Entre deux
Bandiera italiana.
Avec des gestes précis, Lidia mesura la juste dose de café, qu’elle répartit dans le compartiment du milieu de sa petite cafetière italienne, puis vissa le tout pour le mettre à chauffer. C’était le 14 juillet, il faisait beau, elle venait à peine de terminer son année de travail. Elle chantonnait Maruzzella, une chanson napolitaine, s’imaginait retourner là-bas malgré la chaleur, à laquelle elle était de toute façon habituée : la ville de Toulouse était si à l’intérieur des terres, le vent d’autan si désagréable, à son avis, qu’elle se sentirait mieux au bord de la mer. Elle commençait à pouvoir songer à un retour là-bas, après deux ans de pandémie, les frontières commençant à se rouvrir. En réalité, elle n’était pas fixée et, si elle y allait, ce ne serait pas avant le 15 août, pour éviter les touristes. Elle n’était pas allée en Italie depuis trois ans, et ce pays lui manquait comme s’il était son pays natal, c’était celui des origines de sa famille, même si son père n’en avait pas que des bons souvenirs. Aussi Lidia était-elle rêveuse...
Elle attendait que la cafetière que celui-ci lui avait offerte chante, préparant une tasse, sa préférée : italienne aussi, avec des bords épais pour maintenir le café chaud, aux couleurs verte, blanche, rouge. Elle l’appelait sa « bandiera italiana », le drapeau italien, dans cette langue. Puis elle s’assit et ferma les yeux, pensant à ses parents et à leur pays, de béatitude. Peu après, la cafetière chantait.
- Lidia ?
- Papa ? fit-elle en rouvrant les yeux,
Mais elle sursauta : un buste bleu se tenait devant elle, coiffé d’une toque aux couleurs italiennes, un torchon sur l’épaule, tenant à la main la cafetière de son père, prêt à lui servir le café. L’être avait accentué correctement son prénom.
- Qui êtes-vous ?
- Je suis l’esprit de l’Italie, fit l’être en esquissant uen courbette. Que diriez-vous de vous y rendre à ma manière ?
- Je ne crois pas aux esprits. Donnez-moi cette cafetière.
Et Lidia ferma les yeux, les rouvrit. L’esprit était toujours là, et elle sursauta de nouveau.
- Vous vous fichez de moi, n’est-ce pas ?! dit-elle alors qu’il versait obséquieusement le café dans la « bandiera italiana ».
- Vous vous y connaissez, Lidia, avec cet Illy. Je dirais que vous êtes italienne jusqu’au bout des ongles.
- Je suis française. Je suis née en France, se rebiffa-t-elle.
- Allez… Laissez-vous faire. Grâce à moi, vous pouvez être à Naples en un clin d’œil.
- Disparaissez. Vous devez être le Diable !
- Non. L’esprit de l’Italie. Et je vous veux du bien. Que diriez-vous de revoir Valerio ?
Lidia se troubla.
- Comment connaissez-vous mon premier véritable amour ?
- Vous ne l’avez compris qu’après coup. Vous avez cette cafetière, et donc ma présence, depuis des années, je le vois à sa culotte. Vous pensez encore à lui.
- Mais c’était il y a plus de quinze ans !
- Et alors ?
Lidia était de plus en plus troublée.
- Je suis un esprit puissant. J’ai le pouvoir de mener les gens sur le lieu de leurs désirs les plus intimes. Buvez une gorgée, et je vous emmène.
Sidérée, Lidia regarda l’être.
- Mais comment êtes-vous apparu ?
- Votre café.
- Je ne suis pas habituée à le boire encore aussi chaud.
- Peu importe. Respirez-le. N’a-t-il pas un air d’Italie ?
- Si…
Et Lidia obéit, portant la tasse à son nez, en en évitant les bords brûlants. L’odeur la transporta...
Et elle fut au bas du corso Umberto I°, qui menait non loin du port. L’esprit avait trouvé ses jambes, et son torse était juste bronzé.
- Valerio est dans un café pas loin. Voulez-vous faire une promenade avant ?
- Oh…
Lidia se sentait toute chose. Elle fit quelques pas en chancelant, n’y croyant pas. Le temps de cligner des yeux, et elle était dans la ville de ses ancêtres ! Elle regarda autour d’elle, en direction du port.
