Nouvelles de là-haut
Visite intersidérale
Le vaisseau se posa au milieu des menhirs, en prenant garde de rien abîmer. Le capitaine Bacharan manœuvra, coupa le champ d’énergie qui faisait se mouvoir l’appareil. Puis il annonça à tous les occupants de la mission qu’ils avaient atteint le but de leur voyage : la Terre. A la suite de quoi il se tourna vers son copilote.
- C’est bon, Ronar. Allez me chercher notre meilleur guerrier, et ensuite vous ouvrirez la porte du vaisseau. Ernat, tenez-vous prêt à m’accompagner pour parler à la population locale.
Le sage à barbe blanche et aux pectoraux avachis acquiesça d’un simple mouvement de tête. Peu après, un guerrier dans la force de l’âge et aux muscles puissants se présentait, arme à la main, un pistolet laser à la ceinture. Il ploya le genou devant le capitaine. Ce dernier rappela à Ronar d’ouvrir la porte, et celui-ci s’exécuta. La porte du vaisseau coulissa, et quelques marches se déplièrent. Bacharan s’avança le premier, avec une certaine circonspection, eut un regard circulaire sur le paysage.
- Mais où sont les hommes ?! fit-il.
- Je peux les débusquer, déclara le guerrier, qui s’appelait Valdar.
- Un instant, lui dit Ernat. Capitaine, laissez-moi passer.
Le capitaine se poussa, étonné, et Ernat foula la Terre le premier. Le Soleil n’était pas très haut dans le ciel, et il s’approcha d’un homme aux cheveux blonds, longs jusqu’au cou, le nez sur un petit menhir, avec des instruments, d’archéologie, qu’Ernat ne connaissait pas.
- Monsieur ?
L’autochtone, ne l’ayant pas entendu arriver, sursauta, et ses lunettes rondes manquèrent choir de son nez.
- Vous êtes le professeur Loac’h ?
- Non, Ernat le sage. Et vous-même ?
Fanch remarqua à peine l’étrange accent de son interlocuteur, et prit les écailles de ses mains pour de savants tatouages. Néanmoins, il se déplia, et son chat vint se frotter à ses jambes. Et il tendit la main vers Ernat, qui n’avait pas vu l’animal.
- Enchanté, monsieur le Sage. Je suis Fanch Dutreux, archéologue. Vous devez être un touriste ? Je serai ravi de vous renseigner sur ce haut lieu de Carnac.
Ernat eut un sourire mais, ne connaissant pas les usages terrestres, il ne réagit pas face à la main tendue, alors Fanch se sentit l’air idiot, et balbutia un « Pardonnez-moi… » qui ne fut guère convaincant. A vrai dire, il avait parlé avec plaisir des menhirs et des hommes préhistoriques, de leurs mystères, à un couple d’Anglais qui se trouvait là et qui admirait les pierres dressées, et aussi le paysage dans le soleil du matin. Le nouvel arrivant le mettait mal à l’aise.
- Merci, dit seulement Ernat, et il tourna les talons, pour retourner au vaisseau tandis que Fanch se repenchait sur le petit menhir.
Mais son chat miaula, et suivit de loin le sage. Ce dernier se présenta au bas des marches de l’appareil spatial.
- Voilà un Terrien parfaitement inoffensif, capitaine. Vous pouvez descendre, tous les deux.
- Zut, maugréa Valdar. Ça va manquer de sport…
- Au contraire, c’est très bien, jugea le capitaine. Notre mission va être du gâteau, et j’aime autant qu’il n’y ait pas de dommages collatéraux.
Et il descendit, suivi de Valdar. Le chat, gris avec des taches blanches, détala, tomba sur deux congénères qui se doraient la pilule au soleil, communiqua mentalement avec eux. Le plus gros, un chat tigré aux yeux dorés, râla, mais crut comprendre. L’autre, un chat noir, avait aussitôt sauté de son menhir.
- Regarde, Jack ! Qu’ils sont mignons !
Jack sourit.
- Tu vois bien qu’ils sont occupés, darling…
Le chat tigré avait fini par s’asseoir dans l’herbe, à observer les extraterrestres.
- Ce ne sont pas des Terriens, dit-il aux deux autres.
- Il a pris mon maître pour un imbécile.
- Fais comme d’habitude, conseilla le chat tigré. Laisse-les croire qu’ils sont les maîtres, et puis…
Les trois chats se regardèrent d’un air entendu.
- Ils ne nous ont pas vus, remarqua le chat noir.
- Maintenant, ne dites plus rien, fit le chat tigré.
