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l'imagination au pouvoir
18 septembre 2020

Au fond des mers...

Légendes marines.

 

La dague glissa, mais il ne pouvait plus rien arriver à Robert Blint, ou du moins le croyait-il. Il insista pour libérer le coffre qu’il avait repéré, dans les profondeurs de la mer des Sargasses, et sa dague s’enfonça à travers les algues, dans le sable. Il décida d’y passer le temps qu’il faudrait, mais il aurait le coffre et son contenu. De son vivant, il avait toujours couru après les trésors, sans jamais en trouver. Et comme, dans les tréfonds de l’Atlantique, il y en avait manifestement, Robert n’avait pas l’intention de se faire distancer une nouvelle fois. Il s’escrimait donc sur ce coffre, taillait à travers les algues, le peu de poissons qu’il y avait le regardant à peine. Ils en avaient vu d’autres… Robert n’avait pas d’yeux pour eux, il trouvait simplement qu’il y avait trop d’anguilles à son goût. La géographie n’était pas son fort, et il ignorait qu’il se trouvait dans leur zone de frai. Fort heureusement, ces poissons le laissaient en paix, trop occupés à leurs petites affaires.

« Il ne faut pas que je casse ma dague », se dit Robert, « sinon je serai fichu. Mon couteau n’y suffirait pas… «  De temps en temps, il regardait autour de lui, mais ne distinguait pas grand-chose tant il y avait d’algues partout, mais aussi des choses qu’il ne connaissait pas, et qui ne se dégradaient pas. Naturellement, il ne pouvait espérer récupérer un pied-de-biche... Ce fond d’océan était très calme.

-          Crénom de Dieu ! s’exclama-t-il enfin, et il repartit à la charge sur le coffre.

C’est qu’il commençait à s’impatienter, et pourtant Robert avait toujours l’éternité devant lui. Il tailla rageusement  le buisson d’algues, et aperçut alors un anneau sur le coffre. La flamme dans ses yeux se ralluma, comme du temps où il écumait les mers avec ses compagnons. Alors il se pencha, et saisit l’anneau à pleines mains. Le pirate en avait encore dans les biceps, et le coffre remonta quelque peu, offrant sa serrure à la vue. Une clef rouillée était fichée dedans. Robert y alla avec d’infinies précautions pour tourner cette clef. Puis il ouvrit le coffre…

-          Halte-là, mon brave ! fit une voix derrière lui, et il sursauta, se retourna.  

Le nouvel arrivant le dépassait de deux têtes, et était vêtu d’une toge que retenait une fibule finement ouvragée, sertie de perles. Pourtant, Robert Blint était déjà grand, sans être un géant, il est vrai. Et sa tenue à lui était très sommaire, un pantalon, de lourdes bottes. Il esquissa une révérence devant l’être qui se tenait devant lui. Ce dernier était arrivé sans bruit, et pourtant n’avait rien d’un poisson, c’était un être d’une grande prestance, et tout cela intimidait quelque peu le pirate.

-          Qui… qui êtes-vous ? demanda-t-il.

-          Je suis Agénor, un chef atlante. Et vous ?

-          Je m’appelle Robert Blint, et ne suis chef que de moi-même.

Cette déclaration fit sourire l’Atlante.

-          Et qu’êtes-vous en train de faire, monsieur Blint ? Vous déterrez des choses sans valeur ?

-          Ah pardon ! Je ne cherche que des choses de valeur !

-          Tout dépend de la valeur que l’on y accorde, déclara sentencieusement Agénor. Qu’avez-vous vu, dans ce coffre ? Et où croyez-vous que vous êtes ?

-          Au paradis des pirates, répondit aussitôt Robert. Le fond des mers, rien de tel pour courir l’aventure !

-          Oui, en l’occurrence, ça peut en être une…

L’Atlante avait pris un air détaché, et le pirate le toisa.

-          Laissez-moi au moins regarder de quoi il s’agit. Vous ne m’en avez pas laissé le temps…

-          Soit.

