Des passions
Savez-vous d'où vient le mot "passion" ? Du latin passio, souffrance, du verbe patior, souffrir (de sens passif). Maintenant, on nous parle, en vrac et en désordre, de passion du jardinage, pour la musique, passion amoureuse, des voitures.... Mais on oublie totalement l'origine de ce mot, sauf peut-être les plus fervents, et les curieux, qui savent ce que le Christ a enduré lors de sa Passion (avec un P majuscule), avant et pendant sa crucifixion.
Pourquoi je vous dis ça ? Parce que j'ai la passion de l'écriture et qu'elle me bouffe littéralement. Je n'arrive pas à faire autre chose, ne pense qu'à ça. Cela fait depuis le début de l'épidémie de covid que ça s'est aggravé, pour pas mal de raisons différentes. Et je finis par en devenir folle. Tout le reste devient un effort. A cette époque de l'année, les fêtes d'écoles se profilent, écoliers et enseignants s'impliquent dans différents projets où les AESH comme moi n'ont pas forcément à jouer un rôle. Alors qu'est-ce que je fais, je ne pense qu'à CA : écrire,lire aussi. Et quand la vie se résume à ça, il faut s'inquiéter... J'ai donc fini par péter les plombs.
J'enchaîne les textes avec plaisir, mais sans avoir tout le temps que je souhaiterais pour faire cela, d'où une certaine pression. Alors je ressens le doux vertige de la création, puis le retour à la réalité, pas si rose pour moi qui ai surtout un chat affectueux (mais quel chat!). Cette situation me rend malade pour de bon, et pourtant Dieu sait si j'aime écrire. Avez-vous déjà vécu cela ? Je ne peux pourtant pas laisser tomber mon travail, car il faut bien vivre, et je ne peux pas me plaindre, car il me laisse du temps pour... faire autre chose. Un de mes amis m'a dit, il y a quelques années, qu'on n'écrivait jamais trop, mais je finis par me poser de nouveau la question. Ou cela dépend de ce que l'on écrit ?
Vous le savez aussi, je lis beaucoup. Le mois de "mai-gruyère" (comme disait Caliméro) m'a laissé du temps pour cela. Il est tentant de continuer... Je suis sur Le cimetière de Prague d'Umberto Eco ( pas étonnant pour une italo-plus-que-phile), et ce magnifique Poussières d'étoiles d'Hubert Reeves. Si vous êtes italien et que vous avez la tête dans les étoiles, je vous attends ! Blague à part, je voulais témoigner de ce qu'est véritablement une passion. Aussi méfiez-vous, chers lecteurs...
Claire M
PS : J'ai quand même trouvé un truc : sortir par ce beau temps, pour aller à la découverte dans une grande librairie... et marcher !
le point de vue de Sirius, épisode 9
Embrassades.
- 1. Le professeur Laksøn s’était étonné, auprès d’Anthéa.
- Et vous voyagez dans votre état ?
Anthéa avait rougi, regardé le capitaine.
- Ma compagne n’en est qu’au quatrième mois, avait réagi Lantar à sa place.
- Vous êtes très mignons, avait remarqué Hans, et il s’était avancé pour faire claquer ses lèvres sur la joue d’Anthéa, toute surprise.
Et il avait fait de même avec les autres Po-Toliens, sauf la princesse, devant laquelle il s’était incliné. Et, après les au-revoir :
- Lantar, refais-moi ce qu’Hans Pedersen m’a fait.
- Eh bien, ma chérie… fit Lantar, gêné.
- S’il te plaît.
Lantar embrassa maladroitement sa compagne. Hans avait compris qu’ils ne connaissaient pas cet usage, et n’avait pas voulu les gêner davantage par des explications, qu’il aurait vraisemblablement bafouillées. Là-dessus, la petite troupe était sortie de l’observatoire, pour remonter à bord de leur vaisseau.
- Et moi ? Pourquoi ne m’a-t-il pas touché la joue avec ses lèvres ?
Personne ne le savait.
- Nous reviendrons peut-être, dit gentiment Byzix à la princesse. Il fait peut-être froid, mais il y a de la place, et leur habitat est plutôt confortable.
- Reste à voir comment ce sera sur Atlantide…
- 2. Miguel embrassa tout le monde, sauf la princesse, et quitta les lieux.
- Mais pourquoi ne me touche-t-on jamais les joues avec les lèvres ?
Le directeur de l’endroit où se trouvaient les Po-Toliens embrassa la princesse, et lui dit :
- Si vous en manquez, dites-le.
- Mais qu’est-ce ?
- Des baisers.
- C’est doux…
Le petit chat blanc repassa dans le giron de la princesse Balea, qui en eut une petite larme d’émotion. Puis tous suivirent le directeur, qui leur montra son établissement, sans plus de commentaires sur la pratique des baisers.
- 3 - Je m’appelle Antoinette, dit une pimpante petite dame à Byzix, Lantar et Anthéa, les autres étant partis voir ailleurs. Je me sens si seule, vous savez. Et j’aime la nouveauté.
Elle leur expliqua sa solitude en peu de mots, ce qui les gêna quelque peu. Byzix et Lantar se regardèrent, mais Anthéa eut un geste tendre pour Antoinette, en lui chatouillant le bras, à la mode de Po-Tolo. Cette dernière en fut surprise, et Anthéa le remarqua.
- Ah, vous préférez peut-être que je touche la joue avec les lèvres, fit-elle.
Cela fit sourire Antoinette.
- Nous appelons cela « embrasser », ou « faire des baisers ». Je vais vous montrer.
Et Antoinette embrassa les trois Po-Toliens, se fit embrasser par eux. Chacun y trouva des sensations nouvelles. Byzix se détendit, en ferma les yeux. Malgré cette situation quelque peu embarrassante, il se sentait bien, jusqu’à ce qu’Anthéa ait un rire clair.
- Notre princesse Balea a raté ça !
- Et moi, j’en parlerai à mon frère, quand il reviendra ! répartit Lantar. Pour draguer les Maldékoises et les Terriennes !
Puis la conversation repartit, et Antoinette se mit à leur raconter la Terre, les trois autres de Po-Tolo…
Arts appliqués
flamants roses
papa hippocampe
Quelquefois, dans l'école où je travaille depuis quelques mois, on fait de l'art plastique... J'en profite pour renouveler mes dessins ! Evidemment, ce qui marche bien avec les enfants, ce sont les animaux... et aussi avec les adultes comme moi ! Mais saurai-je m'en souvenir pour refaire ces deux animaux ?
Telle Don Quichotte et ses moulins...
Et voici les réponses tant attendues !
L'incipit était celui du Don Quichotte de Miguel de Cervantès.
Devinettes : l'auteur du Chat du rabbin est Joann Sfar.
L'auteur inspecteur des Monuments historiques est Prosper Mérimée.
