l'imagination au pouvoir

02 décembre 2023

Le point de vue de Sirius, 19° épisode

Arrivants.

 

-        Madame, nous sommes venus de très loin pour… se reprit enfin Carman auprès de l’Italienne.

-        Me draguer, ou nous coloniser ?

-        Ne le prenez pas mal, je…

-        Je ne vous écoute pas ! Vous êtes aussi lourdingue que les, euh…

-        Les Terriens ? Rassurez-vous, nous ne sommes que de passage par ici, intervint Césig, pour défendre Carman, qui n’en menait pas large, et qui le remercia du regard. Il n’y a que des Terriens, ici, vous allez le découvrir vous aussi.

Le bon sourire de Césig calma l’Italienne.

-        Ça te fait mal, Carman ? demanda Lantar. Que sont ces manières ?

-        Je ne suis pas le bienvenu, j’ai fait une bêtise.

-        Tu es trop direct. Mets de la poudre sur ta joue, tu es tout bleu…

-        Je m’occupe de lui, déclara Ollibert, et il tira Carman à part, sur un siège.

L’Italienne les regardait, interdite.

-        Excusez mon frère, il se croit le plus beau de Po-Tolo…  Elle éclata de rire. Comment vous appelez-vous ?

-        Maria, répondit-elle, comprenant que la glace était rompue.

-        Oh ! fit tout à coup Dario, ce qui calma les rires de Miguel et d’Henri, qui avaient assisté à la scène. Une troisième ! Une jolie femme ! Española ?

-        Não, portuguesa.

Byzix et la princesse, qui avaient voulu parler avec Henri, ne savaient plus où donner de la tête, et Miguel se remit à rire. Dario dut poser une main sur son épaule.

-        Ça va aller, vieux ?

-        Oui oui ! Pardon !

-        Excusez-moi, madame, reprit Dario. Connaissez-vous l’anglais ?

-        J’ai appris l’anglais et le français, et j’étais professeur de piano. Je m’appelle Albertina. Vous êtes un ange ?

-        Non, je suis mort comme vous, et je vis ici, sur la planète Maldek, qui est à peu de choses près la même chose que la Terre, en plus grande. Vous avez donc voulu venir vous installer à Atlantia.

-        Oui, pour le climat, et parce qu’on m’a dit qu’il y avait beaucoup de Latins. Comme ça, je ne serai pas trop dépaysée… et ça me changera du Portugal.

-        De toute façon, mes collègues Helmut ou Yannis vous expliqueront comment ça se passe ici, mais nous avons la visite de petits curieux qui viennent du fin fond de l’univers. Combien d’années lumières.

-        Environ huit et demie, répondit Byzix.

Henri siffla.

-        Ça fait du chemin, non ? fit-il.

-        Nous nous déplaçons facilement dans l’espace intersidéral. Mais nous ne connaissons pas du tout Maldek, alors que je suis réputé pour être bon pilote, et j’ai l’entière confiance de mon Impératrice, dont voici la fille. J’ai aussi un bon copilote, n’est-ce pas Césig ?

L’interpellé eut un sourire modeste.

-        Que vous arrive-t-il, capitaine ? fit-il seulement, ce qui étonna Byzix, aussi il ajouta : Vous faites de plus en plus souvent des compliments…

-        N’est-il pas mignon ! s’exclama Albertina, et elle l’embrassa. On dirait mon fils quand il était petit !

L’ahurissement de Césig fit rire la compagnie.

-        Nous n’avons pas les mêmes caractéristiques physiques, madame, rappela Ollibert, qui avait laissé Carman après lui avoir fait retrouver ses esprits.

-        Et alors ?

Henri et Albertina se regardèrent.

-        Bref, bienvenue sur Maldek ! conclut Dario avec un grand sourire.

-        Quand est-ce qu’on trinque ? réagit Henri.

-        Quand vous aurez un chez-vous avec un écran, répondit Dario. Mes collègues vont bientôt s’occuper de vous. Qui est arrivé le premier ?

-        Moi, répondit Maria.

-        Les Européens sont très accueillants, le savez-vous ? déclara Henri pour les Po-Toliens.

-        Alors, parlons, conclut Byzix en le regardant.

-        On ne peut pas les emmener avec nous ? demanda la princesse.

-        Quand vous aurez un chez-vous avec un écran, donc après avoir vu mes collègues, insista Dario.

-        Toi et tes lenteurs administratives !

-        C’est comme ça, Miguel.

-        Alors c’est vraiment comme sur la Terre… fit Henri. Il n’y a pas de numéros d’ordre ?

-        Pour un Français, vous êtes bien procédurier… reprit Miguel.

-        Suivant ! fit un géant blond en apparaissant. Tremonti Maria !

-        C’est moi !

Et l’Italienne disparut.

Posté par Claire Monelle à 16:46 - - Commentaires [0] - Permalien [#]


26 novembre 2023

Grande famille

Ouvertures.

 

-        Hum, papa, ch’est trop bon !

-        Et ce ne sont pas de vulgaires chocolats, fit remarquer Pauline. Mais tu fais ça trop souvent, tu habitues trop bien nos enfants, mon cher.

Laurent eut un soupir blasé.

-        Laisse-moi me rattraper…

-        Nous en parlerons, mais pas devant nos enfants. Souris, à la fin !

-        Ça me fait plaisir de vous faire plaisir, même si je n’en ai pas l’air.

-        Oh, ça fait près de quinze ans que tu dis ça ! Change un peu de registre !

Laurent préféra se taire, pour ne pas exagérer, car il savait que Pauline était encore plus susceptible, depuis qu’elle avait voulu vivre à ses côtés, après la naissance de leurs jumeaux. Il était devenu soumis, mais c’était bien lui, qui subvenait aux besoins de sa petite famille. Même si Pauline avait un travail Mais Laurent était devenu un avocat très en vue du barreau de Lille et, à ce titre, gagnait extrêmement bien sa vie. D’où ce kilo de Léonidas pour Pâques. En bon descendant d’Italiens, il avait le sens de la démesure. Et de la famille, mais il estimait ne pas avoir eu d’enfants de la bonne personne, ce qui le rendait toujours triste. Souvent, sa fille, Sibylle, le regardait en penchant la tête sur le côté, comme si elle devinait quelqu’un d’autre que sa mère auprès de lui. Mais son fils, Romain, était moins subtil, et s’était jeté sur les chocolats… Il est vrai qu’il mangeait comme un ogre, étant en pleine croissance adolescente, tout comme sa sœur. Mais Sibylle se méfiait davantage de la nourriture, même si elle adorait le chocolat elle aussi. Alors elle le dégustait en prenant son temps, tandis que son frère en engouffrait trois à la suite dans le même laps de temps. Et Laurent les regardait, attendri, à la fois présent et absent. Il aimait ses enfants, mais pensait souvent à autre chose, dont il n’osait pas parler à sa compagne. Mais Pauline comprenait plus ou moins...

-        Maman, je peux reprendre du jus d’orange ? demanda Sibylle.

-        Bien sûr que tu peux. J’ai des bouteilles d’avance. Tu en veux aussi, Romain ?

-        S’il te plaît.

C’était Pâques, le temps était déjà chaud, et Laurent aurait dû se sentir bien là, avec sa petite famille, mais son regard était dans le vide. Il redescendit brusquement sur Terre, quand Pauline lui proposa aussi du  jus d’orange. Il balbutia quelque chose, accepta.

-        Reste avec nous, lui dit doucement sa compagne. Au  moins pour les enfants. Passe-moi donc ton verre.

-        On va chez tes parents, tout à l’heure ? demanda Laurent tout en obéissant.

-        Ils nous attendent pour treize heures.

-        Tu fais bien de me le rappeler…

Pauline préféra ne pas le relever…

 

Le lendemain, comme c’était les vacances, les enfants se levèrent plus tard, n’étant plus attirés par une énorme boîte de chocolats déjà plus qu’à moitié vide. Et comme il faisait toujours beau, ils allèrent sur la terrasse. Laurent y était, avec un livre, plongeant de temps en temps la main dans les chocolats belges (« grecs », comme disait son père). Voyant cela, Romain et Sibylle se regardèrent, puis leur père, la piscine. Enfin, Laurent s’avisa qu’il n’était plus seul, et tourna la tête.

-        Vous vouliez vous baigner ?

-        On y pensait, mais… fit Sibylle, un peu gênée.

-        Tu jouerais au ballon avec nous ? demanda Romain quant à lui.

Laurent referma les yeux, tout en se renversant en arrière.

-        Excuse-nous, papa, crut devoir dire Sibylle.

-        Papa ?

Romain s’était approché de la chaise longue où Laurent s’était installé, uniquement vêtu d’un pantalon de pyjama, des espadrilles aux pieds.

-        Ça ne va pas, papa ?

-        Si… si.

Sibylle s’approcha à son tour.

-        Mais à quoi tu penses ?

-        A une vieille histoire… crut devoir éluder Laurent.

-        Celle qui te rend triste ? demanda encore la jeune fille.

-        Jette donc un coup d’œil sur mon livre, mais ne perds pas ma page. C’est un très beau roman.

Sibylle prit religieusement le livre, en regarda la couverture, l’auteur, le titre.

-        Elena Mouro… prononça-t-elle avec l’accent italien.

-        Elle est d’origine portugaise, fit Laurent en guise d’explication. Il faut inverser les sons, et lire « Morou ». Mais tu as le droit de rouler le r. Retourne le livre.

Intrigué, Romain regarda aussi.

-        Qu’elle est belle ! s’exclama-t-il.

Laurent eut un sourire fugace.

-        J’aime beaucoup cette autrice, dit-il seulement. Mais je ne peux pas la lire devant… votre mère.

-        Ah bon, pourquoi ? s’étonna Romain.

-        Tu n’aurais pas quelque chose à nous dire, par hasard ?

-        C’est que… je n’aime pas en parler. Mais je suis si bien, en la lisant, je la retrouve…

-        Mais de quoi tu parles ? fit Romain sans comprendre. Tu retrouves qui ?

-        Elena Mouro, garçon.

-        Pourquoi, tu la connais ? Tu connais un écrivain ? demanda Sibylle tout en feuilletant le livre.

Laurent se gratta la tête, très embêté.

-        Je veux bien vous en parler, finit-il par dire, mais je veux être loin de votre maman, pour ça.

Les jumeaux le regardèrent sans comprendre.

