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l'imagination au pouvoir
20 juillet 2024

Petit coin de paradis

Le pardès.

 

                                                           « L’espace est le paradis, le temps est l’enfer »

                                                                                   M. Cărtărescu

 

Je me triturais l’esprit, quand je suis arrivé dans ce quartier au nom aussi évocateur : celui des Quatre chemins. La ville n’était pas grande, et j’y retrouvais des sensations anciennes, presqu’oubliées : l’odeur de pain, le bruit de quelques voitures qui passaient en respectant les limitations de vitesse, le froufrou d’une robe devant moi… Les femmes y étaient jolies, légèrement maquillées, et souriaient. Peu se dépêchaient, beaucoup avaient de grands sacs et, lorsqu’elles étaient entre amies, je les entendais rire et jacasser agréablement. Le soleil était là, au-dessus de maisons qui ne faisaient pas plus de quatre ou cinq étages, et commençait à chauffer. Je me sentais tout simplement bien, déambulais mains dans les poches. Les hommes étaient assis aux terrasses des bars, où s’affairaient des serveurs qui, entre deux clients, glissaient quelques mots gentils aux uns et aux autres. C’était une petite ville tranquille, de province, et quand je vis le nom du quartier dans lequel j’entrais, j’eus un grand sourire. Les Quatre chemins… Cela devait être mon quartier, me dis-je. A l’entrée, des feuilles de platanes me chatouillèrent le nez ; je les repoussai. Sous leur ombre, un petit groupe d’hommes jouait aux dominos, devant un bar, des verres à portée de main. « Excellente entrée en matière », pensai-je. Tout cela m’engageait à prendre mon temps, aussi je me mis à siffloter un vieil air, français, qu’aimait mon père.

Je regardais de tous côtés, pensant à notre île de Crète, ou à Jérusalem, que papa avait quittée jeune homme, et que je connaissais si peu… Par contre, je connaissais bien la petite ville de Malia, à une trentaine de kilomètres d’Héraklion, où étaient nées ma mère et sa sœur Eleni. Mais je n’étais pas à Malia, car j’entendais parler français, et je ne sentais pas les effluves de la mer, il n’y avait pas de mouettes, seulement des moineaux, ou d’autres oiseaux, plutôt de la campagne. D’ailleurs, ils chantaient dans les platanes.

  • Vous êtes perdu, monsieur ? me demanda une petite vieille dame au regard pétillant.
  • Je croyais me souvenir de cette ville… A dire vrai, je ne sais pas où je suis, avouai-je.

La dame eut un rire clair.

  • On arrive souvent ici par hasard. Vous cherchiez peut-être un trajet inspirant…
  • Oui… Dans ce cas, que me conseillez-vous ?
  • La rue de l’espoir. Vous n’imaginez pas où elle mène.

Mon cerveau créatif eut un réflexe conditionné.

  • Imaginer la rue de l’espoir ? Ou elle existe ?
  • Elle existe.
  • Dans le quartier des Quatre chemins ?
  • Oui.
  • Dites-m’en plus !
  • C’est la rue de l’espoir, monsieur, fit-elle avec un sourire désarmant. C’est à vous de la trouver.

Je me décidai aussitôt.

  • Je la trouverai ! Et me perdrai dans les Quatre chemins…

La dame souriait toujours.

  • Je vous en prie, dit-elle.
  • Et quelle est cette ville ?
  • Montmur. Vous y trouverez tout ce que vous cherchez, si vous vous en donnez la peine. Les magasins, les parcs, la rue de l’espoir…
  • Eh bien, j’en suis !
  • Bonne chance, monsieur !

Et elle me quitta, laissant une empreinte de « J’adore », le parfum que portait ma mère. Je fermai les yeux, à ce souvenir, puis les rouvris. « La rue de l’espoir… » murmurai-je.

Au hasard, je tournai à gauche, passai sous une arcade. A côté de moi, la boutique d’un bouquiniste, comme dans la ville où j’avais habité, adolescent, et où je les fréquentais, accompagné de ma tante, qui leur vouait un culte, aussi bien aux vendeurs, qu’aux vieux livres à l’odeur caractéristique. J’avais hérité de sa bibliothèque, et ma maison contenait à grand-peine tous les livres que j’avais amassés jusqu’à présent. Je regardai la vitrine, tenté, tâtai ma poche : mon portefeuille était bien là. J’avais tout mon temps, mais assez vite, je repensai à cette rue de l’espoir, et trouvai cette quête bien plus excitante. Où me mènerait-elle ? Avec tous les livres que j’avais déjà… Je me repris, et passai mon chemin, non sans un regard vers les merveilleux et religieuses de la pâtisserie qui jouxtait le bouquiniste. « Quelle ville de rêve… » me dis-je en voyant cela.