Ce poème de Rudyard Kipling est Si, "If" en anglais.
Le poète médiéval auquel fait allusion Jules Verne est "Snorre Turleson", c'est-à-dire Snorri Sturluson.
Charade : Edmond Dantès ( aide-mont dents-Tess) dans Le comte de Monte Cristo.
Alors, aviez-vous tout trouvé ? si non, ce n'est pas bien grave...
Le point de vue de Sirius, épisode 8
Petit tour en ville.
Miguel, une fois rhabillé, mena les Po-Toliens, à pied, à Atlantia, passant du sentier près de la plage, jusqu’à une allée ombrée, agréable. Enfin, tous débouchèrent sur une grande place. De là, ils aperçurent des magasins, des cafés, des restaurants. Miguel se tourna alors vers le petit groupe.
- Voici Atlantia. Le centre est tout près. Préférez-vous voir la ville, ou vous arrêter ici pour boire quelque chose ?
- Je serais curieux de voir la ville, fit Césig. Et vous, les amis ?
A vrai dire, tous les hommes du groupe en avaient très envie. Mais les deux femmes étaient fatiguées, surtout la princesse. Jamais elle n’avait tant marché toute seule.
- Il y aura d’autres endroits où s’asseoir, lui dit Miguel. Ce sera très bon pour vous de remuer vos fesses, Votre Altesse.
La princesse se renfrogna. De son côté, Anthéa déclara :
- Je suis fatiguée, c’est vrai, mais je peux encore marcher. Mais si vous dites qu’on peut s’asseoir ailleurs…
Alors ils marchèrent encore un peu.
- Votre mère serait ravie de voir ça, fit Ollibert à la princesse Balea, qui sortit un éventail pour l’en frapper, tout en disant :
- Ces Maldékois ne respectent rien.
Mais le majordome en rit. Ils traversèrent la place en longeant le trottoir, puis Miguel stoppa net. Byzix faillit tomber.
- Que faites-vous ?
- Ce n’est pas à nous de traverser. Regardez, le feu est rouge.
- Ah ! fit Césig. Chez nous, le feu est violet, et passe à l’orange pour ceux qui traversent.
- Ici, c’est vert et rouge. Et en Europe, il y en a un orange pour signaler que le feu va passer au rouge.
- C’est compliqué, fit Anthéa. On passe ou on ne passe pas.
- Nous autres Européens, nous nous compliquons parfois la vie…
Alors qu’ils traversaient, il y eut quelques coups de klaxon. Les bruits de la ville aussi étonnaient les Po-Toliens. Miguel eut un regard vers les voitures, et sourit.
- C’est pour vous, madame, dit-il à Anthéa.
- Comment ça ?
- Le conducteur de la Mercédès vous trouve jolie. Ici, on klaxonne pour trois raisons : si on voit une jolie femme, pour saluer un ami, ou éventuellement en cas de danger immédiat. Maintenant, regardez vers la droite, cela pourrait vous intéresser.
Il y avait là des vitrines différentes, proposant des choses variées. La princesse tomba en arrêt devant une boutique vendant des maillots de bain et des paréos. A son regard, Miguel comprit, leur expliqua ce que c’était.
- Regarde, Lantar ! Ici, je pourrais emballer mon ventre !
- J’aime beaucoup ce maillot, fit Césig, de son côté, en avisant un slip de bain mettant en valeur les atouts du mannequin.
- Nom d’une pipe ! s’offusqua Byzix. Mais que faites-vous ?
Miguel rit de bon cœur.
- Ne vous inquiétez pas, capitaine. Vos compagnons viennent de comprendre les attraits du shopping. Venez, à côté il y a un opticien.
- Qu’est-ce que c’est ?
- On y vend des lunettes, pour mieux voir ou se protéger du soleil. Connaissez-vous cela, sur votre planète ?
- Non, avoua Byzix.
- Regardez, alors.
Byzix, curieux, observa, tendit une main vers les lunettes.
- Allez-y. essayez.
Il chaussa une paire de Ray-ban.
- Oh capitaine ! Ça met en valeur votre front ! s’écria Ollibert.
- Vous trouvez ? Ça me fait tout bizarre.
Miguel riait toujours. Les Ray -ban n’allaient pas du tout à Byzix, avec son front proéminent. Mais personne ne le comprenait. A partir de ce moment-là, tout le petit groupe se mit à regarder les boutiques avec beaucoup d’intérêt. Leur attitude était tout à fait comparable à celle des Maldékois.
Byzix demanda encore quelques explications supplémentaires à Miguel, puis dit aux autres :
- Allons-y. Ne nous attardons pas.
- Mais si justement ! s’exclama Carman. Ne sommes-nous pas en reconnaissance ?
- Nous avons assez regardé, allons-y, nom d’une pipe ! On ne va pas passer la journée à regarder des trucs qui ne nous conviennent pas !
- Qu’est-ce que vous en savez, capitaine ? rétorqua Césig.
Byzix dut lui rappeler, dans leur langue, qu’ils ne pouvaient essayer des vêtements, à cause de leurs queues…
Dans un blog, dont je peux me rappeler le nom...
Je profite de ce jour férié pour vous faire jouer un peu, je suis sûre que vous en avez envie ! Ici dans le Nord, c'est (trop) nuageux, alors au cas où vous n'auriez pas envie de sortir... Même si dans le Sud, c'est plus souvent mieux. Même si vous avez le week end... Au fait, que faites-vous, pour l'Ascension ?!
Venir sur ce blog vous évitera aussi d'acheter un jeu de devinettes, vous pouvez donc vous amuser à peu de frais ! Pensez-y... Et si en plus, mes histoires vous plaisent, riez, tremblez, et laissez-moi une trace de votre passage... ça fait toujours plaisir !
Et amusez-vous, d'une façon ou d'une autre, c'est important !
incipit : "Dans une bourgade de la Manche, dont je ne veux pas me rappeler le nom, vivait, il n'y a pas longtemps, un hidalgo, de ceux qui ont lance au râtelier, rondache antique, bidet maigre et lévrier de chasse."
devinettes :
- Qui est l'auteur du Chat du rabbin ?
- Quel écrivain français du XIX° siècle fut inspecteur général des monuments historiques ?
- Quel poème de R. Kipling, le plus connu, se termine par : "Tu seras un homme, mon fils" ?
- A quel auteur islandais médiéval Jules Verne fait-il allusion dans le Voyage au centre de la Terre ?
charade :
Mon 1° est une assistance.
Mon 2° est élevé.
Mes 3° sont dans la bouche.
Mon 4° est le prénom de Mlle D'Ubberville.
Mon tout est un héros d'Alexandre Dumas.
Supputations
Et si… ?
Carine sortit de sa léthargie dans la salle de réveil, ne sentant plus ses jambes. Elle regarda autour d’elle, se souvint, son accident de vélo, la fourgonnette.
