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l'imagination au pouvoir
17 décembre 2019

Belle rencontre

Promeneurs dans le désert.

 

Elle plongea, fit quelques brasses, et fut emportée par le flot noir. Ce n’était pas de l’eau, elle le sentait bien, c’était plus collant et pas aussi agréable que son véritable milieu naturel. Alors Oumaïcha décida de réapparaitre à la surface de la terre. Elle jaillit d’un puits, et tomba sur le sable d’un désert. Le flot noir s’écarta d’elle, laissant apparaître deux jolies jambes fuselées. Oumaïcha se mit debout en titubant.

-          Où suis-je ? Où est la mer ?

Elle eut un regard circulaire, vit au loin des constructions humaines, des derricks – mais elle ne savait pas ce que c’était ni à quoi cela servait. Courageusement, elle se mit à marcher dans cette direction. Oumaïcha espérait que le liquide noir qui la recouvrait limiterait les regards concupiscents, si elle rencontrait quelqu’un, vraisemblablement un homme du désert. Elle avait du mal à avancer, très gauche sur ses jambes, et en plus, marcher sur le sable était quelque chose de difficile, plus que sur une véritable route. Elle eut l’impression que cela dura une éternité, avant d’arriver en vue des derricks. Enfin, elle aperçut quelques hommes, et alla vers celui qui semblait commander. L’homme la regarda bizarrement.

-          Excuse-moi monsieur, je cherche la mer…

-          La mer ? Elle est assez loin d’ici… Mais d’où viens-tu ?

-          De la mer. Mais je ne saurais pas très bien te dire comment je suis arrivée ici…

Le regard de l’homme se porta sur les formes de l’arrivante : elle avait un très beau corps, de longs cheveux bruns et un regard fascinant. Il déglutit, dit « pardonne-moi » et se tourna vers un collègue.

-          Tu n’aurais pas quelque chose pour couvrir cette dame, Fethi ?

-          Il faut que je cherche, chef.

-          Vas avec lui, madame.

-          Mais je voulais…

-          Je ne peux pas te parler, alors que tu ne portes rien sur le dos. Je respecte les femmes, mais tout de même, un peu de décence, madame !

Oumaïcha était étonnée, ne comprenant pas bien ce qu’il voulait dire. Mais elle obéit, et suivit Fethi vers une petite tente. Là, l’homme chercha dans  un coffre, puis lui tendit une tunique.

-          Je te la donne, fit-il, troublé. Où vas-tu ?

-          Tu n’as pas entendu ? fit Oumaïcha d’une voix douce. Je voudrais retrouver la mer.

-          Ah. C’est que… ce n’est pas tout près. A bien des kilomètres d’ici. Et je n’ai pas de chaussures à te proposer.

-          Mets-moi dans la bonne direction alors, je ne t’en demanderai pas plus.

-          Attends.

Et Fethi tendit une gourde pleine à Oumaïcha.

-          Qu’est-ce que c’est ?

-          De l’eau. Dans le désert, c’est indispensable.

-          Oh, merci beaucoup.

-          Retournons voir mon chef. Mais enfile d’abord cette tunique. A moins que tu veuilles te passer un peu d’eau sur le visage ? J’en ai encore un peu.

-          Tu es gentil.

Oumaïcha prit le petit baquet qu’il lui tendit, mit les mains dans l’eau tiède et les passa sur son visage. Une fois débarbouillée, ses traits, son regard, furent encore plus fascinants. Fethi crut comprendre.

-          Mais… c’est du pétrole !

-          Pardon ?

-          Tu n’es pas noire ?

-          Non, pas naturellement.

Il secoua la tête, semblant trouver tout cela très bizarre, mais n’osa plus poser de questions. Oumaïcha revêtit la tunique, qui lui tombait à mi-cuisses, et ils retournèrent voir son chef.

-          Je préfère ainsi, fit ce dernier. Tu voulais voir la mer ?

-          Oui, s’il te plaît.

-          Alors suis-moi, je vais t’indiquer la direction.

Toujours mal à l’aise sur ses jambes, Oumaïcha obéit. Le chef la mena hors du champ de derricks, puis lui indiqua la route à suivre, précisant qu’à environ deux kilomètres de là, il y avait une oasis.

-          Là, il y a du passage. Avec un peu de chance, tu y rencontreras une caravane. Moi-même j’ai souvent affaire avec les dirigeants qui viennent par ici.

-          Merci, monsieur.

-          Au revoir.

-          Oui, au revoir.

-          Beau cul, murmura-t-il en voyant partir Oumaïcha, qui se mit à marcher comme elle pouvait.

Elle dut s’arrêter plusieurs fois pour souffler, utilisa la gourde donnée par Fethi. Après une autre éternité, elle arriva à l’oasis indiquée. Il y avait un point d’eau, et elle respira, ôta sa tunique et plongea, retrouvant ainsi sa forme première. Elle put se débarrasser du pétrole qui la couvrait encore, respira de nouveau, et nagea avec bonheur, telle un poisson. Enfin elle en ressortit, propre, les jambes impeccables.