-        Il y a quelque chose, dit doucement Sibylle.

-        Oui, souffla son père. Quelque chose de très… intime. Assurez-vous que votre maman soit loin, qu’elle ne nous entende pas.

-        Je vais voir ! lança Romain, et il détala, pour rentrer dans la maison.

Sibylle souriait, connaissant son jumeau par cœur. Il revint cinq minutes plus tard, tout content :

-        Maman fait un gâteau ! Elle dit qu’elle va passer du temps dans la cuisine, et qu’ensuite elle fera du ménage…

-        Alors on va dans le jacuzzi, les enfants. Je vais chercher mon maillot de bain, et je le mets en route.

Les jumeaux en tapèrent dans les mains.

Peu après, dans le bouillonnement de l’eau, Laurent ferma les yeux, ainsi que ses enfants. Il avait rangé son livre, pour ne pas le laisser traîner.

-        Et donc tu connais Elena Mouro ? demanda enfin Sibylle, après un court moment d’extase.

Laurent se lança :

-        C’est celle que j’avais épousée. La seule femme que j’ai jamais épousée.

Romain sursauta le premier.

-        Tu ne nous avais jamais dit que tu avais épousé une écrivaine !

-        Evidemment. Quand je  l’ai rencontrée, elle était loin de la célébrité… Votre tante Marie lui a appris à chanter, et Elena a commencé par là, avec des amis de notre bande. Elle avait eu des petits succès aussi dans quelques concours de nouvelles. C’est moi qui l’ai lancée, en quelque sorte, j’ai cru en elle. J’aurais fait n’importe quoi, pour elle, tellement je… je l’aime. Car je l’aime toujours.

-        Et maman ? s’étonna Sibylle.

-        Elle était secrétaire dans le cabinet médical où j’allais. Il m’arrivait aussi de la croiser dans la rue. Comme elle me regardait, déjà à l’époque…

-        Tu n’as jamais caché que tu avais un problème avec les femmes, se souvint Romain.

-        C’est malheureusement la vérité… Mais je vais essayer de faire court.

-        Non, prends ton temps, papa. Tu trembles ? fit Sibylle.

-        Non, c’est l’effet du jacuzzi, mentit Laurent, mais les enfants ne furent pas dupes.

-        Ah bon, dirent-ils tous les deux.

-        Alors on t’écoute, ajouta Romain.

-        Ça vous évitera de faire la bêtise que j’ai faite, jugea Laurent. Bientôt, vous aussi vous regarderez les filles et les garçons de votre âge…

-        Si je n’ai pas trop de boutons, tempéra Sibylle.

-        Tu es magnifique, voyons, lui dit gentiment son père. Regarde, ton frère est déjà très sûr de lui…

Cela les fit rire tous les trois, et Laurent se reprit et demanda :

-        Elena vous intéresse ?

-        Oui ! répondirent les jumeaux en même temps, et ils rirent encore.

-        Attention, ce n’est que le début…

-        Ça ne fait rien, nous sommes en vacances ! déclara Romain, et il se tourna dans l’eau.

-        Et on t’écoute, fit sa sœur.

-        J’ai rencontré Elena par un ami commun, commença Laurent après avoir pris une inspiration. Mon meilleur ami, Guillaume, que vous connaissez. A l’époque, il travaillait dans l’informatique, et il l’a aidée pour monter un site Internet. Elle voulait se faire connaître en proposant des services, les textes qu’elle écrivait, des considérations sur la langue portugaise, le bilinguisme, ce genre de choses. Guillaume la trouvait passionnante alors, comme j’aime la littérature, il me l’a fait rencontrer. Elena et moi avons eu un coup de foudre, trois semaines plus tard nous étions ensemble… alors qu’elle n’avait pas l’habitude d’être en couple. Elle désespérait des Français, et ne pensait qu’à retourner au Portugal…

-        Il y avait un pays entre vous, alors, comprit Sibylle, qui buvait les paroles de son père, tandis que Romain observait :

-        Non, Sibylle, deux… Entre le Portugal et l’Italie, il y a la France et aussi l’Espagne.

-        Et elle était portugaise ?

-        Non, mais c’était tout comme, répondit Laurent. Elle est née en France, mais elle allait tous les étés au Portugal, sa famille est de Coimbra. De ce fait-là, elle est parfaitement bilingue.

-        Comme toi l’italien ? demanda Sibylle.

-        C’est ça. Mais le français, l’italien, le portugais, sont des langues latines, alors elle est à l’aise linguistiquement. Les Français sont nuls en langues, elle le disait, mais ça a bien changé, depuis dix ou peut-être quinze ans. Quand ça l’arrange, elle préfère dire qu’elle est portugaise.

Cela fit rire les jumeaux, et Laurent eut un petit sourire, se rajusta pour que l’eau lui masse les fesses. De son côté, Romain se remit bien pour écouter, attendant la suite.

-        Continue, papa, invita Sibylle.

-        Oui… Donc nous nous sommes mis ensemble, en plus nous écoutions la même musique, nos goûts littéraires se ressemblaient aussi. Et elle écrivait, elle a gagné quelques concours d’écriture, comme je vous le disais. Je l’ai encouragée, elle était belle, intelligente, mais elle gagnait mal sa vie… Au départ, elle était traductrice – interprète, et donnait des cours particuliers de portugais ou d’anglais. Elle passe d’une langue à l’autre avec une aisance… Avec moi, elle a eu des notions d’italien, pour parler avec ma famille, ou au moins essayer… Sinon, nous parlions français. Vous savez que vos grands-parents étaient francophiles, la famille De Michelis connaît le français. Papa aimait à en plaisanter avec Elena, dans une langue qui n’était même pas sa langue maternelle…

-        Va au fait, papa, fit Romain.

-        Oui, pardon. Je pourrais vanter les mérites d’Elena pendant des heures… Donc nous étions ensemble, et je lui ai proposé de vivre de ses passions, grâce à mon argent. Elena a eu du mal à l’accepter, mais a fini par céder en comprenant, grâce à votre tante Marie, qu’elle était douée pour le chant… Alors, avec quelques amis de ma bande, ils ont monté un groupe de rock. En même temps, je lui redonnais confiance aux hommes, en l’amour, en ses possibilités, aussi. C’est une grande artiste, et je l’ai compris très vite. Elle a enregistré un EP, puis un album, et son groupe est parti en tournée pour promouvoir leur musique. Je me retrouvais seul avec nos chats, et pour moi, c’était terrible. Si elle avait eu l’âge de votre mère, c’est d’elle, que j’aurais voulu avoir des enfants. Quand nous nous sommes rencontrés, nous avions tous les deux dépassé la quarantaine, et Elena avait peur d’avoir un adolescent à soixante ans... ou alors, il en aurait fallu plusieurs, mais à l’âge que nous avions, ni elle ni moi n’y croyions. C’était tout ou rien, mais nous avons quand même voulu  nous marier, même sans projet de descendance.

-        Et c’est pour ça que tu es triste, crut comprendre Sibylle.

-        Mon histoire… enfin non, notre histoire n’est pas finie, ma grande. Je vais en venir au point le plus douloureux…

-        Il y a eu un problème ? demanda Romain.

-        Oui, et même deux. Black cat beat, le groupe d’Elena, a ouvert pour un groupe portugais, et elle et le chanteur, José, sont tombés amoureux fous, mais je n’ai rien vu, rien compris. Pendant ces tournées, je me morfondais à la maison, malgré la présence de nos deux chats. Je manquais de contacts, euh… rapprochés… enfin…

Laurent se mit à rougir, devant ses adolescents, et Romain comprit tout de suite :

-        Tu as trompé Elena.

-        Oui. Seulement parce que je… manquais d’un corps… féminin. Votre mère. Et là… je n’avais rien prévu, j’ai fait le malin, c’est elle qui m’a donné un… préservatif… et, c’est-à-dire… ça s’est mal passé et… vous avez été conçus.

-        Oh bon  sang ! réagit Sibylle.

Romain évita le gros mot en mettant une main devant sa bouche.

-        Votre mère avait un problème de contraception, aussi.

-        De quoi ? demanda Romain.

Laurent en avait les larmes aux yeux, et de gros soupirs. Il eut besoin d’un temps, avant de tenter, maladroitement, de répondre à son fils. Sibylle, plus au courant de ces choses-là, fit comprendre à Romain qu’elle lui expliquerait plus tard, d’autant qu’elle sentait que l’histoire n’était pas finie. A vrai dire, son frère aussi l’avait compris. Sans se faire d’illusions, il conclut :

-        Donc Sibylle et moi sommes… un accident ?

-        Oui.

Laurent avala sa salive, se passa la main sur le visage, puis reprit son histoire.

-        Quand Elena l’a su, en fait elle était soulagée, parce qu’elle avait fauté aussi et qu’avec José, c’était l’amour fou, encore plus qu’avec moi. Elle s’en voulait, mais je ne sais pas ce qu’elle a cru au sujet de votre mère. Elle m’a dit que le plus sage était de divorcer, et que je devrais m’occuper de ma compagne. Mais quand elle a su qu’elle était enceinte de moi… Depuis, je vis avec la honte. Elle est devenue une artiste reconnue, et a arrêté Black cat beat pour se consacrer pleinement à ses écritures, et à son duo avec José. De temps en temps, ils sortent un album, font quelques concerts, mais c’est juste pour rester ensemble. Le pire, pour moi, c’est que José a dix ans de moins qu’Elena, et il avait déjà un fils. Tous deux ont divorcé de leurs… conjoints, pour se mettre ensemble. Et ils ne se sont plus jamais quittés… Moi, je  sais qu’Elena est toujours en forme, quand je vois l’imagination qu’elle a, dans ses textes… J’ai tous ses livres, mais je les planque. Votre mère ne veut pas en entendre parler. C’est pour ça que vous ne le saviez pas. Mais je tiens à ce que vous sachiez que je tiens à vous comme à la prunelle de mes yeux. Et toi, Romain, ne te conduis pas comme moi, avec les femmes.

-        Les torts étaient partagés, papa.

-        Mais… nous n’étions pas désirés, alors !

-        Ma Sibylle, voyons…

La jeune fille avala ses larmes, essayant de ne pas les montrer. Laurent le comprit tout de même, et la prit dans ses bras, l’embrassant sur les cheveux. Et Romain posa une main sur l’épaule de sa sœur, qui se laissa faire.