J’arrivai au bout des arcades, signalé par une petite fontaine en pierre, mais une fois là, j’hésitai, ne sachant où chercher cette rue. Finalement, je fis quelques pas, m’approchai d’une femme avec une poussette où un bambin dormait à moitié.

  • Excusez-moi, madame, je cherche la rue de l’espoir…

La jeune femme me regarda en souriant.

  • Elle est là où passent les enfants…
  • Euh… oui, bien sûr, mais… je ne connais pas… Montmur.
  • C’est une légende, monsieur. La rue de l’espoir est cachée.
  • Mais on m’a dit qu’elle existait.
  • Bien sûr. Au fond de la boîte ! Je suis désolée, je n’en sais pas plus, je ne l’ai jamais cherchée. Voyez-vous, cet enfant est mon troisième. Je suis heureuse.

Je lui souris à mon tour.

  • Excusez-moi, bredouillai-je.
  • Il n’y a pas de mal.

Je la regardai s’éloigner tranquillement, avec sa jupe mi-longue et ses baskets, intrigué. Fallait-il être malheureux pour chercher la rue de l’espoir ? Ou était-ce réellement une curiosité de ma part ? Je me grattai la tête, puis traversai la rue, et un gros chien noir me frôla.

  • Brave bête, fis-je en montant sur le trottoir d’en face, passant une main sur son poil fourni.
  • Oh, je vous remercie, monsieur, fit un adolescent.
  • J’aime les animaux. Tous les animaux. Mais dis-moi, la rue de l’espoir te dit-elle quelque chose ?
  • La rue de l’espoir est toujours devant soi, vous êtes donc dans la bonne direction.
  • Et toi, l’espoir ?
  • Le parc où je vais courir avec mon chien !

Je laissai tomber.

  • Alors bonne promenade !
  • Merci, à vous aussi !

Et je repartis, en soupirant mais égayé. J’aurais dû m’en douter… Mais moi, quels étaient mes espoirs ? Ceux que j’avais perdus, l’âge venant ? Les petits-enfants que j’espérais avoir ? Mes enfants étaient grands, et ma femme avait déserté… La crise de la cinquantaine, pas si longtemps auparavant, m’avait conduit à prendre certaines décisions, dont je me félicitai, avec un léger recul. Pour moi, j’avais raflé la mise. Qu’espérais-je de plus ? Je marchais au hasard, me disant tout à coup qu’il devait y avoir quatre chemins. Peut-être que, à la quatrième rencontre… ? Alors, ayant trouvé la place de la mairie, je demandai mon chemin à un agent posté là, non loin de la grande porte de l’édifice municipal.

  • La rue de l’espoir, s’il vous plaît ?

L’agent me sourit, et j’eus l’impression que ma requête lui semblait incongrue, aussi je balbutiai :

  • C’est une jolie vieille dame qui m’a mis sur sa piste…
  • Ne vous excusez pas, monsieur, je vais vous l’indiquer.

Je respirai, et cela l’amusa.

  • Voyez-vous cette rue, sur votre gauche ?
  • Oui.
  • Bon. Vous y entrez, et tout de suite à gauche, il y a une petite rue qui débouche sur la rue Serpente. Vous la suivez, et tout au bout, vous tournerez à droite : c’est la rue du Paon d’or. La rue de l’espoir en est à deux pas.
  • De la rue du Paon d’or ?
  • Non, il faut que vous la suiviez. Si mes souvenirs sont exacts, la rue de l’espoir est au fond.
  • Je vous remercie ! Mais la rue Serpente, vous voulez dire...
  • C’est une rue qui porte bien son nom, dit seulement l’agent. Et bonne chance !
  • Encore merci !
  • Je vous en prie.

Je repartis en sifflotant une chanson de Brassens, de plus en plus excité : j’allais la trouver, cette rue ! Je tournai donc deux fois à gauche, et vis la rue Serpente, une petite rue étroite qui s’avéra ressembler au labyrinthe de Dédale, tellement elle tournait, à en faire tourner aussi la tête. Curieusement, elle ne donnait sur aucune autre rue, et je me demandai comment les administrations, dont c’était le quartier, y trouvaient leur place… Aux deux tiers de la rue, je dus m’asseoir sur un banc, à l’ombre d’un arbre. Je devais réellement reprendre mes esprits. Je vis passer des chats, dont un qui sauta près de moi, curieux. Il était gris et fin, et posa un regard magnétique sur moi. Je déglutis.