Robert s’agenouilla devant le coffre désormais ouvert, pour en détailler le contenu : il y avait trois lingots d’or scintillant, des pierres précieuses dont certaines montées en bijoux, et une grosse bourse, qu’il saisit pour l’ouvrir. L’Atlante le regardait faire, l’air narquois. La bourse contenait des pièces d’or, qui arrachèrent des cris émerveillés à Robert.

-          Ma fortune est faite !

-          Quelle fortune ? demanda doucement Agénor. Et où comptez-vous aller, avec ça ?

-          Eh bien… sur la côte.

-          Vous êtes mort, monsieur Blint. En outre, cette mer n’a pas de côtes. Les terres les plus proches sont les petites îles des Bermudes.

-          Jamais entendu parler, grommela Robert, que tout cela contrariait.

-          Donc vous n’en connaissez pas les légendes, comprit Agénor.

-          Pourtant, question légendes marines, j’en connais un rayon…

-          T t t ! Quel présomptueux vous faites ! Et à quoi vont vous servir ces pièces et cet or ? Chez les Atlantes, ça ne sert strictement à rien. Je ne peux que prendre les bijoux que vous avez… déterrés… Mais pour le reste….

-          Eh bien, oui, partageons. Les bijoux m’importent peu, je n’ai pas de femme.

-          Pas même une sirène dans votre vie ?

-          Elles me filent entre les doigts. Et puis je ne sais même pas comment elles conçoivent…

-          Elles aiment les bijoux. Si vous me suiviez en Atlantide, ça ce serait une vraie aventure, pour vous. Mais vous autres pirates êtes si vénaux… Vous  passez  à côté de tout, avec vos sottises.

Robert prit la mouche.

-          Ah, je vous en prie ! Une vie de pirate, des sottises ?! Et puis quoi encore ! Connaissez-vous l’ivresse du voyage, monsieur l’Atlante ? ! L’excitation à franchir des obstacles ? Trouver des terres plus ou moins hospitalières ? Voilà qui fait le sel de la vie d’un pirate ! Je suis mort noyé, ce qui est plus excitant que de se balancer au bout d’une corde ! Et vous, comment êtes-vous mort ?

-          Noyé aussi. Mais depuis des millénaires… L’Atlantide est resté un monde idéal, et j’y tiens C’est la seule chose à laquelle je puisse me rattacher. Et je fais des voyages sous-marins… L’Atlantique est très grand, et il y a encore d’autres mers et océans.

-          Je ne connais que l’Atlantique, avoua Robert un peu piteux, même s’il était toujours agacé.

Il avait encore la bourse en main, et serrait l’autre poing. Agénor le vit bien, et sentit que le pirate pourrait faire un éclat encore plus sonore. Autour d’eux, les anguilles circulaient, et Agénor en heurta une en voulant faire un geste apaisant.

-           Ne nous énervons pas monsieur Blint, je vous en prie…

-          De quel droit voulez-vous vous accaparer ce trésor que j’ai trouvé ?

-          Mais tantôt, vous disiez que nous pouvions partager… fit Agénor pour essayer de calmer la hargne du pirate.

Mais dorénavant, il faisait attention aux anguilles et aux quelques poissons qui passaient là. Et puis il espérait qu’un autre habitant sous-marin  vienne le tirer d’embarras. Les deux êtres se firent face, et Robert déclara :

-          Ma dague fonctionne encore fort bien, monsieur l’Atlante. Voulez-vous en tâter ?

-          Ça  ne sert à rien, répliqua Agénor. Nous sommes déjà morts, l’avez-vous oublié ?

«  Par tous les dieux ! » jura-t-il en lui-même. « Que Poséidon me vienne en aide ! » Cependant, Robert et Agénor se regardaient, l’un avec un air de défi, l’autre de commisération. L’Atlante n’avait pas envie de se fâcher, ce n’était pas dans sa nature, mais voir ce blanc-bec  encore attaché aux biens terrestres lui faisait un peu peur, à cause de sa bêtise. Il fallait s’attendre à tout avec ces gens-là, et il le savait. Alors, en lui-même il pria Poséidon, qui réagit.

