions.

-          Il me le faut… dit alors la gennia.

Mais on lui fit garder le lit quelques temps jusqu’à ce que Fatima envoie valser sa suite, et, ayant repris ses pouvoirs, elle se matérialisa à Ispahan, une fois passée la fenêtre de la chambre d’Amir Al Akmar.

-          Mon beau prince… murmura-t’elle, tout émue en le revoyant enfin.

A côté de lui, la couche était vide, et elle entendait, outre la respiration apaisée d’Amir, la voix d’un bébé qui protestait, le sien probablement. Comme il dormait seul, Fatima en profita, repoussant doucement les draps, et elle le saisit dans ses bras, pour l’emmener chez elle à Enna, à l’intérieur de la Sicile. Là, elle l’installa dans sa propre couche, et put en faire autant, enfin apaisée elle aussi : à présent, il lui appartenait. Elle posa une main sur son flanc, et s’endormit à son tour.

 

-          Mais où suis-je ? Lalla ? Zaher Chah ?

Fatima préféra ne pas bouger, bien qu’elle fût réveillée elle aussi. Amir Al Akmar se souleva, s’assit sur le lite, avisa la gennia et poussa un cri.

-          Qui es-tu ? Où suis-je ?

-          Je suis celle que tu aurais dû choisir, répondit Fatima d’une voix douce. Souviens-toi de ton passage dans ces montagnes volcaniques… Je t’ai vu, et j’ai aussitôt brûlé pour toi, ö Prince des lunes !

-          Mais moi, je ne t’ai jamais vue ! Laisse-moi rentrer chez moi !

-          Sache que je ne t’y aiderai en aucune façon. Il te faudrait franchir les montagnes, parvenir sur la côte, car tu es sur une île, sans te faire prendre par des brigands ou des pirates. Ispahan est à des milliers de kilomètres.

-          Comment peux-tu savoir qui je suis, alors que je ne te connais même pas ?

-          Je suis la gennia Fatima. Mais qui sont Lalla et Zaher Chah ?

-          Ma femme, et mon fils. Laisse-moi les rejoindre !

Amir Al Akmar s’empourprait, en disant cela, alors Fatima voulut l’apaiser, posant doucement une main sur son épaule. Mais il la repoussa violemment, et se leva d’un coup, dévoilant sa nudité, qu’il s’empressa de cacher à la gennia.

-          Je ne te veux pas de mal, au contraire. Je vais te faire amener de beaux vêtements, et tu resteras ici, dans mes bras…

-          Je n’en veux pas !

-          Pas même des vêtements ?

Pour la première fois de sa vie, Amir Al Akmar rougit carrément, et pas qu’un peu. Il s’assit sur le lit en grommelant, tandis que Fatima appelait ses servantes, et ses esclaves. Elles massèrent, lavèrent l’arrivant, puis le vêtirent d’une tenue confortable et adaptée au climat sicilien. Enfin elles l’emmenèrent dans une grande salle du palais, où se trouvaient Fatima et Nourredine. Fatima se sentit fondre, à le voir si beau, et Nourredine eut un regard appréciateur. Amir Al Akmar fut invité à s’asseoir, et on leur servit quelques douceurs, des tisanes, des liqueurs. La collation une fois prise, Amir put visiter son palais-prison. Ce qu’il regardait le plus étaient les fenêtres, grandes et étroites, mais laissant passer assez de lumière pour y voir clair. Cependant, on ne lui laissa pas le loisir de s’y accouder pour admirer le paysage. Il eut droit à ses propres appartements, le palais se révélant immense. Les femmes de Fatima étaient heureuses de se trouver au service d’un si bel homme, et Nourredine fit bientôt comprendre qui était le maître. Une fois seul, Amir Al Akmar sauta sur sa couche, et pleura longtemps. Et aucune femme de la suite ne vint le réconforter. Elles étaient à son service, mais Fatima voulait se le garder pour elle seule. Aussi, ne le voyant pas reparaître, elle finit par venir le retrouver. Elle essaya de le consoler, mais ce fut peine perdue. Amir finit même par saisir le premier objet qui lui tomba sous la main, une pierre sculptée, pour la lui envoyer au visage, mais la gennia para le coup d’un simple mouvement de  main vers la pierre, qui se brisa en tombant sur le sol. Et, peinée, elle lui dit :

-          Oserais-tu porter la main sur une simple femme ?!