- Il y a quelqu’un ? fit-elle en cherchant une infirmière du regard, mais sa voix était encore nauséeuse, et elle répéta sa question, tout en bougeant les bras. Oh bon sang !
Une infirmière réagit, à l’autre bout de la salle, et vint s’occuper d’elle.
- Mes jambes… C’est si grave que ça ?
- Rassurez-vous mademoiselle, ce sont les effets de la péridurale. Vous avez été atteinte à la jambe gauche seulement, vous vous en remettrez. Vous avez une fracture de la fibula, c’est pour ça qu’on vous a mis un plâtre.
A ces mots, la jeune femme respira.
- Et ma famille ??
- Vos parents viendront vous retrouver un peu plus tard, il n’est que quatorze heures trente… et les visites sont admises jusqu’à dix-neuf heures.
- Pourquoi, je ne peux pas sortir avec un plâtre ?
- Vous avez perdu beaucoup de sang. Toutes les précautions sont prises. Votre famille verra avec le médecin qui est intervenu, pour la suite.
- Ah… je comprends.
Carine était vivante, et savait qu’on guérissait facilement de fractures même ouvertes, aussi cessa-t-elle de remuer. Elle ferma les yeux, et ne posa plus de questions.
Ses parents revinrent la voir en fin d’après-midi, et il fut décidé qu’elle resterait là trois jours. Carine leur demanda donc quelques objets et vêtements, que sa mère vint lui porter le lendemain matin. La jeune femme était dans une chambre double, qu’elle partageait avec une lycéenne qui avait fait une chute à moto, et qu’elle jugea superficielle, une certaine Marjorie. C’était les vacances, et Carine, à la rentrée, devait entrer en fonction dans l’emploi qu’elle avait choisi, c’est-à-dire comme assistante sociale. La lycéenne se plaignait de la complication du bac, qu’elle passerait l’année suivante, depuis que le président de la République l’avait réformé. Tout cela faisait que Carine était plutôt agacée. Elle se retenait, l’intervention sur sa jambe était récente, et elle manqua exploser à cause de la télévision, que Marjorie regarda toute la soirée, une série policière, un véritable navet, puis à zapper. La sensibilité aux jambes revenait à Carine, et elle ne s’était endormie que fort tard, de mauvaise humeur aussi à cause de la douleur. Ce problème l’inquiétait. Marjorie, quant à elle, s’était cassé le poignet, et le bras, qu’elle portait en écharpe.
- Ne t’inquiète pas, dit madame Leblanc à sa fille. A mon avis, elle ne va pas tarder à sortir.
- Oh, maman, je suis crevée, je veux dormir, je suis réveillée depuis sept heures du matin !
- Oh, ma puce.
Et elle prit Carine dans ses bras. Par discrétion, Marjorie était sortie de la chambre, alors Carine put s’épancher, parler, cet accident idiot… Madame Leblanc repartit alors qu’on apportait le repas de midi, et Marjorie dut demander à ce qu’on lui coupe sa viande. L’infirmière s’exécuta de bonne grâce, mais la jeune fille était agacée.
- Putain, faich’ ! Je voudrais tellement pouvoir utiliser ma fourchette et mon couteau ! Attraper tous ces objets ! Où est la télécommande ?
En réalité, sournoisement, madame Leblanc l’avait mise du côté de sa fille, là où Marjorie ne pouvait pas l’attraper. Carine fit celle qui ne savait pas, disant seulement qu’elle préférait lire.
- Je vois ! En plus, je suis avec une intellectuelle !
Carine haussa les épaules pour toute réponse.
- Ce n’est pas plus mal, murmura-t-elle à part elle.
Et à la fin du repas, elle prit un livre.
- Où est la télécommande !! Eh !
L’objet avait quitté l’endroit où il avait été posé, pour atterrir sur l’oreiller de Marjorie. Cette dernière, de saisissement, avait sursauté.
- Mademoiselle Leblanc ! Vous… vous avez vu ? fit Marjorie d’une voix altérée.
- Il ne vous en faut pas beaucoup… Vous gigotez tellement… rétorqua Carine, qui avait à peine vu.
Elle ne parvenait pas à se concentrer sur son livre, à cause des vociférations de la lycéenne.
- Quoi, la télécommande se déplace toute seule, et vous trouvez ça normal ?!
- Eh bien, regardez-la, maintenant, cette fichue télé, puisque vous avez la télécommande…
- Vous saviez où elle était ?
- Oui, de mon c…
Carine s’interrompit, comprenant tout à coup ce qu’il venait de se passer, sursautant à son tour. Les deux filles se regardèrent.
- Mais c’est extraordinaire !
- Il y a de l’orage dans l’air, ou quoi ? fit Marjorie, l’oreille tendue.
- Non… enfin, je ne crois pas, quoiqu’à cette période de l’année…
- Je sors, décida la lycéenne.
- Dans le couloir ?
- ‘m’en fous.
Et Marjorie repoussa la table avec son plateau, snobant sa pomme et sa crème caramel, qui attendaient toujours d’être mangées, pour aller voir ailleurs. Elle revint peu après, toute tourneboulée, alors que Carine savourait enfin son livre.
- Mademoiselle Leblanc !
- Déjà ?! Euh ! Excusez-moi…
Marjorie n’en tint pas compte.
- Dans la chambre à côté ! Y a un type qui a disparu sous mes yeux !
- Je croyais que votre cas se limitait à vos fractures… Peut-être y en a-t-il une au cerveau ? !
- Non, j’vous jure, il a disparu, et est réapparu à l’autre bout du couloir ! Y s’passe des choses pas claires, dans cet hosto !
Sa façon de parler amusait Carine, malgré la situation : apparemment, sa camarade de chambrée avait le don de télékinésie, et voyait de drôles de choses… Mais elle se domina, et dit avec un sourire :
- Je crois que vous êtes médium, Marjorie. Vous avez des pouvoirs fantastiques !
- J’vous assure que non !
- Asseyez-vous. Voulez-vous que j’appelle quelqu’un ?
- Je… je crois que je vais m’allonger.
Déconfite, Marjorie joignit le geste à la parole, et ne parla plus de regarder la télévision.
Carine put lire jusqu’à l’arrivée d’un kinésithérapeute, qui lui fournit des béquilles, commandées le matin même par madame Leblanc. Au début, Carine manqua tomber, et puis sa jambe lui faisait mal. Le kinésithérapeute eut beaucoup de patience, mais sut abréger la séance, et demanda des antidouleurs pour elle. En revenant dans sa chambre, Carine crut halluciner à son tour : un homme avec une fine barbe s’amusait à bouger des doigts, disparaissait, puis réapparaissait miraculeusement plusieurs mètres plus loin.