- Sì signore, promenons-nous un peu le long du port…
L’esprit la mena. Lidia était en proie à une grande émotion, toute à ses souvenirs, cette promenade, la première qu’elle avait faite avec Valerio, main dans la main…. L’autre ne disait rien, mais la soutenait, comprenant ce qu’elle ressentait.
- C’est vraiment si fort ? demanda-t-il enfin.
- Oui, répondit-elle seulement.
Elle ne se reprit qu’en s’éloignant du port, marchant vers ses retrouvailles tardives avec Valerio, se posant mille questions. Enfin, l’esprit la laissa devant un café.
- Vous me laissez tomber ? questionna-t-elle, un peu anxieuse.
- Non. Commandez un café, et je serai là. Vous retournerez à Toulouse à l’issue de votre conversation. Bonnes retrouvailles, jolie Lidia.
Elle le regarda.
- C’est que… je n’ai pas d’argent sur moi.
- Qu’à cela ne tienne.
Il lui donna un billet de dix euros en disant simplement :
- A tout hasard. Mais je pense qu’il vous le paiera. Je vous en prie, entrez.
Et Lidia entra dans le bar après avoir discrètement glissé le billet dans son soutien-gorge, à vrai dire pigeonnant. A son arrivée, tous les regards se tournèrent vers elle. Elle entendit les mots de « belle inconnue », rosit, regarda de tous côtés : où était Valerio ? Elle cherchait une table où s’installer, quand un beau brun, baraqué, lui murmura en s’approchant, tout ému :
- Lidia… C’est toi ?
Elle le regarda, et le reconnut, plus de quinze ans après : il n’avait guère changé, si ce n’était les lunettes, même s’il était à présent un homme mûr.
- Valerio… C’est bien toi ?
- Je reconnais aussi ta voix… mais tu me sembles plus assurée. Tu me comprends, maintenant ?
- Ce n’est pas toi, que je ne comprends pas, Valerio. C’est autre chose, répondit Lidia d’une voix douce, dans un italien excellent, qui le surprit.
Il se sentit chavirer, aux souvenirs qui lui revenaient. De plus, Lidia portait ce joli décolleté, et de longues boucles noires s’échappaient de sa pince à cheveux.
- Toujours aussi séduisante… lâcha-t-il. Mais viens, assieds-toi, il faut que nous trinquions !
- Tu… tu es seul ?
- Non, mais je m’en fiche, mes amis attendront. Je vais trouver une table rien que pour nous deux.
- Ce café est bondé…
- Il y aura toujours une petite table. Emilio !
Le gars du bar regarda Valerio, qui lui exposa sa requête. Ils purent s’installer dans un coin et, à peine assis, Valerio commanda deux verres de spumante.
- Ça ne t’ennuie pas ? demanda-t-il tout de même à Lidia.
- Oh non. Cela fait si longtemps que je ne suis pas venue…
Elle était toute rose, à la perspective de le retrouver et de trinquer avec lui. Mais elle, c’était à l’Italie, qu’elle voulait porter un toast. Lui, il la regardait avec nostalgie, et dit enfin :
- Peu avant mon mariage, il y a douze ans, je suis allé en France en pensant à toi… tu vis toujours à Toulouse ?
- Oui, mais j’ai déménagé, depuis le temps, tu penses ! Et où es-tu allé ?
- A Paris, et voir les châteaux de la Loire. C’était… magnifique.
- Je suis allée plusieurs fois dans ma famille à Naples, jusqu’à il y a trois ans, c’était quelques mois avant la pandémie… Mon pays me manque.
- La France ?
- Non. L’Italie.
- Vraiment ?
- Mais oui !
- Mais tu es française !
- Honnêtement, Valerio, pour autant que je m’en souvienne, tu n’étais pas entre deux pays comme moi ! Je me sens autant italienne que française, voire plus.
Valerio ne répondit rien.
- Quel métier fais-tu ? demanda Lidia.
- Je suis comptable. Et toi !
- Comme ça, tu ne risques pas le chômage… Je suis professeur de linguistique à l’université de Toulouse. Je me suis spécialisée en langues romanes, l’italien.
Valerio la regarda, fasciné, sans faire de commentaires. Sur ce, leurs verres arrivèrent. Alors il se reprit, leva le sien :
- Aux jolies Françaises !
- A l’Italie ! Naples ! La ville de mes fantasmes…
Il la regarda, étonné, mais ils trinquèrent en souriant, burent chacun une gorgée de spumante.