Quelque chose se dirigea donc parmi les algues et les anguilles, pour venir à la rescousse d’Agénor. Il s’agissait d’un tube allongé, qui se mouvait avec un moteur faisant tourner des pales, particulièrement étudiées pour repousser les algues. Aux commandes, se trouvait un être encore plus fantastique, qui sauta sur le sol. Robert eut un geste de recul : celui-là avait rien moins que quatre oreilles, et portait une combinaison adaptée à la nage au fond des océans. Il crut être en face d’un homme-poisson, et porta une main à son front, de saisissement.

-          Merci, ô père, murmura Agénor, puis il regarda l’arrivant, qui venait vers lui. Qui êtes-vous ? demanda-t-il en grec, puis en anglais.

De son côté, Robert crut se souvenir de légendes ancestrales.

-          Etes-vous un kraken ? Un monstre quelconque ?

L’être essayait de comprendre, mais les quelques mots qu’il prononça étaient parfaitement étrangers au pirate et même à l’Atlante. Tous deux secouèrent la tête sans comprendre. Mais le troisième larron attrapa un coton-tige qui se trouvait là, et traça des lettres sur le sable : OANI.

-          Par tous les dieux ! s’exclama Agénor. Un extranaute !

-          Qu’est-ce que cela signifie ? demanda Robert.

-          OANI, fit Agénor. Des Objets Aquatiques Non identifiés. C’est un extranaute. Un être venu d’ailleurs.

-          Nous venons tous d’ailleurs, fit observer le pirate. Mais quelle langue parle-t-il ?

-          Manifestement, il ne connaît pas les nôtres. Et c’est embêtant.

Et Agénor tenta de se faire comprendre par gestes, désignant le coffre, puis le pirate, et enfin lui. Après quoi il eut un geste interrogateur pour l’extranaute. Ce dernier se pencha sur le coffre, et confirma le jugement de l’Atlante, faisant comprendre que son contenu n’avait aucune valeur.

-          Ah, qu’est-ce que je vous disais, monsieur Blint ! exulta Agénor.

Cependant, l’extranaute prit un collier orné d’un rubis, pour en « demander » l’usage. Agénor et Robert, comme ils ne pouvaient communiquer autrement que par signes, furent embarrassés. Il aurait fallu une noyée ou une sirène. Mais ils ne voyaient graviter autour d’eux que des anguilles, des algues et du plastique. Et ils entendaient tous les trois bien autre chose que des éclats de voix féminines, ou que des chansons de sirènes. Deux des quatre oreilles de l’extranaute se haussèrent légèrement, et il reposa le collier inutile.

-          Moi, je récupère les bijoux, décida Agénor. Dans mon monde, les femmes sont coquettes.

-          Je vous en prie… Mais que se passe-t-il ?

L’extranaute émettait des sons qui ressemblaient à des jurons, tout en regardant vers le haut. Robert voulut l’attraper par un bras, mais l’être se dégagea aussitôt, montrant la surface puis son petit appareil qui l’avait amené là. Fallait-il partir ? Agénor et Robert regardaient sans comprendre. L’extranaute montra son appareil, faisant mine de vouloir monter dedans. Robert le regarda, curieux, car cela n’avait rien à voir avec les vaisseaux des surfaces marines. Mais son regard se porta de nouveau vers le coffre, et il ne put résister, le saisit.

-          Non ! fit Agénor. Tant pis !

L’extranaute essaya d’expliquer qu’en montant avec lui, ils deviendraient invisibles, mais ce fut peine perdue. Et pendant ce temps-là, les algues vers la surface bruissaient de plus en plus. Robert, inquiet, ne savait plus quoi faire, où regarder. L’extranaute le saisit par le bras, et comme il se tenait à lui, Robert remarqua, sur son visage, une excroissance à la place du troisième œil. Il eut peur, se dégagea à son tour. Agénor observait la scène, embêté, puis leva un doigt en l’air.

-          Il y a du monde !