-        Ça ne fait rien, dit-il. A moi, ça me donne envie de lire Elena Mouro.

-        C’est une femme exceptionnelle. Je te montrerai ma… bibliothèque interdite, si tu veux.

-        Papa ! Et… maman, elle nous voulait ? hoqueta Sibylle.

-        Elle était si heureuse d’avoir des enfants, quand elle ne s’y attendait plus ! Elle voyait arriver la quarantaine, et il n’a jamais été question d’avorter, si c’est ce que tu veux savoir.

Sibylle eut un soupir de soulagement.

-        Je t’aime, papa, dit-elle encore. Et… je pourrai lire Elena Mouro, moi aussi ?

-        Ça ne me dérange pas, mais faites attention à votre mère. Elle est si chatouilleuse à ce sujet… Je crois qu’elle lui en veut, parce que je ne l’ai jamais aimée… d’amour. Je rêve toujours autant d’Elena.

Laurent tourna la tête, et passa une main sur son visage, tandis que Romain récupérait sa sœur, qui restait très émue.

-        Papa… Papy et mamy De Michelis l’ont connue, alors ? demanda-t-il.

-        Oui. On peut même dire qu’ils la vénéraient. Quand j’ai fait ma co… euh, cette bêtise, papa a rigolé, et maman m’a soutenu, même si elle m’a dit que j’avais perdu bêtement la femme parfaite. Mais  de toute façon, voilà, il y avait José… Après, c’est facile, de dire que je ne suis qu’un vrai De Michelis, comme mes oncles…

-        Moi, Giorgio me fait rire…

-        Toi, peut-être, rétorqua Sibylle, qui avait fini par se reprendre. Et ton autre oncle, l’artiste, je veux dire Amedeo ?

-        Il y a aussi Filippo. Mon oncle Amedeo est mort trop tôt, vous ne l’avez pas connu. Il comprenait tout, et n’avait que des chattes… Le meilleur parrain, et oncle, du monde. il me manque…

-        C’est vrai, tu en parles souvent, remarqua encore Sibylle.

-        Alors, vous avez encore envie de me voir, les enfants ?

Les jumeaux crièrent un « oui ! » et chacun embrassa une joue de Laurent, qui était cerné.

-        Et montre-nous ta bibliothèque à toi ! ajouta Sibylle.

-        Moi, j’ai envie de la rencontrer, Elena.

-        Mais il faut qu’elle soit d’accord, frérot. Tu es encore en contact avec elle, papa ?

-        Elle était à l’enterrement de mon père, il y a deux ans. Lui et Giorgio avaient voulu garder le contact avec elle. Mais elle reste très discrète, à cause de votre mère. Tous les ans, elle m’envoie un mail collectif de bonne année, et elle pense aussi à mon anniversaire. Et il y a encore autre chose… Vous le verrez quand je vous montrerai ma petite bibliothèque intime.

-        Tu as le sens du suspense, papa ! fit Romain en riant, et Sibylle approuva.

-        Donc vous ne voulez plus rester dans le jacuzzi ? Allez, encore cinq minutes ! Moi, je vous ai dit des choses pas faciles… Ça va mieux, Sibylle ?

-        Oui, répondit-elle tout en s’envoyant de l’eau à la figure.

Par jeu, Romain en fit autant, et tous deux se mirent à rire un peu bêtement, pendant que leur père reprenait contenance. Les jumeaux sortirent du jacuzzi les premiers, saisirent chacun une serviette, et Laurent les rejoignit cinq minutes plus tard, en peignoir de bain.

-        Alors vous voulez voir ma bibliothèque ?

-        Oui, où est-elle ? demanda Romain.

-        Et toi, Sibylle, tu es d’accord ?

-        Oui, répondit la jeune fille avec un véhément signe de tête.

-        Attendez-moi à l’abri de jardin, je vais chercher une clef.

Il y avait là une petite malle qui ne payait pas de mine, dans un coin, près de la tondeuse et d’accessoires divers pour le jardinage, et avec sa clef, Laurent en fit sauter le cadenas. Deux longues rangées de livres apparurent.

-        Attention ! dit-il. Surtout ne touchez à rien, sinon vous allez vous faire mal. Pousse-toi, Sibylle.

Et Laurent choisit deux livres avec précaution, qu’il tendit à ses enfants.

-        Regardez les premières pages, dit-il seulement.

Chacun avait un livre, à présent, et les jumeaux étaient un peu intimidés.  Mais Romain s’enhardit le premier, et lut la dédicace imprimée.

-        A Lorenzo il Magnifico, qui m’a révélé tant de belles choses…

-        A toi, Sibylle, dit Laurent le Magnifique avec un sourire.

-        A Lorenzo, qui a su me donner confiance...

-        Mais après, reprit Laurent, même si Elena continue de me remercier, il y a la mention de José… avant la mienne.

-        Je comprends pourquoi tu les planques, fit Sibylle. Si maman est jalouse… et c’est vrai, que tu es magnifique, papa. Même à plus de soixante ans.

-        Commencez donc par ceux-là. Je vais fermer la malle, et vous me demanderez quand vous aurez fini, pour les ranger. Et pas un mot de cette malle à maman !

-        Il n’y a que des livres d’Elena, dedans ? demanda Romain.

-        Non, il y en a quelques autres aussi, mais de personnes discutables. En tant qu’avocat, j’ai voulu lire Hitler, par exemple…

Les jumeaux regardèrent leur père, horrifiés.

-        On s’en tiendra à Elena Mouro, dit très vite Romain. Si nos profs savaient ça !!

-        Alors je ferme la malle.

Les jours suivants, Romain et Sibylle lurent, en cachette de leur mère, un recueil de nouvelles et un roman, sur lequel ils ne tarirent pas d’éloges, et en voulurent d’autres. Alors Laurent leur fit lire d’autres livres d’Elena Mouro, sauf ses deux essais. Et plus cela allait, plus les enfants étaient fascinés. Pour pouvoir en parler, Laurent devait louvoyer, prétendait emmener les jumeaux dans les environs de Lille et, tranquillement, racontait ce qu’il savait de sa femme, c’est-à-dire jusqu’à leur rupture. Ils allaient même jusqu’à Douai, où ils pouvaient échanger sans que Pauline n’en sache rien. C’était leur petit secret…

Ils arrivèrent ainsi à l’été, et alors Romain et Sibylle se firent plus insistants.

-        C’est trop bien, ce qu’écrit Elena !

-        Oui, on veut la rencontrer ! renchérit Sibylle.

-        Vous en êtes sûrs ? demanda Laurent, le cœur battant.

Il dut finir sa bière d’un trait pour reprendre contenance, puis joua avec son verre. Les jumeaux le regardaient, très étonnés.

-        C’est pour ça qu’on voulait rester juste avec toi, déclara Romain. Pour te le demander. Dans le côté flamand de la Belgique.

-        Ici aussi, on peut trouver des gens qui parlent le français, lui fit remarquer son père.

-        Dans cette foule, personne ne nous entend. Et après, on ira mettre les pieds dans l’eau, tu nous l’as promis, dit Sibylle quant à elle.

-        Tu crois qu’on peut rencontrer Elena avant de partir en Italie ?

-        Ça dépend si elle est… en France ou au Portugal. Si vous voulez vraiment la rencontrer, c’est maintenant.

Laurent jouait toujours avec son verre vide.

-        Elle habite où, en France ?

-        Elle est restée dans le secteur. Elle a une maison à Lille, vers le musée des Beaux arts, je crois. Elle me l’avait dit, sans plus de précisions. Nos contacts se font par mail uniquement.

-        Alors parle-z-en lui, dit Romain sur un ton sans réplique.

-        On dit « Parle-lui en », garçon. Si tu dis ça à Elena, ses oreilles vont friser.

Sibylle  pouffa de rire,  à cet échange.

-        Elle est partie en guerre contre Sarkozy, depuis qu’il  a dit « touche-moi pas » à un agriculteur devant tout le monde. C’était il y a vingt-cinq ans… quelque chose comme ça.

Romain siffla, tandis que sa sœur riait toujours, le traitant de gros malin, et leur père esquissa un sourire.

-        Mais comment faut-il dire, alors ? s’étonna encore Romain.

-        « Ne me touche pas », tout simplement. Bon sang, tout s’est bel et bien perdu… La France a besoin d’une rééducation linguistique !

Mais Laurent avait fini par rire, lui aussi. Il pensait à son ex-femme, à ses petites manies qui la rendaient si charmante à ses yeux… et si, dans son mail, il lui soufflait l’idée d’un troisième essai, sur les problèmes linguistiques de la France des années 2030 ? Cependant, il n’en dit rien à ses enfants, et finit par accepter d’envoyer un mail à Elena, ce qu’il fit le soir même en rentrant chez lui, le cœur toujours battant. Il rédigea son message, s’y reprenant trois ou quatre fois, l’envoyant par mégarde deux fois alors qu’il n’avait pas fini, si bien que le troisième mail différait beaucoup du premier… alors il en envoya un quatrième pour s’excuser. Ce qui lui valut une réponse amusée deux jours plus tard. Laurent avait utilisé son propre ordinateur, et Pauline le vit piquer un fard monumental. Il comprit qu’il n’aurait pas dû rester dans le canapé pour relever son courrier électronique… Il mentit, dit que son copain Alexis avait encore fait des siennes, et quitta la pièce son ordinateur toujours à la main. Sibylle avait cru comprendre, et courut derrière lui.

-        C’est… qui tu sais ?

-        Alexis. D’accord, c’est un petit rigolo, mais bon…

Et Laurent eut un regard à la dérobée, derrière lui. Pauline riait, probablement à cause de « ce bon vieil Alexis », alors il en profita, et dit très vite, à voix basse :

-        Dis vite à ton frère de venir dans le bureau, è a Elena.

Il en mélangeait l’italien et le portugais, Sibylle comprit, et cinq minutes après, tous trois étaient dans le bureau.

-        Elle part dans dix jours au Portugal. Si vous voulez la rencontrer, c’est très vite !

Les jumeaux en eurent un bond de contentement.

-        Elle est d’accord ? demanda quand même Sibylle.

-        Oui. Je peux lui proposer lundi prochain, ou bien le mardi, ces jours-là je n’ai pas de plaidoiries.

-        Lundi ! s’exclamèrent les jumeaux dans un bel ensemble.