- Belle comme tu es, tu dois être mariée…
- Non, j’ai une relation conflictuelle avec un Algérien. Et si je veux des enfants, il faut que je me dépêche. J’ai trente-neuf ans… Et toi, tu es donc marié.
- Oui, et j’ai deux enfants.
- Veinard… fit pensivement Lidia, et elle se reprit en buvant une nouvelle gorgée.
- Lidia… As-tu déjeuné ?
- Non, je buvais du café en pensant au passé… Je ne sais même pas quelle heure il est.
- Midi et demie. Je t’emmène déjeuner, alors. Nous parlerons mieux devant un bon plat de pâtes, qu’en penses-tu ?
- Je… je n’ai pas d’argent sur moi, fit Lidia, contrite.
- Ce n’est pas grave, je te l’offre.
- Mais que dira ta femme ? A moins que tu sois divorcé ?
- Non, elle est chez mes beaux-parents avec les enfants, pendant que je retrouve mes amis… Je le fais quelquefois, le samedi. J’ai du temps.
- Finissons nos verres d’abord… Cela faisait si longtemps que je n’avais pas bu de spumante !
- Nous avons le temps.
Valerio avait envie de prendre la main de Lidia, aux doigts potelés, une double bague au majeur droit, mais se retint.
- Tu me fais toujours de l’effet.
- Et toi, tu as gardé la douceur de ton regard, malgré tes lunettes.
- J’ai essayé les lentilles de contact, mais ça m’a rendu fou, alors ma femme m’a dit qu’elle me préférait avec mes lunettes… C’est mon côté intellectuel !
Et ils éclatèrent de rire, burent.
Ils sortirent du bar une vingtaine de minutes plus tard, et Valerio mena Lidia à un petit restaurant qu’il connaissait, « avec des spaghetti alle vongole du tonnerre », dit-il. Alléchée, elle se laissa faire, et tous deux prirent la même chose. Ils s’étaient installés dans une encoignure, où ils ne seraient pas dérangés malgré l’ambiance bon enfant, très italienne, où les gens riaient, s’apostrophaient en faisant de grands gestes. « L’Italie comme je l’aime », se disait Lidia, aux anges. Valerio avait demandé un pichet de vin blanc frais, en plus de la bouteille d’eau, ce qui commença par les désaltérer, car il faisait chaud, à Naples en juillet. En attendant leur repas, ils reprirent leur conversation.
- Je dois reconnaître que tu ne dépares pas dans le décor, une véritable Italienne, en fait.
- Plus que toi ? minauda Lidia, et Valerio eut un petit rire.
- Si ça se trouve, mes ancêtres sont français… Nous avons eu René d’Anjou, il y a très longtemps.
- Je sais, l’un de mes grands-pères enseignait l’histoire italienne à l’université où je travaille maintenant.
- Tu ne m’as jamais tellement parlé de ta famille…
- Notre relation n’a duré qu’un mois, rappela Lidia. Ce n’est qu’à la fin que tu m’as dit qu’une partie de ta famille était calabraise !
- Merde, réalisa Valerio. Je crois que je ne suis pas doué pour la communication… J’ai laissé parler mes sens, à l’époque tu avais un petit accent étranger agréable…
- Je connaissais déjà bien l’italien, dit Lidia d’une voix douce. Exception faite de mes oncles et tantes qui sont nés en France, les Montella sont de purs Italiens. Napolitains, même.
- J’avais oublié que tu avais un nom italien.
- Ça ne fait rien.
- Typiquement napolitain, même. Tu en as appelé à mes sens plus qu’à autre chose.
- Je l’avais compris…
Ils se regardèrent, tout à leurs souvenirs, sans se voir.
- Maintenant, c’est moi qui ai besoin des mots, admit Valerio.
- Mais je les avais, les mots !
- Tu faisais de petites erreurs irrésistibles…
- C’était l’émotion, Valerio. Je rêve de plus en plus en italien, en plus du français. Voire en grec.
- En grec ?
- Toi, tu étais étudiant en comptabilité... Mais moi, j’ai fait un stage Erasmus à Athènes. Une des plus belles expériences de ma vie ! Plus tard, j’y suis retournée, je gagne bien ma vie, maintenant… Je parle couramment le grec moderne. Et maintenant, je prends des cours d’arabe, même si mon copain m’énerve.
- Tu m’as dit qu’il était algérien ?