- Qu’est-ce que… commença le kinésithérapeute, mais il s’interrompit tout à coup, prêtant l’oreille : cet homme disait, en substance, que c’était génial, qu’il avait des pouvoirs magiques.
- Marjorie avait donc raison ! s’émerveilla Carine quant à elle. Mais où suis-je, dans un hôpital, ou une maison de sorciers ?
Le kinésithérapeute la regarda de travers.
- Monsieur ! lança-t-il à celui qui devait être, à ses yeux, un prestidigitateur.
L’homme s’approcha : il avait plein de mèches folles, un grand sourire, et une main qui semblait fort abîmée, maintenue dans une attelle.
- Pardonnez-moi, dit-il, je viens de faire une découverte sensationnelle !
- Mais comment faites-vous ça ? demanda Carine, qui avait dû s’asseoir dans le couloir, à cause de sa jambe, malgré les béquilles.
- Regardez, madame : je fais un rond avec mon pouce et mon annulaire, et hop ! Bout du couloir !
Carine et le kinésithérapeute furent stupéfiés.
- Et vous pouvez sortir de cet hôpital ? demanda ce dernier.
- Oui, je suis allé acheter le journal ici à côté, comme ça.
Le kinésithérapeute se renfrogna, à ces mots, et l’homme comprit qu’il avait commis un impair.
- Vous pouvez le prouver ?
- Oui, suivez-moi.
Curieuse, Carine entra elle aussi dans la chambre. Tout cela commençait à l’exciter… Le patient prit le journal du jour, et celui qui partageait son quotidien confirma l’aventure.
- Vous devriez essayer, madame, dit celui qu’elle avait déjà surnommé « professeur Nimbus ». Le pouce et l’annulaire. Et allez où vous voulez, en y pensant simplement. Mais asseyez-vous d’abord.
Carine décida de le faire, se lança.
- Maman ! s’exclama-t-elle.
Madame Leblanc manqua s’évanouir, tout en repassant son linge.
- Carine, ma Carine, c’est toi ?! Mais…
- Je fais une expérience. Mais je dois repartir tout de suite, sinon je crois que mon kiné va avoir une attaque…
- Et moi aussi ! Mais laisse-moi te serrer dans mes bras, ma petite fille !
Carine se laissa faire, ravie, puis retourna à l’hôpital, un grand sourire aux lèvres : c’était si bon, la chaleur maternelle…
- Excusez-moi Marjorie, vous aviez raison. Moi aussi, j’ai un pouvoir.
- J’ai entendu du bruit, il y a un kiné qui s’est évanoui…
- Je sais, je l’ai vu tourner de l’œil en revenant !
Et Carine raconta toute l’histoire.
- Notre voisin de chambre s’appelle Maxime. Il a l’air du professeur Nimbus, et il est très sympa. Il a dit qu’il allait faire son enquête.
- Mais alors… ? commença Marjorie, cherchant à se souvenir du geste qu’elle avait fait pour récupérer la télécommande.
Comme elle y pensait en serrant le poing, ce qui était en réalité un geste fréquent, chez elle, le même objet se posa sur la tablette face à elle. Elle fit un bond, et le prit, puis le reposa.
- Oui, mais à quoi…
- Essayez de trouver autre chose, dit gentiment Carine.
Alors Marjorie serra le poing en pensant à une canette de Coca cola, qui apparut aussitôt.
- Génial ! s’exclama-t-elle. Je vais récupérer mon I phone aussi !
Ce qu’elle fit immédiatement, récupérant du même coup son chargeur. Puis elle se mit à pianoter dessus comme elle pouvait, et d’elle-même, Carine lui déboucha sa canette, sans rien demander en retour.
- En fait, vous êtes cool. Que voulez-vous boire ?
- Je ne sais pas si… D’où vient cette canette ?
- Du frigo de mes parents, le Coca est bien frais.
Carine respira, et Marjorie reposa sa question. Finalement, Carine s’assit avec une limonade, qu’elle but pensivement, avant d’annoncer qu’elle retournait voir Maxime. Elle le trouva dans le couloir, à parler en faisant de grands gestes malgré son attelle. Autour de lui, tous étaient médusés, témoignaient aussi de leurs propres exploits magiques. Carine s’y mêla, et comprit que le service était en ébullition, depuis que son kinésithérapeute s’était évanoui.
- Il faut en parler au médecin-chef ! dit quelqu’un.
- Mais nous sommes tous fous ! fit une petite vieille dame.
- Non, madame, réagit aussitôt Maxime. Il y a encore d’autres cas, regardez cette jeune femme avec ses béquilles !
Carine rosit.
- Quel est votre pouvoir, madame ? demanda-t-elle presqu’incidemment.
La vieille dame baissa les yeux,
- J’ai fait apparaître un album de photos pour revoir mon mari…
- Comment ?
- Euh… en serrant le poing.
- Maxime, montrez donc à madame comment vous vous déplacez !
Naturellement, à la fin de la journée, le médecin-chef en fut informé, tout en faisant son tour de l’unité de traumatologie, comme à son habitude. Son scepticisme en énerva certains, mais Marjorie lui proposa du Champagne, et les yeux du médecin s’exorbitèrent en voyant apparaître la bouteille, avant de tomber à la renverse.
- Non, je n’ai rien, dit-il plus tard au directeur de l’hôpital. Mais si ces pouvoirs s’étendent, il va falloir suivre ça de près…
Le directeur fit donc une enquête dès le lendemain matin, et prit la mesure des événements. Après réflexion, alors que Carine repartait avec ses parents, munie de ses béquilles, il contacta le ministère de la santé…
- Bonjour madame Bangala, fit une voix au by-phone. Ici l’hôpital Maison blanche, je voudrais vous reparler de certains événements…
- De quoi s’agit-il ? demanda Carine, étonnée, n’y pensant plus.
- Vous souvenez-vous de l’été 2025 ? Vous vous étiez cassé une jambe, je crois.
- Si je m’en souviens !!
C’était sorti spontanément, et Carine en mit une main devant sa bouche.
- Donc ça vous a marquée, comprit son interlocuteur. Je voulais vous parler d’une enquête que nous menons, au sujet des pouvoirs, euh…
- Nous parlons bien de la même chose, monsieur ?
- Si fait. Quel était votre pouvoir ?
- Je l’ai toujours. Je me déplace où je veux, en faisant un rond avec certains doigts.
- Vous l’avez toujours ? Ah.
Mais l’autre n’était pas si étonné que cela.
- Où voulez-vous en venir ? En quoi consiste votre enquête ?
- Je dois appeler toutes les personnes qui se trouvaient au service traumatologie la semaine du 18 août 2025, au sujet des pouvoirs qu’elles ont développés. Je sais que cela fait un bout de temps, c’était il y a vingt-cinq ans, mais comme je m’y attendais, tous s’en souviennent.
