Point de vue de Sirius, 15° épisode
Quelques « fâcheux ».
Byzix et Césig avaient vérifié leur appareil, et repéré l’endroit grâce au plan de M. Worth, et de Miguel, qui avait le sens de l’orientation, et heureusement, car la lecture du plan avait été ardue pour les Po-Toliens. Miguel avait rapidement vu l’appareil, et s’était émerveillé de la technologie potolienne. Enfin, il jeta un regard envieux vers la plage, les vagues, et ramena ses nouveaux amis à l’association de l’amitié. Et il resta avec eux, pour aller s’installer dans le parc, un peu à l’écart sur les instances de Byzix et de Carman.
- Maintenant, parlons peu mais parlons bien, les amis, fit Byzix une fois que tout le monde fut assis. Que faisons-nous ?
- On reste, répondit la princesse. Cet endroit est un excellent QG.
- Et très agréable, approuva Césig en s’étalant dans l’herbe.
Mais Anthéa respirait les fleurs et regardait son mari, aux anges.
- Ma chérie, lui dit ce dernier. Le capitaine a raison de poser des questions.
- Je sais… Mais tu as vu Césig et Ollibert ?
Le majordome, lui aussi, prenait ses aises. Seuls Byzix et Carman avaient réellement l’air sérieux, car la princesse Balea cherchait quelque chose du regard, peut-être.
- Les amis ! lança encore Byzix, alors qu’Anthéa avait mis le bout des doigts sur le bras de Lantar.
Miguel, quant à lui, regardait la petite troupe d’un air goguenard, un brin d’herbe entre les dents qui lui donnait l’air d’un cow-boy sexy.
- Alors, que voulez-vous faire ? demanda-t-il après un temps.
- J’essaye de motiver mes troupes ! râla Byzix à moitié, et il éclata de rire.
- Moi je vous écoute, capitaine, dit Carman.
- Merci…
Miguel rit encore.
- Je crois qu’Atlantide vous plaît !
Le « oui ! » fut unanime, y compris du capitaine.
- Mais il y a d’autres endroits à voir.
- Lesquels ? demanda Carman à Miguel.
- La Terre ? demanda Byzix quant à lui.
- Nous n’y sommes pas encore, une chose après l’autre, fit alors Césig. Je vous rappelle que cette population, ici, est terrienne.
- Je confirme, déclara Miguel. Ici, par rapport à la Terre, il y a quelques terres émergées supplémentaires, et…
- Messieurs-dames ? Je crois que vous êtes amateurs de chocolat ? J’ai fait un gâteau en pensant à vous…
Tous sursautèrent, et Miguel éclata de rire.
- Chouette ! lança Césig, et il regarda la petite dame en robe d’été et chapeau de paille. Oh, pardon !
Et il se leva pour faire la révérence, fut suivi dans son mouvement par ses six compagnons.
- Que… ? commença Miguel.
- Vous voulez du gâteau au chocolat aussi, bel hidalgo ?
Personne ne sut refuser, mais Miguel lui dit quand même de les laisser parler sérieusement. Alors elle coupa le gâteau en huit parts, les distribua et repartit, un joli sourire aux lèvres. Mais avant de reprendre la conversation, chacun mangea du gâteau avec un air qui en disait long.
- Quelles sont les terres émergées supplémentaires ? demanda enfin Carman. Ce continent, Mu…
- Et quelques îles plus petites, notamment en Méditerranée. Mais je pense à une chose…
- Oui, allez-y, Miguel.
- Voulez-vous aller sur Terre ?
- Ce serait bien, fit prudemment Byzix après avoir regardé l’assistance.
- Ça dépend aussi du climat, dit la princesse.
Mais Byzix la foudroya un peu du regard, se reprit. Leur collation leur avait fait du bien, apaisé les consciences. Miguel ouvrait la bouche, quand un homme arriva en faisant de grands gestes.
- On m’a dit que vous veniez d’une autre planète ?! fit-il en anglais.
- Oui… soupira Miguel en regardant les Po-Toliens.
- Si vous venez les mains vides, laissez tomber ! lança Césig. Nous parlons sérieusement !
Mais l’homme, qui était grec, ne comprit pas son espagnol. Miguel dut expliquer rapidement qu’ils parlaient sérieusement et que le Grec pouvait aller se faire voir.
- Ça ne fait rien, je m’assois et j’attends mon tour !
- Latin ?
- Grec. En plus, il y a de jolies femmes, comment s’appelle la plus fessue ?
De toute façon, la princesse ne les regardait pas, le regard perdu sur depuis cette nouvelle interruption. Miguel faillit prendre la mouche, se retint, et fit un geste vers le Grec qui s’approchait.
- Votre Altesse ! lança Byzix.
- Interrogez les Terriens qui sont ici, je vais chercher un endroit tranquille, décida Miguel, et il attrapa le bras du Grec qui commençait à parler avec de grands gestes sur la gent féminine extraterrestre.
- Flocon-san !
La princesse se leva alors que le chat frottait son museau sur ses pieds en ronronnant.
- Les amis, on a perdu la princesse, déclara Césig sourire aux lèvres, et Lantar chatouilla Anthéa…
Entre deux
Bandiera italiana.
Avec des gestes précis, Lidia mesura la juste dose de café, qu’elle répartit dans le compartiment du milieu de sa petite cafetière italienne, puis vissa le tout pour le mettre à chauffer. C’était le 14 juillet, il faisait beau, elle venait à peine de terminer son année de travail. Elle chantonnait Maruzzella, une chanson napolitaine, s’imaginait retourner là-bas malgré la chaleur, à laquelle elle était de toute façon habituée : la ville de Toulouse était si à l’intérieur des terres, le vent d’autan si désagréable, à son avis, qu’elle se sentirait mieux au bord de la mer. Elle commençait à pouvoir songer à un retour là-bas, après deux ans de pandémie, les frontières commençant à se rouvrir. En réalité, elle n’était pas fixée et, si elle y allait, ce ne serait pas avant le 15 août, pour éviter les touristes. Elle n’était pas allée en Italie depuis trois ans, et ce pays lui manquait comme s’il était son pays natal, c’était celui des origines de sa famille, même si son père n’en avait pas que des bons souvenirs. Aussi Lidia était-elle rêveuse...
Elle attendait que la cafetière que celui-ci lui avait offerte chante, préparant une tasse, sa préférée : italienne aussi, avec des bords épais pour maintenir le café chaud, aux couleurs verte, blanche, rouge. Elle l’appelait sa « bandiera italiana », le drapeau italien, dans cette langue. Puis elle s’assit et ferma les yeux, pensant à ses parents et à leur pays, de béatitude. Peu après, la cafetière chantait.
- Lidia ?
- Papa ? fit-elle en rouvrant les yeux,
Mais elle sursauta : un buste bleu se tenait devant elle, coiffé d’une toque aux couleurs italiennes, un torchon sur l’épaule, tenant à la main la cafetière de son père, prêt à lui servir le café. L’être avait accentué correctement son prénom.
- Qui êtes-vous ?
- Je suis l’esprit de l’Italie, fit l’être en esquissant uen courbette. Que diriez-vous de vous y rendre à ma manière ?
- Je ne crois pas aux esprits. Donnez-moi cette cafetière.
Et Lidia ferma les yeux, les rouvrit. L’esprit était toujours là, et elle sursauta de nouveau.
- Vous vous fichez de moi, n’est-ce pas ?! dit-elle alors qu’il versait obséquieusement le café dans la « bandiera italiana ».
- Vous vous y connaissez, Lidia, avec cet Illy. Je dirais que vous êtes italienne jusqu’au bout des ongles.
- Je suis française. Je suis née en France, se rebiffa-t-elle.
- Allez… Laissez-vous faire. Grâce à moi, vous pouvez être à Naples en un clin d’œil.
- Disparaissez. Vous devez être le Diable !
- Non. L’esprit de l’Italie. Et je vous veux du bien. Que diriez-vous de revoir Valerio ?
Lidia se troubla.
- Comment connaissez-vous mon premier véritable amour ?
- Vous ne l’avez compris qu’après coup. Vous avez cette cafetière, et donc ma présence, depuis des années, je le vois à sa culotte. Vous pensez encore à lui.
