Un de mes premiers contes
Le portrait.
Il était une fois une jeune et belle princesse, qui vivait dans un château avec le roi son père. Elle avait perdu sa mère étant encore jeune, aussi le roi et sa fille étaient-ils très proches l’un de l’autre. Mais, le roi étant fort occupé aux affaires de son royaume, la princesse passait le plus clair de son temps avec ses servantes, qui lui étaient très dévouées.
L’année de ses dix-huit ans, le royaume voisin déclara la guerre au roi, et celui-ci dut partir guerroyer. Avant de partir, il mena sa fille et ses servantes dans un petit château où, leur assura-t-il, elles seraient protégées, à condition toutefois de ne pas entrer dans une pièce particulière du château. Il confia les clefs à sa fille, elle se jeta à son cou en pleurant et le roi partit en guerre. La princesse rangea la clef de la pièce défendue, et toutes ces femmes s’arrangèrent pour vivre là, le roi avait fait en sorte qu’elles ne manquent de rien.
Cela se passa bien pendant un mois. Seule la servante la plus dévouée était au courant de la pièce interdite, et connaissait la cachette de la clef. Au bout d’un mois, n’y tenant plus et profitant que la princesse était occupée à autre chose, elle subtilisa la clef et alla droit à cette pièce. Elle ouvrit la porte et ne vit rien de particulier : la pièce était richement meublée et comportait toutes les commodités possibles. Au mur, il n’y avait qu’un petit tableau, où était représenté un très beau jeune homme. Lorsque la servante l’avisa, la bouche du portrait s’ouvrit pour parler :
- Malheureuse, qu’as-tu fait ? ! Je ne puis plus veiller sur vous, et le château va s’écrouler sous peu, car les ennemis sont proches. Amène vite la princesse ici !
Epouvantée, la servante courut à sa maîtresse, lui exposant la situation, rouge de confusion. La princesse ne prit pas le temps de la réprimander, et courut à la pièce. La beauté du portrait la frappa, mais la servante remarqua que les joues étaient devenues plus pâles.
- Hélas ! Je suis maintenant malade, très malade, et je vais mourir. Mais, belle princesse, je vous suis promis » dit le portrait d’une voix faible. « Fuyez, fuyez vers le sud, où se trouve le royaume de mon père, et tirez-moi du tombeau dans lequel je reposerai bientôt ! » Et, comme les deux femmes restaient interdites, il cria : « Fuyez ! Vos ennemis se rapprochent ! Prenez les meilleurs chevaux de l’écurie et fuyez vers le sud ! »
La princesse se reprit, et fila en toute hâte aux écuries, suivie de sa servante. Mais cette dernière ne sachant monter à cheval, la princesse prit le meilleur et la fit monter en croupe. Elles quittèrent le château au galop et bientôt entendirent un grand bruit ; elles se retournèrent, le château n’était déjà plus que ruines. La princesse, le cœur gros, fit repartir le cheval, toujours au galop car elle avait aperçu l’armée rivale.
En chevauchant vers le sud, les deux femmes arrivèrent assez rapidement à une forêt. La princesse jugea bon de s’y cacher et, malgré la terreur de sa servante, elles entrèrent dans la forêt. Elles durent ralentir le cheval, mais même ainsi, elles s’écorchèrent aux ronces et aux branches des arbres. Enfin, tombant de fatigue, elles s’arrêtèrent pour dormir. La servante put trouver quelques mûres, y trouvant encore quelques égratignures. Ses mains étaient en sang, et elle pleura tandis que la princesse les mangeait, avant de tomber dans un profond sommeil.
Elles repartirent le lendemain matin, toujours vers le sud et, quand elles sortirent enfin de la forêt, les vêtements royaux de la princesse n’étaient plus que loques, elle était méconnaissable. Elles arrivèrent enfin devant une maison de paysans, où la princesse demanda asile, car les deux femmes avaient grand faim. En les voyant dans cet état, la brave paysanne les accueillit aussitôt et leur servit à manger. Elle laissa les deux femmes se retaper pendant le reste de la journée, puis de la nuit. Au matin, la princesse parla au paysan en ces termes :
- Y a-t-il un château sur ces terres, où nous puissions aller pour rendre quelque service ?
- Oh ! Ma jolie demoiselle, vous ne sauriez mieux tomber, répondit le paysan. Oui, il y a un palais, et j’ai appris hier après-midi que notre prince était fort malade. Puissiez-vous être de quelque réconfort à notre pauvre roi.