 

La nuit tombait alors qu’elle prononçait ces mots, aussi Chat-Razade se leva pour aller chasser. Sultan la laissa faire, mais quand elle revint, il lui réclama la suite de l’histoire, sans quoi il lui planterait ses griffes dans le cou. Chat-Razade obéit aussitôt, et :

 

-          Oserais-tu porter la main sur une simple femme ?!

-          Une gennia ? Tu as tous les attraits d’une femme, mais en réalité tu es mauvaise !

-          Je ne suis pas mauvaise, je suis seulement amoureuse. Réfléchis bien à ce qu’il t’arrive, ô Prince des lunes !

Fatima retenait mal ses larmes, et prit congé. Amir l’avait regardée, surpris, peiné à son tour. Aussi il suivit son conseil et, pour mieux réfléchir, ne sortit de ses appartements que pour les repas, durant ce premier jour de captivité, même si la cage était dorée. En effet, ce palais ne manquait pas d’agréments, même pour lui. Au début, la gennia attendit, difficilement, la seconde nuit d’Amir chez elle, pour pénétrer dans sa couche. Et, en la voyant si joliment ronde, malgré des cajoleries qu’il jugeait ridicules, avec de si beaux traits, ses yeux soulignés de khôl, ses mains gracieuses, sa lourde poitrine, Amir Al Akmar céda à l’appel des sens.

Peu à peu, la gennia put au moins arriver à l’amadouer, mais Amir était attiré par les fenêtres, se demandant comment sortir de là par ce moyen. Très vite, il avait compris être sur des hauteurs difficilement franchissables. Et il ne pouvait parler à quiconque de ses projets. Il réfléchissait, à ce qui l’attirait chez la gennia que Lalla n’avait pas, mais aussi au moyen de sortir de là. Le palais était heureusement pourvu de livres, d’instruments de musique, or il aimait la musique, la poésie. Il pouvait converser avec Nourredine, qui l’appréciait. Mais plus jamais Amir Al Akmar ne riait de bon cœur, soupirant après sa femme et son enfant.

Alors une nuit, n’y tenant plus, après « l’amour », il tortilla ses draps pour en faire une longue corde, et quitta le palais sans bruit, par la fenêtre. Malheureusement, le ciel était nuageux, si bien qu’aucune étoile, ni même la Lune ne brillait. Aussi Amir Al Akmar finit par tomber dans un buisson de ronces, et ne sut plus se retenir. Son cri de douleur éveilla les alentours et, quelques mètres plus haut, Fatima parut à la fenêtre.

-          Amir Al Akmar ! Où es-tu, mon beau prince !

Il essaya de sortir du buisson, en sang car il ne portait qu’un court pantalon, et n’avait pas même de chaussures. Mais il n’osa répondre à l’appel, tout honteux, comprenant avoir mal choisi le moment pour s’évader. Fatima venait dans sa chambre tous les soirs. Il s’étala alors sur le sol, en pleurs, appelant doucement sa femme et son fils. Il ne savait même pas combien de temps s’était passé depuis son enlèvement, une éternité à ses yeux. « Ô Lalla, ô la nuit, ô les yeux », poétisa-t-il avant de s’évanouir.

Amir revint à lui dans le palais d’où il avait voulu s’échapper, gardé à la fois par Fatima, et Nourredine. Des petites servantes lui passaient un onguent sur le corps, qu’il supposa être magique, car il ne sentait plus rien.

-          Mon Amir, comment te sens-tu ?