-          Mais que font-ils ? Et cette andouille qui veut nous embarquer Dieu sait où !

-          Laissez-vous faire, monsieur Blint. Et dépêchez-vous, ou nous allons être repérés !

-          Et leur laisser le trésor ? !

-          On s’en moque ! lança l’Atlante, et l’extranaute mit un doigt devant sa bouche et désigna son appareil, pour ordonner de monter. Un instant, monsieur, ajouta Agénor.

Et il tira une conque de sous son vêtement, la porta à sa bouche pour souffler à l’intérieur. Pendant ce temps-là, alors que Robert se décidait à grimper dans l’appareil, des ombres apparurent au-dessus de leurs têtes. Robert et l’extranaute sautèrent chacun sur un siège.

-          Des hommes ! Que font-ils à cette profondeur ?! s’étonna enfin Robert.

Les formes humaines s’avançaient, avec leurs palmes, leurs bouteilles d’oxygène, des balises à la main. Mais Agénor soufflait, soufflait dans sa conque, et cet appel résonnait dans les eaux. Les anguilles n’étaient pas incommodées et pourtant, à toute allure, trois requins apparurent.

-          Sus aux humains ! Repoussez-les ! leur dit Agénor avec un geste de commandement.

Cependant, les humains étaient là, sortirent un appareil de mesure de leur barda. Agénor sauta dans l’appareil en espérant ne pas être vu, et cela fonctionna. Les requins prirent les plongeurs en chasse d’un côté, et l’appareil de l’extranaute partit de l’autre. Ce dernier appuya sur un bouton, et les capsules se fermèrent au-dessus de leurs têtes. Puis il appuya sur un autre bouton, qui traduisit ce qu’il voulait dire, en anglais.

-          Ils ne nous ont pas vus, disait-il.

-          Oui, ouf ! fit Agénor.

-          Cet appareil est invisible à  l’œil humain.

-          Et le trésor ? demanda Robert.

-          Les vrais trésors sont dans les cœurs, répliqua l’extranaute.

-          Je n’aurais su mieux dire, dit Agénor avec un sourire, et Robert grommela quelque chose, puis :

-          Et où va-t-on ? demanda-t-il.

-          Où voulez-vous aller ?

-          En Atlantide. Et vous venez avec moi, monsieur Blint.

-          Pour quoi faire ?

-          Vous verrez, c’est le paradis. Vous apprendrez à mieux jouir des océans.

-          C’est dommage que les êtres humains soient si obtus, déclara l’extranaute. Vous rendez-vous compte, ils veulent cartographier ce qui nous appartient !

-          Ah, nous sommes du même monde ? s’étonna Robert.

-          Nous vivons dans le même monde, en tout cas, répondit l’extranaute. Mais je trouve les humains bien impudents !

-          Nous sommes bien d’accord, fit Agénor. Alors monsieur Blint, voulez-vous essayer l’aventure en Atlantide ? Vous y apprendrez beaucoup de choses.

-          Mouais…

Robert eut un soupir.

-          L’aventure intellectuelle est la plus belle qui soit, dit encore Agénor. Nos traditions sont millénaires. Et vous, monsieur l’extranaute ?

-          Laissez-nous remplir notre mission de reconnaissance terrestre… Il y a vraiment n’importe quoi, dans ces océans. Nous allons nous occuper d’un continent d’immondices polluantes… Je vous emmène en Atlantide, et je reprends mon travail. Si un jour la Terre redevient viable, nous y prendrons pied…

Robert se tourna vers Agénor.

-          C’est entendu, je pars avec vous et reste en Atlantide. Ces êtres me dégoutent.

-          Mais celui-là nous a sauvés la mise, mon brave l…

Robert rongea longtemps son frein, mais une fois en Atlantide, encore plus profond dans l’Atlantique, il trouva l’amour d’une jolie Atlante, et comprit enfin quels étaient les véritables trésors, dans un endroit où passer agréablement l’éternité, bien entouré, dans une fraternité dont il avait toujours rêvé…

 

© Claire M., 2020

                                                                                                                                  

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