-          Plus jamais ça, murmura-t-elle. Mais comment aller vers la mer ?

Et Oumaïcha regarda autour d’elle, désorientée. Elle essayait de se souvenir de ce qu’avait dit le « chef », mais ne savait plus par où elle était arrivée. Les quelques palmiers dattiers lui semblaient être tous les mêmes. Et puis elle finit par s’avouer qu’elle était plus que fatiguée, alors elle s’allongea près de l’eau devenue noirâtre, et s’endormit.

Oumaïcha fut réveillée quelques heures plus tard, par un bruit probablement humain. Elle se leva tant bien que mal, elle avait rêvé d’eau, de fonds marins, lui rappelant sa réalité.

-          Madame ! fit une voix douce, d’homme. Prends ma main.

-          Oh, je…

-          N’aies pas peur. Je suis le prince Kamel Bin Talith. Et toi ?

-          Oumaïcha. Mais attends, je crois que…

Elle attrapa sa tunique, l’enfila, puis fit virevolter ses cheveux. Kamel sourit.

-          Ça ira mieux comme ça, non ? reprit Oumaïcha. Tu tombes bien, prince Bin Talith.

-          Mon prince ! lança un homme de la caravane, alarmé. L’eau de cette oasis n’est pas pure !

-          Comment cela, Mustapha ?

-          Regarde donc ! On ne va pas faire boire ici nos chameaux, ni nous-mêmes !

-          Un instant.

Kamel soutint Oumaïcha pour marcher. Elle était un peu gênée, croyant comprendre sa bêtise en se baignant dans… comment appelaient-ils cela, déjà ? Mais elle se tint debout, et alla s’adosser à un palmier. Kamel alla voir l’oasis, et fit la même constatation que ses hommes : l’eau était impropre à la consommation.

-          C’est vrai, il y a des puits de pétrole pas loin… Où est la prochaine oasis, Abdallah ?

-          A vingt kilomètres d’ici. En se rapprochant de la mer, l’eau sera de meilleure qualité.

-          Vas voir l’état de nos ressources, puis nous repartirons. Où est Oumaïcha ?

-          Je suis là, prince, derrière toi.

-          Je m’étonne de voir une femme seule dans le désert. Tu n’y es pas à ta place.

-          Non, en effet. Je voudrais retrouver la mer.

-          Et comment es-tu arrivée ici ?

-          Je ne sais pas très bien. Je nageais dans une eau bizarre, et j’ai émergé dans le coin.

Kamel regarda Oumaïcha, intrigué.

-          Ça ne fait rien, fit-il. De toute façon, nous allons à Doha, ce n’est pas très loin de la mer. Nous t’y mènerons.

-          Oh, merci ! s’écria Oumaïcha, soulagée, et elle sauta au cou du prince.

C’est alors qu’elle s’avisa qu’il n’était pas habillé comme les autres : le chèche mis à part, Kamel était vêtu à l’occidentale, avec un pantalon, et une chemise blanche. Il eut un sourire, lui caressa la joue mais ne fit rien de plus.

-          Mais d’où viens-tu, toi ? demanda Oumaïcha, le lâchant.

-          D’Arabie saoudite. Je viens rendre visite à mes cousins de Doha, ici au Qatar.

Le silence s’installa. Oumaïcha le regarda, toujours étonnée. Kamel semblait jeune, et il était très beau, avec un regard doux et intense. Elle se mordit la lèvre.

-          Mon prince !

-          Oui Abdallah ?

-          Nous pouvons encore faire vingt kilomètres, mais pas plus, en nous restreignant un peu sur l’eau.

-          Je… j’ai un fond dans ma gourde... indiqua alors Oumaïcha.

-          Garde-la pour toi, Oumaïcha, lui dit Kamel avant de se retourner vers ses hommes. Très bien, nous repartons sans tarder. Salim, aide cette jeune femme à monter sur mon chameau.

-          Bien mon prince.

Oumaïcha en fut soulagée, surtout pour ne plus avoir à marcher. Devant elle, Kamel menait l’animal de main de maître.

-          Tu es très étrange, lui dit-il, mais cela me plait. D’où viens-tu ?

-          De la mer.

-          Mais encore ?

-          C’est la vérité, prince Bin Talith. Mène-moi à Doha, et tu comprendras. Parle-moi plutôt de toi, de ta cour. C’est quelque chose qui ne m’est pas familier…

-          Et moi, je ne m’y suis jamais vraiment habitué. J’aurais aimé ne pas être prince, c’est pour ça que je m’habille ainsi. Il y a des contrées très accueillantes, plus au nord. Avec une chaleur moins écrasante.

-          Je ne sais pas, je ne connais pas.

-          Si tu viens de la mer… sans doute es-tu d’une famille de pêcheurs…

-          On peut voir les choses ainsi, mon prince.

-          Tu es très belle, Oumaïcha.

-          Merci.

