SF en Italie
Etranges visiteurs.
- Qu’est-ce que c’est beau ! s’exclama Lanastra en s’extrayant du petit astronef, et Cantor, son compagnon, renchérit :
- Et vert !
- La température est de 27 degrés, il n’y a presque pas de vent, indiqua le pilote, Berdil, après avoir consulté ses appareils. Et ici, c’est la fin du printemps.
- Et où sommes-nous, au juste ? s’enquit Cantor. Il n’y a pas de danger ?
- Apparemment non. Tout ce que je peux vous dire est que nous sommes sur une péninsule, à l’intérieur des terres.
- Je ne vois pas d’habitants… remarqua le copilote, Manor.
- Ce serait un comble ! lança Lanastra, et elle déploya ses petites ailes.
- Il y en a, asséna Berdil. Nous les rencontrerons tôt ou tard. Et mieux vaudrait ne pas les effaroucher, Lanastra.
- Pourquoi dites-vous cela, capitaine ?
- Nos ailes. Rien ne dit que les Terriens en ont. Ils ne passent pas pour être très avancés…
- Je ne vois pas le rapport, fit Cantor. Posséder des ailes n’est pas une avancée technologique, c’est simplement notre spécificité, à nous autres Alidoriens. Les Terriens en auront d’autres…
Berdil dut convenir qu’il avait raison, mais recommanda la prudence. Et Lanastra fit remarquer qu’avec la gravité terrestre, pouvoir l’éviter grâce à leurs ailes était commode. Enfin, Cantor demanda le nom de la ville la plus proche. Berdil dut chercher, aidé de Manor, mais c’était la première fois que des Alidoriens venaient sur Terre, si bien qu’ils ne le savaient pas. Pendant ce temps-là, Lanastra et Cantor s’étaient mis à folâtrer au milieu des collines, ravis, et entre deux envolées, se bécotaient.
- Dites donc, les amoureux ! finit par lancer Berdil. Il faudrait peut-être retourner sur Al… euh, sur Terre ! Je ne trouve rien !
- Il faudrait entendre parler les habitants, fit Manor. Et pour ça, il faut aller en ville.
- Et nous tournons en rond, reprit Berdil.
Cantor fit une galipette dans l’herbe, pour revenir vers eux.
- Pardonnez-nous, c’est si bon, de retrouver de la verdure ! Quel paysage !
- Vous êtes peut-être un peu jeunes pour faire ce voyage important, déclara Manor. Si nous pouvons nous installer ici, il faudra envoyer une équipe scientifique. Nous ne connaissons rien des Terriens, pas même leurs pays !
- Moi, je dirai que cette planète est parfaitement viable, se reprit Cantor. Et pour ce qui est de la gravité, ma compagne a raison…
Cette dernière revint vers eux après une looping du plus bel effet, avec ses ailes de papillon.
- Il faudrait aller vers les Terriens, avec nos ailes, et ensuite les cacher en arrivant à la ville la plus proche. Cantor et moi avons d’autres vêtements, dit-elle.
- Même si nous ne savons pas où nous allons ? demanda Manor. En plus, il n’y a quasiment pas de vent, pour nous porter.
Tous quatre se regardèrent. Berdil gratta son crâne chauve, et Cantor eut un petit rire.
- Les femmes ont toujours raison… Mais nous restons ensemble. Capitaine, nous pouvons nous retrouver ici après notre incursion, n’est-ce pas ?
- Euh… oui, mais à condition que je fasse des repérages. Manor, tu m’y aiderais ?
- Simple routine, chef… et nous mettrons l’antivol, par sécurité.
- De toute façon, rien ne bouge…
Ils regardèrent encore autour d’eux, et il s’avéra que Lanastra avait une nouvelle fois raison. De ce fait, le jeune couple alla fouiller dans ses affaires pour des vêtements plus couvrants, engageant les deux autres à en faire autant, tandis que ces derniers prenaient leurs dispositions pour l’astronef. Puis, au jugé, ils partirent à tire d’ailes vers le sud, s’élevant dans les airs pour mieux voir où ils atterriraient.