- Mais c’était il y a plus de quinze ans !
- Et alors ?
Lidia était de plus en plus troublée.
- Je suis un esprit puissant. J’ai le pouvoir de mener les gens sur le lieu de leurs désirs les plus intimes. Buvez une gorgée, et je vous emmène.
Sidérée, Lidia regarda l’être.
- Mais comment êtes-vous apparu ?
- Votre café.
- Je ne suis pas habituée à le boire encore aussi chaud.
- Peu importe. Respirez-le. N’a-t-il pas un air d’Italie ?
- Si…
Et Lidia obéit, portant la tasse à son nez, en en évitant les bords brûlants. L’odeur la transporta...
Et elle fut au bas du corso Umberto I°, qui menait non loin du port. L’esprit avait trouvé ses jambes, et son torse était juste bronzé.
- Valerio est dans un café pas loin. Voulez-vous faire une promenade avant ?
- Oh…
Lidia se sentait toute chose. Elle fit quelques pas en chancelant, n’y croyant pas. Le temps de cligner des yeux, et elle était dans la ville de ses ancêtres ! Elle regarda autour d’elle, en direction du port.
- Sì signore, promenons-nous un peu le long du port…
L’esprit la mena. Lidia était en proie à une grande émotion, toute à ses souvenirs, cette promenade, la première qu’elle avait faite avec Valerio, main dans la main…. L’autre ne disait rien, mais la soutenait, comprenant ce qu’elle ressentait.
- C’est vraiment si fort ? demanda-t-il enfin.
- Oui, répondit-elle seulement.
Elle ne se reprit qu’en s’éloignant du port, marchant vers ses retrouvailles tardives avec Valerio, se posant mille questions. Enfin, l’esprit la laissa devant un café.
- Vous me laissez tomber ? questionna-t-elle, un peu anxieuse.
- Non. Commandez un café, et je serai là. Vous retournerez à Toulouse à l’issue de votre conversation. Bonnes retrouvailles, jolie Lidia.
Elle le regarda.
- C’est que… je n’ai pas d’argent sur moi.
- Qu’à cela ne tienne.
Il lui donna un billet de dix euros en disant simplement :
- A tout hasard. Mais je pense qu’il vous le paiera. Je vous en prie, entrez.
Et Lidia entra dans le bar après avoir discrètement glissé le billet dans son soutien-gorge, à vrai dire pigeonnant. A son arrivée, tous les regards se tournèrent vers elle. Elle entendit les mots de « belle inconnue », rosit, regarda de tous côtés : où était Valerio ? Elle cherchait une table où s’installer, quand un beau brun, baraqué, lui murmura en s’approchant, tout ému :
- Lidia… C’est toi ?
Elle le regarda, et le reconnut, plus de quinze ans après : il n’avait guère changé, si ce n’était les lunettes, même s’il était à présent un homme mûr.
- Valerio… C’est bien toi ?
- Je reconnais aussi ta voix… mais tu me sembles plus assurée. Tu me comprends, maintenant ?
- Ce n’est pas toi, que je ne comprends pas, Valerio. C’est autre chose, répondit Lidia d’une voix douce, dans un italien excellent, qui le surprit.
Il se sentit chavirer, aux souvenirs qui lui revenaient. De plus, Lidia portait ce joli décolleté, et de longues boucles noires s’échappaient de sa pince à cheveux.
- Toujours aussi séduisante… lâcha-t-il. Mais viens, assieds-toi, il faut que nous trinquions !
- Tu… tu es seul ?
- Non, mais je m’en fiche, mes amis attendront. Je vais trouver une table rien que pour nous deux.
- Ce café est bondé…
- Il y aura toujours une petite table. Emilio !
Le gars du bar regarda Valerio, qui lui exposa sa requête. Ils purent s’installer dans un coin et, à peine assis, Valerio commanda deux verres de spumante.
- Ça ne t’ennuie pas ? demanda-t-il tout de même à Lidia.
- Oh non. Cela fait si longtemps que je ne suis pas venue…
Elle était toute rose, à la perspective de le retrouver et de trinquer avec lui. Mais elle, c’était à l’Italie, qu’elle voulait porter un toast. Lui, il la regardait avec nostalgie, et dit enfin :
- Peu avant mon mariage, il y a douze ans, je suis allé en France en pensant à toi… tu vis toujours à Toulouse ?
- Oui, mais j’ai déménagé, depuis le temps, tu penses ! Et où es-tu allé ?
- A Paris, et voir les châteaux de la Loire. C’était… magnifique.
- Je suis allée plusieurs fois dans ma famille à Naples, jusqu’à il y a trois ans, c’était quelques mois avant la pandémie… Mon pays me manque.
- La France ?
- Non. L’Italie.
- Vraiment ?
- Mais oui !
- Mais tu es française !
- Honnêtement, Valerio, pour autant que je m’en souvienne, tu n’étais pas entre deux pays comme moi ! Je me sens autant italienne que française, voire plus.
Valerio ne répondit rien.
- Quel métier fais-tu ? demanda Lidia.
- Je suis comptable. Et toi !
- Comme ça, tu ne risques pas le chômage… Je suis professeur de linguistique à l’université de Toulouse. Je me suis spécialisée en langues romanes, l’italien.
Valerio la regarda, fasciné, sans faire de commentaires. Sur ce, leurs verres arrivèrent. Alors il se reprit, leva le sien :
- Aux jolies Françaises !
- A l’Italie ! Naples ! La ville de mes fantasmes…
Il la regarda, étonné, mais ils trinquèrent en souriant, burent chacun une gorgée de spumante.
- Belle comme tu es, tu dois être mariée…
- Non, j’ai une relation conflictuelle avec un Algérien. Et si je veux des enfants, il faut que je me dépêche. J’ai trente-neuf ans… Et toi, tu es donc marié.
- Oui, et j’ai deux enfants.
- Veinard… fit pensivement Lidia, et elle se reprit en buvant une nouvelle gorgée.
- Lidia… As-tu déjeuné ?
- Non, je buvais du café en pensant au passé… Je ne sais même pas quelle heure il est.
- Midi et demie. Je t’emmène déjeuner, alors. Nous parlerons mieux devant un bon plat de pâtes, qu’en penses-tu ?
- Je… je n’ai pas d’argent sur moi, fit Lidia, contrite.
- Ce n’est pas grave, je te l’offre.
- Mais que dira ta femme ? A moins que tu sois divorcé ?
- Non, elle est chez mes beaux-parents avec les enfants, pendant que je retrouve mes amis… Je le fais quelquefois, le samedi. J’ai du temps.
- Finissons nos verres d’abord… Cela faisait si longtemps que je n’avais pas bu de spumante !
- Nous avons le temps.
Valerio avait envie de prendre la main de Lidia, aux doigts potelés, une double bague au majeur droit, mais se retint.
- Tu me fais toujours de l’effet.
- Et toi, tu as gardé la douceur de ton regard, malgré tes lunettes.
- J’ai essayé les lentilles de contact, mais ça m’a rendu fou, alors ma femme m’a dit qu’elle me préférait avec mes lunettes… C’est mon côté intellectuel !
Et ils éclatèrent de rire, burent.
Ils sortirent du bar une vingtaine de minutes plus tard, et Valerio mena Lidia à un petit restaurant qu’il connaissait, « avec des spaghetti alle vongole du tonnerre », dit-il. Alléchée, elle se laissa faire, et tous deux prirent la même chose. Ils s’étaient installés dans une encoignure, où ils ne seraient pas dérangés malgré l’ambiance bon enfant, très italienne, où les gens riaient, s’apostrophaient en faisant de grands gestes. « L’Italie comme je l’aime », se disait Lidia, aux anges. Valerio avait demandé un pichet de vin blanc frais, en plus de la bouteille d’eau, ce qui commença par les désaltérer, car il faisait chaud, à Naples en juillet. En attendant leur repas, ils reprirent leur conversation.
- Je dois reconnaître que tu ne dépares pas dans le décor, une véritable Italienne, en fait.
- Plus que toi ? minauda Lidia, et Valerio eut un petit rire.
- Si ça se trouve, mes ancêtres sont français… Nous avons eu René d’Anjou, il y a très longtemps.