- Excusez-moi, je n’ai pas suivi l’affaire, je travaille, me suis mariée, et ai eu quatre enfants…
- Mais vous devez savoir que c’est de plus en plus commun. Le gouvernement voudrait les étendre à tous, parce qu’ils pensent à l’impact que cela pourrait avoir sur… oui, la planète entière.
Carine tombait des nues, à un tel niveau.
- Quelle est l’utilisation que vous faites de votre pouvoir, madame Bangala ?
- Je l’utilise tous les jours, pour me déplacer à mon travail, ou en vacances. Mon mari est malien, ce qui règle la question de l’avion…
- Est-ce que tout le monde peut le faire, dans votre famille ?
- Oui, enfin presque. Mon petit dernier a onze ans, mais n’a pas encore saisi l’astuce. Mais peut-être que c’est normal, que ça n’arrive qu’après l’adolescence, je ne sais pas. Ma sœur aînée en a compris l’intérêt, ma nièce a quinze ans et commence seulement à s’en servir pour de bon.
- Et votre sœur a été hospitalisée comme vous ?
- Non, c’est moi qui le lui ai appris.
- Vous m’intéressez, madame.
Carine sourit à part elle.
- Je sais que c’est transmissible, puisqu’avec mon aînée j’avais tenté le coup, mais cela me faisait un peu peur. Mon mari m’a encouragée, et sait aussi le faire lui-même. En Afrique, ça les arrange…
- Seriez-vous d’accord pour venir témoigner à l’hôpital Maison blanche ?
- Oui, si vous le souhaitez, mais alors, il faut que je me rende disponible. A part le weekend, je n’ai que le mercredi après-midi.
- Vous déplacez-vous exclusivement en claquant des doigts, madame Bangala ?
- Oui, en effet. Ne plus avoir à payer la voiture, l’essence… est un bon argument budgétaire. Et avec nos quatre enfants, nous sommes une famille nombreuse.
- Ça dépend du métier de votre mari, j’imagine…
- Oui, il gagne bien sa vie, il est pédiatre. A côté, je ne suis qu’assistante sociale…
- Si votre mari est pédiatre, je comprends tout.
- Oui, il s’intéresse à ce phénomène de pouvoirs. Si vous voulez, il peut venir aussi.
- Oh ! Oui, ça nous intéresse. L’avis d’un pédiatre serait extrêmement intéressant.
- Alors je lui en parlerai.
- Pouvez-vous m’envoyer un by-mail urgent, avec vos coordonnées, et vos noms à tous les deux ? Cela nous permettra de vous envoyer une convocation, vraisemblablement un mercredi.
- Oui, je vais noter notre adresse by-mail.
Naturellement, Carine en parla à son mari, qui ne fut pas étonné, et il ajouta :
- Si je peux me mêler aux expériences, ça m’intéresse. Je pense que la pratique de ce pouvoir est l’avenir, qu’il faut que les enfants sachent s’en servir. Parce que bon, notre Oscar…
Carine sourit.
- Les filles seraient-elles plus futées ?!
- Ça ne m’étonnerait pas, fit Ayoub de la même façon. Mais tu sais, je suis très fier de la famille que nous avons fondée.
- Moi aussi, mon chou.
- Tu es toujours aussi belle…
- Hum, la taille un peu gâchée, peut-être ?!
- Tu es une vraie femme, mon amour.
- Sérieusement, je vais envoyer ce by-mail. Je vais déplier l’appareil tout de suite.
- Et les enfants ?
- Myriam s’occupera de ses petits frère et sœurs. Avec tous les amis qu’ils ont, on peut aussi les laisser s’amuser…
C’est ainsi que, trois semaines plus tard, Ayoub et Carine se rendaient à l’hôpital, à leur manière habituelle. Ils s’autorisèrent un discret baiser, avant d’y entrer. Ils se retrouvèrent avec une quinzaine d’autres anciens patients, et Carine reconnut la lycéenne avec qui elle avait partagé sa chambre vingt-cinq ans plus tôt. Marjorie avait bien changé : elle était devenue une belle femme au regard pétillant et malicieux, et attendait son troisième enfant. Quand elle se mit à parler, elle était beaucoup plus posée, et avoua à Carine que sa faconde s’exprimait dans son métier d’avocate, pour ses plaidoiries - mais pour l’heure, elle était en congé maternité… Marjorie avait aussi bonne mémoire, et demanda gentiment à Carine si elle avait eu des séquelles à sa jambe. Carine répondit par la négative, et là-dessus, on invita tout le monde à s’asseoir. Ayoub, qui était un grand noir, ne savait que faire de ses jambes, mais il plaisanta, ce qui détendit l’atmosphère.
Tout d’abord, chacun se présenta, nom, prénom, nature de son passage à Maison blanche vingt-cinq ans auparavant, et le pouvoir qu’il s’était découvert. A de rares exceptions près, tous soit se déplaçaient dans l’espace, soit étaient kinétélétiques. Les deux hommes qui restaient couraient deux fois plus vite que la moyenne et étaient deux fois plus forts aussi. L’un d’eux se plaignit d’être devenu un phénomène de foire.
- Il faut voir, dit prudemment le ministre de la santé.
Le porte-parole du gouvernement était étonné qu’il n’y ait pas plus de monde, aussi le directeur de l’hôpital, un petit jeune qui ne devait pas avoir plus de trente-cinq ans, expliqua que certains étaient morts. Le cœur de Carine se serra en pensant à Maxime, mais elle ne dit rien.
- Mais madame Dupuis est toujours là, tempéra le directeur.
Les regards convergèrent vers elle, une vieille dame au regard fatigué que personne ne connaissait, aux mains déformées par l’arthrite.
- Oui, depuis 2022, dit madame Dupuis d’une voix douce, un peu cassée.
- Anne Dupuis a été la première à pouvoir se déplacer grâce à ses doigts, expliqua le directeur à toute l’assemblée.
- Oui, mais l’arthrite a eu raison de ce pouvoir.
A ces mots, la plupart de l’assistance sursauta. « Donc il faut soigner l’arthrite », conclut Ayoub pour lui-même, et sa femme le regarda, posa une main sur son bras.
- L’enjeu est de taille, fit le ministre de la santé. Et mon collègue des transports n’a pas pu se déplacer…. On n’a pas encore le don de l’ubiquité.
Des sourires flottaient sur toutes les lèvres, de nouveau. Le « phénomène de foire » avoua qu’il aurait préféré un tel pouvoir, qui lui aurait semblé plus utile. L’autre hercule, plus malin, avait décidé, quant à lui, de devenir pompier, et là, il ne pouvait être que bien vu. Le porte-parole du gouvernement, Kevin Leroy, ramena le calme pour pouvoir continuer la séance.