  • Minet ?

Le chat se ramassa, se mit en position « théière », et j’eus un petit rire.

  • Minet ?

Il accepta une caresse, mais manifestement, il voulait faire la sieste.

  • Je ne vais pas rester, tu sais.

Le minet ferma les yeux, les rouvrit, et je le caressai encore. Malgré son poil quelque peu emmêlé, il était doux, mais je préférai ne pas insister. Je fis comme lui, puis rouvris les yeux, et respirai. Mon tournis étant passé, je me levai.

  • Merci, minet.

Et je repris mon chemin. La rue serpentait tellement, que je perdis très vite le banc et le chat de vue. Un autre, noir, passa non loin de moi, et à sa suite, je quittai la rue Serpente, ce qui me mena droit dans la rue du Paon d’or. Je touchais au but ! Je descendis toute la rue, qui était en pente légère, et me rendis compte que c’était une impasse. Perplexe, j’en fis le tour, mais il me fallait me rendre à  l’évidence : il n’y avait pas de rue de l’espoir. J’eus un soupir agacé : tout cela pour rien ! Comme il y avait là un troquet, dépité, je décidai de m’offrir une bière. Après tout, mon portefeuille était à sa place, dans ma poche. Ne sachant pas où était Montmur, dans le sud ou dans le nord, une fois assis au zinc, je ne donnai pas de marque, demandant simplement une bière pression. J’étais seul dans le bistrot, avec le patron.

  • Monsieur est nouveau dans le coin ? fit-il en me tendant ma consommation.
  • Oui. Enfin je crois.

Il me fit un clin d’œil.

  • Chagrin d’amour ?
  • J’ai passé l’âge.
  • Il n’y a pas d’âge, monsieur.
  • Je suis peut-être divorcé, mais heureux. J’ai de beaux enfants, et ma situation est faite.
  • J’en suis heureux pour vous, mais…
  • Mais ? fis-je, intrigué de nouveau, pensant qu’il devinait ma déception.
  • Il vous manque quelque chose. Vous savez, j’ai peu d’habitués, et surtout beaucoup d’étrangers à cette ville. A Montmur, nous sommes heureux.
  • J’ai seulement raté le but de ma promenade…

J’avais le nez dans la mousse, et me revigorais tout en buvant.

  • Je sais.

Je sursautai.

  • Co… comment est-ce possible ?
  • Tous ceux qui atterrissent au fond de la rue du Paon d’or ratent leur promenade. Ou du moins, c’est ce qu’ils croient. 
  • Et vous, vous êtes heureux ?
  • Oui. Je console et je requinque.
  • Avec de l’alcool…
  • Les femmes me demandent plutôt du thé, et ça leur va. J’ai aussi un service de petite restauration. C’est l’heure du goûter, profitez-en, si vous voulez. J’ai du baba au rhum, de la mousse au chocolat, des tartelettes…
  • Oh ! m’écriai-je, tenté.
  • Il n’ya rien de tel, pour les déçus ou les désespérés.
  • Je suis déçu et gourmand. Avez-vous une tartelette au citron ?
  • Meringuée ?

Je me laissai faire, et me remis tout en la dégustant. Le patron astiquait son zinc, qui pourtant brillait, et je remarquai que ses yeux, eux aussi, brillaient. Je me souvenais des citrons de Malia, dont ma mère et ma tante faisaient de si bonnes tartes, là-bas… Je sentis que mon regard s’ouvrait, alors que je terminais ma tartelette. Etait-ce cela, mon espoir, retourner en Crète ? Je rappelai le patron.

  • J’aime bien votre façon de me requinquer, lui dis-je. A tout hasard…
  • Oui ?
  • Je cherchais la rue de l’espoir…
  • Je sais.

Une fois de plus, je tombai des nues. Le patron eut un petit rire, qui fit tressauter son ventre, et il abaissa ses lunettes, reprenant :

  • Je peux même vous y mener.
  • C’est vrai ?

Mes yeux pétillaient de plus en  plus, et il rit encore.

  • Le double fond n’est pas loin.
  • Je ne comprends pas.
  • Ça ne fait rien. Mon enseigne est « La petite boîte », vous ne l’avez pas remarqué ?
  • Non, admis-je. Combien vous dois-je ?
  • 6, 80 euros, monsieur.