- Je sais, l’un de mes grands-pères enseignait l’histoire italienne à l’université où je travaille maintenant.
- Tu ne m’as jamais tellement parlé de ta famille…
- Notre relation n’a duré qu’un mois, rappela Lidia. Ce n’est qu’à la fin que tu m’as dit qu’une partie de ta famille était calabraise !
- Merde, réalisa Valerio. Je crois que je ne suis pas doué pour la communication… J’ai laissé parler mes sens, à l’époque tu avais un petit accent étranger agréable…
- Je connaissais déjà bien l’italien, dit Lidia d’une voix douce. Exception faite de mes oncles et tantes qui sont nés en France, les Montella sont de purs Italiens. Napolitains, même.
- J’avais oublié que tu avais un nom italien.
- Ça ne fait rien.
- Typiquement napolitain, même. Tu en as appelé à mes sens plus qu’à autre chose.
- Je l’avais compris…
Ils se regardèrent, tout à leurs souvenirs, sans se voir.
- Maintenant, c’est moi qui ai besoin des mots, admit Valerio.
- Mais je les avais, les mots !
- Tu faisais de petites erreurs irrésistibles…
- C’était l’émotion, Valerio. Je rêve de plus en plus en italien, en plus du français. Voire en grec.
- En grec ?
- Toi, tu étais étudiant en comptabilité... Mais moi, j’ai fait un stage Erasmus à Athènes. Une des plus belles expériences de ma vie ! Plus tard, j’y suis retournée, je gagne bien ma vie, maintenant… Je parle couramment le grec moderne. Et maintenant, je prends des cours d’arabe, même si mon copain m’énerve.
- Tu m’as dit qu’il était algérien ?
- Je ne plais qu’aux Méditerranéens. La France n’est qu’un pays parmi d’autres, pour moi, et je ne m’y reconnais pas forcément.
- Tu me… fascines, fit Valerio, l’air effectivement songeur.
- Tu n’as jamais appris le français ?
- J’y ai pensé. Mais je croyais savoir que je ne te retrouverais pas, alors à quoi bon… Je ne connais que l’anglais et l’allemand, et j’ai un accent terrible.
- Tu n’es pas curieux.
- Tu es d’une famille bilingue, alors ?
- Oui. Ça aide.
Valerio secoua la tête.
- Ma pauvre Lidia, nous nous ne sommes jamais compris…
Il semblait peiné, et elle se sentit obligée de lui dire que cela ne faisait rien.
- Nous avons raté notre histoire d’amour… fit Valerio en soupirant.
- Je n’ai rien compris à ce qui m’arrivait. Maintenant qu’Abdel me saute dessus, je me dis « merde, ça recommence ».
- Alors toi aussi, tu penses encore à moi…
- Oui.
Le silence se fit. Lidia se versa de l’eau, et en but une gorgée, quelque peu gênée. Valerio soupira encore. Il avait de nouveau envie de lui prendre la main.
- Je suppose que tu as aussi connu des Grecs ? demanda-t-il au bout d’un moment.
- Oui, pourquoi ?
- C’est quoi, alors, l’étranger, pour toi ?
- Le mot « étranger » ne signifie rien, pour moi. Je me sens de la Terre entière. Au début de ma relation avec Abdel, avant le covid, je suis allée deux fois en Algérie. Je connais aussi un peu la Turquie, ai visité New York et la côte Est des Etats-Unis. Je me sens bien partout, mais…
- Mais ?
- Surtout en Italie. Je dirais même ici à Naples. Mais toi, j’ai l’impression que tu quittes l’Italie en te disant que tu vas forcément à l’étranger.
- Oui, c’est vrai. Et tu connais plein de langues…
- C’est ma passion. Alors j’en ai fait mon métier. Nous n’avons jamais parlé de livres, Valerio. Tu m’as parlé de l’histoire de la Campanie, le château de Caserta, l’Italie, de chats, de tes amis, mais jamais de ce que tu lisais.
- C’est que… je ne lis pas beaucoup. Surtout depuis que je suis papa, car il y a des auteurs que j’aime, tout de même. Alexandre Dumas !
La tentative de prononciation du x et du u du nom d’Alexandre Dumas fit sourire Lidia, et cela le surprit.
- Tu es mignon, dit-elle. Tu sais, il n’est jamais trop tard, pour apprendre une langue, et je sais que tu es loin d’être bête. Tu t’intéresses à l’histoire.
- Disons que je sais quelques petites choses…
Lidia eut un petit rire.
- M’as-tu seulement aimé ?
- Oui… mais je ne l’ai compris qu’après d’autres expériences, répondit Lidia d’une petite voix.
- Ça ne fait rien. Mais je crois que voici nos spaghetti alle vongole. Tu vas voir, tu vas te régaler. Qu’as-tu pris, comme secondo ?
- Du thon frais, comme toi.
- Ici, le poisson est très frais.
- Hum ! fit Lidia en passant sa langue sur ses lèvres.
- Monsieur-dame…
Les assiettes étant généreuses, ils se turent pour manger, et Lidia fit honneur. Valerio la regardait, nostalgique et amusé. L’un comme l’autre mangea tout, et les assiettes ne repartirent qu’avec des coquillages vides.
- Tu ne changes pas, tu as toujours le regard gourmand, commenta Valerio.
- Je crois que nous avons comme point commun notre goût pour la bonne chère…
- Oui, et les chats ! Alors parlons de nos points communs ! Je ne me souviens pas que nous l’ayons fait…
- Tu croyais donc vraiment que je n’avais pas les mots ?
- Oui. Je crois que nous avons eu une attirance réciproque et que… eh bien…
- Ne t’excuse pas.
- Si. J’étais jeune et con. J’ai mûri.
- Moi, à en croire Abdel, pas tellement…
- Mais tu voudrais des enfants. Et crois-moi, c’est la plus belle chose qui puisse arriver.
Le visage de Valerio s’était illuminé.
- Quel âge ont-ils ?
- Pippo a neuf ans, et Gina, six.
- Alors tu les as eus tard, il me semble.
- Quand Pippo est né, j’avais trente-deux ans. Ma femme et moi avons quatre ans d’écart. Elle est aussi ronde que toi…
- Ah ? Donc ce n’était pas si tard…
Lidia était devenue toute songeuse.
- Et nous avons un chat noir et blanc, Figaro, ajouta Valerio. Je voulais aussi un chat.
- Je me contente de celui de mes parents. Mais il est très mignon, un vrai pot de colle ! Un matou gris...
A cette évocation, Lidia riait.
- Pourquoi n’en as-tu pas ?
- Si je ne me disputais pas si souvent avec mon copain, je lui en parlerais… Il serait peut-être d’accord. Depuis la pandémie, ça me manque.
- Peut-être que vous vous disputez parce que, depuis, nous nous sommes tous retrouvés chez nous…
- Il y a de ça. Et les Algériens sont les pires machos que je connaisse.
Ils se regardèrent, éclatèrent de rire.
- Moi aussi, je me suis beaucoup disputé avec ma femme, depuis deux ans.
- Je te remercie de me rassurer !
- Ça me fait plaisir de te revoir, Lidia.
- Si tu savais par quel miracle, tu ne me croirais pas….
- Tu es toujours aussi mystérieuse, ma jolie Française… Mais je le respecterai. Je ne dirai rien à Mara.
- Ta femme ?
- Oui.
- Je ne sais pas si nous nous reverrons. Je vois que tu l’aimes.
- Comme au premier jour, dit Valerio en souriant. Tu es très belle, mais si elle a les cheveux noirs, elle a des yeux bleu magnifiques, que tu n’as pas… Elle a les cheveux si noirs, que ces couleurs se répondent presque. Ma fille en a hérité…
- Tu es fier de ta famille.
- Oui, très.
Ce fut Lidia, qui soupira.
- Je suis sûr que… Abdel est fou d e toi.
- Oui… je crois.
- Ne laisse plus passer ta chance, Lidia. Surtout si tu veux des enfants. Si nous étions restés ensemble, nous aurions voyagé, et je serais devenu apatride par amour, comme toi.
- Mara est napolitaine ?
- Oui.
- Mais je ne me sens pas apatride. Je suis juste de partout ailleurs qu’en France. Ce pays n’aime pas les formes.
- Que veux-tu dire ?
