Encore des chats...
Le trésor des lutins.
Il était une fois un royaume où les chats étaient censés être heureux. Seulement voilà : ce royaume était celui du Diable en personne, alors que les chats étaient des êtres doux et, en principe, inoffensifs. Rififi, malgré son nom, était de ces chats-là, et dormait toute la journée. Dans ses demi-sommeils, il cogitait de plus en plus, ne comprenant pas comment ils pouvaient avoir un tel maître. Un jour, excédé, il annonça à sa famille que, comme ce milieu ne lui plaisait pas, il allait vivre sa vie de chat ailleurs. La famille éjecta le contestataire, et sans se préoccuper de Satan, Rififi partit sur les routes. Il voulait aller trouver d’autres chats ailleurs, pour faire nombre contre le Diable.
Sa première étape fut le royaume voisin du sien. Il marcha longtemps, et enfin trouva le palais, où il entra sans être le moins du monde inquiété. Il chercha les chats du château, et les trouva dans les caves. Il y avait quelques rats, mais ils s’enfuirent à l’arrivée de Rififi. Manifestement, ils avaient peur des chats, et ces derniers se révélèrent être de vrais maîtres-chats, confits et bien dodus. Rififi, les trouvant, parla avec eux, leur expliqua son combat.
- Peuh ! dit l’un d’eux. Je me fiche pas mal de savoir qui est notre maître. Il faut croquer des rats pour avoir éventuellement une caresse, et cela me suffit.
- Mais Satan, c’est le maître de l’Enfer !
- Et alors ?
Rififi comprit vite qu’il n’arriverait à rien et, dépité, alla faire une sieste auprès du feu. Des chevaliers arrivaient, personne ne faisait attention à lui. Deux d’entre eux firent face au foyer, non loin de Rififi.
- Tu es en mission ?
- Moi non, je viens de tuer un dragon, et j’espère épouser l’une des filles du roi. Et toi ?
- Mon roi m’envoie chercher le trésor des lutins. Je viens aux renseignements, car des lutins, il y en a un peu partout…
- Il faut savoir qui sont ces lutins. Agravain !
- Oui messire ? fit l’interpellé.
- Mon ami Mégan cherche le trésor des lutins… Y en a-t-il dans le coin ?
- Il me semble, oui. Il y a les Hutins, vers la montagne. Il y a aussi les… Ah, non, eux ils n’ont pas de trésor…
Rififi tendit l’oreille, intéressé. S’il y avait des lutins vers la montagne, il pouvait y aller prendre une part pour réaliser, peut-être, le paradis des chats. Ou, pourquoi pas, s’installer là-bas. Il se mit à écouter très attentivement.
- Le trésor des lutins ? Agravain a raison, il faut chercher vers la montagne. Les lutins de la forêt se fichent pas mal de ce genre de chose.
Rififi écouta encore un peu, mais n’en sut guère plus. Il voyait les chevaliers dodeliner de la tête, ou bavarder devant le feu, ce qui voulait dire qu’ils comptaient passer au moins la nuit au palais. Il prit donc de l’avance en partant aussitôt. Il sortit du palais et se dirigea vers la montagne.
En chemin, il croqua quelques mulots rapidement, dormit quand même, pas trop longtemps. Le jour était levé depuis longtemps quand il arriva en vue de la montagne. Il était fatigué, et il sommeilla un peu, mais ne s’attarda guère. Il allait quitter les feuillages où il avait dormi, quand il vit une excavation à côté de lui. Rififi regarda la configuration des lieux, et se dit que ce serait peut-être une bonne idée d’arriver par un souterrain. Il se faufila donc dans le trou, et se mit à avancer, sans regarder derrière lui. Grave erreur ! Au bout d’un long moment, il y était toujours, et ne savait où porter ses pas. Il allait toujours tout droit, et n’arrivait nulle part. Il finit par tourner à droite, puis alla tout droit. Au bout d’un certain temps, il regarda de nouveau autour de lui : tous les couloirs se ressemblaient, et bientôt il dut reconnaître qu’il était perdu, que le prétendu souterrain était en réalité un labyrinthe. De plus, il était absolument seul, et aucun rat, aucune souris ne s’y trouvait pour qu’il puisse casser la croûte. Quelque peu démoralisé, Rififi décida néanmoins de continuer. Mais plus ça allait, et plus il était fatigué. Ses pattes lui faisaient mal, il avait faim et son énergie le quittait peu à peu. Il s’allongea sur le sol, ferma les yeux, puis les rouvrit. Il eut un regard circulaire, ne vit rien, fit encore quelques mètres. Il miaula de détresse, et voulut s’endormir et ne plus se réveiller. Mais au moment précis où il miaula, il perçut comme un léger ronflement. Il avança, vit une petite pièce sur sa droite et y entra. Une licorne s’y trouvait, endormie. Elle avait un pelage blanc, magnifique. Rififi la regarda, fasciné, puis vint s’installer tout contre elle. Il était apaisé, et si content de voir un être vivant, qu’il se mit à ronronner. Alors la licorne s’éveilla.
- Bonjour petit chat ! Que fais-tu là ?
Rififi était pattes en l’air, heureux contre le doux poil de la licorne.
- Miaou ? Oh ! Excusez-moi madame la licorne, je m’étais endormi.
