Le point de vue de Sirius, 44° épisode
En revenant des pyramides
- Mais comment font les musulmanes !? geignit Antoinette à part elle, passant deux doigts entre son foulard et son cou.
- Ça va, Antoinette ? lui demanda Carman, qui était assis à côté d’elle.
- Comme je peux…
- J’ai faim ! fit Césig. Nous avons eu de la chance qu’une grande table se soit trouvée disponible.
- C’est l’inconvénient quand on fait les choses à la dernière minute. Tous les touristes veulent venir ici, c’est clair ! lui dit Antoinette. Mais ne vous inquiétez pas, nos plats vont arriver.
Byzix, la princesse et Ollibert ne cessaient d’échanger des regards, puis de les poser sur la vue, imprenable, des pyramides.
- Cinq millénaires… Je croyais les Terriens plus jeunes, reconnut le capitaine.
- Cette civilisation est absolument fascinante, disait la princesse après la visite, acrobatique, de deux pyramides dont la plus grande, celle de Kheops.
- Oui, encore plus fort que les Romains, observa Anthéa, toute songeuse. Et encore plus ancien, aussi. Apparemment, ils étaient plus pacifiques !
- La pax romana a existé, rappela Antoinette. Mais qu’est-ce que j’ai chaud ! Qu’est-ce que ça doit être en plein été ! Et en plus, apparemment les plats sont épicés !
- Ce n’est pas grave, fit Césig en se souvenant de la pasta all’arrabbiata italienne, et de la harissa tunisienne.
La princesse et Antoinette étaient plus philosophes qu’Antoinette, et supportaient plutôt bien leurs beaux voiles bleu nuit. Toutes deux étaient contentes de ne pas montrer leurs fronts, chose dont Césig s’était lui aussi prémuni, avec sa casquette, qu’il gardait sur la tête.
- Je ne suis pas étonnée que les pharaons s’y prenaient si tôt pour leurs tombeaux, mais je serais curieuse de connaître l’ancienne religion des Egyptiens, dit la princesse, qui râlait de moins en moins tandis qu’Antoinette prenait le relais.
- Leur écriture a été déchiffrée il y a deux siècles seulement, mais nous sommes bien documentés sur leur religion. Leur dieu principal est celui qui me fait souffrir, Râ, le Soleil.
- Râ ? se fit répéter le capitaine.
- Oui, Râ.
- Ça sonne comme le mot « roi », remarqua la princesse. Décidément, ça me plaît. Et ils étaient donc… païens ?
- Avant Jésus Christ, avant le dieu de la Bible, tous les hommes étaient païens. Ils voyaient des dieux partout.
Ollibert, Lantar et Carman ne disaient trop rien, mais leurs estomacs parlaient pour eux… Celui du capitaine aussi, mais il avait été si fasciné et intéressé par la visite du site de Gizeh, qu’il ne l’entendait pas, n’en tenant pas compte.
- Quelque chose me dit que les religions anciennes étaient moins… barbares, dit Anthéa.
- Ne croyez pas ça, certains demandaient des sacrifices humains. En Egypte, je ne crois pas, c’est plutôt en Amérique, encore que par le passé, certains peuples africains, plus au sud, mangeaient même leurs ennemis une fois vaincus… Et en Grèce, à Rome, un peu partout, les païens sacrifiaient des animaux.
Les Po-Toliens étouffèrent un cri d’horreur.
- Rassurez-nous, fit Césig, ces temps sont révolus ?
- Oui.
Le « ouf ! » fut unanime, puis il y eut des rires.
- Après, à la Préhistoire, je ne sais pas, reprit Antoinette.
- Antoinette, je vous en prie, nous serons bientôt servis… lui fit remarquer Lantar.
- Excusez-moi.
Le silence s’installa, et il y eut un concert de gargouillis : il était plus de trois heures de l’après-midi... Fort heureusement, on commença alors assez vite à les servir, et Antoinette s’attaqua à son pigeon avec joie. Césig et Carman se mirent à manger leurs kocharis à la cuiller, sans se méfier, et devinrent très rouges. Anthéa, le capitaine et Ollibert eurent plus de chance, jusqu’à ce que le pigeon dévoile sa farce… Antoinette et la princesse ne purent s’empêcher de tousser. Lantar aussi avait pris un plat épicé, si bien qu’assez vite, ils durent redemander deux bouteilles d’eau.
- Moi-même, je ne m’attendais pas à ça ! fit Antoinette. C’est très bon, mais… c’est fort !
- C’est particulier ! dit Carman quant à lui. Et avec notre méconnaissance de tous ces produits, je ne saurai peut-être jamais ce qu’il y a dans le kochari, à moins que Lucia…
Et ses yeux s’embuèrent alors qu’il portait une cuillerée à sa bouche. « Etat d’amour avancé. Les Po-Toliens sont vraiment comme tout le monde », conclut Antoinette en son for intérieur, en sueur.