-          Mon père voudrait que je me marie, mais si je te le présentais, il n’apprécierait pas que tu ne portes pas de voile…

-          Cette tunique est tout ce que j’ai. Avec la gourde. C’est un homme du désert qui me les a donnés.

-          Tu dois être une femme indépendante.

-          Oui, c’est vrai.

-          Ça me plaît. Et que se passera-t-il, à la mer ?

-          Je verrai, répondit prudemment Oumaïcha. Mais nos chemins devront se séparer. Tu es un homme du désert, toi aussi.

Kamel soupira, changea de sujet, et ils bavardèrent jusqu’à arriver à l’oasis suivante, quelques heures plus tard. Oumaïcha apprit beaucoup des voyages de Kamel et, quand ils descendirent de leur chameau pour se reposer, il la baisa respectueusement au front.

-          Je vais remplir ta gourde moi-même, petite princesse du désert.

-          Oh, de toute façon, j’ai besoin de sentir de l’eau sur mon visage.

-          Nous sommes tous ainsi, à vrai dire.

Oumaïcha eut un beau sourire.

-          Il fait très chaud, dit-elle.

-          Justement. Suis-moi. Et ne t’inquiète pas, je ne volerai pas ta gourde.

Ils se rafraîchirent tous à l’oasis, alors que les chameaux buvaient non loin d’eux. Des hommes du prince cueillirent des dattes, quelques rares plantes comestibles, et voyant cela, Kamel déclara qu’ils allaient se restaurer avant de repartir. Ce qu’ils firent, mais Oumaïcha mangea peu, disant qu’elle n’avait pas faim.

-          Ça ne va pas ? lui demanda finalement Kamel.

-          Si, ça va, rassure-toi. J’ai surtout besoin de repos, et de… retrouver la mer.

Et Oumaïcha eut un beau sourire.

-          Nous devrons peut-être nous arrêter encore une fois avant d’arriver à Doha. Tu tiendras le coup ?

-          Oui, répondit Oumaïcha avec un mouvement résolu du menton.

-          Tu es courageuse.

-          Oui, le désert n’est pas mon milieu naturel.

-          Je crois l’avoir compris. Mes amis, vous sentez-vous de repartir maintenant ?

-          Oui mon prince, répondirent les quatre autres hommes de la caravane.

-          Nous avons hâte d’arriver, nous aussi, dit Abdallah.

-          Donc vous venez de loin, comprit Oumaïcha.

-          Oui, l’Arabie saoudite est très grande, lui dit Kamel. Nous venons du nord. Moi aussi j’ai hâte d’arriver à Doha. Mes cousins sont bornés, mais très gentils, à part ça.

Cela fit sourire ses hommes. Après le repas, ils se lavèrent de nouveau les mains, et repartirent peu après, Oumaïcha toujours sur le chameau du prince. Mais la nuit tomba vite, et il fallut bivouaquer. Ils s’arrêtèrent à une oasis un peu plus étendue, et dormirent sous les étoiles.

Ils arrivèrent à destination le lendemain, peu avant que le soleil  soit au zénith, mais avant d’aller dans sa famille, Kamel mena, seul, Oumaïcha à la mer.

-          Vas-y, va te baigner, lui dit-il. Tu en meurs d’envie, je crois.

-          Tu ne peux pas savoir à quel point, fit Oumaïcha en souriant.

Mais elle n’était pas capable de courir, faisant de petits pas dans le sable. Enfin, elle plongea avec délices dans l’eau bleue, donna un coup de queue, et réapparut à la surface, laissant Kamel stupéfait.

-          Oh mon Dieu ! s’exclama-t-il.

-          Excuse-moi pour le dérangement, dit humblement Oumaïcha. Tu ne m’en veux pas ?

-          Pas du tout.

Le prince s’agenouilla sur le sable, près  des vagues.

-          Tu vas être tout mouillé, prince Bin Talith.

-          Je suppose que… il faut donc nous dire adieu…

-          Approche-toi.

La sirène avança un bras vers lui. Le prince attrapa son poignet, lui baisa la main.

-          Ta rencontre m’a rempli de joie, articula-t-il.

-          Attends.

Oumaïcha se dressa hors des flots, pour lui rendre son baiser.

-          Merci, prince Bin Talith. Tu es quelqu’un de bien. Tu rencontreras une femme qui vaudra dix sirènes comme moi, et que tu chériras. Vous aurez des enfants. Tu es un homme de la terre, pas moi.

-          Pou… pourrai-je t’apercevoir de nouveau ?

-          Je ne sais pas. Pardonne-moi, mais j’appartiens à la mer, et son étendue est plus vaste que les terres. Au-revoir, mon beau prince.

Et Oumaïcha plongea alors que Kamel murmurait un au-revoir. Il écrasa une larme et s’en alla, mais sans cesser de se retourner. La sirène avait disparu.

Il lui fallut quelques temps pour se remettre de cette rencontre, et même une fois marié et heureux père de famille, il allait souvent sur un petit rocher face à la mer, espérant revoir sa sirène…

 

© Claire M., 2019

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