dialogue félin
Inspiration divine
- Oh ! Voilà ma petite jeunette qui arrive ! Comment vas-tu… Nouchka ?
- Oui, Nouchka, confirma la petite ragdoll. Je peux m’étendre à côté de toi ?
- Bien sûr. C’est rare, que tu viennes par ici…
- J’ai décidé d’agrandir le cercle autour de ma maison. Mais je n’ai pas envie de chasser. Ce petit muret m’a l’air de faire l’affaire, pour une sieste…
- Oui, tu verras, on y est bien. En plus, il fait beau et on est dans le rayon de soleil….
- Tu m’as l’air très sympathique… mais ton port… aristocratique me fait un peu peur.
- Il n’y a pas de raison, petite Nouchka. Nous sommes tous les mêmes. Poils courts, longs, clairs, foncés…
- Mais il me semble qu’on t’a donné le nom d’une déesse…
- Mon humaine fantasme sur l’Egypte antique, Isis était une de leurs grandes déesses. Ils avaient même une déesse chatte, ce qui n’est pas pour me déplaire…
- Comment sais-tu tout ça ? demanda Nouchka, un peu impressionnée.
- Je suis chat d’écrivain…
- Un écrivain ? Qu’est-ce que c’est ?
- C’est un humain qui écrit des livres. Je me… cultive en dormant sur les livres de mon humaine. Je commence à prendre de l’âge, donc j’ai plus souvent sommeil, et le papier est très confortable. Tu devrais essayer !
- C’est difficile, comme occupation, chat d’écrivain ? Moi, à part jouer et dormir, je ne sais pas trop quoi faire….
- Connais-tu ton âge, Nouchka ?
- On me souhaite même mon anniversaire ! Je sais que j’ai trois ans, ou que je vais les avoir. Ils sont marrants, ces humains….
- C’est vrai, fit Isis en prenant un air songeur. La mienne a des petits-enfants qui la charment, mais moi, par contre… Ils sont encore un peu jeunes pour moi, le plus petit essaye toujours de m’attraper la queue…
- Toi, je ne sais pas, mais dans ma race, nous sommes doux et joueurs, j’aime beaucoup les papouilles… Et toi l’Egyptienne, tu es une déesse…
- Je ne suis pas exactement égyptienne… Mon père était un Mau égyptien, il m’a eue avec une Européenne, c’est tout ce que je sais.
- Et tu as… dormi sur tant de livres que ça ?
- C’est surtout que mon humaine aime lire des livres à ses petits-enfants. Et j’aime beaucoup ce moment, car ils se tiennent tranquilles.
- Mais tu es si âgée que ça ?
- Huit ans, je crois. Mais vu mon régime, je peux avoir une vieillesse longue et agréable. Mon humaine s’occupe très bien de moi, nous nous aimons beaucoup. J’aime rester avec elle dans son bureau, mais là, ce printemps est trop beau ! Tu le sens ? Le soleil chauffe déjà un peu…
- Oui… hum ! Tu as raison, ce muret est très confortable !
- Tu me ferais rire, si j’étais humaine. Quelque chose me dit que tu charmes tes humains…
- Quand je fais ça, mon humain le plus âgé dit que je fais la carpette... et ça fait rire sa compagne de vie. Comment se fait-il qu’ils restent ensemble, ces deux-là ?
- Parce qu’ils s’aiment, et aussi pour les enfants, Nouchka. Ils ne sont pas doués pour les élever tout seuls, sans le compagnon en tout cas, contrairement à nous autres…
- Ah ! Et tu as eu des petits à élever, toi ?
- Non, mon humaine m’a stérilisée quand j’étais chaton. Mais je regarde le manège des matous quand même.
- Si ça se trouve, ils sont opérés aussi…
- Je ne sais pas, je ne suis pas allée voir. Et puis je pense qu’ils me diraient de dégager. Quels rustres, ces matous ! Regarde ce gros gris, là-bas, il cherche les embrouilles, ou les minettes, va savoir…
- Oh, je n’ai pas envie de bouger… J’aime faire la carpette, comme ça.
- Tu es pile dans le rayon de soleil, coquine ! Et moi ?
- Oh, m’en empêcherais-tu, Isis ?
- Non, avec toi on peut parler. Les femelles sont plus intéressantes, et apparemment, tu as envie d’un rapprochement...
- Je ne suis qu’une minette...
- Mais tu vas chercher les anciens comme moi, plutôt que les matous…
- J’aime les chats d’expérience… et moi aussi, j’ai été stérilisée. Alors les matous… tu as vu comme ils sont gros ? Leurs humains les engraissent, c’est sûr !
