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l'imagination au pouvoir
25 octobre 2019

prise de position

Message infernal.

 

-          Inch’allah ! fit Ahmed, dépité, et il se fit sauter à côté de l’église, où passait assez peu de gens et, le bas du corps déchiqueté, il passa de l’autre côté.

Le coup était raté, et mis à part sa disparition, on ne compta que quelques blessés, plus ou moins gravement, dans la rue.

 

-          Voyons voir… Suivant ! fit une voix, et Ahmed se traîna devant l’ange de la mort.

-          Je suis mort en brave, déclara-t-il. J’ai voulu occire quelques mécréants, en me sacrifiant pour cette bonne cause.

Azraël regarda le nouvel arrivant, et caressa sa barbiche, sourire aux lèvres.

-          J’ai bien fait, n’est-ce pas ? fit Ahmed.

-          Ça dépend de quel point de vue on se place. Tu méprises la vie…

-          La mort est plus intéressante. Et puis je ne ressens aucune douleur.

-          C’est le propre de cet endroit. On oublie l’état de son corps, fit Azraël en clignant des yeux.

-          Tant mieux. Où est le Paradis ?

-          Ah, mais on n’y va pas comme ça ! Comment t’appelles-tu ?

-          Ahmed Bensallah. Je viens de Bagdad.

Azraël le trouva dans ses papiers, écrivit quelques mots sur une fiche, qu’il rangea, et lui indiqua une des deux portes derrière lui.

-          C’est par là, la porte de gauche. Tu pourras retrouver tes semblables.

-          Tu n’as pas de béquilles, quelque chose qui me permette de me déplacer plus facilement ?

-          Non. Et j’ai autre chose à faire. Regarde la queue derrière toi !

Ahmed essaya de se retourner, soupira en voyant la file, et se dirigea comme il put vers la porte indiquée.

-          Ce n’est pas vraiment ce que j’attendais, grommela-t-il en poussant la porte, qui s’ouvrit en grand, et il pénétra dans l’Au-delà.

Dans le lointain, il crut apercevoir des voiles froufroutants, et il s’aperçut qu’il était en train de glisser le long d’une rampe, donc vers la Terre. Il ne comprenait pas ce qu’il se passait : le paysage était plutôt minéral, avec de rares arbres, et des oiseaux, qui semblaient de feu, s’amusaient au-dessus de sa tête. Il eut un air tellement ahuri, en arrivant au bas de la rampe, qu’il provoqua un grand éclat de rire. Et l’être qui riait apparut. Ahmed aurait voulu se lever, mais ses moignons de jambes se rappelèrent à son bon souvenir, et il pesta. L’être ressemblait à Azraël, mais était tout de noir vêtu et possédait des cornes sur le crâne.

-          Mais je ne suis pas au Paradis ! Où sont mes soixante-douze vierges, le miel, les fruits ?

-          Au Paradis. Et ce n’est pas là que tu es, en effet. Mais dis-moi, quel bon vent t’amène ?

L’être riait de plus en plus, à gorge déployée. Il n’avait pas de dents, mais de véritables crocs. Ahmed tâcha de se reprendre.

-          Mais je ne comprends pas, je suis mort en martyr, en voulant tuer des mécréants ! J’ai droit au repos des braves !

L’être se tenait à présent les côtes de rire.

-          Les filles ! Venez voir ! lança-t-il. Un nouveau martyr !

Quelques filles voilées arrivèrent, et Ahmed leur sourit, ce qui occasionna de nouveaux rires, et pas seulement de l’hôte de ces lieux.

-          Oh Shaytan, quel dommage ! Il a de beaux traits, ce garçon !

-          Oui, un jeune ! Regardez ses grands yeux noirs !

-          Quel âge avais-tu ? demanda Shaytan à Ahmed. Et comment t’appelles-tu ?

-          Je m’appelle Ahmed, et j’avais trente-trois ans avant de me faire sauter.

-          Sauter ?! Mais quelle horreur ! s’exclama une fille.

-          Oui, les conséquences sont désastreuses, fit Shaytan avec un sourire, et il enlaça la fille la plus proche de lui. Il se croit au Paradis…

-          Nous ne sommes que des houris, des succubes… nous ne pouvons pas faire de miracles, dit une des filles en se penchant sur Ahmed, et elle releva légèrement son voile, pour lui embrasser le front et embraser ses sens.

-          Viens ! lança-t-il, et il tendit la main vers elle, mais elle se recula en souriant, alors que tous repartaient dans un grand rire homérique.

Ahmed les regarda sans comprendre.

-          Comment es-tu arrivé ici ? lui demanda Shaytan en réprimant son rire.

-          J’ai voulu tuer des mécréants, je suis allé près de l’église de Bagdad muni d’une ceinture d’explosifs.

-          Tu as voulu ? releva une autre tille.

-          Il n’y avait pas grand-monde…

-          Mais pourquoi ? redemanda la fille.

-          Je suis un bon musulman, répondit simplement Ahmed.

Là, Shaytan ne riait plus. Son regard transperça celui d’Ahmed.

-          Allah n’a jamais dit de tuer, pas même des mécréants. Tu as interprété ses commandements de travers.

-          Mais on m’a dit…

-          Ne te fie pas à ce qu’on dit. Sais-tu où tu es ?