- Où en est la science, contre l’arthrite ? demanda Marjorie. Moi, il me suffit de serrer le poing, mais peut-être serai-je dans cet état moi aussi, dans… vingt-cinq ans…
La question ne pouvait qu’intéresser Ayoub, et il tendit l’oreille. Le ministre de la santé expliqua que les causes étaient connues et qu’il s’agissait plutôt de prévention. En tous les cas, la douleur était de mieux en mieux soignée.
- Nos pouvoirs pourraient ne pas perdurer ? s’enquit le phénomène de foire. Moi, ça m’arrangerait…
- Vous pourriez faire de la compétition, lui dit le pompier.
- Pas question, le résultat serait biaisé. Je suis un honnête homme.
- Il est vrai que l’arthrite est gênante pour les mains et pour ce que nous pouvons faire avec, mais dans votre cas, sauf accident, ça ne devrait pas s’arrêter.
- Vous ne pensez qu’à mes jambes, monsieur le ministre. Je porte aussi des haltères.
- Préférez les haltères à l’arthrite, dit doucement Anne Dupuis, c’est moins douloureux.
- On s’habitue, à se déplacer en un clin d’œil, dit Carine quant à elle. C’est un sacré geste pour l’environnement ! Le ministre de l’écologie n’est pas venu ?
Le ministre et son porte-parole bafouillèrent qu’ils n’y avaient pas pensé.
- Il y a du travail à faire… murmura Ayoub.
- C’est vrai, au fait ! s’exclama le directeur de l’hôpital. Vous vouliez connaître toutes les implications de ces pouvoirs, messieurs ?!
Kevin se reprit le premier.
- De toute façon, nous craignons toujours le réchauffement climatique, mais je ne crois pas que cela ait grand-chose à voir, dit-il.
- Détrompez-vous, intervint Ayoub. Les Africains peuvent en parler, et puis… y a-t-il ici des gens qui ont le pouvoir de se déplacer en un clin d’œil, qui utilisent encore des voitures ? Les pays pétrolifères le sentent passer, je crois.
- C’est vrai, le prix de l’essence a sacrément augmenté, confirma un petit vieux à l’œil vif. J’ai fini par arrêter la voiture et tous ces véhicules polluants, moi aussi. Messieurs-dames ?
On répondit à la question d’Ayoub, et il en ressortit que plus personne, dans cette catégorie-là, n’utilisait les transports, ni privés ni publics. En revanche, beaucoup avaient gardé leurs vélos, pour faire du sport, à commencer par Carine. Le ministre regarda Kevin en se flattant la barbe, prenant conscience de l’intérêt du pays en matière économique, et écologique face à ce pouvoir. Ce genre d’avis était partagé, et le reste de l’assistance aurait préféré celui-là à n’importe quel autre. La discussion fut animée, et finalement, Kevin Leroy conclut en disant qu’il fallait en parler en conseil de ministres. Ils avaient aussi parlé de la transmission, ce sur quoi madame Dupuis insista, disant qu’il fallait enseigner ces pouvoirs aux plus jeunes sans tarder, instaurer une éducation dans ce sens. Car le savoir-vivre avait aussi son importance…
Son avis fut pris en compte un mois plus tard, lorsque la vieille dame disparut, d’un arrêt cardiaque. Ayoub avait été passionné, et apprit ce décès avec affliction, se rendant lui aussi à l’incinération. En pensant à elle, il orienta une partie de son travail en ce sens, qui lui sembla prendre une dimension nouvelle. Carine, quant à elle, devait s’impliquer aussi, pour faire valoir la beauté de la Nature et pouvoir s’y promener, à pied ou à vélo, les autres transports disparaissant les uns après les autres, et comment faire du sport à cause d’une sédentarité accrue. Il en allait de même dans les pays frontaliers de la France, en y ajoutant le Portugal, qui se dévastait de plus en plus du fait des incendies d’été. A part cela, la vie devenait plus belle… Carine devint également formatrice pour les nouveaux pouvoirs qui, au fil des années, se généralisaient à toute la population européenne.
- Qu’est-ce que l’Europe est calme ! s’émerveilla Justin Levêque après être arrivé à Paris en manquant perdre l’équilibre.
- Rien à voir avec les Etats Unis, confirma Robert Ozark. J’ l’impression d’être sur une autre planète...
- Il y a beaucoup d’espaces préservés au Canada, mais pas tellement en ville !
Le calme faisait vraiment une impression étrange aux deux hommes. En Amérique du Nord, ils se seraient retrouvés en plein milieu du trafic. Rien de tel à Paris, en revanche. La ville offrait d’immenses avenues, où seuls circulaient piétons et cyclistes, bordées d’arbres de toutes sortes, sous lesquels les terrasses des bars et des restaurants s’étaient étendues.
- Tu te souviens, quand il y a eu le covid ? fit Justin. Ça me fait un peu la même impression, même si c’était il y a très longtemps…
- J’étais en culottes courtes, à l’époque, et ne suis pas sorti des Etats Unis pendant longtemps… C’était quand, déjà ?
- Il y a plus de cinquante ans.
- Moi, je ne suis pas très âgé, comparé à toi… Ça ne doit pas te rajeunir…
- Non, c’est vrai, mais ça marque…
- Et toi qui connais Paris, dis-moi : sommes-nous loin de l’Elysée ?
- A deux pas. Suis-moi.
Ils y furent reçus par le président de la République lui-même, accompagné de son éternel porte-parole, Kevin Leroy. Après vingt-cinq ans, ce dernier s’était empâté, mais on l’appréciait de plus en plus. Modeste, il avait préféré agir, plutôt que de devenir un grand ponte de la politique, et était devenu un fervent défenseur de l’écologie. Les leçons des années précédentes avaient porté leurs fruits, sur lui. Il avait mouillé sa chemise, et portait ce jour-là jean et tee-shirt, car on était alors en plein cœur de l’été. Si le président portait une cravate, c’était plus pour la fonction qu’il incarnait. Les représentants d’Amérique du Nord étaient eux aussi vêtus légèrement – car le réchauffement climatique avait fait son œuvre. Robert indiqua courtoisement qu’il connaissait le français, ce qui simplifia les échanges, malgré son fort accent. Ils étaient entrés dans le palais, où tous quatre se présentèrent. Kevin demanda comment ils étaient venus, et fut heureux d’apprendre que le Canada et les Etats Unis faisaient aussi, plus lentement, leur transition vers le monde du siècle suivant. Le premier, Robert Ozark leur fit part de leur étonnement en arrivant à Paris, si calme, en voyant des gens qui prenaient le temps, sauf les touristes asiatiques, comme à leur habitude. A cette mention, le président sourit.
- On ne gomme pas comme ça un trait de civilisation… Ça ne fait que depuis même pas vingt ans, que nous voyons les résultats de la politique menée dans les années 2050. Entre nous, je peux le dire : la Chine et le Japon, notamment, ne sont toujours pas des modèles d’ouverture…
- Monsieur Jadot, voyons… voulut le reprendre Kevin.