La demande fut vite agréée et, le cœur sur les lèvres, Laurent se présenta, au jour dit, devant une jolie maison toute fleurie, non loin du musée des Beaux arts. Tous trois étaient très émus. Elena ouvrit en personne, et Romain ne put réprimer un « oh ! » d’émerveillement. Elle sourit.

-        Bon sang, Laurent... depuis tout ce temps… Bonjour Romain, Sibylle !

-        Vous connaissez nos noms ? s’étonna Sibylle.

-        Votre père s’est souvenu des noms d’enfants auxquels je pensais, si j’en avais eu d’un De Michelis…

Laurent cafouilla.

-        Je… j’ai fait croire à Pauline que… c’était mon idée. Mes parents ont trouvé mon choix logique, en tout cas.

-        Ah, Lorenzo… fit Elena avec un air charmant, ses longs cheveux gris suivant les mouvements de son visage. Tu n’as pas tellement changé.

-        Toi, si… toujours aussi jolie, encore maintenant, cela dit.

-        C’est vrai, que vous êtes belle, fit Romain, subjugué. Je peux vous embrasser ?

Laurent et Elena se regardèrent.

-        Alors j’embrasse tout le monde, dit-elle.

Laurent en serait tombé à la renverse.

-        Je suis désolé, je ne peux pas rester…J’ai encore de l’administratif à faire, comme je t’ai dit. Mais je repasserai dans deux heures.

-        Entendu.

Le chat de la maison pointa alors son nez.

-        Qu’il est beau ! s’exclama Sibylle.

-        Tu aimes les chats ? lui demanda Elena.

-        Mamy De Michelis en a un, qui est très mignon aussi. Depuis que papy est mort, elle a besoin de cette présence, expliqua Sibylle.

-        Et ça fait au moins un an qu’on tanne papa et maman pour en avoir un aussi.

-        Alors tu  as réussi à remplacer l’irremplaçable...  comprit Laurent quant à lui.

-        José aussi le voulait. Il les aime autant que moi. Topaze, viens voir !

-        C’est un Chartreux ? demanda Laurent alors que l’animal s’avançait.

-        A moitié seulement. Il a le ventre et le bout des pattes plus clairs.

Sibylle s’accroupit.

-        Topaze ! Que tu es beau ! C’est bien un mâle ?

-        Oui, répondit Elena.

Romain fit deux pas pour le caresser, le flatta sous la gorge. Le chat renifla sa main, donna un coup de langue.

-        Je crois qu’il m’a dit bonjour !

-        Oui, il est moins trouillard que le précédent… Mais entrez !

-        Moi, je vous laisse ! dit très vite Laurent. Je viendrai récupérer les enfants vers midi.

-        D’accord. A tout à l'heure, Lorenzo.

Il s’en serait liquéfié, et il partit et Elena ferma la porte en souriant. Puis elle conduisit ses invités dans la salle à manger.

-        Que de livres ! s’exclama Romain.

Presque tous les murs en étaient tapissés, sauf au-dessus d’un petit buffet où figurait une reproduction de la vague d’Hokusai. José, qui lisait le journal, se leva pour leur souhaiter la bienvenue, il avait un très léger accent portugais. Il portait les cheveux longs, encore noirs, et avait un regard tout aussi noir, ensorcelant, et un sourire magnifique. Sibylle les vit l’un près de l’autre, et comprit aussitôt ce qu’ils avaient en commun. Et José ajouta qu’il allait chercher son fils. Ce dernier avait le même sourire, le même regard franc et direct que son père. Les jumeaux furent surpris d’apprendre que Fausto avait une dizaine d’années de plus qu’eux…

-        J’adore Elena, dit-il. Je comprends que vous ayez eu envie de la connaître.

-        On va dire que vous êtes la famille élargie, déclara José.

-        Oh… oui, tu as raison, mon prince. Voulez-vous boire quelque chose ?

Romain et Sibylle n’en revenaient pas d’être aussi chaleureusement accueillis. Ils acceptèrent un verre de jus de fruits, et tous s’assirent, ainsi que Topaze, qui alla vers Romain.

-        Et… et moi, alors ? lui fit timidement Sibylle, ce qui amusa tout le monde.

-        Je peux le prendre ? demanda Romain. Pour le mettre entre ma sœur et moi…

-        Il n’y a pas de problème, c’est une bonne pâte, répondit Elena, et c’est ainsi que Topaze finit par s’endormir, entre les jumeaux, la main de Sibylle posée sur lui.

Elena leur raconta un peu sa vie, à leur demande, mais parla peu de ses œuvres, ce qui frustra tout de même ses invités. Elle leur expliqua qu’à une lointaine époque, elle avait travaillé avec des enfants, et que Laurent avait joué un rôle clef dans sa vie.

-        Sans lui, je ne serais pas aussi reconnue, aussi prolifique. Votre père voulait que je sois heureuse, mais… j’ai rencontré un homme qui avait plus de cœur que d’argent, et c’est bien José, qui me comble. 

-        Mais ma petite fée… j’ai fini par avoir un vrai travail, pour ne pas faire le parasite… Tu as un grand talent d’écrivain, mais il t’a fallu du temps, et c’est normal.

-        Voulez-vous dire que papa n’a pas de cœur ? demanda doucement Sibylle.

-        Pardon, je me suis mal exprimée. Je ne l’avais pas vu depuis deux ans, et je sais, je vois qu’il m’aime toujours. Mais José me donne l’amour que ma famille n’a jamais vraiment su me donner. Et maintenant, mes parents sont morts tous les deux… Elena tâchait de garder contenance, regarda Topaze endormi. Vous voyez, c’est ça, le bonheur, pour moi : un foyer aimant, et j’ai même la chance d’avoir un fils, en quelque sorte… Je me fiche de l’argent.

José prit la main de sa femme, et Fausto lui fit un beau sourire.

-        Je suis fils unique, dit-il aux jumeaux.

-        Tu le regrettes ? lui demanda son père.

-        Eh bien… oui, quand même. Que diriez-vous d’être des nôtres ?

-        Mais… maman ne voudra jamais, fit Romain. Et nous n’avons que douze ans...

-        J’en parlerai à votre père. Il vous a dit la vérité, et j’en ai fait autant. Maintenant, c’est à vous de juger. Ou pas. J’ai toujours eu peur du jugement, en fait. J’ai dû faire un gros travail sur moi, avant de pouvoir vivre de ma plume.

-        Et… vous l’avez raconté ? demanda Sibylle.

-        Plus ou moins, dans un essai.

Les jumeaux se regardèrent.

-        C’est ce que papa ne nous a pas fait lire, se souvint Romain.

-        Pourtant, vous aussi vous avez une double culture, fit remarquer Elena. Votre père est d’origine italienne…

-        Oui, et il veut que nous apprenions cette langue, dit Sibylle.

-        Il a raison. Vous pouvez lire mon essai sur la question, si vous vous en sentez capables. Comme lui, je prône l’ouverture sur le monde. En plus, il me donne encore des idées… excusez-moi.

Et Elena dégaina un petit carnet, prit un stylo, nota quelque chose puis reposa le tout. En voyant l’air des jumeaux, José et Fausto se mirent à rire.

-        C’est ça, la vie avec un écrivain…

Et José eut un geste tendre pour sa femme, ce que Romain et Sibylle ne voyaient pas souvent chez eux…

 

-        Et alors, cette matinée chez les Pineiro ? demanda Laurent à ses enfants.

-        Génial ! fit Romain.

-        Et puis tu sais, papa, nous avons aussi en quelque sorte un grand frère… une famille élargie !

-        Reste à savoir comment votre mère va le prendre, quand je lui dirai la vérité…

Laurent se sentait tout chose… Enfin, il respira un bon coup.

-        Soit. Nous serons une vraie famille ! Mais pour ma part, je préfère autant que possible me tenir éloigné d’Elena.

Alors il alla courageusement, ce soir-là, vers son énième dispute conjugale, puis Pauline réfléchit, et comprit.

-        Dans le fond, ce n’est pas plus mal… pour les enfants. Sans rancune, bel Italien…

 

© Claire M, 2022

 

 

                                                                               

 

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21 novembre 2023

Redescente sur Terre

Bonjour à tous,

Après quelques jours de difficultés avec mon ordinateur, j'ai dû me rendre à l'évidence : je dois le remplacer. Et je ne suis pas assez maligne pour vous montrer ainsi mes productions, coups de gueule ou de coeur...  Aussi, ce billet pour vous rassurer : ce n'est pas moi qui suis en cause ! En attendant d'aller m'en occuper, et d'installer un nouvel ordinateur, vous pouvez l'explorer, me donner votre avis... Je peux vous répondre au moyen de cette tablette, vous avez même le droit de me poser des questions! Je tiens ce blog depuis maintenant six ans, vous avez de quoi faire. J'espère régler ce problème le plus rapidement possible.

J'en profite pour vous remercier de vos dernières visites, nombreuses, ce qui me fait chaud au cœur ! Merci, merci, merci ! 

Et je vous souhaite de bonnes lectures, découvertes... 

Claire Monelle

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14 novembre 2023

Elucubrations

2_de_b_tons

2 de bâtons

 

r_verie

 

Rêverie (c'est moi !)

 

tigre_de_salon

 

Tigre de  salon

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08 novembre 2023

le point de vue de Sirius, épisode 18

Contacts.

 

Miguel et les Po-Toliens descendirent de la navette, dont le conducteur prenait son temps, à son terminus : le Grand central. C’était un bâtiment avec de grandes baies vitrées, à l’apparence paisible car il était relativement tôt. Miguel était allé chercher les Po-Toliens à la première heure, en vélo, aussi il baillait encore.

-          Nous y sommes, fit-il avec un grand geste. Suivez-moi.

La petite troupe entra dans le bâtiment à sa suite, et Miguel alla directement au fond, pour expliquer la requête de ses compagnons à l’accueil, et :

-          Mais c’est Miguel !

-          Dario ! Depuis le temps ! Tu bosses toujours là ?

-          Eh oui, tu vois ! Et comme ça, tu es avec des extraterrestres ?! Cela ne te ressemble pas, de venir aussi tôt…

-          L’aventure m’excite, fit Miguel en baillant. Bon, tu  vas pouvoir nous piloter en espagnol, si tu  veux bien. Il faut tout montrer à mes nouveaux amis, ils veulent parler à des morts récents, pour savoir comment ça se passe sur Terre.