Lidia montra sa poitrine, ses fesses.
- Les formes féminines. Même dans le sud de la France. Ce n’est pas probablement pas par hasard que je suis avec un Arabe. J’ai eu très peu de… d’hommes franco-français, comme on dit là-bas. Toi, tu as su me réconcilier avec mes formes.
Valerio eut un sourire doux qui la fit fondre.
- Lidia, écoute-moi. Reste avec Abdel. Depuis combien de temps es-tu avec lui ?
- Quatre ans.
- Si vous vous disputez depuis quatre ans, ça veut dire que vous tenez le choc.
- C’est une façon de voir les choses… fit Lidia, troublée.
- Allez ! Reprends-toi ! Moi aussi je suis gourmand. Nous prendrons même un dessert !
Alors ils firent durer le moment, parlèrent du château de Caserta, du train dans lequel ils s’étaient rencontrés, et Valerio parla de la branche calabraise de sa famille, Lidia de la France, donnant envie à son ancien amoureux d’y retourner. Elle-même ne connaissant pas la Calabre, ce fut leur premier véritable échange, depuis plus de quinze ans. Aussi ce fut le cœur battant, que Lidia vit leurs ristretti arriver, car elle avait compris qu’alors, leur conversation toucherait à sa fin. Elle le regrettait déjà, consciente qu’ils pourraient ne jamais se revoir. Mais elle avait appris beaucoup, le temps d’un repas… Et puis l’odeur de café flatta ses narines, un éclair bleu puis plus rien.
Elle reposa sa « bandiera italiana » sourire aux lèvres, rouvrant les yeux.
- Ma Lidia ?
- Abdel !
Elle se jeta à son cou pour cacher son émotion.
- Ça va ? demanda-t-il en caressant les cheveux qui dépassaient de sa pince.
- Il faut que je te dise quelque chose, mon chéri.
- Vas-y…
- Je voudrais des enfants. Et un chat.
- Tout ce que tu voudras, mon amour, répondit Abdel spontanément, et elle se libéra de son étreinte pour le regarder : malgré sa petite taille et ses cheveux noirs frisés, il avait la même poitrine rassurante que Valerio…
© Claire M, 2023
Questions d'auteurs
Et voici le moment tant attendu (enfin je crois !) : les réponses aux dernier jeux ! Les aviez-vous trouvées ?
incipit : il s'agissait de la nouvelle "Le Horla" de Guy de Maupassant
devinettes :
- l'auteur de La Dame aux camélias est Alexandre Dumas fils
- l'auteur du roman L'Atlantide est Pierre Benoît
- le père de Mafalda est Quino (Joaquin Tejon)
- les deux auteurs d'une oeuvre Phèdre sont Jean Racine, et Platon
cherchez l'intrus : c'est Julien Gracq avec Le rivage des Syrtes : il n'a finalement pas obtenu le prix Goncourt, car l'auteur l'a refusé
Point de vue de Sirius, 14° épisode
Heurts divers.
- Ah, capitaine ! fit Miguel en le voyant arriver, avec à sa suite ses six compagnons. Bonjour à vous !
Il était confortablement installé sur un fauteuil de jardin, un verre de grenadine à la main. A cause de son chapeau, et de son geste qu’ils jugèrent auguste, les Po-Toliens s’inclinèrent, et Miguel éclata de rire.
- Sympathique coutume potolienne, fit-il, mais sans façons…
Et il allait encore parler, quand monsieur Worth réapparut, un plan à la main. Il le donna à Byzix, qui le passa à Césig.
- Qu’est-ce ? demanda ce dernier.
- Avec ça, et moi, vous ne serez pas perdus, expliqua Miguel. Mais j’espère que vous n’êtes pas pressés de partir…
- Non ! firent les Po-Toliens en choeur, sans même se concerter, si ce n’était le regard amoureux entre Lantar et Anthéa.
- Dans ce cas, je peux vous faire retrouver votre vaisseau.
- Ça doit être un grand personnage, ce Miguel, fit Ollibert à la princesse. Avec son chapeau…
- J’en doute, mon cher. Souvenez-vous de sa tenue à la… plage…
- Mais il a un chapeau.
- De toute façon, je suis à même de parler à ces gens-là.
Mais Miguel vida son verre, le posa, se leva, et alla embrasser Anthéa, serrer la main aux hommes, s’incliner devant la princesse. Cette dernière regretta une nouvelle fois qu’on ne l’embrasse pas, et se mit à chercher Flocon du regard, ratant les quelques phrases de Miguel.
- Votre Altesse, lui dit Byzix quand il eut fini. Nous allons retrouver le vaisseau.
- Mais je ne veux pas partir ! Où est Flocon-san ? En plus, il va falloir marcher...
- Vous n’avez pas écouté ? Nous y allons en navette.
- Spatiale ?
La princesse ne comprenait plus rien, et Flocon ne paraissait pas.
- Non, c’est un transport en commun, Votre Altesse, lui dit Miguel, qui avait bien vu qu’elle était ailleurs. Vous allez voir.
Mais d’abord, il fallut attendre la navette à son arrêt. Enfin, un petit bus arriva, sur lequel il était écrit : « Grand central – Plage ». Byzix remarqua au passage la mention du Grand central, et monta derrière Miguel, qui avait laissé son vélo à l’association. Comme il était relativement tôt, la navette était à moitié vide, si bien qu’ils trouvèrent de la place pour eux tous. Mais Carman, et surtout Miguel, étaient un peu serrés à cause de leurs grandes jambes, et la princesse Balea débordait quelque peu de son siège.
- Ce n’est pas très confortable, fit-elle d’un air pincé.
Anthéa, quant à elle, eut à subir un frotteur en allant s’asseoir, faillit s’exclamer.
- Ma qu… euh !
Byzix la foudroya du regard.
- Vous êtes vraiment au goût de mes concitoyens, commenta Miguel en voyant cela. Monsieur, cette dame est occupée, et son mari est avec elle !
Lantar ne s’en était même pas aperçu, peu au fait des coutumes terrestro-maldékoises, et Anthéa le regarda, puis Miguel. Ce dernier prit encore à partie le frotteur.
- Español ?
- Italiano, répondit l’autre, qui avait bel et bien un air de don Giovanni.
- Lantar ! Prenez la main de votre femme !
Désarmé, l’intéressé chatouilla le coude d’Anthéa, qui eut un soupir d’aise tandis que Miguel toisait l’Italien.
- Capito ?
- Scusa…
Et l’homme alla au fond de la navette.
Ils arrivèrent près de la plage une dizaine de minutes plus tard, mais Byzix ne vit rien, ne se reconnaissant pas, et émit des signes d’inquiétude. Ils descendirent de la navette, Césig ayant gardé le plan à la main, mais Miguel n’en avait pas besoin. Il connaissait bien l’endroit, et avait repéré la falaise où les Po-Toliens avaient atterri. Alors qu’ils s’approchaient, Byzix se rassurait progressivement. Enfin, l’appareil apparut. Il n’avait pas bougé, mais il y avait des curieux aux yeux bridés, appareil photo à la main. Une jolie dame au nez retroussé se faisait photographier, une main sur la porte du vaisseau.
- Césig ! s’écria Byzix.
Le copilote avait vu le manège des Asiatiques, lui aussi, et se mit à courir vers l’appareil, avec le temps de retard habituel.
- Pas de gaffe ! lança Miguel, et il alla droit au couple d’Asiatiques et leur parla en anglais, tout en faisant de grands gestes à la manière ibérique.
Mais les deux jeunes gens partirent sans faire d’histoires, et alors Miguel déclara :
- Je ne peux pas vous laisser tomber, les amis. Vous courez droit à la catastrophe, s’il n’y a pas un Terrien avec vous.
- Que… ? commença Césig, sidéré.
- Mais puisque nous sommes tous là, montrez-moi donc votre vaisseau… Dedans, je vous montrerai le plan que monsieur Worth vous a donné.
Et les Po-Toliens, quelque peu contrits, se laissèrent faire.
En attendant la rentrée...