- On y viendra, prophétisa Justin Levêque. Moi, je suis emballé ! Et toi, Robert ?
- Oui, moi aussi. Mais en tant qu’Américain de la vieille école, je me demande ce qu’en pensent les pays pétrolifères…
- Ils se sont reconvertis. Il leur a été plus facile de se tourner vers le tourisme, que nous ne l’espérions. Et puis au Moyen Orient, l’été, la chaleur est devenue tellement insoutenable, que la majorité des habitants de ces pays ont migré. Ça n’a pas été sans problèmes, d’ailleurs, ajouta le président Jadot.
- Nos tours sont reconstruites, à New York, reprit Robert Ozark, et nous commençons à avoir moins de trafic aérien. Et chez vous aussi, au Canada, ajouta-t-il en regardant son collègue.
- En effet, confirma ce dernier. Et quels ont été les problèmes posés par le Moyen Orient ? Sont-ils tous venus en Europe ?
- Il y en a aux Etats Unis, lui répondit Robert. Mes compatriotes aiment toujours les grosses cylindrées…
- C’est has been, fit Kevin, ce qui les fit rire tous quatre.
- En Europe, oui, concéda l’Américain. Mais il faudrait le leur expliquer, et c’est justement le but de notre venue à Paris.
- Le Canada est plus ouvert, mais tous ne sont pas convaincus non plus, ajouta Justin.
- Eh bien, nous allons en parler. Asseyez-vous, messieurs, invita le président Jadot, et tous obéirent.
- Et vous allez nous expliquer ce que vous avez fait des gares, aéroports… et des stations service, reprit Justin.
- Un instant, dit alors le président, et il appela son secrétaire pour faire enregistrer leur conversation.
Ce dernier apparut aussitôt, régla quelques détails, puis partit comme il était venu, en faisant un rond avec le pouce et l’annulaire. Les quatre autres eurent une longue conversation, et y étaient encore deux heures plus tard, quand le secrétaire frappa à leur porte.
- Monsieur le président ? J’ai ici monsieur et madame Bangala, et leur fils Oscar. Ils disent détenir une nouvelle sensationnelle.
Le président et Kevin échangèrent un regard.
- Faites-les entrer, décida le chef de l’état. Vous verrez, ce sont des gens tout dévoués à notre cause, ajouta-t-il pour ses invités.
Carine avait essayé désespérément de perdre ses kilos, et ce n’était qu’un demi-succès, mais elle était toujours aussi jolie, avec désormais des cheveux blancs, qu’elle avait tressés. Aux côtés de ses parents, le fils Bangala avait un sourire jusqu’aux oreilles, et les cheveux que son père n’avait jamais vraiment eus. Ce fut Ayoub qui parla, après les présentations.
- Nous avons un fils terrible, monsieur le président. Je vous mets au défi de me dire d’où provient cette… pierre.
L’objet tenait dans la main, était grisâtre et ne faisait penser à rien de connu.
- Pouvons-nous la toucher ? demanda Kevin.
Intéressés, les deux Nord Américains suivirent l’échange. Kevin et le président Jadot étaient perplexes.
- Vas-y, dis-leur, conseilla Carine à son fils.
Oscar prit un air mystérieux avant d’obéir, regardant ses parents, puis le reste de l’assistance.
- Je suis allé sur la Lune, dit-il enfin. Avec mon pouvoir de me déplacer dans… l’espace.
Kevin fit un pas en arrière, sonné, et les autres invités se laissèrent tomber sur leurs fauteuils.
- Mais… il faut le faire authentifier, se reprit le président le premier.
- C’est fait, dit Ayoub. Nous n’avions pas dans l’idée de vous faire une farce, ni de vous déranger pour rien.
Le silence s’installa.
- En effet, c’est… sensationnel… fit enfin Kevin.
- Eh bien, les amis, fit le président Jadot avec un grand sourire, c’est l’occasion rêvée de vérifier si nous ne sommes pas seuls dans l’univers ! Je vous offre d’ores et déjà le Champagne !
© Claire M, 2022
Point de vue de Sirius, 7° épisode
Les plagistes
- Voici mes compagnons, reprit Anthéa, quelque peu mal à l’aise. Césig, faites donc les présentations.
Mais Césig prit un air vexé, à cause du terme « rigolo », utilisé à son encontre.
- Que faites-vous ? s’enquit Ollibert auprès des Espagnols.
- Mais qui êtes-vous ?
- Capitaine Byzix. Nous venons de la planète Po-Tolo, située dans le système de Sirius.
Les Espagnols se frottèrent les yeux.
- Pablo, c’est quoi, cette bière que tu as achetée ?
- De la Corona, pourquoi ?
- Vise un peu ces loustics.
- Ce n’est pas la bière. Je les vois comme toi.
- Que faites-vous ? redemanda Ollibert.
- Nous adorons nous disputer sur des détails.
- Comme mère et moi, remarqua la princesse.
- Et nous prenons le soleil. Venez donc vous joindre à nous, si vous voulez.
- Il faut se déshabiller ? fit la princesse, dégoutée. Il n’en est pas question !
- Ces gars-là ne sont pas nets.
- Je ne suis pas « ces gars-là », mais la princesse Balea, fille de l’impératrice de Po-Tolo !
- Votre Altesse ! s’offusqua Byzix, et les Espagnols éclatèrent de rire.
Mais leur curiosité reprit vite le dessus, et ils s’agglutinèrent autour de Balea.
- Vous êtes une vraie princesse ?
- Pour une princesse, vous n’êtes pas très jolie. Vous devriez vous coiffer autrement, voyez-moi ce front...
Balea ne savait plus sur quel pied danser. Byzix empêcha, du geste, qu’on s’acharne sur elle, et elle lui en fut reconnaissante.
- Merci, capitaine.
- Capitaine ? relevèrent les Espagnols, de plus en plus intrigués.
- Et vous, que faites-vous ? insista Ollibert.
Enfin, Byzix s’interposa encore un peu plus entre les Espagnols qui observaient la princesse, ses mains à quatre doigts en avant. L’un d’entre eux réagit.
- Qui avez-vous dit que vous étiez ?
- Des habitants de Po-Tolo.
- C’est-à-dire ? Où est-ce, sur cette planète ?
- Non, pas sur votre planète. Nous venons de l’étoile Sirius. Ou plutôt des étoiles Sirius. C’est un système binaire, expliqua Byzix.
- Je n’y comprends rien. Où est Sirius ?
- A plus de huit années-lumière d’ici.
Les Espagnols étaient complètement dépassés, et, enfin, répondirent à Ollibert.
- Nous prenons le soleil en papotant. Ou alors, venez avec nous, on se baigne ensemble, et on en reparle. Ça devrait vous dégriser…
- Nous ne sommes pas ivres, déclara fermement Byzix. Nous n’avons pas besoin d’eau froide.