-          Pas de problème. Ingrid, tu as entendu ?

Sa collègue opina, et les laissa aller. Il n’y avait pas foule de Maldékois, ce matin-là…

 

Le petit groupe suivit donc Dario, qui franchit une porte coulissante qui stupéfia Ollibert.

-          Si, ça existe, sur Terre, lui dit Byzix. Mais eux, ils ont quelquefois des accidents…

-          Je vous crois ! fit Césig en se massant le nez.

Dario alla frapper au premier bureau qu’il vit, après avoir passé une seconde porte.

-          Yannis ! Tu es occupé ?

-          Seulement de la paperasserie. Entre !

-          Je ne suis pas seul.

Le bureaucrate vit entrer les Po-Toliens, et tripota le col de sa chemise.

-          Messieurs-dames, mon collègue Yannis, qui s’occupe d’accueillir les nouveaux morts, avec quatre autres personnes. Vous pouvez lui poser toutes sortes de questions.

-          En espagnol ? demanda Yannis à son collègue.

-          De préférence.

-          Nous parlons toutes les langues de l’univers… enfin, sauf les variantes dialectales, expliqua Césig. Mais pas vous, je crois.

-          Mais qui êtes-vous ?

Miguel et Dario se regardaient, une lueur malicieuse dans le regard.

-          La Terre… et Maldek ne sont pas les seules planètes habitées, intervint la princesse. Je suis la fille de l’Impératrice de Po-Tolo, dans le système de Sirius. Et vous, est-ce que vous voulez bien m’embrasser ?

Décontenancé, Yannis se leva, embrassa les deux femmes et serra les mains des hommes.

-          Maintenant, fit Byzix, nous aurions besoin de renseignements. Nous voudrions interroger des morts tout juste arrivés, si c’est possible.

-          Bien sûr, s’entendit répondre Yannis. Leur salle d’attente est juste à côté, à droite.

-          Pas de questions ? se marra Miguel.

-          Plus tard, éluda la princesse.

-          Je suis à votre disposition.

 

-          Bonjour monsieur, vous venez d’arriver ? demanda Dario à un petit homme qui se redressait de son siège, grand sourire aux lèvres : oui, il y avait une vie après la mort !

-          Je me sens rajeunir,  jeune homme ! Et mes tumeurs ?

-          Un souvenir. Vous êtes sur Maldek. Et vous n’êtes pas au bout de vos surprises.

-          Tant mieux ! J’aime ça ! Et il y a des Martiens ?

-          Des Po-Toliens, précisa Byzix. Les Martiens sont tous morts depuis deux millions d’années…

-          Vous me l’apprenez, fit l’homme en riant. Vous êtes les habitants d’ici ?

-          Non, reprit Dario. Je vais vous expliquer, avec Miguel. De quelle nationalité êtes-vous ?

-          Française. Je m’appelle Henri.

-          Eeeh ! fit la jeune femme assise à deux sièges du Français.

-          Frérot ! s’exclama Lantar.

-          C’est une très jolie Terrienne.

Il faut dire que les bouts des quatre doigts de Carman chatouillaient le coude d’une brune volcanique. Il se prit une gifle.

-          Mamma mia ! Je ne suis donc pas morte ?!

-          Si, madame, répondit Dario, mais, euh… Zut, pouvons-nous passer à l’anglais ?

Miguel riait comme un petit fou, face à la mine déconfite de Carman…

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03 novembre 2023

V.O ( sans sous-titres?)

Je viens de finir Heart of darkness de Joseph Conrad. En anglais. J'avais trouvé une bonne édition, dans une librairie indépendante de Lille, V.O, qui vend principalement des livres en langues étrangères, ou des pistes d'apprentissage de langues, pour adultes, pour enfants... Fréquenter des librairies indépendantes est une bonne chose, il n'y a pas que la FNAC ou, à Lille, le Furet du Nord ! Mais trouver un vrai fonds de livres en langue originale, surtout les classiques d'un pays, est un plus intéressant. Dans cette librairie, j'en trouve en anglais, bien sûr, mais aussi dans des langues moins répandues, parmi celles que je connais, comme l'italien et le portugais. 

Et j'y attache de l'importance, tant il est vrai que, comme on dit, "traduttore, traditore"... Un seul exemple, tiré de mon expérience universitaire, alors que j'étudiais la littérature comparée, ce qui m'a passionnée. Devoir sur table, un commentaire d'un extrait des Voyages de Gulliver de Jonathan Swift, pour lequel figurait la version anglaise, et la traduction en français. Et j'ai remarqué, dans la version originale du texte, une inférence que le traducteur avait laissée de côté. J'ai donc cité, et explicité, le texte anglais. Résultat : un "bien vu" sur ma copie. 

Mais lire en langue originale ne permet pas que de briller à l'université ! J'estime que quand on connaît une langue, on se doit de la pratiquer. Lire, encore et encore. Soyez curieux ! En outre, il existe des livres adaptés à chaque niveau. Dans le pire des cas, on optera pour une édition bilingue, à condition toutefois de ne pas trop tricher. Choisissez plutôt une version (plus ou moins) originale où on explicite le vocabulaire, la civilisation : vous aurez tout à y gagner. Soyez ouverts ! 

Je travaille cette année dans une école européenne, où il y a deux ou trois langues, et une ouverture sur toute l'Europe, et je m'y sens à l'aise. Mais je n'avais pas pratiqué l'anglais depuis longtemps, y préférant l'italien... C'est pourquoi j'ai voulu me remettre ainsi à l'anglais, en lisant. Ou avec des vidéos de You tube... et comme vous le savez, ce n'est pas ça qui manque ! Cela permet de confronter langue littéraire (Joseph Conrad a vécu fin XIX° - début XX° siècle), et la réalité d'aujourd'hui. Les plus malins écouteront la radio... et regarderont des films en VO ! Alors, n'est-ce pas agréable, les langues étrangères ?! Faites-vous plaisir !

Claire Monelle

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28 octobre 2023

Humaine condition

Et voici les réponses que vous attendiez tant, à mes questions... existentielles ?

 

incipit : Ernest Hemingway, Le Vieil homme et la mer

 

devinettes :

- Il fallait trouver le Gargantua de François Rabelais

- le Minotaure

- Terry Pratchett

- la série des Fantômas

 

charade : (Carlo) Goldoni : goal - do - nid

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23 octobre 2023

Point de vue de Sirius, 17° épisode

Surprises.

 

Lantar et Anthéa mirent un peu de temps à trouver Antoinette, d’autant qu’ils n’avaient pas compris que, sur Maldek, les langues communes étaient rares, et c’était plutôt l’anglais, que l’espagnol. Enfin, ils se retrouvèrent dans le parc, où on leur avait expliqué qu’ils trouveraient pas mal de résidents et donc, Antoinette. Chemin faisant, en se tenant du bout des doigts, ils profitèrent du bon air, du soleil. Après tout, c’était aussi une manière comme une autre de faire un petit tour.

-          Oh là ! entendirent-ils enfin. Que faites-vous en plein soleil ? Venez vite !

Occupés  à parler dans leur langue maternelle, et étant génétiquement programmés pour avoir un temps de retard, ils ne comprirent pas tout de suite qu’ils avaient affaire à des Français.

-          Mais ce sont nos amis de Sirius ! s’exclama enfin un homme vêtu de blanc, chapeau sur la tête.

Voyant le chapeau, Lantar et Anthéa firent mécaniquement la révérence, puis se branchèrent sur le français.

-          Mais non, pensez-vous, on s’embrasse !

Et l’homme claqua la bise à Anthéa, serra chaleureusement la main de Lantar. Tous deux étaient très surpris : des chapeautés, agir ainsi ?

-          Je m’appelle Edouard. Antoinette ! Où est Antoinette ?

Et Edouard se tourna de tous côtés, tandis qu’on invitait Lantar et Anthéa à s’asseoir autour de la grande table de jardin. Antoinette courut à eux, depuis l’intérieur du bâtiment de l’association.

-          Anthéa ! Lantar !

Elle leur fit la bise, et Lantar ne comprit plus rien, mais préféra se taire.

-          Vos amis ne sont pas avec vous ?

-          Non, nous vous cherchions, Antoinette, répondit Anthéa.

-          Oh ! Mais restez ! Nous déjeunerons dans une heure, vous arrivez pile pour l’apéro ! N’est-ce pas, les amis ? Jeanne, Edouard, Mona, Jean ?

Tous acquiescèrent, et Lantar et Anthéa ne purent rien faire, si ce n’est boire du pastis ou du sirop de grenadine tout en mangeant des petites choses.

-          Hum, c’est meilleur qu’au Groenland, fit Lantar tout en grignotant des biscuits aux olives.

-          Et ces petites tomates !

-          Prenez des olives ! Des gressins !

-          Ma pissaladière !

En disant cela, Jeanne avait un accent provençal à couper au couteau. Or, le provençal n’était pas dans la base de données des Po-Toliens… Antoinette, et Edouard qui était parisien, leur expliquèrent les accents du français. Lantar se dit que cela intéresserait Byzix, et finit par demander si leurs compagnons pourraient participer à ce genre de conversation.

-          De toute façon, nous parlons, nous parlons, et nous allons bientôt manger… Hein Jean ?! fit Edouard, goguenard.

Lantar et Anthéa se regardèrent.

-          Il faut prévenir les autres.

-          Mon cœur, je suis perdue...

-          Qu’à cela ne tienne ! fit Antoinette. On se retrouve tous au réfectoire !

-          Je viens avec vous, décida Jeanne, qui était une grande amie d’Antoinette.

 

-          Zut, que faisons-nous ? fit Jeanne en voyant le panonceau « ne pas déranger ».

 

Anthéa allait frapper, poing en avant.

 

-          Non ! firent Lantar et Antoinette en même temps.

Antoinette donna trois coups avec un doigt, ouvrit la porte. La princesse, son majordome, Césig et Carman parlaient à voix basse, les rideaux étaient restés baissés, et Miguel à dormir.

-          Que se passe-t-il ici ? claironna Lantar.

-          Chut, frérot, Miguel dort ! Et en plus, il a un chapeau !

-          Si vous pouviez passer au français…

Quand Antoinette comprit, elle alla droit au lit de Miguel, et embrassa le dormeur sur le front, lui parla en anglais.