Je lui donnai un billet de dix et lui dis de garder la monnaie, puis :

  • Maintenant, à la rue de l’espoir !

Il avait un grand sourire,  me dit de le suivre et m’ouvrit le passage. Je me retrouvai dans sa réserve, entouré de bonnes bouteilles, un chat roux passant sur de vieux tonneaux. Tout au fond, il ouvrit une petite porte, et le chat et moi filâmes.

  • Merci, patron !
  • Je vous en prie ! La rue de l’espoir est toute proche, monsieur.

Mais j’étais dans une cour, et ne vis pas tout de suite les ouvertures. Alors que je débutais le troisième tour de cette cour,  j’avisais la « ruelle de la déception », aussi je lui tournai le dos. Je distinguai alors deux autres ruelles. L’une était celle des « pas perdus », et je m’engageai dans l’autre. Après quelques mètres, je fus arrêté par une vieille porte.

  • Merde !

Je tentai quand même de l’ouvrir, en vain. J’eus un autre « merde ! », de dépit. Pourtant,  j’étais sûr que c’était là. Défoncer la porte était hors de question, en plus j’étais plutôt un petit gabarit. J’essayai donc autre chose, fouillai dans mes poches. Un trombone ? Mes propres clefs ? Mais même ma clef de garage ne marcha pas dans la serrure. Je ne trouvais rien qui puisse m’aider. Que faire ? Me perdre dans la ruelle de la déception ? M’éloigner par les pas perdus ? Je pensai à la clef des champs, la clef  de sol…

  • Nom d’une pipe ! fis-je tout à coup. Oui… je peux tester ça…

Et je me postai devant la porte, bien droit, et tout en la fixant, je dis les mots magiques :

  • Sésame, ouvre-toi !

Ce serait ma dernière tentative. A mon grand émerveillement, la porte grinça sur ses gonds, s’ouvrit lentement. Je fis un pas en avant. L’odeur de citron ! D’amande ! Et… Enfin, je la franchis.

 

  • Maman ! Tante Eleni !

Elles étaient là, toutes le deux, les bras chargés de fruits. Tante Eleni était là, avec son chignon noir, sa robe tout aussi noire, bien repassée, et maman, telle une jeune fille, avait une jolie robe à carreaux et les cheveux détachés.

  • Sylvain ! me lança-t-elle avec un grand sourire. Je savais que tu finirais par venir !
  • Mais quel est ce miracle ! Maman ! Tu me manques tellement !

Elle posa son panier, me prit dans ses bras. L’odeur de fruits et de J’adore se mêlèrent, et sa peau était redevenue douce et fraîche.

  • Suis-je mort, moi aussi ?
  • Bien sûr que non, mon grand. Mais tu connais un pouvoir plus grand que la mort, contrairement à tes frère et sœurs. Viens !
  • Oui, viens ! Tu vas voir, rien n’a changé ! nous t’avons senti venir, veux-tu de l’orgeat ? Un bon gâteau ?
  • Eleni ! fit ma mère, tout heureuse.

Je l’embrassai.

  • Tu as raison, j’ai un pouvoir immense, compris-je. Mais laissez-moi retrouver la propriété !

Et je retrouvai les citronniers, les amandiers et les abricotiers en fleurs, grimpai aux cerisiers, m’en mis plein la bouche. Maman et tante Eleni riaient.

  • Et viens voir les pois ! Les fèves !
  • Et les fleurs de courgettes que tu aimais tant !

Je retrouvai même mes quilles, fis une partie avec maman, qui me battit. Elle jouait sûrement avec sa sœur. De nouveau, j’avais six, huit, dix ans… Le temps semblait n’avoir plus de prise, dans la propriété Pardès, un nom hébreu que papa lui avait donnée et qui signifiait « paradis », ou encore « verger »…

 

Je me levai de ma table revigoré, un goût de citron et d’amande dans la bouche. Désormais, je savais que j’écrirais encore sur mes racines. Malia, le « pardès », mais pas seulement. Mes yeux pétillaient et me brûlaient à la fois. Je reposai le cahier de brouillon, le stylo, en quête de cet ailleurs béni, que j’avais pu retrouver, par la magie de l’écriture. Sans aucun doute, le livre auquel je venais de méditer pourrait avoir autant de succès que le précédent… Une fois de plus, je me félicitai de mon choix de carrière, littéraire plutôt qu’universitaire, l’année de mes cinquante ans, alors que je venais de perdre maman…

 

© Claire M, 2023

Commentaires
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