Ils survolèrent des vignobles, apprécièrent les collines vertes, les ifs, les pins qui poussaient là, dans un décor de rêve. Au bout d’un moment, Berdil lança :
- Là ! Je vois une grande tour, en haut de cette colline, là-bas…
Et son doigt désigna ce qui ressemblait effectivement à une ville. Aussitôt, tous quatre obliquèrent dans cette direction. Ils durent aussi chercher un coin où enfiler leurs tuniques pour cacher leurs ailes et ainsi passer inaperçus aux yeux des Terriens. Le capitaine fit quelques recommandations, et ils sortirent au grand jour, écarquillant les yeux en voyant une ville si belle. Ses couleurs étaient chaudes, le ciel complètement dégagé, les collines décidément très vertes. La ville même était en hauteur, et le panorama s’offrit à eux dans toute sa beauté. La place où ils étaient arrivés avait une forme étrange, et leur sembla immense. Elle était bordée de nombreux bars et, par curiosité, les quatre Alidoriens cherchèrent à monter dans la tour que Berdil avait repérée. Le sol était pavé, ils se sentaient dans un tout autre monde. Rien à voir avec le leur, où la technologie avait pris toute la place. De ce fait, tous quatre se sentaient intimidés. Manor se reprit le premier.
- Je sais comment faire pour connaître leur langue, dit-il. Approchons-nous des bars pour voir ce qui est écrit, et ouvrez bien vos oreilles.
- Bonne idée, approuva Berdil. Pour cette tour, nous verrons plus tard…
Mais tous la regardaient, décidément subjugués. Ils ne se décidaient pas à traverser la place, qui possédait une certaine déclivité. Un touriste heurta Manor, qui gardait le nez en l’air, et ne s’excusa pas. Manor le regarda, étonné. Mais comme il ne pouvait déterminer sa langue, dans ce brouhaha, il préféra ne rien dire, même si l’incident le contrariait quelque peu. Lanastra lui dit doucement de regarder plutôt autour de lui, et fit le premier pas en direction des nombreux bars.
De l’autre côté de la place, ils avisèrent les panonceaux indiquant des boissons, des glaces, et Berdil identifia le premier la langue italienne.
- Et que sont ces chiffres, à côté ? demanda Lanastra, après avoir compris qu’ils étaient en Italie. Et ce sigle, avec ce drôle de E ?
- Parle donc en italien, lui conseilla Cantor dans cette langue. Mieux vaut ne pas se faire repérer, notre langue pourrait peut-être nous trahir.
- Pardon, excuse-moi. Capitaine ?
- Tu sais bien que c’est la première fois que notre peuple visite la Terre… et ton compagnon a raison, si nous montrons notre ignorance, nous serons démasqués.
- Mais il faut bien qu’on se renseigne, représenta Manor, qui se sentait de plus en plus agacé. Et nous ne sommes pas sur Désira, où nos collègues peuvent prendre la forme qu’ils veulent…
- Notre système stellaire n’est pas le même qu’ici, rappela Berdil.
- Ni la nourriture, fit Lanastra. Elle sent très bon, et j’ai l’impression qu’ils l’apprécient vraiment.
- Et puis c’est bizarre, j’entends plein de langues différentes, remarqua Cantor. Ça me donne un peu le tournis…
- Mais ça va, mon cœur ?
- Oui oui…
Berdil et son copilote se mirent à inspecter l’endroit du regard, écoutant attentivement ce qui se disait. Beaucoup parlait en anglais, ce qui acheva de les dérouter : en effet, sur Alidoro, d’où ils venaient, tous les habitants sans exception parlaient la même langue en public, réservant leurs nombreux dialectes pour l’usage privé. Manor se rapprocha d’une « gelateria », faisant mine de souffler, pour mieux entendre le commerçant, et comprit mieux de quoi il s’agissait. Une dame donna un cornet à sa petite fille, elle-même en prit un aussi, mais fut gênée par son porte-monnaie. Alors Manor s’enhardit :
- Voulez-vous que je tienne votre glace ?