-          « Petiot », on va manger… « Petiot » !

-          AH !

Miguel se réveilla en sursaut, et les Po-Toliens, de surprise, poussèrent eux aussi de grands cris.

-          ¿ Qué pasa ?

-          Le déjeuner va être servi. Vous restez avec nous, n’est-ce pas ?

Jeanne riait comme une petite folle.

-          Où est le capitaine ? demanda encore Antoinette.

-          A la bibliothèque, répondit la princesse.

-          Je vais le chercher, décida Antoinette. Jeanne, mène-les au réfectoire, s’il te plaît.

-          Oui, bien sûr.

A cause de son accent, la princesse la regarda de haut.

-          Et enlevez le panonceau « ne pas déranger », conseilla Antoinette. Je vous retrouve dans un instant.

-          Et on pourra enfin parler… fit Lantar, quelque peu dépité.

 

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18 octobre 2023

Lire est le propre de l'homme

Alors que les vacances de Toussaint se profilent (enfin, peut-être pas pour tous d'entre vous qui me lisez...), voici quelques petits jeux sur lesquels tester votre sagacité. Sachez que, comme d'habitude, je me déplace dans le temps et aussi, un peu, dans l'espace... Car c'est bien vrai que je connais surtout la littérature occidentale ! D'ailleurs, je fais un appel à ceux qui voudraient proposer d'autres petits jeux, car un horizon plus un horizon plus... égalent la Terre entière ! Pensez-y ! Et amusez-vous bien. 

 

incipit : "Il était une fois un vieil homme, tout seul dans son bateau, qui pêchait au milieu du Gulf stream."

 

devinettes

- Quel écrivain a écrit que "rire est le propre de l'homme" ? Savez-vous dans quel livre ?

- Qui était le demi-frère de Phèdre et d'Ariane ? 

- Avec quel autre auteur de SF foutraque Neil Gaiman a-t-il écrit De bons présages ?

- De quelle série policière P. Souvestre et M. Allain sont-ils les auteurs ?

 

charade :

Mon 1er est un gardien de but. 

Mon 2° est une note de musique. 

Les oiseaux vivent dans mon 3°.

Mon tout est un auteur dramatique vénitien. 

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12 octobre 2023

Point de vue... divin

Pluie divine.

 

-          Qu’y a-t-il, ô Dieu ? demanda gentiment un ange au Créateur. Vous tremblez…

Les poings de Dieu se crispèrent sur le journal qu’il tenait. Il contenait mal son irritation.

-          Tu te rends compte, Métatron, mes ouailles ne croient plus en moi, que je suis obligé de lire le journal pour savoir ce qu’il se passe sur Terre… Et encore, au moins, celui-là a de la matière ! Maintenant, les hommes dématérialisent tout !

-          Mais de quoi parlez-Vous ?

-          De l’informatique ! Maintenant, ils ont tout dans leurs poches ! Les écrans, et avec ça, presque plus de papier, même l’argent est complètement dématérialisé ! Ça ne va pas !

Pourtant, le regard de Dieu était plus peiné, que vraiment terrible.

-          Ah, oui, l’informatique… fit Métatron, gêné, et il osa ajouter : Mais Vous aussi, Vous Vous y êtes mis…

-          Bien obligé ! J’y vois quand même un avantage, note bien : maintenant, j’ai une adresse mail, et communique ainsi plus facilement avec le pape… Et il est de bonne volonté.

-          Pourtant, je sais que c’est un jeune…

-          C’est un autre pas en avant, après François. Il est, je crois, encore plus ouvert. En tout cas, il a pris la mesure de ses prédécesseurs.

-          Tant mieux, ô Dieu. Mais j’espère quand même être encore soumis à Votre autorité. Si je peux Vous aider…

-          C’est gentil, Métatron. La modernité me cause beaucoup de torts, mais que veux-tu y faire ? Le pire, c’est que je n’ai rien vu venir. Et si on ne croit pas en moi, je cours moi-même à la dématérialisation…

Métatron fit la grimace.

-          Il faudrait faire quelque chose, Vous ne croyez pas ?

-          Oui, mais quoi ? Tu as une idée, toi ?

-          Non, mon Dieu. Et cela m’attriste de Vous voir ainsi. Je voudrais faire quelque chose, quand je Vous vois comme ça. Vous êtes… crispé. Vous devriez lâcher ce journal.

Machinalement, Dieu obéit, posant le journal sur un petit nuage qui lui servait de table basse.

-          Excuse-moi. Veux-tu boire quelque chose ?

-          Non, merci.

-          Et tu es debout…

-          A Votre service, ô Dieu. Je suis Votre assistant, et je ne l’oublie pas une seconde.

Dieu tenta un sourire.

-          Je t’en prie, assieds-toi…

-          Ce n’est pas moi que l’on prie, Seigneur.

-          Et pourquoi pas ?

-          Je ne veux pas prendre Votre place.

-          Tu es un fidèle d’entre les fidèles, Métatron. Sois-en remercié. Mais pour que tu comprennes, il faudrait que tu regardes sur mon ordinateur.

Métatron avala sa salive.

-          Euh… oui, ô Dieu, fit-il. Maintenant ?

Dieu fit la grimace.

-          De toute façon, se reprit-il, tu connais la situation du Ciel… Pour les hommes, nous sommes tous dans le même sac. Les anges, les archanges comme toi, moi-même…

-          Etant prévenu, je peux le regarder, Votre ordinateur. Mais je ne le vois pas, sur ce nuage…

-          Il est plus proche de la Terre, pour que ça capte. Y es-tu prêt ?

-          Eh bien… oui, dit Métatron.

-          Soit. Allons-y. Prends ma main.

Et Dieu et son assistant réapparurent sur un nuage gris, comme aménagé pour tenir lieu de bureau. Se trouvait là un chat aussi blanc que la barbe de Son maître, en train de dormir benoîtement. Dieu le regarda, sourit, et se retint de le caresser, pour s’installer à ce qui ressemblait à une table, sur une chaise de nuages, et en désigna une autre à Métatron, pour qu’il s’asseye. Métatron, cette fois, se laissa faire. Il y avait un petit ordinateur sur la table improvisée, avec une souris. Métatron comprit que l’électricité venait d’en dessous du nuage, et regarda Dieu allumer son appareil, puis celui-ci accéda à sa boîte mail.

-          J’en ai encore une trentaine… soupira-t-Il, l’air accablé, en les remarquant.

Métatron se taisait, curieux et mal à l’aise. Dieu reprit :

-          Tiens, regarde donc celui-là. Et sans une majuscule.

Il tourna l’écran vers Métatron, qui lut : «  Ô Dieu, si tu existes, tu es bien peu de choses… Je suis d’une favela de Rio de Janeiro, j’ai maintenant quatre enfants, ma compagne est morte d’un virus il y a une dizaine d’années, et je ne m’en sors pas. Je t’ai prié encore et encore, tu n’as jamais répondu. Un de mes fils est mort récemment d’une balle perdue, et tu voudrais que je croie en toi ? Mais où es-tu, Dieu ?  Je te crache à la figure. Si tu ne fais rien, c’est que tu n’existes pas. Je ne crois plus en toi, alors va te f… » Métatron stoppa là sa lecture, très mal  à l’aise. Dieu le perçut.

-          Et celui-là sait lire et écrire, dit-Il. Les autres, je ne les entends pas, et pourtant, je sais que je me cure consciencieusement les oreilles…

-          Pourtant, ça capte bien, fit Métatron pour dire quelque chose.

-          Tiens, et encore celui-là.

Métatron tira la langue, mais lut : « Ô Allah Très Haut, j’ai failli revoir ma famille… J’avais émigré à Rome, où je croyais trouver une nouvelle vie… J’avais trouvé un emploi, alors j’ai appelé ma famille ici, et j’ai appris qu’ils ont sombré au large de la Sicile… Entre-temps, j’ai perdu mon emploi. Je suis plus seul qu’avant, en terre étrangère, sans espoir de retour… Le temps que Tu réagisses, je me serai immolé. Puissè-je atteindre au moins le Paradis… » Dieu, qui lisait encore dans le dos de son assistant, eut une grosse larme, à laquelle répondit le gros soupir de Métatron. Enfin, ce dernier osa :

-          Il n’y a pas un seul… mail d’encouragements ?

-          Quels encouragements ?

Métatron avala de nouveau sa salive, craignant d’avoir dit une sottise. Il ne savait plus quoi dire, comment réagir. Dieu le comprit, et coupa court.

-          Je regarderai cette trentaine de mails plus tard.

-          Mais j’en vois un de Léon XIV !

-          Oh, lui et moi ressassons toujours les mêmes choses… Il fait ce qu’il peut, dans un contexte difficile. Etre pape, dans le monde de maintenant, c’est une gageure.

-          Vous m’avez montré un témoignage chrétien, et un  musulman… Il en manque.

-          Mon peuple élu reste mon peuple élu, Métatron. Je les choierai jusqu’au bout. Dans la mesure de mes possibilités, bien sûr. Même s’ils sont aussi bêtes que les autres, par moments.

-          Et Vous leur répondez ?

-          J’ai peur de leur dire qu’ils appellent trop tard… Avec le temps, sans leur soutien, j’ai de plus en plus de mal à faire des miracles. J’ai vraiment besoin qu’ils croient en moi. Sans eux, je suis foutu.

-          Si au moins on savait d’où vient le problème…

-          La modernité, Métatron. Les hommes ont inventé des robots qui font tout à leur place, et qui ne récriminent jamais. Tu veux que je te dise ? Les hommes sont devenus des  dieux ?

-          Oh, m… euh, pardon.

Dieu éclata de rire.

-          C’est gentil de me divertir, Métatron.

L’archange esquissa un sourire, car il ne l’avait pas fait exprès…

-          Ecoutez, mon Dieu, je crois qu’il serait raisonnable que je Vous laisse lire Vos mails. Si jamais cela Vous donne trop de travail, dites-le-moi.

-          Je n’appelle mes anges et mes archanges qu’une fois par semaine, quand je me repose. Selon le calendrier chrétien, nous sommes jeudi, alors je vais me débrouiller.

