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l'imagination au pouvoir
14 octobre 2018

amusement dominical

Un événement à l’église.

                                                                                                          A maman

 

Le grand-père était mort, et toute sa famille très triste, consciente d’avoir perdu son meilleur élément. « Les meilleurs partent toujours les premiers », se disaient-ils. Ce grand-père avait été un merveilleux conteur, jamais avare d’histoires, inventées ou pas, et il les avait semées, comme les cendres de sa pipe, qu’il avait toujours vissée à son bec. Et à présent… Eh bien, plus personne pour raconter. Les petits-enfants étaient les plus tristes, une petitoune pleurait, d’autres essuyaient une larme. Même à trente, quarante ans, et même à soixante ans, on aimait beaucoup les histoires, dans cette famille. Le grand-père rassemblait son entourage, et c’était parti pour de longues soirées. Les histoires en entrainaient d’autres ; le vieil homme leur manquait déjà.

Cette famille-là se fichait de Dieu comme du diable, mais était suffisamment traditionnaliste pour organiser une messe pour le défunt. Tous les moyens pour rassembler la famille seraient bons. Ensuite, il y aurait un petit repas. Tout le monde s’était déplacé pour rendre un dernier hommage au grand-père adoré. L’église se trouvait noire de monde, entre la famille, les amis, les anciens collègues de travail du défunt. Tous profitèrent du silence pour se recueillir, et les plus jeunes se mirent à prier pour déterminer celui qui reprendrait le flambeau. Ils aimaient tant les histoires ! Les adultes le comprirent, et firent de même. Au fond d’eux, absolument tous savaient qu’une vie sans histoires, ce n’était pas une vie. Il fallait donc un conteur. Par conséquent, l’église était étonnamment calme, malgré le nombre de mécréants qui s’y trouvait. Tous formaient le même vœu, qui n’avait  rien à voir avec ce que pouvait dire l’officiant : cela leur passait au-dessus des cheveux. Le grand-père racontait mieux que la Bible ou n’importe quel curé. D’ailleurs, ce dernier, pas très en verve, rendait son office, sans plus,  d’une voix assez monocorde.

L’église était fraîche, et tous avaient dû ôter leurs chapeaux. Il y avait évidemment quelques crânes chauves, et ce qui devait arriver arriva. Alors que le curé débitait sa litanie dans un silence parfait, quelqu’un éternua. Un vent passa dans l’assistance, et aussitôt, ce furent des chuchotements, des rires. Alors quelqu’un d’autre crut réaliser ce qu’il se passait, et lança :

-          Dieu nous a envoyé la relève ! Qui a éternué ?

Tous se regardèrent, se comprirent. Sauf le curé, qui tenta d’apaiser la foule.

-          Oui ! Trouvons celui qui a éternué ! dit un troisième personnage, et le mot passa.

L’homme de Dieu ne put rien faire, et malgré ses exhortations au calme, ne parvint décidément pas à faire revenir le silence. En même temps, avec cette famille-là, il savait à qui il avait affaire. Néanmoins, il essaya de crier un bon coup. Il en allait de sa réputation, et de celle de l’église face à ces mécréants notoires.

-          Vous verrez ça plus tard ! Dieu nous appelle !

Mais on répliqua.

-          Dieu nous a envoyé un éternueur !

Ledit éternueur se faisait tout petit dans son coin. Il aurait voulu remettre son chapeau. Il faisait bien partie de cette famille, mais contrairement à la plupart, c’était un homme discret qui, à défaut d’être croyant, respectait les institutions.  Devenir le centre des attentions le gênait au possible. Il pouvait éternuer jusqu’à une douzaine de fois de suite, et se méfiait. Il voulut s’esquiver, mais tout de suite, absolument tous les regards furent sur lui. Sa femme le regardait amoureusement.

-          Mais c’est le cousin Bertrand !

-          Bertrand ! C’est donc toi l’heureux élu !

Pendant ce temps, le curé essayait toujours de calmer ses ouailles, sans succès. Le capitaine au long cours qu’était l’amiral Korouzov, assis non loin du cousin Bertrand, le saisit par la manche. Un vrai personnage, ce capitaine, beau-frère du défunt.

-          Amiral, je vous en prie ! fit le cousin Bertrand. N’en rajoutez pas, ajouta-t-il, mettant un doigt sur sa bouche et regardant désespérément la sœur du défunt.

Madame Korouzov se tourna vers son mari.

-          Oui, calme-toi, lui dit-elle. Pense à l’endroit où nous sommes, tout de même !

-          Qu’est-ce que ça peut me faire !

Et la voix de l’amiral tonna dans l’église :

-          Le cousin Bertrand est élu conteur de la famille !

-          Mais je…

En réalité, c’était vrai que le cousin Bertrand, comme tous dans la famille, aimait les histoires. Il en racontait lui-même à ses enfants, peut-être pas aussi bien que le grand-père, enfin presque. Et puis sa femme savait que cela lui ferait du bien d’être admiré pour autre chose que sa discrétion. Au fond il s’agissait d’une reconnaissance, d’une promotion. Alors elle se leva à son tour.

-          Pour mon mari, hip hip hip !

-          Hourra !

Complètement dépassé, le curé conclut la messe.

-          In nomine Patris, Filiis et Spiritus sancti…fit-il humblement, puis il ajouta, toujours en latin : Ite, missa est…

 

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