Et le paysan lui indiqua la route à emprunter. Elle partit dans la matinée, toujours avec sa servante en croupe. La princesse n’était guère causante, car elle avait rêvé pendant la nuit qu’elle pourrait, sinon guérir, du moins ressusciter le beau prince mourant par la faute de sa servante, aussi préférait-elle ne rien en dire. Elle en était un peu fâchée mais, d’un autre côté, le portrait du jeune homme lui avait extrêmement plu.
Le soir venu, les deux femmes arrivèrent au château. On leur ouvrit, les larmes aux yeux : le prince venait de mourir.
- Ne dites rien au roi, et accueillez-nous parmi vous, dit la princesse au valet de pied. Nous dirons que nous nous proposons à son service et, j’espère, il nous acceptera.
Le valet de pied savait que le roi était très bon, et il accepta. Si la servante se trouvait dans son élément, il n’en allait pas de même pour la princesse, mais elle était devenue si méconnaissable que le valet de pied n’avait même pas soupçonné qu’elle fût princesse. En se mirant dans un baquet d’eau le lendemain matin, elle s’aperçut qu’elle avait perdu jusqu’à son diadème. Elle se retint de pleurer, et se présenta devant le roi en tant que servante. Celui-ci était très affligé de la mort de son fils, il écouta distraitement la requête des deux femmes et les affecta, sans réfléchir, aux cuisines. Une fois dans la place, la princesse se trouva prise au dépourvu, mais sa compagne lui apprit les rudiments de la chose.
L’après-midi, toute la valetaille fut conviée aux funérailles du prince. Ainsi, la princesse vit où se trouvait le tombeau royal, mais celui-ci était fermé à clef.
- J’aimerais, dit-elle à sa servante, savoir où le roi garde la clef du tombeau, car cela me ferait plaisir de voir le visage que tu as pu admirer.
La servante prit un air piteux, et promit d’essayer de le savoir. Le lendemain, elle remarqua que le roi et la reine allaient se recueillir sur la tombe de leur fils. Quand elle les vit revenir, elle les suivit discrètement, et parvint ainsi à la chambre du roi. Elle vit le roi déposer la clef dans un secrétaire dans l’antichambre, et elle fila et rapporta à sa maîtresse qu’elle pourrait lui donner la clef durant la nuit.
- Non » répondit la princesse » je veux voir où le roi la cache. Et elle ajouta sans aménité : « Tu as fait suffisamment de bêtises jusqu’à maintenant. «
Et la nuit venue, elle obligea sa servante à se lever, et à lui montrer où était la clef du tombeau. La servante, en baillant, le lui montra, et la princesse prit la clef et elles partirent aussi furtivement qu’elles étaient venues. La servante retourna se coucher, mais la princesse se rendit aussitôt au tombeau. Elle l’ouvrit, ferma la porte derrière elle. Mais une fois là, elle ne savait que faire. Elle s’assit tristement sur les marches qui menaient aux tombes, ne sachant quelle était celle du prince. Elle ne savait même pas comment il s’appelait. Elle le regrettait sincèrement, lui qui l’avait si bien veillée pendant un mois, et elle pleura.
- Mon prince, regarde dans quelle situation je suis à présent ! Je n’ai plus ni père, ni mère, ni titre ! Oh ! Mon prince !
Enfin elle essuya ses larmes, et chercha la tombe la plus neuve. Elle en ouvrit plusieurs, car toutes les tombes étaient si riches, qu’elles paraissaient toutes neuves. Enfin, elle découvrit le visage du prince, et enleva le couvercle.
- Mon prince ! appela-t-elle, ne sachant comment l’appeler autrement.
Mais presque aussitôt, il se releva.
- Ce n’est pas de votre faute, et vos larmes sont sincères. Je vois enfin la jolie personne sur laquelle je devais veiller.
Et le prince la serra dans ses bras.
- Vous ne pouvez sortir, on vous croit mort, dit amèrement la princesse.
- Mais votre père vous a promise à moi.
- Hélas ! J’ai perdu mon diadème.
- On me l’a apporté pendant mon sommeil.
Et le prince tira de sous le coussin sur lequel devait reposer sa tête, le diadème de la princesse. Elle le prit avec reconnaissance, et le posa sur sa tête.
- Vous êtes radieuse. Revenez la nuit prochaine et apportez-moi de quoi manger, car je suis encore trop faible pour sortir maintenant de ce tombeau.
La princesse promit, ils se serrèrent la main et, à sa demande, elle referma sur lui le couvercle de la tombe. Sur quoi elle retourna au lit, juste avant l'aube. Elle eut juste le temps de cacher son diadème sous son oreiller, et de feindre de dormir.