-          Ah, Vous et Vos principes…

Et Métatron prit congé, insistant pour que Dieu lise ses mails. Il venait de prendre la mesure de la situation…

Quant à Dieu, il sortit des lunettes spéciales pour parer aux effets des écrans, et s’installa derrière son ordinateur. Il y avait très exactement trente-quatre mails, certains courts, tous revendicatifs. Sauf de Léon XIV, qui indiquait à son Seigneur et Maître avoir donné son adresse mail à certaines personnes, dont une femme révoltée par la situation terrestre, mais aussi céleste. Cependant, quand Dieu regarda sa liste de mails, Il ne trouva pas le nom de cette femme, une Italienne. En lisant tout cela, Il avait de gros soupirs. Plusieurs personnes L’accusaient de nonchalance, pour des raisons diverses et variées. Quand Dieu éteignit son ordinateur, Il était au bord des larmes. Il craignait aussi la chute du Ciel, voulait reprendre la main sur les hommes mais avait aussi peur des intégristes de toutes les religions, estimant qu’ils étaient ceux qui discréditaient le plus Ses actions, Son Amour. « Mais quelles actions ? » glissa une petite voix dans son esprit. Dieu eut encore un gros soupir, et décida, pour se remettre, de faire une petite sieste avec le chat, qui l’avait rejoint sur l’ordinateur. Alors il prit l’animal, et ils réapparurent, plus haut dans le ciel, sur une couche moelleuse de nuages de beau temps. Le chat se mit à ronronner, et Dieu, très vite, à ronfler.

Quelques temps plus tard, Il se réveilla plutôt dispos. Il vaqua à quelques affaires courantes, et se manifesta lors de prêches musulmans, puisque  le calendrier lui indiquait qu’on était vendredi. De retour au Ciel, Il prit son courage à deux mains, et alluma son ordinateur pour répondre au pape et regarder ses autres mails. Le premier qu’Il vit fit baisser sa confiance d’un cran, le deuxième encore un peu plus. En revanche, Il reconnut le nom de la femme que lui avait indiqué le pape, sur le troisième : Irene Grandi. Alors, curieux, Il lut son envoi.

Cette femme lui rappelait le pontificat de Benoît XVI, et était très énervée contre Lui et ses papes. «  Alors », continuait-elle, « qu’on ne s’est jamais réellement occupé du partage des richesses, que la guerre ne s’est jamais vraiment arrêtée au Proche Orient et en Afrique, ce pourquoi les migrants ne cessent d’affluer et de couler en mer, que l’assassinat du roi du Maroc n’arrange rien, que la drogue et les armes à feu sont toujours en train de circuler, partout dans le monde. » Mais ce qui fit le plus réagir Dieu fut de lire que « Si Vous ne me faites pas signe, je rappellerai moi aussi le débaptême, et suivrai le mouvement. Puisque manifestement, si Vous n’êtes pas capable de ramener la paix en ces débuts de 2031, il faut le faire à Votre place… La balle est dans votre camp, ô Dieu. Et si vous n’existez pas, je le comprendrai à Votre silence ». Alors Dieu se mit à trembler. Le débaptême ! C’était ce qu’il craignait par-dessus tout. Aussi il cessa la lecture de ses autres mails, sauf pour chercher celui du pape et lui répondre afin, entre autres, de lui en faire part. Puis il attendit sa réponse, tout en tournant en rond sur son nuage d’orage électrique. En outre, le chat n’était pas là… Pourtant, Dieu l’appelait avec des sanglots dans la voix. Mais l’animal n’apparut pas. Alors le Créateur, tout déboussolé, se transporta plus près du soleil, pour reprendre des forces tout seul.

Enfin, il parvint à avoir une réponse de Léon XIV, qui lui conseillait de répondre à Irene Grandi. « Elle n’est pas méchante », écrivait-il, « au contraire, elle prend les choses à cœur, moi c’est ce que j’ai apprécié, en tout cas. Ne laissez pas passer Votre chance, mon Dieu… » Alors Dieu tourna sept fois sa souris dans sa main et sur son tapis, prit une inspiration et se mit à répondre à Irene. Il s’y reprit à plusieurs reprises pour lui écrire et, enfin, cliqua sur « envoyer ». Puis il but un verre de lait de chèvre, qu’un chérubin lui apporta.

-          Dis-moi, bel angelot, pourrais-tu m’appeler Métatron ?

Le chérubin regarda Dieu, surpris, mais obéit. Peu après, Dieu faisait part à Métatron des dernières nouvelles, lui parla d’Irene, et l’archange s’en réjouit.

-          Pourtant, Vos forces semblent flancher, une fois de plus… ajouta Métatron.

-          C’est vrai. Mais je voudrais y remédier, grâce à cette femme. Peut-être aussi grâce à Léon XIV.

Métatron eut un petit rire.

-          Le tout est d’être bien conseillé, ô Dieu…

-          Mais tu me soutiendrais ?

-          Bien sûr. Je Vous serai fidèle jusqu’au bout, même si le Ciel doit s’écrouler.

-          A Moi ne plaise ! Je tâcherai de contrer cela.

Quand Métatron le laissa, Dieu eut un grand sourire, reprenant courage. Peu après, Il convoqua ses autres archanges et sbires du Ciel, se gardant bien, en revanche, de convoquer Satan, pour une réunion. Il leur exposa la situation sur la Terre, puis parla d’Irene Grandi. Ses  archanges applaudirent l’intervention de cette dernière, mais même en se concertant, ils eurent du mal à dresser leurs plans pour sauver les enfants de la Terre. A vrai dire, ils ne savaient par où commencer. Dieu suggéra un grand remue-méninges, mais le problème était devenu celui des hommes, qui ne croyaient pas ou mal.

-          Il faudrait un miracle, finit par dire Gabriel, et il regarda Dieu. As-Tu une idée ?

-          Je ne saurais plus faire un miracle de grande ampleur, répondit tristement l’interpellé. Ce que je sais faire maintenant n’est plus significatif… Et toi, Jésus ?

Jésus baissa le nez.

-          Les hommes ne nous écoutent plus, Père. Je doute que je saurais encore le faire, moi aussi. D’ailleurs, il n’y a pas eu de vrais miracles  à Lourdes depuis des années. Et  le Gange est devenu fétide, impropre aux miracles.

Le père et le fils se regardèrent, et soupirèrent.

-          Je refuse l’annihilation, déclara Dieu. Je refuse le manque d’Amour.

-          Souvenez-vous du covid, il y a une dizaine d’années… intervint Raphaël. Il a fait chuter les contacts humains, et eux, ils se suicident pour moins que ça…

Toute la compagnie frémit, et Dieu tapa du poing sur les nuages.

-          Il faut faire revenir l’Amour ! Je ne reconnais pas ma Création.

-          Oui, mais comment ? insinua doucement Raphaël.

-          Irene Grandi T’a rappelé les problèmes humains, les guerres… reprit Jésus. Et ce n’est pas l’Amour. Il faudrait stopper les guerres.

-          En commençant par laquelle ? grinça un ange. Il y en a trop, c’est vrai…

-          Pas de défaitisme ! lui lança Jésus. Nous ne sommes pas encore morts…

-          Mais il a raison, Jésus, fit Dieu d’une voix douce.

-          Toutes les guerres sont stupides et mortifères, et les pires sont celles qu’on mène par esprit de supériorité, rappela Métatron. C’est l’Homme, qu’il faut soigner. Raphaël, qu’en penses-tu ?

-          Qu’il y a une dizaine de milliards d’êtres humains sur la Terre. C’est beaucoup…

-          Oh, bon ! reprit Dieu. Je vais reparler de tout cela avec Léon XIV, en espérant qu’il sera plus malin que vous !

-          N’oublie pas Irene Grandi, Père. Peut-être percevra-t’elle ma présence, si j’y vais.

-          Et que lui dirais-tu ?

-          De faire alliance ensemble.

-          Ma foi, pourquoi pas. La réunion est terminée. Ite… réagit Dieu.

-          Et Tu vas de nouveau enquiquiner Léon ?

-          Je veux simplement lui demander son avis.

-          Eh bien, bonne chance… Je vais voir cette Irene Grandi.

Et Jésus suivit les anges et les archanges, eux vers leur royaume céleste, puis il bifurqua vers la Terre, tandis que Dieu se téléportait sur son nuage-bureau, pour échanger avec le pape.

 

Jésus, une fois sur Terre, avait encore assez de pouvoir pour trouver Irene, et se retrouva à Florence, en Italie, piazza della Signoria. Irene y déambulait, parmi les statues, qu’elle affectionnait. C’était l’Italienne typique, brune, gracieuse, mais peut-être un peu maigre, habillée d’une jupe droite qui jurait avec son sourire resplendissant. Jésus l’aurait bien vue défiler sur un podium… Un adolescent presque blond, bouclé, était avec elle et ouvrait de grands yeux sur ce qu’il voyait. Tout à coup, Irene porta une main à son front : Jésus venait de s’y loger, et lui donnait le bonjour.

-          Ça va, maman ?

-          Oui… excuse-moi.

-          Désolé d’interrompre votre promenade, Irene. Votre demande à mon illustre père a été couronnée de succès. Pouvons-nous causer ?

-          Voulez-vous dire que vous êtes… fit Irene en esprit, le fils de Dieu ?

-          Si fait.

-          Attendez un peu. Viens Ascanio, tu vas pouvoir courir sur les bords de l’Arno. Moi, je ressens le besoin de m’asseoir. Et d’admirer le Ponte Vecchio.

-          Oh, oui maman !

Et peu après, Jésus et Irene purent s’entretenir, dans un cadre préservé, l’Italie et la ville de Florence résistant encore à la modernité dans son centre historique.

-          Mais votre père m’a réellement envoyé un mail de réponse, pensa Irene, encore toute surprise.

-          Il s’est dit : enfin quelqu’un qui mouille la chemise…

Malgré sa sidération, Irene souriait.

-          Vous ne pouvez pas savoir à quel point tout cela me rassure ! Dieu existe ! Et je communique avec Son fils !

-          Restez discrète. Le monde va mal parce que très peu de personnes croient encore en nous.  Avez-vous une idée pour rallier les autres avant que le monde ne coure à sa perte ?

-          Moi je veux bien, mais je ne sais pas comment… Pourquoi croyez-vous que j’en aie appelé à votre père ?!

Jésus fit acte de contrition, et comprit vite qu’Irene attendait au moins autant du Ciel, que Dieu, d’elle. Alors ils parlèrent de la marche du monde, et en même temps, Irene suivait son fils du regard.