-          Dans l’Au-delà. Et j’espérais une récompense pour mes actes.

-          Mon pauvre ami, tu n’es même pas bon pour l’acte d’amour. Connais-tu les effets d’une ceinture d’explosifs ?

-          Non, admit Ahmed, hormis la mort.

-          Tu es atteint dans ta virilité. Ici, tu ne pourras plus jouir, plus jamais.

Ahmed se décomposa. Shaytan en rajouta :

-          Il n’y a pas que les jambes qui ont été coupées, vois-tu… Très mauvais choix, la ceinture d’explosifs.

-          Oh, le pauvre chéri ! fit une fille.

-          A supposer que tu puisses grimper sur un lit, en plus. Ma géhenne ne te rendra pas tes jambes, pas plus que ce dont tu devais être fier.

-          Allez vous faire foutre !

-          Et tu boiras le calice jusqu’à la lie, reprit Shaytan. Les filles, vous pouvez ôter vos voiles.

La première prit son temps et, devant un Ahmed dépité, montra un nez difforme et des cicatrices aux épaules ; la deuxième avait le visage et le corps constellés de gros boutons noirs ; la troisième était famélique, plate comme une limande… Ahmed n’en pouvait plus.

-          Horreur ! Horreur ! s’écriait-il. Mais que dois-je faire pour sortir d’ici ?!

-          Tu ne peux pas sortir d’ici !! Suivante !

Et Shaytan éclata de rire à nouveau, alors que la quatrième fille, couverte de pustules, se dévoilait à son tour. Ahmed détourna le regard.

-          Regarde ! insista Shaytan.

-          Plutôt mourir !

-          Tu es déjà mort !

-          Mon Dieu, mais qu’ai-je fait ?!

Et Ahmed se tourna face contre terre, se prosternant, murmurant :

-          Si seulement je savais où est La Mecque, d’ici !

Shaytan s’arrêta de rire.

-          Ô Allah très grand et miséricordieux…

-          Tais-toi !

Contre terre, Ahmed se mit à remuer les lèvres sans émettre un son. Les quatre filles se rhabillèrent, mais laissèrent leurs longues chevelures libres, et s’égaillèrent dans tout l’Enfer. La cinquième demanda :

-          Il s’est évanoui ?

Shaytan eut un petit rire.

-          Enlève ton voile si tu veux. Et jouissez sans entraves. Celui-là ne sait pas lire le Coran.

-          Attends, Shaytan.

La donzelle jeta son voile sur Ahmed en prière, ne laissant visible que la tête, et alla rejoindre ses compagnes. Ahmed n’avait plus conscience de rien. Quand tout à coup, une grosse voix tonna :

-          Qui m’appelle, ici ?

-          Non ! s’écria Shaytan. Laisse-le-moi !

Ahmed leva la tête, regarda de tous côtés.

-          Je t’ai entendu, Ahmed, reprit la voix. As-tu entendu dire que Dieu était amour ?

-          Oui, fit Ahmed en tremblant.

-          Alors pourquoi as-tu voulu tuer ?

-          Pour… euh, non, rien. Une place au Paradis, mais…

-          Ne trouves-tu pas qu’il s’enferre dans l’erreur, là ? fit remarquer Shaytan à  Allah.

-          Si fait. Mais il n’a tué que lui.

-          Je t’en prie, ô Allah ! disaient les lèvres d’Ahmed. Fais quelque chose pour moi ! Merde, je ne dois pas être dans la bonne direction ! Où est l’Orient ?

-          Je me moque pas mal de La Mecque et de tout le reste. Trouve la paix dans ton cœur. As-tu de la famille ?

-          Oui, une femme et deux enfants, un fils et une fille.

-          Alors je te concède le droit de parler au plus âgé de tes enfants.

-          Je… je peux parler à mon fils ?

-          Oui. Dis-lui de ne pas tuer en mon nom, car je n’ai jamais rien demandé de tel.

-          Et après, tu me le laisses ?

-          Tu en feras ce que tu voudras, Shaytan.

-          Merci. Je vais en parler à mes subalternes.

Et Shaytan disparut.

-          Lève la tête, Ahmed, et regarde vers le haut.

Ahmed obéit. Une ouverture se fit vers l’extérieur, et il s’en rapprocha autant que possible.

-          Oui, c’est bien, fit Allah, et il fit apparaître l’image du fils d’Ahmed. Mais maintenant, attention ! Réfléchis bien, tu ne peux lui dire que peu de mots, mais il l’entendra, et il t’écoutera.

-          Merci, ô Allah.

-          Réfléchis bien.

Un instant se passa, et Ahmed regarda son fils. Il était perdu, ne savait que dire, comprenant qu’il avait commis une bêtise irréparable. Enfin :

-          Mohammed, surtout : ne crois pas en Allah et à toutes ces fadaises !

Allah eut un gros soupir à part lui.

-          Mais quelle andouille, murmura-t-il, et il ajouta, plus fort : Amen.

Ahmed resta seul, tandis qu’il entendait revenir Shaytan et ses sbires, toujours riant, à l’arrière.

-          Amen, soupira-t-il à son tour. Ça m’apprendra…

Une voix susurra :

-          Mais tu es mort… et tu es dans la géhenne éternelle.

 

© Claire M. 2019

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