- Little cats ! insista Mary en s’approchant.
- Darling, dit calmement Jack. Cet endroit est tranquille.
Mais Valdar vint à lui, et posa avec brutalité une main sur son coude. Le capitaine et Ernat le suivaient.
- Plaît-il ? reprit Jack flegmatiquement.
- Cet endroit est à nous, déclara le capitaine.
- Savez-vous où vous êtes, monsieur ?
- Jack ! Tu as vu leurs têtes ?
En effet, avec leurs têtes en forme de V et leurs oreilles, pointues, qui dépassaient de leurs cheveux longs, les trois extraterrestres pouvaient intimider – mais pas un couple d’Anglais…
- Peu importe. N’opposez aucune résistance, et tout se passera bien, dit le capitaine sur un ton solennel.
- Que voulez-vous ? insista Jack.
- Oh, Jack ! C’est toi, qui as demandé aux autochtones de se déguiser pour pimenter notre voyage de noces ? Tu as toujours eu un sens de l’humour particulier !
- Mary chérie, je ne connais pas ces gens, et je ne suis pas sûr qu’ils nous veulent du bien.
- Leurs langues ont l’air bien évolué ! s’étonna Ernat de son côté. Mais en quelle période sommes-nous ? !
- Oh, vous parlez français ! s’exclama Mary dans cette langue, avec un très joli accent. Encore plus romantique, my dear !
- Vous, ôtez votre main, je vous prie, dit Jack à Valdar, qui commençait vraiment à serrer fort. Que nous voulez-vous ?
- Oh, trois fois rien ! réagit le capitaine. Nous…
- Mais nous n’avons pas été présentés. Je m’appelle Jack Typer, et voici ma toute jeune épouse, Mary.
- Nous sommes ici en voyage de noces. C’est gentil, de nous accueillir ! Mais d’où vient votre avion ?
- Avion ? Ernat ? s’étonna le capitaine.
Le sage se gratta la tête.
- J’aurais juré, vu ces pierres, que nous étions à leur préhistoire, mais…
- Vous nous aviez dit que la Terre n’était pas évoluée… Valdar ! Laisse-le !
- Mais d’où venez-vous ? demanda Jack. Monsieur ! cria-t-il à Fanch qui s’était abîmé dans sa tâche d’archéologue, à la recherche d’on ne savait quoi au pied de son menhir.
Fanch soupira, se leva après avoir posé ses instruments.
- Je ne parle pas aux mal-élevés comme eux, dit-il en s’approchant du petit groupe. Bowie ! Que fais-tu ?
Son chat s’était approché des extraterrestres, les sens en alerte.
- Non ! lui firent savoir les deux autres chats.
- Quoi, c’est votre chat, que vous avez appelé Bowie ? Il est mignon, dit Mary à Fanch.
- Même avec les poils dressés ? fit-il, flatté. Il y a quelque chose avec ces gens, mais quoi ?
- Je crains que notre civilisation ne soit plus évoluée que la nôtre, intervint Ernat avec un air suffisant.
Jack grattait ses cheveux en brosse, son coup de soleil, perplexe. Mary, les cheveux blonds en bataille, les yeux pétillants, regardait la compagnie, de plus en plus étonnée, puis se tourna vers les extraterrestres.
- Eeh ! s’exclama le capitaine alors que Bowie s’étirait au soleil, toutes griffes dehors, prêt à bondir et pensant « Ils vont nous le payer. »
Mais Fanch le saisit, et dit :
- Excusez mon chat, d’habitude il n’est pas comme ça, avec les étrangers…
Bowie se débattit, sauta des bras de son maître, et alla vers les deux autres chats, leur montra le vaisseau des arrivants.
- Allez-y, et mettez-le sens dessus dessous !
Le capitaine, et même le guerrier, avaient eu peur.
- Vous n’êtes tous que des animaux ! lança Ernat. Vous et les… chats.
- Pour un animal, je trouve mon mari très beau, et ce monsieur extrêmement cultivé… Mais vous, qui êtes-vous ?
- Nous venons d’une civilisation évoluée, déclara le capitaine. Si vous n’êtes pas capable de vous déplacer dans l’espace, vous serez éradiqués, et plus vite que vous ne croyez !
Fanch n’y comprenait rien, regardant son chat qui se rapprochait du guerrier d’un air plus que circonspect : fallait-il se méfier ?
- Et votre appareil… il est assuré ? Tous risques ? Même contre les météorites ? fit Jack, pince sans rire, et Mary, quant à elle, pouffa de rire.