-          Allons, il y a encore de beaux endroits, sur Terre… se dit Jésus en retournant au Ciel.

 

Et au Ciel, ils n’étaient pas plus avancés… Dieu donnait de plus en plus l’impression de pédaler dans la semoule, ce qui L’irritait. Au fil des jours, Il établit une sorte de conversation entre Irene et Lui, par mail, en plus du pape. En dialoguant ainsi, Il se reprenait peu à peu, malgré la tonne de mails qu’Il recevait par ailleurs sur ce qu’il se passait sur Terre. Et Il lisait les journaux qui, sans les soutiens d’Irene et de Léon XIV, l’auraient terrifié. L’Australie brûlait de nouveau, ainsi que la forêt amazonienne ; le Proche Orient était à feu et à sang ; les Arméniens avaient profité de la fin d’Erdogan pour demander une reconnaissance qu’on leur avait refusée en Turquie, qu’ils n’obtenaient donc toujours pas, ce qui rendait la relation turco-arménienne explosive ; et l’immigration posait partout problème, certains partis d’extrême-droite arrivant au pouvoir en Europe et ailleurs. Bref, Dieu était de plus en plus inquiet, mal à l’aise. Même Irene devint hargneuse à son égard. Plus personne ne se comprenait, sur Terre. Alors, pour voir, sur son petit nuage, Dieu transforma du lait en boisson gazeuse, pour estimer l’efficacité de ses pouvoirs. Mais son soda se révéla exécrable, et cela Le mit en colère. Mais comme Il ne voulait, ni ne pouvait se fâcher, sous peine de voir arriver Satan, Il se contint, et câlinait son beau chat blanc de plus en plus souvent. Mais le pire fut atteint quand Irene se fâcha pour de bon, Lui rappelant ses devoirs. Et Dieu se sentait si impuissant, qu’Il eut une vraie crise de larmes, avec de gros sanglots. Et tout à coup, Il sentit une présence féminine : c’était Marie, qui Lui caressait les cheveux comme elle l’aurait fait avec un enfant.

-          Que T’arrive-t-il, ô mon Dieu ?

D’une voix entrecoupée de pleurs, Dieu le lui expliqua, et Marie fut touchée au cœur par ce qu’il racontait. Ses yeux se remplirent de larmes aussi.

-          Mais Ton amour ne peut-il rien faire ?

-          Il ne suffit pas…

Et tous deux éclatèrent en sanglots, au point d’en mouiller leurs tuniques. Le Ciel était en train de devenir gris, quand apparut un troisième larron.

-          Que se passe-t-il, ô Allah ?

-          Mohammed ! s’exclama Dieu en le voyant. Croit-on davantage en moi, en terre d’islam ?

-          Euh… hem ! Je crains que non. Ce sont surtout les intégristes qui parlent, et je les recrache, que dis-je, je les vomis…

-          Toi non plus, tu ne peux rien faire ? demanda Marie à l’arrivant.

-          Quoi donc ? Je ne suis qu’un prophète...

-          O Dieu, explique-lui…

Mais Dieu connaissait déjà le résultat, et peu après, Mohammed pleurait avec eux… Le Ciel devenait de plus en plus gris, les nuages se remplissaient de leurs larmes, mais rien n’apaisait la douleur de Dieu et de sa femme, et du Prophète. Métatron et Pierre arrivèrent les premiers, car on les entendait pleurer de loin. A leur suite, les autres archanges les retrouvaient, alors les nuages s’étalèrent pour tous les accueillir. Les nouveaux arrivants s’enquéraient de la raison pour laquelle tous, les uns après les autres, fondaient en larmes. Sur  le nuage, devenu énorme, de Dieu, l’ordinateur enregistrait de plus en plus de messages, et les unes des journaux du monde entier montraient les désastres sur la Terre. Et le chat blanc n’était pas là. Bientôt, tout le monde pleurait, les archanges, puis les anges, ainsi que Jésus. A leurs pieds, leurs tuniques baignaient dans des flaques de larmes. Tant et si bien, que les nuages s’ouvrirent, et un véritable déluge s’abattit sur la Terre.

-          Mais que se passe-t-il ? demanda un  cardinal à Léon XIV, qui  voyait bien les nuages d’orage au-dessus du Vatican.

-          Je ne sais pas, mais je crains le pire, dit le pape, préoccupé. Dieu ne me répond plus…

-          Même si nous le priions ?

-          Une telle pluie, à Rome, depuis au moins trois heures, ce n’est pas courant, fit un autre cardinal.

-          Je ne sais pas, fit humblement le pape en enlevant sa calotte pour mieux se gratter le crâne, qu’il avait déjà chauve malgré ses cinquante ans. Allumez-moi les écrans, je vous prie, que je voie si on en parle.

Léon XIV fut obéi, mais pour le moment, on ne faisait que constater l’état du ciel, sans se douter une seconde de ce qu’il se passait réellement. Le mois de mars pouvait certes être pluvieux, mais à ce point, personne ne s’y attendait. D’autre part, le réchauffement climatique était devenu une réalité. Alors le pape alla dans son bureau, pour tenter une nouvelle fois de joindre Dieu. Il envoya un mail et, ce faisant, en avisa un autre, d’Irene Grandi. «  Je crois que Dieu ne maîtrise plus rien », disait-elle en substance. Le pape eut un mouvement de tristesse et d’impuissance, ne trouvant rien à lui répondre, et finit par laisser tomber. Il se leva de son bureau, et voulut risquer une tête sur la place St Pierre, ouvrit une fenêtre. La pluie tomba à grosses gouttes à l’intérieur du palais, alors le pape referma précipitamment la fenêtre. Et il partit prier, seul, dans un coin de son petit état.

Sur les écrans allumés du Vatican et d’ailleurs, c’était de plus en plus des scènes apocalyptiques : Venise fut prestement rayée des cartes ; dans les Alpes, les Pyrénées, la cordillère des Andes, les sols s’effondraient, trop gorgés d’eau, provoquant des glissements de terrain, des crues dont peu de gens réchappaient ; les Pays Bas disparurent aussi, et les mers envahissaient déjà les côtes, partout sur le globe.

 

-          Mais que se passe-t-il ? comprit tout à coup Marie entre deux crises de larmes. J’entends des cris, et nous sommes tous trempés avec les nuages !

-          Nom de Moi ! s’exclama alors Dieu. Les hommes ! Où sont les hommes ? Et… Mohammed, entends-tu cette prière, cette unique prière ?

-          Oui, je l’entends, ô Allah. Elle vient d’Italie, j’ai l’impression.

-          Irene Grandi ! lança encore Dieu. Pourvu que mon ordinateur fonctionne encore !

Et il y courut. A ce moment précis, lui parvinrent un grondement venu d’en bas, et, précisément, un mail d’Irene. « Dieu ! Je crois en Toi ! » disait-elle. « Sauve-nous, je suis avec les miens au sommet du Mont Blanc, et nous sommes presque morts de froid ! Je T’écris tant que ça capte, fais quelque chose ! » Dieu se reprit aussitôt, et cria :

-          Finies les bêtises ! Tout le monde sur le pont !

Tous le regardèrent, interloqués. Sauf Gabriel, qui sauta du nuage toujours pleuvant, et il fallut du temps avant que tout le monde se calme, sèche ses larmes. Entre-temps, les eaux continuaient d’envahir la Terre, et quand Gabriel réapparut, à tire d’ailes, il riait et pleurait à la fois.

-          Ô Dieu ! Tu es en train d’accomplir un nouveau déluge ! La moitié de la Terre est déjà engloutie !

-          Un déluge ? Mais je ne l’ai pas fait exprès !

Autour de Dieu et de Gabriel, tout le monde se reprit dans un grand éclat de rire.

-          Si l’humanité ne te plaît pas, c’est le moment de la remplacer… déclara alors un archange.

Dieu regarda sa troupe, cligna des yeux, et demanda :

-          Qu’est-ce qu’on fait ? On termine le déluge, ou on sauve ceux qui restent ?

-          Ça dépend s’ils croient en Toi, ou pas, fit Pierre. Si Tu refais une humanité, mieux vaut repartir sur de bonnes bases.

-          Donc on sauve le pape, conclut Dieu. Et Irene Grandi et les siens. Toi, Gabriel, je t’envois au Vatican pour le pape. Et vous, Métatron et Jésus, allez chercher Irene Grandi et les siens sur le Mont Blanc avec de grosses couvertures. Nous autres, on s’occupe du reste ! Pour commencer, tordez tous vos toges…

Il y eut encore des averses sur Terre, de ce fait-là, puis Dieu fit revenir le soleil sur la planète. Alors il alla voir lui-même, suivi de quelques archanges, et ils prirent acte de la nouvelle configuration de la Terre. De temps en temps, ils croisaient des cadavres flottant sur les flots, mais à part eux, ils ne trouvèrent âme qui vive. Ils  supposèrent donc que les hommes qui restaient étaient à l’intérieur des terres. Dieu appela deux anges pour sonner de la trompette, et quelques hommes se rassemblèrent, sur chaque continent. Dieu passa un pacte avec chacun de ces groupes, puis fit repartir le cycle naturel de la Terre, alors que, de partout, on se remettait à chanter Ses louanges.

Du fait de ce nouveau déluge, il n’y avait plus d’électricité, aussi l’ordinateur de Dieu se trouva remisé dans un placard de nuages. Irene Grandi, en tant qu’archéologue, devint la mémoire du monde nouveau, écrivit plus tard des livres, et avec son mari, ils donnèrent deux petites sœurs à Ascanio, dont l’une fut prénommée Eva. Des relations nouvelles réapparurent entre les hommes, et Dieu ajouta Sa touche personnelle en en créant une nouvelle race, prête à Le servir. Des hybridations se firent au fil du temps et, dès le début du XXIIème siècle, une humanité belle et équitable était établie sur ce qu’il restait de la Terre, moins nombreuse. Même le pape eut des enfants, ainsi que le clergé nouvellement recréé, et une Terre heureuse, simple, était le plus beau refuge qui soit pour cette autre humanité.

 

-          Franchement, Esprit, à quoi tiennent les choses… fit Dieu sur son petit nuage, une main sur son chat blanc.

-          Tu as de curieuses façons de faire, mais j’applaudis des quatre pattes…

 

© Claire M, 2021

Posté par Claire Monelle à 17:16 - - Commentaires [0] - Permalien [#]