C'est bientôt la rentrée ! Histoire de vous remettre dans le bain, je vous propose quelques questions de culture littéraire, brassant large comme toujours. Rassurez-vous, ce ne sont que des petits jeux sans préetention, s'il y a des petits nouveaux parmi mes lecteurs (sait-on jamais...) Si c'est effectivement le cas, dites-le ! Cela me fera plaisir. Et ne vous inquiétez pas : vous avez le temps d'y réfléchir avant que je ne divulgue les réponses. Vous gagnerez... l'estime de vos pairs ! Et le droit de lire, encore et encore. Quand on aime, on n'arrête pas !
incipit : "Quelle journée admirable ! J'ai passé toute la matinée étendu sur l'herbe, devant ma maison, sous l'énorme platane qui la couvre, l'abrite et l'ombrage tout entière." - petite aide : il s'agit d'une nouvelle
devinettes : - Qui est l'auteur de La dame aux camélias ?
- Quel auteur moderne a écrit L'Atlantide ?
- Qui est l'auteur de Mafalda ? Connaissez-vous son vrai prénom ?
- Quels sont les deux auteurs qui ont chacun écrit une oeuvre intitulée Phèdre ?
cherchez l'intrus :
Jean Rouaud, Les champs d'honneur
Jean Echenoz, Je m'en vais
Julien Gracq, Le rivage des Syrtes
Lectures estivales
Re-bonjour à tous !
En espérant que vous ayez passé de bonnes vacances, pour ceux qui reprennent déjà... Mais comme il n'est jamais trop tard pour bien faire, je vais vous parler de ce que j'ai lu depuis un mois et demi environ, et suis en train de lire. Que ce choix puisse vous inspirer !
J'avais commencé par La forme de l'eau de Guillermo Del Toro avec Daniel Kraus, qui est un roman magnifique, faute d'avoir vu le film. On est pris en haleine, ce qui fait oublier le monde extérieur, en plus de l'histoire d'amour qui est une ode à la différence. Tous ceux qui se sentent différents, comme moi, y trouveront leur compte.
J'ai aussi découvert Salman Rushdie avec Haroun et la mer des histoires, roman qu'il a écrit au lendemain de sa fatwa ; et c'était un enchantement. Il dit des choses essentielles sous forme de conte, ce qui ne peut que me plaire ! Au chapitre des contes, j'ai repris avec plaisir les Mille et une nuits, et quelques contes d'Henri Pourrat, qui en a collecté des milliers en... France, sa région étant l'Auvergne. Les uns comme les autres me font rire, et par ces temps troublés pour moi, ça fait du bien !
Autres découvertes : Alexandra Lapierre avec Je te vois reine des quatre parties du monde, un roman de mer féministe qui m'a beaucoup plu, au temps des Grandes découvertes, ou encore Matt Haig avec La bibliothèque de minuit, qui a eu un prix cette année, mérité. Quand on lit ça, on comprend qu'il faut vivre ! ce qui fait du bien quand ça va mal.
Actuellement, je viens de commencer le Cycle du guerrier de Mars de Michael Moorcock, dont je me régalais encore ce matin... Mais je choisis de ne vous parler que de romans et de contes, car c'est l'été, après tout, même si j'ai aussi lu, comme à mon habitude, des essais.... Ils répondent à mes questions, à ma curiosité et, une réponse menant à d'autres questions... C'est sans fin. Sachez seulement que depuis peu, je suis sur Les religions meurtrières d'Elie Barnavi, qui remet bien les idées en place sur le fanatisme, y compris en Europe. J'apprécie sa façon de faire, simple et pédagogique, bien que ce livre date de 2006. Que dirait-il maintenant !
Et maintenant, ceux qui en ont envie savent ce qu'il leur reste à faire. Vous pouvez trouver ces livres en poche, mais pour certains, je les avais achetés chez France loisirs... De toute façon, un conseil : entrez dans une librairie, et plongez ! J'aime y aller sans savoir ce que je vais y acheter, et en sortir avec plein de découvertes, au hasard, le sourire aux lèvres... Je vous en souhaite autant !
Bonnes lectures !
Claire M
le point de vue de Sirius, épisode 13
Savoir-vivre terrien.
Byzix et Lantar faillirent se perdre dans les couloirs de l’association de l’amitié, à la recherche du bureau du directeur. Voyant cela, une demoiselle du personnel en mini-jupe et queue de cheval, les pilota, puis leur dit :
- Je reste ici à côté, dites-moi quand vous aurez fini, et je vous ferai la visite guidée de l’établissement.
- Et vous pourrez nous guider tous les sept ? s’enquit Lantar en pensant à sa compagne.
Byzix opina du bonnet, soulagé.
- Bien sûr, messieurs.
- Je vous remercie, mademoiselle, fit le capitaine, et Lantar frappa à la porte du directeur, remarquant son nom au passage, qui était affiché : Joseph Worth.
- Entrez !
La frappe potolienne étant énergique, ce dernier avait commencé par sursauter… Monsieur Worth se leva de son bureau en voyant arriver ceux qu’il appelait ses « invités de marque ». Ce fut en effet ainsi qu’il les apostropha, puis il leur fit un grand sourire.
- En quoi puis-je vous être utile, messieurs ?
Ce fut Lantar qui s’expliqua, disant qu’ils avaient besoin de Miguel pour pouvoir retrouver leur vaisseau spatial.
- Vous voulez déjà nous quitter ?
- Pas forcément. Nous apprécions beaucoup ce séjour chez vous, s’entendit répondre Byzix.
- Ma compagne et moi y sommes au calme.
- Mais nous ne connaissons pas les lieux, nous n’avons même pas d’idée de la distance jusqu’à…
Les deux Po-Toliens se regardèrent.
- Jusqu’à la… plage, capitaine.
- Ah ! comprit monsieur Worth. Je vous ferai donner un plan d’Atlantia à l’accueil. Vous avez de la chance, Miguel Deldomingo a justement téléphoné pour prendre de vos nouvelles, et m’a donné son numéro.
- Il vous a quoi ? fit Lantar, surpris.
- Téléphoné. Vous ne savez pas ce qu’est un téléphone ?
- A quoi cela sert-il ? demanda Byzix.
Le directeur dut réfléchir à une réponse claire, se gratta la tête, puis répondit :
- Eh bien, que connaissez-vous, sur Maldek ? Y a-t-il d’autres endroits où vous êtes allés ?
- Oui, au Groenland.
- Vous voyez, le Groenland n’est pas tout près… Trois heures d’avion, au moins. Pour communiquer des messages, bavarder d’un point à l’autre de la planète, nous utilisons le téléphone. Vous allez voir.
Et monsieur Worth saisit un petit rectangle avec des touches sur son bureau, en ajoutant :
- Je vais appeler ma secrétaire, écoutez. Allô, Cathy ? Est-ce que vous pouvez me rappeler tout de suite ? (…) Non, je ne plaisante pas, je fais une démonstration à nos visiteurs de l’espace !
Et il raccrocha. L’instant d’après, la sonnerie du téléphone faisait sursauter le capitaine et Lantar. Ce dernier mit une main sur le cœur, tandis que Byzix jurait en sa bonne langue potolienne.
- Et voilà comment je vais appeler votre ami ! Merci, Cathy !
- C’est brutal ! commenta Lantar.
- Alors je vais vous montrer comment on frappe à la porte, par ici…
Et le directeur alla donner trois petits coups de son index sur la porte, qui s’ouvrit.
- Ça ne va pas, monsieur Worth ?
- Simple leçon de civilisation maldékoise, répondit-il en souriant à sa secrétaire, et il referma la porte avant d’aller téléphoner à Miguel, sous l’œil médusé du capitaine Byzix et de Lantar.
Mais il ne raccrocha pas tout de suite, et posa le téléphone sur le bureau, d’où sortit la voix de Miguel.
- Capitaine ? Prenez l’appareil, je vous prie.
Byzix obéit avec circonspection.
- Miguel ? Je vous écoute.
- Je vais venir, je vais essayer d’être rapide, et régler votre problème. Vous savez quoi ? Cette aventure m’excite beaucoup !
Byzix rendit enfin le téléphone, tandis que Lantar s’exclamait :
- C’est donc comme ça que communiquent les Terriens ! !
- Pourquoi, vous faites comment, vous ?
- Nous sommes télépathes, répondit le capitaine...
Quand Miguel arriva, il alla droit au bureau de monsieur Worth.