- Oh oui, merci monsieur.
Et la dame paya cet achat, puis remercia encore Manor, qui lui sourit d’autant plus qu’il venait de comprendre quelque chose. Il se reprit, puis se retourna vers ses congénères.
- Pour consommer, il faut payer. Avec une monnaie qui s’appelle l’euro. Leur E avec deux barres, Lanastra.
- Oh bon sang, qu’ils sont arriérés ! s’exclama Cantor. Et nous n’en avons pas !
Les quatre Alidoriens étaient tous dépités.
- Alors on ne peut rien faire ? demanda Lanastra, déçue. Et cette belle tour ? Autant aller y voir…
Ils soupirèrent, et voulurent donc voir à quoi elle ressemblait de l’intérieur. Mais ils ne purent aller bien loin : il fallait payer pour aller au sommet.
- Oh non ! réagirent Cantor et Lanastra, de plus en plus dépités, tandis que Berdil fustigeait le capitalisme face à Manor, qui n’en pouvait mais, en voyant cela.
- Et on s’installerait ici ?
- Le paysage, la ville sont magnifiques, le rassura le capitaine. C’est la mentalité des hommes, qui est déplorable.
- Et pourquoi toutes ces langues ? Nous sommes en Italie, oui ou non ?
- Oui, dans une ville qui s’appelle Sienne. Maintenant que nous avons vu les affichages divers, nous le savons. Et que cette tour s’appelle « Torre del Mangia ».
- A propos de manger, j’ai faim… intervint Cantor. Mais l’idée de voler ne me plaît pas.
- Papa, papa ! entendirent-ils alors. Le monsieur près de la porte a faim et ne veut pas voler !
Se sentant visé, Cantor mit une main sur sa bouche, et tira de l’autre sur sa tunique.
- Je ne sais plus quelle langue employer, maugréa-t-il en alidorien, alors Lanastra posa une main sur son bras pour le rassurer.
De leur côté, Berdil et Manor voyaient le jeune garçon leur tourner autour, et ne savaient quelle contenance prendre.
- Papa ! Aidons-les !
- Excusez mon fils, messieurs-dame. Antonio ! Mais qu’est-ce que tu as !?
- Que vous êtes belle, madame ! On… on dirait une fée !
- Je te demande pardon ? fit Lanastra, elle aussi très étonnée.
Tous se regardèrent, ébahis, sauf le petit garçon, qui insistait pour qu’on aide les quatre arrivants. Ceux-ci, en effet, étaient fort démunis.
- C’est vrai, que ma compagne est très jolie. Tu sais, nous venons de très loin… dit enfin Cantor. Nous aimerions avoir des enfants comme toi, tu vois…
Lanastra, ni aucun autre Alidorien, ne savait ce qu’était une fée, mais elle croyait comprendre qu’il s’agissait d’un compliment. En entendant son compagnon, elle sourit. Le père du gamin s’était mis à la regarder avec un beau sourire, Cantor et elle, et, un peu gêné, Cantor toussota dans sa main. Puis il se tourna vers Berdil.
- Capitaine, que faisons-nous ?
- Capitaine ? releva Antonio. Vous avez un bateau ?
- Oh bon sang… souffla Manor, de plus en plus agacé. Répondez-nous, c… euh, Berdil.
S’entendre appeler par son prénom fit un drôle d’effet au capitaine de l’expédition. Son crâne le démangeait toujours plus. Berdil dut rassembler ses esprits, puis opta pour une certaine franchise.
- Nous sommes des étrangers et ne connaissons pas du tout l’Italie. Nous avons dépensé tout notre… argent, pour venir ici, et maintenant, nous… euh…
- Raclons le fond du porte-monnaie ? comprit le père du gamin, un petit homme d’une quarantaine d’années dont le crâne se dégarnissait déjà.