Seul Fanch restait étranger à la conversation, absorbé dans la contemplation du sol, de Bowie. Tout à coup, il se pencha, et ramassa un petit caillou.
- On l’a perdu, commenta Mary, que la situation amusait.
- Mais non, votre ami est là, fit Ernat sans comprendre.
- Pour la conversation. Ma femme et moi aimons à parler, et vous m’intriguez, tous les trois. Je suggère donc que nous allions boire un thé quelque part en ville.
- La ville ? Ernat, que nous avez-vous raconté ? commença à s’énerver le capitaine Bacharan. Les hommes préhistoriques ont-ils des villes, comme nous ?
Mary éclata de rire tandis que Jack disait, toujours aussi flegmatique :
- Pour un homme préhistorique, je me trouve particulièrement bien habillé…
Cela décupla les rires de sa femme. Pendant ce temps, Ernat se défendait contre le capitaine, dans leur langue étrange qui venait des étoiles.
- C’est curieux, cette impression de voir une nébuleuse, tout à coup, proféra Fanch en se relevant, son caillou à la main, après avoir donné une caresse à Bowie.
Ce dernier, impatienté, tâchait de faire diversion, comptant sur ses compagnons pour arroser le vaisseau de leur urine, griffer tout ce qu’ils pouvaient… Et à vrai dire, dans l’appareil, ceux-ci s’en donnaient à cœur joie, à la grande terreur des occupants. Ronar se bouchait les oreilles à leurs miaulements, quelques-uns des passagers étaient griffés, les fauteuils, sans compter les flaques d’urine, le levier de commande tout abîmé, pendant lamentablement à moitié, et d’autres chats encore arrivèrent pour profiter de l’aubaine, passant là par hasard, ou appelés par le chat noir. Le tigré, lui, s’était allongé sur l’ordinateur de bord, détraquant ainsi la technologie fort pointue des extraterrestres. Une femme, Nagla, essaya de l’en déloger, s’aperçut qu’il était très doux et en fut toute désarçonnée.
- Nagla ! Que faites-vous ? lui demanda Ronar. Ce sont des sauvages !
- Des sauvages aussi doux ? Moi, j’en veux bien !
Elle s’était même mise à caresser le gros chat tigré, qui avait envie de piquer encore un roupillon, et commença à ronronner. Alors, ce fut la panique à bord.
- Quel est ce bruit ?
- Ronar ! Il y en a un qui a mis ses excréments contre la porte du cockpit !
Clairement, les extraterrestres étaient dépassés. Ronar appela donc un messager, et lui dit de faire revenir le capitaine, le sage Ernat et Valdar au vaisseau immédiatement. Le jeune homme fila sans même enfiler ses bottes. Pendant que le chat tigré ronronnait comme un moteur diesel dans les bras de Nagla, ses camarades se défoulaient, et le messager courut au petit groupe.
- Capitaine ! Nous avons un problème !
Bacharan se retourna brusquement.
- On n’a pas pu se battre ! beugla Valdar. Nous devons coloniser la Terre, nom de Guareulb !
Au ton, les trois Terriens éclatèrent de rire.
- Ils sont très drôles, tes amis, Jack !
- Je ferais n’importe quoi pour un sourire de toi, jolie Mary, répondit-il en souriant lui-même.
Fanch les regarda s’éloigner en se grattant la tête, puis se tourna vers les extraterrestres.
- Mess… Oh, et puis zut !
- Miaou ! fit le beau Bowie avec ses yeux vairon, et son serviteur le prit dans ses bras : aussitôt, il ronronna.
Les extraterrestres couraient vers le vaisseau, où c’était la débandade. Le chat tigré avait décidé de rester dans les bras de Nagla, quelque part dans le cockpit, et trois de ses semblables s’étaient faufilé dans les recoins, dont deux femelles non stérilisées. Les autres partirent de toute la vitesse de leurs pattes, sans prévenir, et s’égaillèrent sur tout le site de Carnac, goûtant une sieste bien méritée après leur quart d’heure de folie. Bowie fit un clin d’œil au chat noir, et sombra lui aussi dans les bras de Morphée, non loin de son serviteur.
Mais que croyez-vous qu’il advint ? Une fois les dégâts réparés et les appareils remis en état de marche, les extraterrestres repartirent, la queue entre les jambes. Et, quelque part dans l’univers, au-delà des étoiles, les chats ont établi une colonie, croissant et prospérant et, qui sait ? ont aussi assujetti les extraterrestres à leurs caprices…