- Pas forcément, ils ne savent déjà pas se retenir face à une gamelle pleine…
- Moi, je dis qu’ils font du gras. On ne les a pas vus de l’hiver, alors maintenant, ils ont eu le temps d’engraisser…
- C’est le manque d’activité, aussi. C’est vrai que l’hiver, ces messieurs restent au chaud dans leur foyer… et moi aussi, je dois dire que j’aime mon petit confort. Etre chat d’écrivain est reposant...
- Et moi, que pourrais-je faire comme… activité ?
- Quelque chose me dit que tu serais une bonne testeuse de matelas…
- C’est ça, moque-toi de moi !!
- Je plaisante, Nouchka ! C’est à la portée du premier chat venu, mais toi, je te vois plus fine, plus proche de tes humains. Est-ce que je me trompe ?
- Je ne pense pas que tu te trompes. Les plus petits aiment bien jouer avec moi…
- C’est vrai, il faudrait que je joue plus… sinon, je vais m’encroûter…
- Ah, donc je peux te parler des fondamentaux ! Ça me fait plaisir.
- Je dois reconnaître que j’ai un peu oublié mon enfance… c’était il y a si longtemps !
- Ton humaine ne te fait pas jouer ?
- Elle me ramène souvent des petites choses, mais ça ne dure qu’un temps… Quand son compagnon de vie vient, il écrase tout sans regarder ! Quel rustre ! Je ne l’aime pas trop, d’ailleurs. En plus, il me pique mon humaine !
- Ah, tu voudrais l’avoir pour toi toute seule…
- Euh…hem… oui, je le reconnais.
- Moi, je suis dans une famille de quatre personnes. Les petits ne sont pas bien grands, mais les parents me choient, ça compense des agaceries…
- Tiens, tu sais ce que tu peux faire, Nouchka, quand tu es à la maison ?
- Vas-y, dis-moi…
- Tu peux être dresseuse d’hommes. Si tu es avec de jeunes enfants, ça peut marcher. Mais il faut faire ça sérieusement, te fixer un but.
- Tiens ? C’est une idée. Et je pourrais me rendre indispensable…
- Quel rapport ? Beaucoup de chats sont indispensables, pour les humains. Comme moi avec la mienne, par exemple. Crois-moi, petite Nouchka : ils ne peuvent rien faire sans nous. Ils ont besoin d’un être familier à demeure. Nous participons à leur bonheur.
- Et ceux qui n’aiment pas les animaux ?
- En général, ce ne sont pas des gens intéressants…
- Et qu’est-ce que tu appelles des humains pas intéressants ?
- Eh bien, le compagnon de vie de mon humaine, par exemple ! Il y a des êtres qui n’ont aucune subtilité…
- Non Isis, tu es jalouse, comprit Nouchka, et elle se remit sur ses pattes. Depuis combien de temps ce type est-il avec ton humaine ? Avant toi ?
- Oh, moins d’une vie de chat. Seulement quelques années… J’étais déjà adulte, quand il est arrivé dans sa vie.
- Ne cherche pas, alors. C’est de la jalousie.
- Peut-être, grommela Isis.
Mais Nouchka préféra ne pas asséner la vérité à une compagne bien plus âgée qu’elle.
- Je te remercie pour l’idée de dresser les petits d’hommes, dit-elle.
- Oh, de rien…
Isis s’était reprise, et était reconnaissante à la petite ragdoll d’avoir fait preuve de finesse.
- Et par où devrais-je commencer, à ton avis ? demanda Nouchka.
- Je ne sais pas… j’ai trop parlé.
Isis eut un long bâillement, et reprit :
- C’est difficile, pour moi, de parler longtemps. Une petite sieste me remettra les idées en place.
- Alors tu me diras le résultat de tes cogitations plus tard… Moi, je vais rester dans le rayon de soleil, et regarder passer ces gros balourds de matous… ou peut-être les oiseaux, les nuages… Fais de beaux rêves, Isis !
Et Nouchka voulut se pousser, tombant du même coup du muret. Elle se rétablit sous les rires de l’humaine d’Isis, debout à sa porte-fenêtre. Cette dame trouva la scène inspirante, d’autant que la petite ragdoll ne la regarda pas, et remit de l’ordre dans ses poils, en plein dans le rayon de soleil. Et l’écrivain reprit sa place à son bureau pour composer quelques pages sur son chat…
© Claire M., 2020