Les quatre Alidoriens se regardèrent, avec une certaine connivence. En particulier, cela soulagea Manor.
- Il semblerait qu’il y a de très belles choses, dans votre région. Nous aimerions les connaître, déclara Lanastra.
- Il faut… payer même pour voir la vue ! se plaignit doucement Cantor.
- Alors venez, décida l’homme, et il tendit la main. Je m’appelle Roberto Innocenti, et mon fils s’appelle Antonio. Vous avez l’air tellement perdu, je vous trouve sympathiques. Je vais nous payer un bon repas. Connaissez-vous la cuisine italienne ?
- Non, pas du tout, répondit Lanastra.
Cela étonna Roberto, qui se demanda de quel coin perdu ils venaient. Les Alidoriens ne lui tendaient même pas la main pour serrer la sienne. Il était de plus en plus déconcerté, mais enfin, il avait écouté son cœur, et ne voulut pas se dédire. Il engagea donc les Alidoriens à le suivre, prenant son fils, qui lui ressemblait beaucoup, par la main, pour retraverser la place. Roberto leur en indiqua le nom : piazza del Campo. Mais ils allèrent encore un peu plus loin pour, dit-il, « éviter les pièges à touristes ». « Touristes » ? Ce mot intrigua la petite équipe, mais ils n’osèrent pas dire qu’ils ne la comprenaient pas. La technologie avait été si envahissante, sur Alidoro, qu’il n’y avait rien à visiter, pas même un véritable espace vert. Et c’était partout la même chose, sur leur planète. Aussi le concept de tourisme leur échappait-il complètement. Pourtant, arrivés sur Terre, ils avaient compris intuitivement qu’on pouvait visiter de vraies beautés, qu’on ne pouvait pas y déambuler sans réagir comme sur Alidoro. A dire vrai, la Terre était la première planète aussi belle qu’ils voyaient, alors que leur monde était plus ancien de deux milliers d’années… Lanastra et Cantor se regardaient, bras-dessus bras-dessous, et suivaient le mouvement, ravis de connaître une si belle ville.
Ils s’installèrent dans un petit restaurant que Roberto connaissait, et ce dernier les mit à l’aise, leur disant de prendre ce qu’ils voulaient, sans regarder au prix. De toute façon, les Alidoriens n’avaient aucune idée ce que valaient tous ces plats, et tous quatre se dirent de regarder les prix les plus bas, par délicatesse, cela leur semblant logique. Ils posèrent seulement des questions sur les ingrédients de tel ou tel plat, et Roberto leur demanda :
- Votre religion a-t-elle des interdits alimentaires ?
- Non, quelle idée ! répondit Cantor. Et nous ne sommes pas difficiles, tenez, conseillez-nous donc…
Les trois autres opinèrent, et les Alidoriens prirent presque tous la même chose. En attendant leurs plats, Roberto les fit parler.
- Je serais curieux de savoir d’où vous venez… Il y a donc des endroits sur Terre où on ne connaît pas la cuisine italienne ? Vous ne ressemblez pourtant pas à des Papous ou à des Aborigènes, votre peau est blanche, et madame est une jolie blonde…
Mais la petite troupe ne voyait pas tellement ce qu’il voulait dire. Une cuisine bonne ? Qu’étaient des Papous, des Aborigènes ? Berdil et Manor se grattaient la tête, un peu gênés. Lanastra trouva d’elle-même la parade, ou du moins le crut-elle.
- Nous ne nous sommes même pas présentés… Je m’appelle Lanastra, et Cantor et moi allons nous marier. Berdil pilote une expédition de découverte, et Manor l’y aide.
- Vous avez de drôles de noms, remarqua Antonio.
- Ce sont des noms de quelle origine ?
- Nous venons d’une petite île dans un grand océan, se rattrapa Lanastra. Notre civilisation est complètement oubliée. Nous portons des noms très anciens.