La nuit suivante, après avoir repris la clef à sa place et subtilisé de quoi manger, la princesse retourna ouvrir la tombe du jeune prince, et le regarda dévorer. Quand il eut fini, elle demanda :
- Comment vous sentez-vous ?
- Engourdi.
Et le prince sortit de sa tombe et fit quelques pas.
- Vous n’avez pas mis votre diadème.
- Je crains de l’oublier de l’enlever le matin venu.
Et la princesse lui expliqua sa situation.
- Vous êtes aux cuisines ? Fort bien, vous me porterez à manger la nuit prochaine. Vous êtes une personne fort sensée. Comment vous nommez-vous ?
- Aurore. Et vous ? demanda-t-elle le cœur battant, car le prince commençait à retrouver ses couleurs, et il était encore plus beau que la nuit précédente.
- Richard », et le prince saisit la petite main de la princesse pour la baiser. « Allons, allez dormir. Nous avons le temps de faire connaissance. Ne m’oubliez pas la nuit prochaine. »
La princesse promit, et ferma tout derrière elle et reporta la clef à sa place. Mais elle dormit peu, car sa nouvelle condition l’obligeait à se lever tôt, et elle devait encore suivre les conseils de sa servante. Cela était assez humiliant pour elle, mais elle ravala son orgueil.
La nuit suivante, comme convenu elle porta à manger au prince, puis il se mit à lui parler tendrement et les deux jeunes gens ne virent pas le temps passer. La princesse dut tout remettre en place en toute hâte, et fut à son lit à temps, car on la fit lever cinq minutes plus tard. Par habitude, elle ravala ses bâillements, mais elle était distraite. Le soir venu, elle n’en pouvait plus, et demanda à sa servante de la remplacer auprès du prince, lui faisant moult recommandations. La servante, enchantée de revoir le beau prince, accepta. Il se trouvait que toutes deux se ressemblaient, la princesse échangea ses vêtements de nuit contre ceux de la servante. Le prince n’y vit que du feu et, après avoir mangé, il bondit hors de sa tombe. Prenant la servante pour la princesse, il lui parla encore tendrement et lui dit :
- Je me sens capable de revivre à présent. Cet après-midi, vous viendrez avec mes parents vous recueillir ici, et je sortirai de ma tombe. Ne la fermez pas.
Et il passa un anneau au doigt de la servante. Elle obéit, ne fit que poser le couvercle de la tombe au-dessus de lui. Elle était tout émue, on ne lui avait jamais parlé ainsi. Elle en oublia la clef pour fermer le tombeau, qui resta dans sa chemise de nuit. Cependant, le lendemain matin elle rapporta à sa maîtresse ce qu’il s’était passé pendant la nuit. La princesse blêmit, voulut lui enlever la bague du prince. Mais cela fut impossible. Elle dit alors à sa servante d’aller subtiliser une tenue de la sœur du prince, et la servante s’acquitta discrètement de sa tâche. A l’heure dite, la princesse revêtit la robe subtilisée, arrangea ses cheveux du mieux qu’elle le put et y posa son diadème. Elle arriva au tombeau peu après le roi et la reine, qui avaient trouvé la porte ouverte et étaient furieux. La princesse les affronta.
- Oui, j’ai profané votre tombeau, mais c’est parce que le prince Richard est encore vivant. Je peux vous le prouver.
- Cela est impossible, « répliqua sèchement la reine, « car il est mort entre mes bras. »
- Mais il m’est promis.
Et la princesse entra dans le tombeau et appela :
- Prince Richard !
Il sortit aussitôt de sa tombe, à la stupéfaction de ses parents. La princesse le vit alors dans toute sa beauté, et il courut à elle, lui prit la main.
- Mais qu’avez-vous fait de votre anneau de fiançailles ?
Confuse, la princesse avoua la vérité. Elle n’en fut que plus chère au prince, qui la traita avec encore plus d’égards, puis il se tourna vers son père :
- Père, qu’est devenu le père de la princesse Aurore ?
- Je ne sais, avoua le bon roi.
- Il était parti en guerre contre le royaume voisin, » lui rappela son fils. « Avez-vous oublié votre alliance ? »
- Sacrebleu ! s’écria le roi, et il courut faire lever ses troupes en renfort.
La princesse retrouva son père quelques temps plus tard, et le mariage fut célébré. Quant à la servante, elle a toujours l’anneau au doigt, et le contemple en songeant qu’elle a été princesse une nuit…
© Claire M.