Appel du large
Paix dans les mers !
Je croisais au large du Portugal, sur le dos d’une baleine, quand je les ai vus : ce trois mâts avec le Jolly Roger, donc infesté de pirates. Dieu sait comment ils se l’étaient approprié. A tous les coups, les cales étaient pleines d’or, de bijoux. Alors, j’ai pris mon rôle à bras le corps, me rendant à la seule force des bras au galion, dans des gerbes d’eau. Je me suis mise dans son sillage, sur la crête des vagues, et ai pris ma voix la plus enjôleuse, pour chanter les trésors des océans, ses attraits, ces bouteilles de rhum contenant des messages d’amour, de mort. J’ai chanté de ma voix la plus douce, de mezzo-soprano, et peu à peu, ils se présentèrent sur le pont du trois mâts. Je repérai le capitaine à sa longue-vue, fis en sorte qu’il ne me voie pas. Un premier homme tomba à l’eau, et tout de suite après, un deuxième.
- Deux hommes à la mer !
- Dieu ait leurs âmes !
Je plongeai pour les tirer par les chevilles. Un troisième venait de plonger, peut-être pour essayer de les sauver, mais je l’en empêchai en le tirant par les chevilles aussi. Puis je retournai sous la proue, et reprit mon chant. Une demi-douzaine d’hommes fut à la mer, que je noyai implacablement. Combien étaient-ils ? A chaque fois, je réapparaissais au même endroit, vocalisais mes plus belles mélodies. Les mouettes se mirent à m’accompagner. Je leur lançai, à ma manière aquatique, d’aller voir ailleurs, et elles m’obéirent. Au passage, je décimai l’équipage, chantai, nageai, jusqu’à ce que le capitaine se trouva seul à bord – et seul maître après Dieu. Je lui dédiai mon plus beau chant, mais il résista. Alors, je rappelai mes amies les baleines, qui s’ébattirent près du trois mâts. Enfin, il fut à son tour dans l’océan. Il avait une jambe de bois qui flottait.
- Garce ! me dit-il.
- Tu ne peux pas me tuer, susurrai-je. Je suis immortelle…
Ma queue se lova autour de sa jambe factice, et je tirai un grand coup. Il but le bouillon, et disparut, sans que les baleines ne le touchent.
Deux d’entre elles poussèrent le galion vers la côte la plus proche, alors je saisissais une corde du bateau. C’est ainsi que je me retrouvai dans un petit port du nord du Portugal, en Galice, et que les autorités locales purent récupérer tout ce qui se trouvait à bord. Mais je n’acceptai aucun remerciement ; je leur fis signe de la main, souhaitai une longue vie loin de l’eau, et plongeai.
Peut-être un poète écrira-t-il l’histoire d’une mystérieuse sirène travaillant pour la paix dans les mers…