Berdil la regarda, eut un regard de reconnaissance, et Lanastra lui sourit en réponse.
- Dans ce cas, je comprends mieux, fit Roberto. On dit qu’à certains endroits de la Terre, il y a peut-être des extraterrestres qui sont derrière…
- Impossible ! C’est la première fois que nous venons sur Terre ! s’exclama Cantor, et autour d’eux, tous les regards convergèrent vers leur table.
- Cantor ! tonna Berdil.
Les yeux d’Antonio brillèrent.
- Vous êtes des extraterrestres ?! Des vrais ?!
Les quatre Alidoriens eurent un gros soupir, et Manor se prit la tête entre les mains. Roberto les regardait, émerveillé lui aussi.
- Vous ne connaissez pas la Terre ?
- Tout ce que nous savions, c’est que c’est une planète bleue, habitée. Et que vous êtes moins technologiquement avancés que nous, répondit Berdil, comprenant que ce n’était plus la peine de feinter.
- Avez-vous pris forme humaine, ou êtes-vous vraiment comme ça ? demanda Roberto.
- Nous sommes vraiment comme ça, répondit Lanastra, un peu gênée de leur avoir menti. Mais nous avons… des ailes dans le dos.
Antonio en battit des mains.
- Qu’est-ce que c’est beau ! Je ne vous oublierai jamais !
Son père le regarda avec un sourire amusé.
- Un peu de discrétion quand même, fiston. En plus, tu vois bien qu’ils débarquent…
Lanastra et Berdil regardèrent Roberto avec un sourire reconnaissant. Antonio le vit, et se le tint pour dit, tandis que son père lançait des œillades autour d’eux en espérant ne pas se faire remarquer. Puis il baissa d’un ton.
- Voulez-vous que je vous montre mon beau pays, au moins cette belle région qu’est la Toscane ?
- La Toscane est une région de l’Italie ? s’enquit Manor tout en s’embroussaillant ses longs cheveux bruns.
- Oui. C’est aussi le berceau de l’italien moderne, le parler le plus pur.
- Là où nous nous sommes posés, au milieu des collines, le paysage est splendide, décréta Cantor.
- De quel côté êtes-vous ?
- Je ne peux pas vous le dire, nous sommes au milieu de nulle part, mais Manor et moi avons fait en sorte de retrouver facilement notre astronef. Pour venir, nous avons utilisé nos… ailes, expliqua Berdil. Mais parlez-nous de la Terre…
- Mais il y aurait tant à en dire ! s’écria Roberto. Je ne saurais même pas par où commencer !
- Alors je vais vous poser une question, moi, déclara Cantor, et il demanda ce qu’était le tourisme.
Roberto dut expliquer que chaque pays était différent, de géographie, de langues, de systèmes politiques, mais cela lui fut aisé, car il était professeur d’histoire, avec une spécialité sur la période du Moyen âge. Les Alidoriens se mirent à l’écouter, fascinés. Pendant qu’ils parlaient, les premiers plats arrivèrent, gnocchi au beurre et à la sauge pour les uns, risotto bien crémeux pour les autres.
- Mais je n’ai jamais rien mangé d’aussi bon ! s’exclama Manor en dégustant son risotto aux légumes de printemps.
Les autres s’extasiaient aussi, ce qui faisait rire Antonio. Le gamin finit par demander, en baissant un peu la voix, quelle était la cuisine de leur planète.
- La cuisine, quelle cuisine ? réagit Lanastra. Tout est si fade, qu’on expédie les repas ! C’est la première fois que nous mangeons ainsi, et dans ce genre d’endroit !