- Qu’’est-ce que vous en savez ? Allez, mettez-vous en maillot de bain.
- En quoi ? fit Anthéa.
- En maillot de bain. Pour vous baigner.
Les Po-Toliens refusèrent à l’unisson, et Carman dut demander ce que c’était.
- Eh bien, ça, par exemple, fit l’un des Espagnols tout en désignant son caleçon à fleures.
- C’est ignoble, fit la princesse.
- C’est mal barré, cette histoire, murmura Byzix, et Anthéa lui rappela, de la même façon, qu’ils n’avaient pas cousu les vêtements de dessous.
La conclusion s’imposa :
- Tirons-nous d’ici.
Et Byzix regarda les Espagnols, leur parlant à voix haute :
- Bon, vous nous excuserez, messieurs, mais je crains que cet endroit ne nous convienne pas. pouvez-vous nous indiquer la ville la plus proche ?
- Mais tout le monde aime la plage !
- Nous verrons cela plus tard. Je crois que ce n’est pas le meilleur endroit pour apprendre vos usages.
L’un des Espagnols se leva, pour aller vers eux. Celui-là avait été le plus discret.
- Moi, je vous crois, dit-il. Je m’appelle Miguel. Je vais me rhabiller et vous montrer la ville.
Byzix avait été surpris que ce dernier pose une main sur son épaule.
Cornegidouille !
Alfred Jarry (1873 – 1907)
Alfred Jarry naît le 8 septembre 1873 à Laval, non loin de la Bretagne. Il a une sœur plus âgée, Caroline-Marie, dite Charlotte. Leur père était négociant en tissus, leur mère fille d’un juge de paix. Mais le père, Anselme Jarry, connaîtra des revers de fortune, et sa femme s’installera avec leurs enfants à Saint Brieux, où Alfred Jarry entre au lycée.
C’est en 1885 que ce dernier écrit ses premiers textes, des comédies, en vers et en prose, qu’il conservera et auxquelles il donnera le titre, une fois adulte, d’Ontogénie. Quinze pièces de ce recueil, retrouvé en 1947, seront publiées en 1964, au Mercure de France, avec pour titre Saint Brieuc des Choux. La production enfantine d’A. Jarry s’étalera de 1885 à 1888. Au lycée, il est brillant, et remporte de nombreux prix, notamment en latin.
En 1888, Mme Jarry retourne dans sa ville natale, Rennes, avec ses deux enfants, et c’est là qu’Alfred entre en 1ère, où il fera des rencontres décisives. Un certain M. Hébert y est professeur de physique, et A. Jarry rencontre, dans sa classe, Henri Morin, qui garde des textes sur cet enseignant, y préfigurant le personnage du père Ubu. Le « Père Hébert » y est notamment le héros de Les Polonais, écrit par Charles Morin (le frère d’Henri), qui continue ses études à Paris. Les Polonais est joué chez leurs parents, dont le décor est d’Alfred Jarry. Plus tard, ce dernier fera jouer cette pièce en marionnettes puis en théâtre d’ombres.
Il arrive à Paris avec sa mère en 1891, où il entre au lycée Henri IV en octobre. En 1893, il imprime un poème, Châsse claire où s’endort / la régularité de la châsse, qui a obtenu un prix au concours littéraire mensuel du journal L’Echo de Paris littéraire illustré. Sa mère meurt la même année, le 10 mai. A la fin de l’année, A. Jarry traduit le Dit du vieux marin de Coleridge, et collabore pour la première fois à la revue L’Art littéraire.
L’année suivante, il devient familier, et actionnaire des éditions du Mercure de France, se lie avec Remy de Gourmont, se rend chez Mallarmé… C’est dans ces éditions, qu’il publie son premier livre, Minutes de sable mémorial, le 5 octobre 1894. Dans la foulée, il entre au service militaire, dont il sera réformé un an plus tard après une hospitalisation, pour » lithiase biliaire chronique ». Cette même année, en 1895, son père meurt à son tour, et A. Jarry et sa sœur finissent de partager leur héritage, ce qui laisse quelque argent à Alfred (qu’il dilapidera par la suite).
En 1896, il expose, dans une lettre à Lugné-Poe, ses conceptions scéniques d’Ubu roi et annonçant Ubu cocu (ou Les Polyèdres). Ubu roi sera publié, en préoriginale, dans la revue de Paul Fort, Le Livre d’art. Cette même œuvre est ensuite publiée au Mercure de France, et la première a lieu le 10 décembre, déclenchant un scandale : A. Jarry règlera ses comptes avec sa conférence « Questions de théâtre ». En 1897, il devient membre stagiaire de la société des auteurs et compositeurs dramatiques. L’année suivante, il écrit la plus grande partie de Gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien, Faustroll étant son propre pseudonyme. La pataphysique étant la science fictive des épiphénomènes, « des solutions imaginaires » que Jarry a lui-même initiées, avec beaucoup d’humour. Toujours en 1898, il rencontre Oscar Wilde (tout juste libéré de prison), et termine Par la taille, qui ne sera publié qu’en 1906. La version définitive d’Ubu roi sera publiée à La revue blanche en 1900, avec Ubu enchaîné, puis Messaline, un roman de l’ancienne Rome, d’abord en six numéros puis, en 1901, en volume. A. Jarry collabore régulièrement à cette revue, dont il tire ses principales ressources, cette année-là, puis traduit Olalla de R. L. Stevenson. Il participera aussi au Canard sauvage en 1903, pour 30 numéros sur 31. Le 15 avril, La revue blanche publie, dans son dernier numéro, deux poèmes : Bardes et cordes, et Le chaînier.
Alfred Jarry fréquente Apollinaire, Picasso, Pierre Mac Orlan… et entreprend une opérette sur la Papesse Jeanne, en collaboration, qui sera, en 1906, intitulée Le moutardier du pape, et dont les bénéfices lui reviendraient. Après avoir été très malade, il en corrige les épreuves, et cette même année, lance une collection de « Théâtre mirlitonesque » chez l’éditeur Sansot, où il ne peut faire paraître que Par la taille (qui date de 1898) et Ubu sur la butte (1901). A la fin de sa vie, très endetté, très malade, il retourne à Paris après un court passage à Laval, en 1907, déménage avec sa sœur. Sa santé se dégradant de plus en plus, A. Jarry ne peut mener aucun de ses projets à bien. Mais jusqu’au bout, il voudra terminer ses œuvres, ne pourra pas le faire : il meurt le 1° novembre, d’une méningite tuberculeuse.
Par la suite, il deviendra un inspirateur des surréalistes et du théâtre de l’absurde, et aura sa statue dans sa ville de Laval, sur le parvis des droits de l’homme.
Le dernier mot ? Merdre, de par ma chandelle verte !!!