Le point de vue de Sirius, 40° épisode
Attractions italiennes
- Que voulez-vous boire, Carman ? demanda Lucia.
- Je ne sais pas, la même chose que vous, répondit l’interpellé, conciliant.
Alors Lucia leva la main, commanda deux verres de limoncello.
- Vous verrez, c’est de la liqueur de citron, une spécialité du coin. C’est délicieux, et ça devrait nous délier la langue. Je crois que nous avons quelque chose à nous dire…
- Chut ! Plus bas ! fit Carman en baissant la voix. En plus, je n’ai pas de chance avec les Italiennes, alors je… non, rien.
- Si, dites-moi, l’engagea Lucia avec un sourire irrésistible.
Il se troubla, regardant son frère et Ollibert à la dérobée, qui se tenaient à une table voisine. Eux-mêmes, exprès, avaient choisi un coin, plus intime.
« Restez attentif, Ollibert, » disait télépathiquement Lantar. « Sur Terre, nous ne savons pas faire grand-chose… » « C’est vous, le frère. Moi, ça fait bien longtemps que je suis séparé de ma famille, et les… euh, la princesse… » « Les autres ne sont pas concernés, mais je sais qu’on peut compter sur vous ». « C’est me faire beaucoup d’honneur, Lantar… »
- Oh ! s’exclama Ollibert en voyant passer une jolie fille déjà décolletée.
- Laissez tomber le palais…
- Nous sommes ici en mission, euh… Carman, ajouta le majordome en baissant la voix, et ils se mirent à écouter.
Carman, de son côté, hésitait, conscient du gouffre entre un Po-Tolien et une Terrienne, a fortiori italienne, cachant ses quatre doigts plus ou moins bien, se retenant de chatouiller le coude de Lucia.
- Ne soyez pas si empoté…
« Elle est encore plus belle que Maria », se disait Carman, « mais je n’ai pas envie de m’en prendre une… »
- Je connais mal les usages de… votre civilisation.
- Ça dépend du pays. Ici, nous sommes expansifs…
- La vie sur… chez moi s’est aseptisée, comparée à la vôtre… Nous ne nous livrons pas facilement, mais…
« Il va le dire, ou pas ? Ollibert ? »
- Ne vous en faites pas, Lantar. Ça viendra… Notre princesse Balea aussi devrait se faire draguer.
« Chut ! Ils pourraient nous entendre ! »
Ollibert haussa les épaules, regardant le couple.
- Nous sommes tous pareils, dit-il. Tenez, si j’en trouvais une à mon goût, je resterais même ici, sans retourner au palais !
- Moi, j’ai une femme… Mais vous savez bien pourquoi nous sommes ici.
Lucia avait posé le menton sur une main, espérant enfin une déclaration. Pourquoi diable Carman attendait-il ? Elle battit des paupières, ce qui eut son petit effet, et demanda :
- On se plaît, non ?
Carman était très étonné, se doutant bien que c’était à lui de faire le premier pas.
- Oui, vous me plaisez beaucoup, dit-il enfin. J’aime beaucoup vos formes.
- Et si on se tutoyait ? Lantar et Anthéa se tutoient !
- Je dois vous… te sembler très lointain, mais… J’ai l’impression que sur Po-T… chez moi, nous ressentons les mêmes choses qu’ici.
Lantar et Ollibert dressèrent alors l’oreille, tout en prenant leurs consommations, l’air de rien. Mais le limoncello arriva à la table de Lucia et Carman, coupant ce dernier. Lantar était sur des charbons ardents.
- Encore une jolie fille qui passe, fit Ollibert. Dommage qu’elle porte un pantalon…
- Ollibert ! C’est mon frère et Lucia, qu’on chapeaute !
« Pas si fort, nous sommes en train de parler italien… », sentit alors Lantar.
- Mais… continua Carman, si je… tends la main vers toi, tu laisseras aussi la trace de tes doigts ?
- Certainement pas, au contraire ! Bois donc un coup, ça te détendra…
Carman obéit, et eut un claquement de la langue.
- C’est délicieux. Alors je peux… Donne-moi ton bras.
Lucia le fit en souriant, et il lui chatouilla le coude.
- Non, moi je fais comme ça.
Et elle lui saisit la main, qu’elle porta à ses lèvres.
Lantar et Ollibert sursautèrent.
- C’est dég… Euh !
« Par télépathie, Lantar ».
Pendant ce temps-là, Lucia se mit à expliquer à Carman l’amour en Europe, en Italie.
- Et si on se plaît…
Il se laissa effleurer les lèvres par la belle Lucia.
- On peut même aller plus loin dans le baiser, si tu veux.
- Une chose après l’autre, fit Carman en chancelant sur sa chaise.
- Ça par exemple !
Lantar n’en revenait pas.
- Je comprends l’expression « on en mangerait », dit Ollibert tout en regardant passer les beautés napolitaines. Mais qu’elles sont belles !