Roberto se sentit obligé d’expliquer ce qu’était au juste un restaurant, ce qui fascina aussi ses interlocuteurs. Les saltimbocche, servies avec des épinards simplement relevés d’huile d’olive, produisirent leur petit effet sur leurs papilles. En outre, les Alidoriens ignoraient les desserts, mis à part quelques fruits, mais sur le conseil d’Antonio, ils choisirent soit une mousse au chocolat, soit des fraises à la crème. Le gamin, lui, se régala d’une glace, servie dans une coupe. Les extraterrestres comprirent toute la diversité d’une cuisine… Antonio se mit à parler de sa mère, mais alors son père se mit à soupirer, si bien que l’enfant finit par se taire. Cantor s’en étonna, et Roberto lui expliqua qu’il avait divorcé l’année précédente, sa femme l’ayant remplacé bien avant de lui avoir demandé son avis.
- Elle est si belle… et adorable.
- Les séparations ne sont jamais évidentes, dit doucement Berdil. Moi, je me suis séparé deux fois d’une femme, et j’en ai perdu une troisième…
Alors, tout à coup, Roberto allongea la main, prit celle du capitaine et la lui serra, au grand étonnement de la petite troupe.
- Merci, dit-il.
- Mais… de rien, fit Berdil, qui n’en revenait pas.
- Je vais faire une bonne action, et vous indiquer les beautés de la région à voir, reprit Roberto. Je ne peux prendre que deux personnes en plus, dans ma voiture…
- Qu’est-ce qu’une voiture ? demanda Cantor.
- Un moyen de transport par voie terrestre. Je suppose que vous préférez rester tous ensemble…
Les Alidoriens se regardèrent, et Lanastra prit la parole.
- Capitaine, pouvons-nous porter un homme adulte, en volant avec nos ailes ?
- Euh… je pense que oui, mais à condition d’être soi-même un homme. Toi, tu ne pourras pas.
- Les femmes peuvent porter des enfants, ça se fait, répliqua Lanastra.
- Alors je volerais dans vos bras ?
Chacun regarda Antonio.
- Il comprend vite, ce petit garçon... fit Lanastra, charmée.
- C’est vrai, nos mères nous ont portés, reconnut Manor. Et nous avons de la place, dans notre astronef, n’est-ce pas capitaine ?
Berdil acquiesça, et ajouta, pour Roberto :
- Ce petit voyage sera notre façon de vous remercier. Nous n’avons pas d’argent, mais nous avons une technologie avancée…
Aussi ils se décidèrent. Roberto paya discrètement, de plus en plus excité par l’aventure, et ils s’arrangèrent entre eux pour un aller-retour jusqu’à Livourne, sur la côte , après avoir enfin apprécié la vue depuis le sommet de la « Torre del Mangia ».
Ils allèrent dans un coin retiré de Sienne, pour pouvoir déployer leurs ailes, s’arrangeant pour transporter Roberto et son fils. Lanastra s’occupa de ce dernier, qui n’était pas bien lourd, et le serra contre sa poitrine. Ce fut un peu plus compliqué pour Roberto, mais en dernier ressort, il tint fermement Cantor d’un côté, Manor de l’autre, par la main, et ils décollèrent. Berdil menait la troupe, s’assurant régulièrement que tout se passait bien. Et c’était le cas. Roberto contemplait la campagne de sa chère Toscane et, dans les bras de Lanastra, Antonio était heureux comme un roi, en oubliait presque le paysage, alors qu’ils étaient à vingt mètres du sol au moins. Une vingtaine de minutes plus tard, ils atterrirent sans encombre, non loin de l’astronef alidorien. Roberto se sentait tout endolori, et s’assit dans l’herbe quelques instants.
De son côté, très curieux, Antonio examina l’astronef, long et fuselé comme une guêpe, doté de vitres qui permettaient de voir ce qu’il se passait dehors. Il y avait deux sortes de pales, dont une paire qui ressemblaient à celles d’un hélicoptère. Berdil enleva la sécurité puis, avec Manor, ils déployèrent encore deux sièges à l’arrière. Et Lanastra alla voir Roberto, suivie de son compagnon.
- Ça va, Roberto ?
- Oui, merci. C’est une expérience très étrange… Excusez-moi si je ne me lève pas tout de suite.
- Bien sûr.