- Vous savez quoi, j’aurais dû me douter qu’ils seraient embêtés pour retrouver leur vaisseau… Cela dit, je suis heureux que ça se passe bien pour eux.
- Ne vous en faites pas, monsieur Deldomingo. Tout le monde les choie, vous allez voir… Comment êtes-vous venu ?
- En vélo.
- Vous n’avez pas peur de perdre votre chapeau ?
- Pensez-vous !
Il tenait par une jugulaire, et Miguel avait une allure tout ibérique, ainsi coiffé…
Réécriture
Ma Cendrillon.
- Santé, les amis ! On va faire un album du tonnerre !
- Tu dis toujours ça, Louis… s’amusa la seule femme du groupe, Corinne.
- Louis est un excellent compositeur, déclara Jean-Louis sourire aux lèvres.
- Tu dis ça parce que c’est toi et Louis qui écrivez les chansons du groupe !
Et les quatre membres s’esclaffèrent.
- Tu ne dis rien, Richard… remarqua Louis l’ébouriffé.
- Pardon, je rêvais…
- A quoi ?
- A tes chats, Jean-Louis, plaisanta Corinne.
- C’est eux, ou Corinne, fit Jean-Louis. N’est-ce pas, ma féline ?
- Toi !!
- Dis-moi à quoi tu rêvais, on pourrait peut-être en faire quelque chose, Richard ?! suggéra Louis.
- Oh, je regardais les filles, et je pensais à Cendrillon…
Les trois autres éclatèrent de rire.
- Sans blague, les amis, reprit Richard. Imaginez comment ce serait, dans notre monde moderne…
- Et elle s’échapperait en 4L ?
- Un potiron qui deviendrait 4L ?
- Non, une citrouille, dans le conte c’est une citrouille ! rappela Corinne.
- C’est pareil !
- Penses-tu !!
- Bon, on ne va pas se disputer pour une citrouille !
Et ils riaient ! Le patron du bar les regardait, puis vit une vieille dame entrer, l’air plutôt sombre, qui vint lui réclamer une bière, « bien forte, s’il vous plaît ». Il se méfia, regarda encore ses clients préférés, ce petit groupe qui commençait à avoir du succès – et qu’il écoutait, d’ailleurs, non sans déplaisir. Leur conversation sur Cendrillon le faisait rire, et la vieille dame le remarqua, voulut demander :
- Vous… ?
- Je vais vous servir, madame, excusez-moi. Ecoutez ces amis-là, vous avez une tête d’enterrement.
- Oh, ça ne va pas si mal…
Et elle attendit sa consommation, écoutant ces quatre jeunes gens élucubrer sur le conte de Cendrillon elle aussi…
A vrai dire, c’était une jeune fille simple, qui avait pour seul tort d’être jeune et jolie, propulsée trop tôt dans le malheur après la mort de sa mère. Avec sa belle-mère, qui avait ramené ses deux filles, plus âgées qu’elle, ça avait vite été électrique. Tant que son père était à la maison, toutes trois se tenaient relativement tranquilles, et Cendrillon, comme à son habitude, avait continué de cuisiner pour son père, considérant simplement avoir trois convives de plus. Ses demi-sœurs étaient odieuses et de véritables ogresses, elle les engraissait exprès, mais c’était à double tranchant, car elle n’en paraissait que plus jolie, ce qui rendait folles ces dernières. Alors elles prenaient son balai, son ramasse-poussière, qu’elles vidaient sur la cadette, qui n’en pouvait mais, mais qui, par dignité, évitait de leur donner le plaisir de la voir pleurer. Et Cendrillon plombait sa cuisine, Jeanne et Adélaïde mangeaient, leur mère aussi. Mieux, toutes trois en redemandaient.
- Fais-nous ton gratin de potiron, Cendrillon ! Potiron Cendrillon !
- Et ton riz à la béchamel !
Et la belle-mère :
- Demain, fais-nous une bonne blanquette !
Certes, si le père de Cendrillon était heureux de manger si bien, il n’en voyait pas moins leurs manigances, et aurait voulu aider sa fille ; mais il ne le pouvait, étant souvent parti du fait de son métier. Aussi Cendrillon était bien seule.
Elle ne trouvait du réconfort qu’auprès des animaux : son vieux chat gris, Général, les oiseaux à qui elle donnait à picorer, Flouff, le chien de sa marraine… Mais cette dernière ne venait que quand elle savait Cendrillon seule, et l’aidait à sa manière, Flouff dans ses jambes. Alors, sa filleule pouvait rire, mais c’était rare. Car Bernadette, la marraine, bien que vieille dame, était souvent occupée par ailleurs… Elle allait régulièrement à des congrès ésotériques, avait enfants et petits-enfants, un chien glouton et des phasmes chez elle… Elle s’intéressait également à la zoologie et aux plantes médicinales, aimait à courir la campagne autour de la Loire, mais personne n’avait le droit de la suivre…
Un jour, alors que le père de Cendrillon s’était absenté pour un mois, un prince voisin annonça à la télévision qu’il voulait se marier et que, pour cela, son père avait décidé d’organiser un bal, y conviant toutes les jeunes filles des environs. Adélaïde et Jeanne, qui avaient respectivement vingt-sept et vingt-cinq ans, réagirent aussitôt, et leur mère s’en réjouit, elle aurait été heureuse de caser une de ses filles avec un prince, pensez donc ! Cendrillon, qui secouait la nappe par la fenêtre, ne fit qu’apercevoir le prince à l’écran, mais son cœur battit un peu plus fort. Elle aussi, elle aimerait tant aller à ce bal ! Mais, connaissant ses demi-sœurs, elle tenta de faire semblant de rien. Ces dernières jacassaient déjà.
- Quelle jolie moustache ! disait l’une.
- Et qu’il est bien tourné ! renchérissait l’autre.
Cendrillon les regardait à la dérobée, se disant qu’avec le volume de leurs postérieurs, et les vilains boutons qui les affligeaient, aucun prince n’oserait même les regarder.
- Et toi Cendrillon, qu’en penses-tu ? lui demanda sa belle-mère.
- Rien, je l’ai à peine vu, j’étais occupée.
- Bah ! lança Adélaïde. Aucune Cendrillon, attifée comme tu l’es, ne plairait à un prince !
Et elle eut un rire gras, tandis que sa sœur attrapait la nappe, pour la lancer sur Cendrillon.
- Et tu irais au bal habillée ainsi ?!
Le cœur de la jeune fille saignait, à ces mots.
- Laisse-moi cette nappe ! fit-elle.
- Tu as raison, c’est là ton emploi ! Viens Adélaïde, allons inspecter nos armoires !
- Oui, et gare à Cendrillon si nos affaires ne sont pas bien repassées !
Et les deux jeunes femmes quittèrent la pièce en riant. Le cœur gros, Cendrillon replia la nappe pour aller la ranger, et fit la vaisselle.
Mais elles furent bien trois, pendant les quinze jours suivants, à chercher quoi mettre pour le bal. Seule Cendrillon n’en parla pas. Les beaux vêtements offerts par sa mère avaient disparu, et elle ne possédait guère que des pantalons informes, de vieilles jupes que ses demi-sœurs ne voulaient plus porter. Elle entreprit de chercher des chutes de tissus pour les améliorer, ce qui lui fut facilité par les requêtes incessantes de Jeanne et Adélaïde concernant leurs propres tenues de bal : en effet, elle dut en couper.
A tout hasard, Cendrillon confia un message pour Bernadette à un pigeon voyageur qu’elle nourrissait à l’insu de sa belle-mère et de ses demi-sœurs, pour l’informer de ses projets. Car elle ne savait pas comment elle irait au bal du prince, ayant également été dépossédée de son vélo. Sa famille vivait dans une grande propriété à l’écart du village, ce qui lui rendait les déplacements difficiles, d’autant qu’on ne lui avait pas laissé le loisir de passer le permis de conduire. De ce fait, c’était sa belle-mère qui faisait les courses, mais Cendrillon faisait tout le reste. Elle n’était plus allée au village depuis la mort de sa mère, trois ans plus tôt.