-          Je ne suis pas TON Amir, répondit-il sur un ton qu’il voulait rogue.

-          Mais tu l’es de fait.

-          Je veux rentrer chez moi.

-          Mais je t’aime !

-          Eh bien, pas moi, s’entendit répondre Amir et, surpris, il mit une main devant sa bouche. Je t’en supplie, ô Fatima, fais-moi rentrer chez moi !

-          Pas avant que tu ne sois guéri.

Nourredine ne disait rien, préoccupé. Il dit seulement à Amir qu’il aurait pu mourir en s’évadant ainsi, nuitamment, et qu’à présent, il devrait reprendre des forces avant de décider quoi que ce soit, abondant ainsi dans le sens de sa sœur. Et Fatima lui tint compagnie longtemps, n’osant plus tellement lui demander ses faveurs. Mais dès qu’Amir Al Akmar fut complètement rétabli, elle se fit cajoleuse, et obtint ce qu’elle désirait, qui lui avait manqué si longtemps.

-          Et avec tout ça, fit-elle tristement, tu voudrais me quitter ?

-          Je ne vais pas prendre pour deuxième femme une gennia. Mon cœur brûle toujours pour Lalla.

Fatima soupira.

-          Mon pouvoir est puissant, et à moins de vouloir s’évader, on est très bien, dans ce palais.

Amir fit la grimace, fut forcé de reconnaître qu’elle avait raison ; mais seuls lui manquaient sa femme et son fils, c’est-à-dire l’essentiel.

C’est pourquoi, le lendemain, Fatima prit conseil auprès de son frère. Nourredine comprenait parfaitement la situation, mais dit à Fatima de temporiser, le temps de réfléchir à comment récupérer Amir Al Akmar. Et la gennia eut une idée, deux jours plus tard, décidant de la mettre aussitôt à exécution. Elle était au bon moment de son cycle, et le soir venu, elle dit à Amir :

-          J’accéderai à ton désir de revoir ta famille, mais à une condition.

-          Tout ce que tu voudras, ô gennia ! s’écria Amir, tout heureux de ce revirement de situation.

-          Possède-moi maintenant, ce sera ma façon de te dire au-revoir. Demain, si tu me l’accordes, je te ferai de grands présents, que tu ramèneras à Ispahan.

-          Devrai-je traverser les mers ?

-          Ce sera encore plus rapide que cela. Tu te réveilleras à Ispahan le matin suivant.

-          Oh, merci, ô gennia !

-          Mais tu sais qu’il m’en coûte… dit doucement Fatima, et elle s’assit sur le lit.

-          Quoi qu’il en soit, je ne t’oublierai pas.

Et Amir se laissa faire, lors d’une nuit de pures délices. Le lendemain, Fatima et Nourredine le comblèrent de cadeaux et, le soir venu, la gennia saisit Amir Al Akmar dans son sommeil, tandis que son frère s’occupait de convoyer les divers présents préparés pour l’occasion.

Ce matin-là, Amir eut un grand sourire en se réveillant, sa femme respirant doucement à ses côté, reconnaissant le palais bien que la pièce fût tendue de noir.

-          Ma jolie princesse… murmura-t-il. Je suis revenu…

Mais sa voix était si douce, qu’elle ne réveilla pas Lalla, qui était certainement en train de faire de beaux rêves. Alors il somnola un peu, jusqu’à ce qu’il entende son nom de la bouche tant aimée.

-          Tu es là !! Mais où étais-tu passé ?!

Alors Amir Al Akmar serra sa femme dans ses bras, puis lui raconta tout ce qui lui était arrivé, sa tentative d’évasion ratée. En parlant, il comprit que pas moins d’un an s’était écoulé, qu’on l’avait cru mort. De ce fait, il sauta hors du lit, pour courir retrouver ses parents. Mais le grand vizir, s’il était heureux de le revoir, lui apprit que sa mère était morte de chagrin quelques temps après sa disparition.