- Tu es un chat, c’est normal. Mais toi, dis-moi « mademoiselle ».
- Moi, c’est Rififi.
- Tu es très mignon, tu as un beau poil gris et on dirait un petit monsieur, avec tes pattes blanches.
Rififi se rengorgea et la licorne le regarda, amusée.
- Et à part ça, que fais-tu ici ?
- Je cherche le trésor des Hutins.
- Je sais où il est. Mais explique-moi, qu’est-ce qu’un chat peut bien faire d’un trésor ?
- Un paradis pour chats, sans un maître pour nous dominer. D’autant qu’il s’agit du mal, je vais vous expliquer.
Le chat et la licorne s’expliquèrent donc, puis la licorne dit à Rififi de monter sur son dos et de s’accrocher. Rififi s’exécuta et ils sortirent du labyrinthe au galop. La licorne courut jusqu’à la montagne, puis obliqua vers un jardin merveilleux. Il était tout fleuri, et les arbres fruitiers bourgeonnaient déjà. La licorne s’arrêta au pied d’un vieux chêne.
- Descends et creuse. Le trésor est là.
Rififi se mit aussitôt au travail, et enfin découvrit un coffre. La licorne l’aida à déblayer autour, mais le coffre était très lourd. Rififi s’installa dessus pour réfléchir, et à peine y était-il, qu’un lutin apparut. Rififi, en train d’installer ses pattes sous lui pour réfléchir plus confortablement, fut interrompu par l’apparition, et en plus le lutin se transforma en ce qu’il était réellement : Satan, tout en bouc et en griffes, très grand. Rififi changea aussitôt de comportement, gonfla son poil et sauta toutes griffes dehors sur son ennemi. La licorne, apeurée, s’éloigna. Il y eut un beau combat, et Rififi planta une griffe dans l’œil gauche de Satan, qui, sur le coup, hurla. Rififi sauta à terre.
- Mademoiselle, revenez ! Vous êtes pure, votre corne nous sauvera !
Mais la licorne se tenait à distance, et Rififi vit qu’elle tremblait de peur. Il se frotta à ses pattes pour la rassurer, mais il fallait faire vite, car Satan était en train de reconstituer son œil. Rififi sauta sur le dos de la licorne.
- Droit devant, mademoiselle ! Plantez-lui votre corne dans le ventre ! Courage !
Et Rififi se hérissa, tout en se retenant à la crinière de la licorne. Il insista.
- Courage ! Droit devant ! Courez !
La licorne avait tellement peur, qu’elle ne pouvait que courir. Elle planta sa corne dans le ventre du Diable, et il explosa aussitôt en mille morceaux. La licorne se remit peu à peu, pendant que Rififi considérait le coffre. La licorne vint enfin vers lui.
- Dans les arbres, j’ai vu des lianes. Prenons-les et harnache-moi, je tirerai le coffre.
Rififi trouva l’idée bonne, et ils se mirent tous les deux au travail. Enfin, Rififi sauta de nouveau sur le dos de la licorne.
- Où veux-tu que je t’emmène ? demanda-t-elle.
- Au palais du roi de ce royaume, là où j’ai su que ce trésor existait. Connaissez-vous le chemin ?
- Bien sûr.
Cela mit du temps, à cause de la lourdeur du coffre, mais la licorne mena Rififi à bon port. Toute la cour fut bien étonnée de voir arriver un tel équipage, mais à cause de la licorne, ils se tenaient à distance. On envoya chercher le roi, et Rififi lui raconta son histoire et lui proposa la moitié du trésor. On ouvrit alors le coffre, qui contenait de fort belles pierreries, et moult pièces d’or. Le roi accepta le marché de Rififi, prit la moitié des richesses et rendit le coffre à son légitime propriétaire.
- Donc vous ne restez pas avec nous ? regretta une des filles du roi. Je me serais bien occupée d’un aussi beau petit chat, et si courageux.
Rififi regarda le chevalier à ses côtés, qu’il avait reconnu, et eut un mouvement de tête négatif.
- J’ai à faire ailleurs, dit-il.
- Ailleurs où ? demanda le roi. Nous pouvons vous y faire mener, plutôt que de faire travailler cette magnifique licorne.
Rififi tomba d’accord avec lui, et accepta de se faire ramener au royaume d’où il venait. Et ainsi fut fait.
Une fois de retour parmi les siens, avec l’autre moitié du trésor, il réunit tous les habitants et leur annonça que Satan ne les embêterait plus jamais, puisqu’il l’avait éliminé. Les chats réagirent à peine.
- Par contre, moi je me propose pour construire un paradis des chats. Imaginez des coussins douillets près d’un bon feu, des jardins plein d’oiseaux… Avec le trésor que j’ai déterré, tout cela est possible !
Les chats se regardèrent, et firent une ovation à Rififi.
- Vous allez voir. On sera très bien, assura Rififi.
Rififi dirigea le royaume, s’alliant avec le roi voisin, et bientôt, hommes et chats vécurent en excellente entente. Rififi, trop modeste pour se proclamer lui-même roi, désigna un de ses congénères pour cette fonction. Mais ce dernier lui en fut redevable, et l’établit au Conseil des sages, où Rififi continue, aujourd’hui encore de donner des conseils avisés !
© Claire M.