Et Lanastra s’assit à côté de lui.
- Vous savez quoi, Alidoro ne me manque pas du tout. Ce que nous voyons ici est si beau !
- Oui, faites-nous un petit trajet, que nous voyions au moins de loin d’autres villes, demanda gentiment Cantor. Ça a été physique, nous deux, n’est-ce pas ?
- Nous trois, vous voulez dire !
- J’ai l’épaule tout endolorie.
- Et moi, les poignets…
- Vous vous reposerez dans l’astronef, même si ce sera rapide, fit Lanastra en souriant.
- Ah, il faut l’avoir fait une fois dans sa vie ! Mais je vous préviens : Antonio n’est encore jamais monté dans un avion. Alors j’espère qu’il n’aura pas le mal de l’air.
- Ne vous en faites pas. Si vous voulez, je vais le dire à… Berdil, proposa Cantor.
- Oui, je veux bien, merci.
Mais Roberto resta encore un peu dans l’herbe, et sortit de sa petite sacoche un crayon et du papier, où il fit un petit trajet pour survoler Florence, Vinci, puis suivre le cours de l’Arno et obliquer vers la côte, Livourne. Cela fait, il se leva, et, suivi de Lanastra, alla à l’astronef. Il donna le trajet à Berdil, qui avait repéré l’Italie, la Toscane dans ses appareils. Le poste de pilotage était encombré de boutons, de manettes, d’écrans, ce qui impressionna Roberto. Mais il avait choisi de faire confiance aux extraterrestres et, après avoir donné encore quelques explications au capitaine, tous prirent place et bouclèrent leurs ceintures.
Dix minutes plus tard, ils étaient déjà dans les cieux de Florence, et les Alidoriens s’exclamèrent tous sans exception, voyant le Duomo avec son baptistère en coupole, et Berdil alla à plus petite vitesse. Ils virent aussi la piazza della Signoria, sa tour, entrevirent des palais. Roberto expliquait ce qu’ils voyaient, parlant de Florence avec feu. Cantor et Lanastra regardaient, écoutaient, et Berdil et Manor se taisaient aussi, sans toutefois oublier leurs attributions respectives dans l’astronef. Quant à Antonio, il était trop excité par l’aventure pour être malade.
- C’est encore plus beau vu d’ici ! dit-il. Quand les copains vont savoir ça !!
- Oui, ça vaut le coup, mais tes copains, je ne sais pas… s’interrompit Roberto, et il embraya sur Léonard de Vinci, car ils allaient droit en pleine campagne, désormais, pour passer par Vinci, où l’artiste était né, au milieu de la verdure. Si vous voulez revenir, pour faire du tourisme… ajouta Roberto non sans malice.
Berdil toussota, et Cantor fit :
- La Terre est trop belle.
- Et vous ne voyez que l’Italie ! Le sud est très beau aussi, mais j’ai un faible pour la France… Sans compter tous les pays autour de la Méditerranée, dont nous aimons, par ici, faire le centre du monde… Elle est entre le sud, le nord, l’océan Atlantique à l’ouest, l’Orient à l’est. Mis à part l’océan, on peut facilement aller en Afrique ou en Europe du nord. J’aime beaucoup la Suède, aussi.
Désormais, l’astronef suivait l’Arno, et Manor se dit qu’avec un petit bateau, aller là serait agréable… Mais ils furent très vite à Livourne, et Roberto regarda sa montre.
- Ce serait bien que vous voyiez le soleil se coucher sur la mer… mais il est beaucoup trop tôt. Si vous savez revenir, faites-le.
- Nous le ferons, décida Berdil, et il ajouta à la cantonade : Si tout le monde est d’accord, bien entendu !
Le « oh oui ! » fut général, tant les Alidoriens étaient curieux, et enchantés de ce rapide tour en Toscane. Cela fit plaisir à Roberto, et il eut un grand sourire.