Le soir du bal, comme on était en automne, sa belle-mère, qui n’était pas bien maligne avec l’heure d’hiver, devait aller avec ses deux filles au château du prince. Mais leur départ fut quelque peu chahuté. Lees deux jeunes femmes se disputaient déjà les futures faveurs du prince, et chacune voulait être la plus jolie, ondulait des reins, prenait des poses aguichantes, sous l’œil amusé de leur mère. Jusqu’au bout, elles ennuyèrent Cendrillon avec leurs exigences. Cette dernière avait dû repriser leurs robes en dernière minute, et subir leurs agaceries. « Et toi, Cendrillon ! Mais regarde-moi cette coiffure, tu ne pourrais même pas te présenter au château ! » L’autre l’avait griffée avec une épingle à nourrice, jugeant qu’elle travaillait mal à sa couture. Pourtant, la tenue que Cendrillon s’était préparée en secret était bien plus belle et fraîche…. Car en vérité, elle s’était révélée excellente couturière. Elle aurait voulu mettre cette jupe et ce bustier, se trouver des chaussures et filer très vite, même à pied, à condition toutefois de partir tôt, pour être à 21 heures au château. Elle aurait dû avoir le temps, mais au moment de partir, sa belle-mère houspilla ses propres filles, qui ne partirent pas sans avoir renversé au passage la boîte d’épingles, de boutons, de tout ce nécessaire à couture, dan leur hâte.
- Cendrillon tu ramasses tout ça, et tu ranges ! s’énerva la mère de famille comme si sa belle-fille n’était qu’une vulgaire souillon. Et gare à toi, si je ne retrouve pas tout à sa place à notre retour !
Puis la porte claqua.
Profondément blessée par ces scènes, Cendrillon commença par s’écrouler, en larmes. Général, le chat de la maison, vint alors ronronner auprès d’elle, comme pour l’apaiser. Peu à peu, la jeune femme se reprit, le caressant encore et encore. Enfin, elle se releva, et ouvrit la fenêtre, pour se reprendre. Puis elle alla à la salle de bains, se débarbouilla, et revint pour ranger le désordre laissé par ses demi-sœurs.
Elle était à ramasser chaque épingle une à une, quand elle entendit des oiseaux gazouiller par la fenêtre. Elle regarda Général, qui s’était assoupi sur le canapé, y laissant encore des poils, et soupira.
- Je suis désolée, jolis petits oiseaux, mais le chat….
- Tchip tchip tchip !
Bientôt, c’était un véritable concert, et les oiseaux s’invitèrent à l’intérieur, très sûrs d’eux. Une fois là, tous se mirent à l’ouvrage, prenant les épingles, les boutons dans leurs becs, pour les remettre dans les boîtes prévues à cet effet. Cendrillon, charmée, se mit à chanter. Général gardait les yeux mi-clos, trop vieux et fatigué pour courir après les oiseaux. Fort heureusement, aucune pie ne s’était présentée, au grand soulagement de la jeune femme. La besogne fut promptement faite, et elle n’eut qu’à remettre les boîtes en place, et à passer un dernier coup de balai.
Alors Cendrillon courut à sa petite chambre sous le toit, et s’habilla, passant un gros gilet au-dessus de sa tenue, à cause de la saison, se coiffa. Ses longs cheveux blonds manquaient de vitalité, mais elle décida de faire avec, de toute façon ses demi-sœurs étaient si laides ! S’attendant à devoir aller à pied, Cendrillon, ayant trouvé des chaussures hors-saison, alla à la cuisine, et mangea la dernière part de tarte au potiron qu’elle avait confectionnée le matin même, pour avoir déjà quelque chose dans le ventre. Puis elle alla dans le jardin, et alla chercher par où passer sans être vue, sans laisser de traces, prévoyant que le retour risquait d’être très long. Curieux, Général l’avait suivie, de son train de sénateur. Cendrillon cherchait une issue discrète, quand elle sursauta : un bruit de freins ! Craignant le pire, elle sauta dans un buisson, abîmant sa tenue au passage, en sortit un instant plus tard.
- Bernadette !
- Ma petite fille ! J’ai eu ton message, je vais t’aider !
- Mais comment es-tu venue ?
- Dans ma Coccinelle, répondit simplement sa marraine. Mais viens là !
Et Bernadette serra Cendrillon dans ses bras. Ce simple contact émut la jeune femme aux larmes.
- Là… Tu vas aller à ce bal, et plus vite que tu ne crois ! Mon Dieu, tu n’as pas froid ?!
Une manche du gilet se détricotait, et la jupe s’était quelque peu déchirée…
- Non… le prince… il est si beau… un soleil…
- Je vais t’arranger ça, suis-moi.
Bernadette alla ouvrir le petit coffre de sa Coccinelle, d’où Flouff sortit en aboyant. Général avait déguerpi. En réalité, le petit cocker roux tournait beaucoup sur lui-même… Sa maîtresse se mit à vider le coffre, des objets divers se mirent à voler. Le cœur de Cendrillon battait à tout rompre.
- Mais qu’ai-je fait de cette baguette ?!?
- Bernadette ! Je vais aller à pied !
- Tu es folle ! Je ne te laisserai jamais aller à ce bal ainsi ! Je vais la trouver, cette fichue baguette !
- Quelle heure est-il ?
Bernadette s’interrompit pour consulter sa montre.
- Pas encore 20 heures.
- Mais il faut y être à 21 heures !
- Je sais quoi faire, laisse-moi chercher !
Alors Cendrillon joua avec Flouff, le temps que sa marraine remette la main sur sa baguette magique, cinq minutes plus tard. Et elle respira. Enfin, Bernadette se dirigea vers le potager.
- Des potirons… fit-elle. Oui, cela fera l’affaire. On va prendre le plus gros.
- Mais que veux-tu faire ?
- Tu vas voir.
Et Bernadette brandit sa baguette.
- Abracadabra !
Mais elle eut beau faire, le potiron résista, et elle jura. Cendrillon était sur des charbons ardents.
- Le temps presse, marraine !
- Je sais, nom d’une pipe !
Mais Bernadette dut finir par chercher autre chose. Flouff, apeuré, était parti, alors Général était revenu, et les regardait, curieux. La marraine avisa le chat, sortit les clefs de sa Coccinelle.
- Mais que fais-tu ? s’étonna Cendrillon.
- Vous irez dans une berline, je te le promets ! Abracadabra !
Cette fois, le sort fonctionna. Ayant vu Général, Bernadette pointa à nouveau sa baguette, et le chat devint un chauffeur très smart. Comme Flouff s’approchait, curieux lui aussi, Général prit un malin plaisir à lui mettre son pied au derrière, avant d’ouvrir la portière de la belle berline.
- Un instant, Cendrillon ! Abracadabra !
Et la jeune femme se trouva magnifiquement vêtue, coiffée, chaussée. Puis Bernadette dit très vite de rentrer avant le dernier coup de minuit à l’église voisine, car à cette heure, chacun, la voiture, le chat, Cendrillon reprendrait ses oripeaux. Ils promirent d’obéir, et Général mena sa maîtresse au bal pied au plancher. A 21 heures tapantes, elle y était, et irradia la salle des fêtes du château. Chacun fut stupéfait, et le beau prince alla la prendre par la main et ne la lâcha plus de toute la soirée. Toutes les dames présentes étaient jalouses. Aux anges, Cendrillon ne vit ni sa belle-mère, ni ses demi-sœurs, qui du reste ne l’avaient pas reconnue.
Quand tout à coup… Dong ! Dong ! Comprenant, se souvenant à la dernière minute des recommandations de Bernadette, Cendrillon partit à toute allure, sans se soucier du chewing-gum perdu sur l’escalier du château, à cause duquel elle perdit sa chaussure sans s’en apercevoir, sauta dans sa berline, et Général défonça tout sur son passage tant il allait vite, avant de redevenir chat environ un kilomètre avant le bercail. Cendrillon et lui entreprirent de faire les derniers mètres dans le noir, à pied, mais Bernadette arriva alors fort opportunément, un petit sac à la main.
- Montez dans ma Coccinelle, dit-elle seulement, après l’embrassade et les remerciements de sa filleule, qui avait pris son animal dans ses bras.
- Miaou ! fit Général, content de lui, et il fit de l’œil à sa maîtresse.