- Je ne plais qu’aux Méditerranéens. La France n’est qu’un pays parmi d’autres, pour moi, et je ne m’y reconnais pas forcément.
- Tu me… fascines, fit Valerio, l’air effectivement songeur.
- Tu n’as jamais appris le français ?
- J’y ai pensé. Mais je croyais savoir que je ne te retrouverais pas, alors à quoi bon… Je ne connais que l’anglais et l’allemand, et j’ai un accent terrible.
- Tu n’es pas curieux.
- Tu es d’une famille bilingue, alors ?
- Oui. Ça aide.
Valerio secoua la tête.
- Ma pauvre Lidia, nous nous ne sommes jamais compris…
Il semblait peiné, et elle se sentit obligée de lui dire que cela ne faisait rien.
- Nous avons raté notre histoire d’amour… fit Valerio en soupirant.
- Je n’ai rien compris à ce qui m’arrivait. Maintenant qu’Abdel me saute dessus, je me dis « merde, ça recommence ».
- Alors toi aussi, tu penses encore à moi…
- Oui.
Le silence se fit. Lidia se versa de l’eau, et en but une gorgée, quelque peu gênée. Valerio soupira encore. Il avait de nouveau envie de lui prendre la main.
- Je suppose que tu as aussi connu des Grecs ? demanda-t-il au bout d’un moment.
- Oui, pourquoi ?
- C’est quoi, alors, l’étranger, pour toi ?
- Le mot « étranger » ne signifie rien, pour moi. Je me sens de la Terre entière. Au début de ma relation avec Abdel, avant le covid, je suis allée deux fois en Algérie. Je connais aussi un peu la Turquie, ai visité New York et la côte Est des Etats-Unis. Je me sens bien partout, mais…
- Mais ?
- Surtout en Italie. Je dirais même ici à Naples. Mais toi, j’ai l’impression que tu quittes l’Italie en te disant que tu vas forcément à l’étranger.
- Oui, c’est vrai. Et tu connais plein de langues…
- C’est ma passion. Alors j’en ai fait mon métier. Nous n’avons jamais parlé de livres, Valerio. Tu m’as parlé de l’histoire de la Campanie, le château de Caserta, l’Italie, de chats, de tes amis, mais jamais de ce que tu lisais.
- C’est que… je ne lis pas beaucoup. Surtout depuis que je suis papa, car il y a des auteurs que j’aime, tout de même. Alexandre Dumas !
La tentative de prononciation du x et du u du nom d’Alexandre Dumas fit sourire Lidia, et cela le surprit.
- Tu es mignon, dit-elle. Tu sais, il n’est jamais trop tard, pour apprendre une langue, et je sais que tu es loin d’être bête. Tu t’intéresses à l’histoire.
- Disons que je sais quelques petites choses…
Lidia eut un petit rire.
- M’as-tu seulement aimé ?
- Oui… mais je ne l’ai compris qu’après d’autres expériences, répondit Lidia d’une petite voix.
- Ça ne fait rien. Mais je crois que voici nos spaghetti alle vongole. Tu vas voir, tu vas te régaler. Qu’as-tu pris, comme secondo ?
- Du thon frais, comme toi.
- Ici, le poisson est très frais.
- Hum ! fit Lidia en passant sa langue sur ses lèvres.
- Monsieur-dame…
Les assiettes étant généreuses, ils se turent pour manger, et Lidia fit honneur. Valerio la regardait, nostalgique et amusé. L’un comme l’autre mangea tout, et les assiettes ne repartirent qu’avec des coquillages vides.
- Tu ne changes pas, tu as toujours le regard gourmand, commenta Valerio.
- Je crois que nous avons comme point commun notre goût pour la bonne chère…
- Oui, et les chats ! Alors parlons de nos points communs ! Je ne me souviens pas que nous l’ayons fait…
- Tu croyais donc vraiment que je n’avais pas les mots ?
- Oui. Je crois que nous avons eu une attirance réciproque et que… eh bien…
- Ne t’excuse pas.
- Si. J’étais jeune et con. J’ai mûri.
- Moi, à en croire Abdel, pas tellement…
- Mais tu voudrais des enfants. Et crois-moi, c’est la plus belle chose qui puisse arriver.
Le visage de Valerio s’était illuminé.
- Quel âge ont-ils ?
- Pippo a neuf ans, et Gina, six.
- Alors tu les as eus tard, il me semble.