- Manor, enregistre-moi tout de suite le trajet Sienne-Livourne aller et retour, nous allons déposer nos amis, ajouta encore Berdil. Où est votre… voiture ?
- Je l’ai garée dans un parking ouvert à Sienne, en bas de la colline. Vous n’aurez qu’à nous déposer à quelques mètres, je vais vous dire où ça se trouve. Mais d’abord, avant de rentrer, je voudrais que vous poussiez déjà jusqu’à la mer, pour que je vous montre les plages. Comme ça, vous saurez où aller pour admirer le soleil couchant.
- Entendu.
Cinq minutes plus tard, ils étaient au-dessus de la mer, et Lanastra s’étonna de voir tant de gens sur les plages.
- Moi aussi, j’aime bien bronzer sur la plage, avec la femme que j’aime ou un livre, lui répondit Roberto. Et l’été, se baigner est très agréable, n’est-ce pas fiston ?!
- Oh oui ! Mais justement…
- Tu as envie de nager ?
- Oui, avoua Antonio.
- Alors je t’emmènerai ici demain, avec la voiture. Et nous prendrons nos maillots de bain.
- Décidément, vous savez vivre… conclut Cantor. Mais qu’est-ce qu’un maillot de bain ?
Roberto l’expliqua aux Alidoriens sur le chemin du retour. Et au moment de se quitter, Antonio embrassa Lanastra sur la joue, qui en fut toute surprise.
- Alors on ne se verra plus ? fit le gamin avec un sanglot dans la voix.
- Nous verrons bien. Nous aurons des décisions à prendre. Mais la Terre est si belle…
- Moi, je vais vous donner un peu d’argent, pour que vous goûtiez nos glaces. Et vous penserez à nous…
Et Roberto mit un billet de cinquante euros dans la main de Berdil, ajoutant de se faire aussi plaisir dans une boutique de souvenirs, ou ce qu’ils voudraient. Cette fois, il put serrer la main de tous, et embrassa Lanastra.
Les extraterrestres remontèrent dans leur astronef, et se regardèrent.
- Bon, eh bien retournons à Livourne…
Et en attendant que le soleil se couche, ils y firent un tour, allant dans les magasins, virent les fortifications, tout en dégustant des glaces. Ils en trouvèrent la fraîcheur agréable, outre leurs bons goûts. Lanastra et Cantor se partagèrent les leurs, on aurait dit qu’ils avaient toujours fait ainsi.
Enfin, à l’heure où le soleil se couchait, ils étaient sur le front de mer, assis sur un muret d’où ils avaient une fort belle vue.
- Quel coin agréable ! se surprit à dire Berdil. Je crois que c’est ma plus belle expérience en tant que pilote. Mais…
- Oui ? fit Manor, subjugué par l’ambiance, n’y étant pas tant que ça.
- Eh bien, je... vous…
Plus personne ne dit rien, jusqu’à ce que Lanastra s’exclame :
- Regardez ! Le soleil !
Tous se mirent à le fixer : l’astre du jour commençait à disparaître à l’horizon, et ses couleurs embrasèrent la Méditerranée. Pour le coup, chacun oublia l’italien.
- Que c’est beau !
- Mon âme... fit Cantor pour sa compagne.
Tout naturellement, les amoureux se prirent la main, et plus personne ne dit rien jusqu’à ce que le soleil eut disparu, comme avalé par la mer. Manor en eut une boule dans la gorge.
- Oh bon sang…
Et le pilote et le copilote échangèrent un regard.
- Il est impossible de s’installer ici, déclara Berdil. Hors de question de dévoyer de telles beautés. Que diriez-vous d’aller voir la France et la Suède, avant de chercher une autre planète moins belle ? Cantor, Lanastra ?
Mais les amoureux étaient trop émus pour parler, voire au bord des larmes. Cantor avait posé un bras autour de la taille de sa compagne. De nouveau, Berdil et Manor se regardèrent.
- Vous savez quoi, capitaine, nous réserverons la Terre pour le tourisme…
© Claire M, 2021