Un quart d’heure plus tard, il s’endormait comme un bienheureux dans la petite chambre de Cendrillon, avec elle. Avant de les quitter, Bernadette avait donné une seule chaussure à cette dernière, celle qui était en sa possession.
- Je m’occupe de tout, avait-elle dit avant de l’embrasser puis de repartir.
Mais Cendrillon, à la pensée de cette soirée inoubliable, ne pouvait dormir. Aussi, une heure plus tard, elle entendit rentrer sa parentèle, d’autant que ses demi-sœurs parlaient très fort, depuis l’étage inférieur.
- Cette fille ! Mais cette fille ! s’esbaudissait l’une.
- Elle va nous piquer le prince ! geignait l’autre.
- Penses-tu ! Elle est partie en courant !
- Avec le prince à ses trousses, Jeanne ! Il est capable de la retrouver, il est prince !
Ne sachant pas que ce dernier lui avait couru après, Cendrillon, dans un premier temps, s’en réjouit, jusqu’a ce qu’elle se demande pourquoi il ne l’avait pas rattrapée. Mais à vrai dire, elle n’avait jamais couru si vite. Décidément, ce soir-là, il y avait eu de la magie dans l’air… Quand elle trouva enfin le sommeil, Cendrillon fit de beaux rêves.
Dès le lendemain matin, cependant, la réalité la rattrapa. Il y avait la maison à tenir, à laquelle sa belle-mère trouvait toujours à redire. Ses sœurs étaient encore excitées par l’aventure de la veille, même si elles n’avaient finalement pas dansé avec le prince, et lui parlèrent de cette belle inconnue… Cendrillon souriait à part elle mais se garda bien de le montrer. Elle était encore aux anges, à cette sensation de plénitude qu’elle avait éprouvée en dansant avec le prince. Quand on lui en fit la remarque, elle dit seulement qu’elle avait fait de beaux rêves.
- Ah bah oui ! Allez, va, ma pauvre Cendrillon, c’est tout ce que tu as : des rêves ! N’en demande pas plus !
- Cette femme était bien plus belle que toi ! fit perfidement Jeanne.
Cendrillon se contenta de hausser les épaules, pour vaquer à ses occupations.
- Tu sais quelque chose ? lui demanda sa belle-mère.
- Non, comment voulez-vous ? J’avais du travail…
- Ah, oui !
Aussi, à part cet échange, la journée de Cendrillon fut comme d’habitude. Elle préparait une soupe avec le potiron qui avait résisté aux enchantements de Bernadette la veille au soir, quand elle entendit ses demi-sœurs regarder les informations à la télévision, mais elle se dit qu’elles devaient être en train de se moquer de Giscard, comme à l’accoutumée. Au lieu de cela, quand elle apporta la soupe, elle les trouva à commenter le communiqué du père du prince.
- Il va faire la tournée du village ! Il va venir ici !
- Mais qui ça ? demanda Cendrillon sans comprendre.
- Le prince, déclara calmement sa belle-mère. Et il faut que cette maison soit impeccable, entends-tu, Cendrillon ?!
- Si fait.
La jeune femme avait pris un air humble, mais jubilait intérieurement. Elle le cachait du mieux qu’elle le pouvait, et se disait que ses sœurs ne doutaient de rien ; mais sa belle-mère ? Elle se méfiait, et ajouta, aussi pour se donner contenance :
- Dites-moi seulement quand il viendra, pour que je sache combien j’ai de temps pour tout nettoyer.
- Nous ne pouvons pas te le dire exactement. Il se donne trois jours pour retrouver cette jeune dame, mais n’a pas précisé par où il commencera sa recherche.
- Ça ne fait rien.
Cendrillon s’activa donc. Le prince ne vint pas le lendemain, ni le surlendemain, mais Cendrillon briquait la maison de fond en comble. Il n’arriva, avec un valet, que le matin du jour suivant. Il avait la mine déconfite et commençait à douter du succès de son entreprise. « Si je ne trouve pas ma belle », se disait-il, « j’irai me jeter dans la Loire ».
La belle-mère de Cendrillon avait ordonné à ses filles de bien se tenir, et avait ouvert en personne, tout en faisant une grande révérence. Elle était si repoussante, que le prince fronça le nez, mais il s’obligea à garder contenance, et demanda à voir toutes les jeunes femmes de la maison. Cendrillon n’était pas loin, et avait enfilé un tablier avec une poche où dissimuler sa chaussure, mais ne se montra pas. Elle avait pris un chiffon à poussière, et déplaçait des bibelots dans le bureau de son père.
De son côté, le prince commença par Adélaïde, et lui donna la chaussure de Cendrillon à essayer, masquant une grimace car il voyait bien qu’elle n’était pas sa belle inconnue. Mais quand Adélaïde se mit debout, avec son pied qui débordait de la chaussure, avec le sol tout propre et brillant encore d’eau de Javel, elle glissa, perdit la chaussure et tomba en poussant un cri de rage. Alors, Jeanne s’avança, et l’enfila à son tour. Ayant compris la mésaventure de sa sœur, elle resta stoïquement debout.
- Mademoiselle ?
Jeanne tendit une main dans un geste qu’elle voulait gracieux, puis esquissa un pas en avant, mais impossible de bouger : le chewing-gum, resté sous la chaussure, collait au sol. Elle insista, ploya le genou, et son pied en sortit, tout rouge tant la chaussure serrait.
- Donc ce n’est pas vous non plus. (Et heureusement, se dit le prince). Venez, Alfred.
- Pardonnez-moi, lui dit alors le valet, mais je gage que cette maison est tenue par une femme soucieuse des détails.
- Que voulez-vous dire ? fit le prince.
- Il doit y avoir encore une femme.
Le prince se tourna vers la maîtresse de maison.
- Est-ce vrai, madame ?
Gênée, celle-ci le reconnut, puis s’empressa d’ajouter :
- Mais ce n’est qu’une femme de ménage, une souillon… Adélaïde, Jeanne, allez chercher Cendrillon, et ne craignez rien.
- Oui, Mère.
Cendrillon parut peu après, les cheveux ébouriffés, gris de poussière, avec son grand tablier informe.
- Vous m’avez demandée, monsieur ?
- Oui, mademoiselle. Asseyez-vous, je vous prie.
Et le pied de Cendrillon s’inséra parfaitement dans la chaussure, sous les yeux horrifiés de sa belle-mère et de ses demi-sœurs. Là- dessus, elle tira la seconde de son tablier en souriant, pour la mettre. Le prince, le cœur au bord des lèvres, la faisait se lever, quand la porte s’ouvrit : c’était Bernadette.
- Femmes odieuses ! Heureusement que j’étais là pour veiller sur cette petite !
- Vous ! comprit la belle-mère, furieuse, et elle se jeta sur elle.
Le prince tira tout à coup son épée, piqua les fesses de cette dernière, qui hurla.
- Mère !
La belle-mère et ses filles tremblaient, de peur et de fureur. Le prince avait remis son épée en place, et pris Cendrillon par la main.
- Quittez cette maison avec moi, et je vous épouse.
- Oh oui !
- Alors, raconta la vieille dame à nos quatre amis, la belle-mère et ses filles ont littéralement explosé de rage, et se sont entretuées. Le prince, ma filleule et leur valet étant aussitôt partis au château, je me suis occupée d’appeler la police, et mon vieil ami le père de Cendrillon. Alors pensez si j’ai eu des émotions !
Et elle vida son troisième verre de bière.
- Mais madame… Bernadette… tenta Corinne, qui ne comprenait rien.
Richard restait toujours rêveur.
- Moi, j’ai bien aimé l’histoire du chat, fit Jean-Louis.
- Et moi, j’ai une idée de chanson ! s’exclama Louis. Imaginez : « Cendrillon pour ses vingt ans / est la plus jolie des enfants… »
- Génial ! rebondit Jean-Louis. On l’écrit !
- Je vous remercie, jeunes gens. Vous en ferez ce que vous voudrez…
Et les quatre amis ne se privèrent pas de s’amuser, faisant leur propre version du conte. Le résultat ne déplut pas à Bernadette, quand elle l’entendit à la radio quelques mois plus tard. Mais ses sorts n’étant efficaces qu’une fois sur deux, le groupe implosa quelques années plus tard…
© Claire M, 2023