- Quand Pippo est né, j’avais trente-deux ans. Ma femme et moi avons quatre ans d’écart. Elle est aussi ronde que toi…
- Ah ? Donc ce n’était pas si tard…
Lidia était devenue toute songeuse.
- Et nous avons un chat noir et blanc, Figaro, ajouta Valerio. Je voulais aussi un chat.
- Je me contente de celui de mes parents. Mais il est très mignon, un vrai pot de colle ! Un matou gris...
A cette évocation, Lidia riait.
- Pourquoi n’en as-tu pas ?
- Si je ne me disputais pas si souvent avec mon copain, je lui en parlerais… Il serait peut-être d’accord. Depuis la pandémie, ça me manque.
- Peut-être que vous vous disputez parce que, depuis, nous nous sommes tous retrouvés chez nous…
- Il y a de ça. Et les Algériens sont les pires machos que je connaisse.
Ils se regardèrent, éclatèrent de rire.
- Moi aussi, je me suis beaucoup disputé avec ma femme, depuis deux ans.
- Je te remercie de me rassurer !
- Ça me fait plaisir de te revoir, Lidia.
- Si tu savais par quel miracle, tu ne me croirais pas….
- Tu es toujours aussi mystérieuse, ma jolie Française… Mais je le respecterai. Je ne dirai rien à Mara.
- Ta femme ?
- Oui.
- Je ne sais pas si nous nous reverrons. Je vois que tu l’aimes.
- Comme au premier jour, dit Valerio en souriant. Tu es très belle, mais si elle a les cheveux noirs, elle a des yeux bleu magnifiques, que tu n’as pas… Elle a les cheveux si noirs, que ces couleurs se répondent presque. Ma fille en a hérité…
- Tu es fier de ta famille.
- Oui, très.
Ce fut Lidia, qui soupira.
- Je suis sûr que… Abdel est fou d e toi.
- Oui… je crois.
- Ne laisse plus passer ta chance, Lidia. Surtout si tu veux des enfants. Si nous étions restés ensemble, nous aurions voyagé, et je serais devenu apatride par amour, comme toi.
- Mara est napolitaine ?
- Oui.
- Mais je ne me sens pas apatride. Je suis juste de partout ailleurs qu’en France. Ce pays n’aime pas les formes.
- Que veux-tu dire ?
Lidia montra sa poitrine, ses fesses.
- Les formes féminines. Même dans le sud de la France. Ce n’est pas probablement pas par hasard que je suis avec un Arabe. J’ai eu très peu de… d’hommes franco-français, comme on dit là-bas. Toi, tu as su me réconcilier avec mes formes.
Valerio eut un sourire doux qui la fit fondre.
- Lidia, écoute-moi. Reste avec Abdel. Depuis combien de temps es-tu avec lui ?
- Quatre ans.
- Si vous vous disputez depuis quatre ans, ça veut dire que vous tenez le choc.
- C’est une façon de voir les choses… fit Lidia, troublée.
- Allez ! Reprends-toi ! Moi aussi je suis gourmand. Nous prendrons même un dessert !
Alors ils firent durer le moment, parlèrent du château de Caserta, du train dans lequel ils s’étaient rencontrés, et Valerio parla de la branche calabraise de sa famille, Lidia de la France, donnant envie à son ancien amoureux d’y retourner. Elle-même ne connaissant pas la Calabre, ce fut leur premier véritable échange, depuis plus de quinze ans. Aussi ce fut le cœur battant, que Lidia vit leurs ristretti arriver, car elle avait compris qu’alors, leur conversation toucherait à sa fin. Elle le regrettait déjà, consciente qu’ils pourraient ne jamais se revoir. Mais elle avait appris beaucoup, le temps d’un repas… Et puis l’odeur de café flatta ses narines, un éclair bleu puis plus rien.
Elle reposa sa « bandiera italiana » sourire aux lèvres, rouvrant les yeux.
- Ma Lidia ?
- Abdel !
Elle se jeta à son cou pour cacher son émotion.
- Ça va ? demanda-t-il en caressant les cheveux qui dépassaient de sa pince.
- Il faut que je te dise quelque chose, mon chéri.
- Vas-y…
- Je voudrais des enfants. Et un chat.
- Tout ce que tu voudras, mon amour, répondit Abdel spontanément, et elle se libéra de son étreinte pour le regarder : malgré sa petite taille et ses cheveux noirs frisés, il avait la même poitrine rassurante que Valerio…
© Claire M, 2023