-          Et d’où te viennent ces beaux vêtements, mon fils ?

-          Je vais te raconter, père. Là où j’étais, on m’a fait don de magnifiques présents, qui sont ici, à l’entrée de notre appartement. Mais au fait…

Amir Al Akmar se rendait subitement compte qu’il était non pas chez lui, mais chez son père.

-          Fils ? fit le grand vizir le voyant interdit.

-          Je nous croyais dans notre palais d’été.

-          Peu après ta disparition, avec le petit et mon veuvage, Lalla et moi avons fait ainsi, afin de nous soutenir mutuellement. Et ton fils est beaucoup mieux ici, bien entouré, sous ma protection. Maintenant, raconte-moi ce qui t’est arrivé, je brûle de le savoir !

Amir raconta de nouveau son histoire, puis tous deux allèrent inventorier les nombreux cadeaux de Fatima et Nourredine, un véritable trésor, des épices, des bijoux. Zaher Chah ne serait pas en reste, avec une couronne pour sa petite tête. Attendri, Amir Al Akmar alla aussitôt la lui porter, et le trouva à jouer avec sa mère.

 

Chat-Razade eut alors un grand bâillement, aussi Sultan respecta son sommeil, posa même une patte sur la petite chatte qui se dévouait pour la gent féminine. « Elle est vraiment jolie », pensa-t-il, et ils firent la sieste ensemble. Quelques temps plus tard, Chat-Razade se réveilla, et Sultan l’engagea à reprendre son histoire.

 

et le trouva à jouer avec sa mère.

-          Regarde ! dit Lalla à son mari. Il marche !

Mais le petit garçon fut timide avec son père, et Amir lui fit des chatouilles, parlant doucement, stupéfait de leur ressemblance. En effet, comme son père, Zaher Chah avait les cheveux, les yeux noirs, des traits parfaits et paraissant d’autant plus blancs, par contraste. D’ailleurs, la ressemblance sauta aux yeux du grand vizir et de Lalla. Enfin, Zaher Chah se laissa prendre dans les bras de son père.

-          Papa ? répéta le bambin.

-          Oui, ton papa, fit Amir, au comble du ravissement. Père, mets-lui donc sa petite couronne !

Amusé, le grand vizir obéit. La couronne allait à ravir au petit garçon, qui commença à se balader, à sa manière, avec son nouveau couvre-chef. Les parents étaient comblés, heureux, et Amir Al Akmar fut fêté, fit sauter de joie toute l’assistance. Le banquet s’éternisa, puis quelques jours passèrent, et Amir s’intéressa aux affaires de son père, racontait ses multiples aventures depuis cinq ans. Il avait un certain talent de conteur, retrouvé tout à fait son sourire, son rire, et croyait être heureux. De temps en  temps, il prêtait son bras pour protéger le royaume du sultan.

Au bout de quelques semaines, cependant, Amir Al Akmar se rendait compte qu’il lui manquait quelque chose, qu’il rêvait souvent de la gennia Fatima. Pourtant, voir son fils lui  réchauffait le cœur, et Lalla était pleine de petites attentions pour lui et Zaher Chah. Tous trois s’étaient réinstallés dans leur demeure sur les hauteurs d’Ispahan, et lors de ses moments de solitude, Amir s’échappait en pensée, franchissant la mer et retrouvant la belle gennia toute potelée, ronde. Il la voyait encore savourant des pâtisseries, ou improvisant sur son oud. Et il se disait qu’il lui avait fait de la peine en ne voulant pas rester à ses côtés. Il le regretta d’autant plus, ce soir-là, en s’apercevant de la maigreur de Lalla, de la présence de vergetures dues à sa grossesse, de quelques traits lui barrant le front. Car Lalla avait fini par se rendre compte que quelque chose n’allait pas avec lui, sans oser le dire. Amir la touchait moins, alors qu’elle aurait voulu lui procurer une belle descendance. Quand ils étaient ensemble, ils étaient heureux, mais l’œil de l’un se fixait vers la lointaine Sicile, tandis que l’œil de l’autre restait sur des conditions matérielles, et leur fils…

 

-          Nourredine, le terme approche... annonça enfin Fatima. Je voudrais revoir le père de mon enfant…

-          Je connais tes intentions, petite sœur. Tu veux dire qu’il est temps de récupérer… l’homme de ta vie.

-          Oui, c’est vrai, reconnut Fatima en baissant les yeux. Mais étant donné mon état, je préfèrerais que ce soit toi qui aille chercher le bel Amir Al Akmar.

-          J’écoute et j’obéis… Mais tu es allée le voir ?

-          Dans son sommeil seulement. Et cela fait deux, trois lunes que ça se voit, alors tu comprends…

-          Oui, tu es magnifique, petite sœur. J’irai la nuit prochaine, le temps de préparer ses appartements, car tu ne pourras le faire toi-même.

-          Oh, je t’en remercie par avance !

Fatima en aurait sauté au cou de son frère, si son état l’avait permis. Elle passa une journée fébrile, ce qui finit par la contraindre à s’allonger dans un confortable sofa.

Enfin, Nourredine s’acquitta de sa tâche, mais respecta le sommeil de sa sœur, et elle se réveilla avec un grand sourire aux lèvres.

-          Est-il là ? demanda-t-elle à son frère.

-          Oui. Et tout à toi, à présent.

-          Oh, merci !

-          Du calme, petite sœur, pour l’enfant que tu portes…

Aussi Fatima traversa son palais doucement, son cœur battant la chamade. Enfin, elle parvint aux appartements d’Amir Al Akmar. La voir paraître ainsi, avec ses formes pleines, son ventre rond, émut Amir aux larmes.

-          Je ne savais plus où j’étais… Je voulais te revoir, et…

-          Là, ô Prince des lunes… Tu ne vas rien me lancer à la figure, cette fois-ci ?

-          Oh, non ! Mais viens là, ma gennia… Qui donc t’a possédée ?

-          Mais… toi, bel Amir.

Le jeune homme se leva du lit, et tomba à genoux devant la gennia.

-          Personne d’autre ?

-          Non, personne d’autre. Depuis que j’ai croisé ton regard, il y a près de trois ans, je n’ai connu  personne d’autre.  M’acceptes-tu ainsi ?

Amir Al Akmar voulut baiser la terre entre ses mains, mais Fatima l’en empêcha.

-          Tu ne m’as pas répondu, dit-elle doucement. Relève-toi.

-          Oui, je l’accepte. Je ne pensais pas que tu me manquerais autant. Mais dis-moi, ô Fatima…

-          Je t’écoute.

-          L’âge, la… grossesse, marquent-ils aussi le corps d’une gennia ?

-          Pas que je sache.

-          Je… je ne veux plus te quitter… ma gennia… mon amour… Puis-je… t’embrasser ?

Tous deux échangèrent un sourire magnifique qui voulait dire oui, et Amir serra, comme il put, Fatima dans ses bras.

-          J’écoute et j’obéis… susurra Amir Al Akmar avant de poser ses lèvres sur elle.

Aussi ils vécurent heureux, entourés de nombreux enfants, et plus jamais, Amir Al Akmar ne regretta ses actes… Plus tard, peut-être, Zaher Chah le retrouverait, mais il en doutait fort, même s’il acquit l’éternité…

 

-          C’était une fort belle histoire, déclara Sultan. La meilleure de toutes ces siestes passées ensemble. Je voudrais que nous finissions comme la gennia Fatima, et Amir Al Akmar… Et accepte mes excuses pour mon comportement envers toi et tes semblables.

-          Je les accepte bien volontiers, ô Sultan, fit Chat-Razade en clignant des yeux. Tu me vois toute dévouée à ta cause.

-          Alors, suis-moi au Pays des Rêves, et nous aussi, nous aurons une descendance…

 

© Claire M., 2021

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