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l'imagination au pouvoir
25 avril 2021

Voyage voyage...

Beautés du monde.

 

-          Quel bel endroit ! s’exclama Pavlos bien qu’il ait déjà bien roulé sa bosse aux quatre coins du monde.

-          Ici, sur la droite, vous avez la baie de Toyama, expliqua le guji, le prêtre en chef. Voyez la mer, tout là-bas…

-          Il y a un parti à tirer de toutes ces beautés, guji-san. Cela vous irait-il de développer encore le tourisme ? Vous pourriez y gagner plus d’argent.

-          Je me moque de l’argent. Je suis guji, monsieur Grigoriadis. Et il devrait en être de même pour  tous les prêtres de toutes les religions, pas seulement du shinto.

Pavlos se reprit.

-          Pardonnez-moi, dit-il.

-          Bien sûr. Un monde nous sépare, je le sais bien. D’ailleurs, si vous permettez, monsieur, beaucoup de touristes étrangers sont des vandales.

-          C’est bien la raison pour laquelle je suis chargé de négocier avec vous, guji-san. Je suis bien conscient qu’il faut aussi ménager le site. C’est si beau ! ajouta Pavlos, décidément sous le charme, ce qui fit sourire le prêtre. En outre, étant grec, je suis bien placé pour savoir tout cela… Mon pays aussi est un nid à touristes vandales.

-          Le tour que vous avez fait ici vous a-t-il plu ? s’enquit le prêtre.

-          Tout est très beau, et aussi très apaisant. Mais il y a une chose que vous ne m’avez pas montrée, guji-san.

-          Allez-y, je vous en prie.

-          Qu’y a-t-il, à gauche ? Y a-t-il des choses cachées derrière les arbres ? Ils sont magnifiques, d’ailleurs.

-          Je vous remercie. Ce sont des castanopsis, mais si vous entrez là, c’est une véritable forêt vierge. Vous pouvez y aller, bien entendu, mais la plupart des gens viennent plutôt ici pour le sanctuaire proprement dit.

-          Donc si je m’y promène….

-          Ce sera à vos risques et périls, monsieur.

Le frisson de l’aventure parcourut Pavlos.

-          J’y vais, décida-t-il sourire aux lèvres.

-          Ah, ces Occidentaux… soupira le prêtre, amusé, en voyant partir Pavlos avec son petit sac bien arrimé sur le dos, et sa banane à la ceinture…

 

Une fois dans la forêt, Pavlos découvrit un tout autre univers, loin de Tokyo ou même de Nagoya. Les arbres étaient serrés, et il écrasait des champignons sans le faire exprès, ne sachant trop où poser les pieds. Il avait sorti une boussole de son sac, par précaution, et se souvint de ce que le prêtre lui avait expliqué : longtemps auparavant, la direction du nord-est portait malheur, d’où l’idée des sanctuaires shinto à ces endroits. Mais il était parti vers l’ouest, ce qui le rassurait. En outre, il estimait en avoir vu d’autres, comme la course de lévriers qui avait mal tourné dans le nord de l’Afghanistan, ou la jungle pleine de singes moqueurs au Vietnam… Un de ses collègues de son agence à Rhodes avait dû être rapatrié à cause d’une morsure mal placée, lui causant des douleurs atroces. Mais apparemment, il n’y avait rien de tel ici. Affronter les voyages seul, donc prudemment, comportait certes une part de risques, mais Pavlos était loin d’être une mauviette. Il avait une forte carrure et savait se défendre, même si les animaux pouvaient être imprévisibles. Cette fois-là, le frisson de l’aventure l’électrisait. Ce qu’il voyait lui semblait beau, rythmé par le chant des oiseaux, volant au-dessus de la canopée, ces beaux arbres – qu’est-ce que le prêtre lui avait dit que c’était, déjà ?! Un nom inconnu… Casta… quoi ? Sourire aux lèvres, il s’enfonça, avec délices, plus avant dans cette forêt. Il voyait les fleurs, d’espèces inconnues en Europe celles-ci aussi, très ouvertes, embaumant l’atmosphère.

Et puis il entendit les feuilles bruisser. Une ombre rouge passa non loin de lui, et il s’étonna. Cela ressemblait à un très long serpent ; mais rouge ?!Il n’avait jamais rien vu de tel. Curieux, Pavlos partit dans la direction opposée, se disant que cette créature devait bien venir de quelque part. Il aimait découvrir les pays orientaux, qui lui offraient merveilles sur merveilles. Et là, il avait la sensation qu’il allait de nouveau percer un mystère. Il prit son temps, regardant tout autour de lui et aussi à ses pieds. Subitement, il se rendit compte que des feuilles volaient, mais pas des feuilles d’arbres : des petites feuilles carrées, de papier, blanches ou multicolores. « Voilà qui est bizarre », se dit-il aussitôt. Il attrapa une feuille blanche d’un côté, et avec des caractères incongrus au Japon de l’autre ; puis une multicolore, destinée à être pliée.

-          Y aurait-il ici un promeneur qui fait de l’origami ?

La voix de Pavlos résonna dans la forêt. Il se souvint tout à coup de l’avertissement du prêtre. Non, il ne pouvait être que seul ! Poussé par la curiosité, il continua à suivre la piste. Il entendit un « pfuitt » qui semblait venir du sol, alors il regarda à ses pieds, mais ne fit qu’entrapercevoir ce long corps rouge, qui allait très vite, dans l’autre sens cette fois.

-          Mais qu’est-ce que c’est que ce truc ?

Pavlos crut entendre le vent claquer, dressa l’oreille. Quelques feuilles multicolores s’attardaient autour de lui. Machinalement, il en prit une autre, et en fit un bateau pour ne pas voir ses doigts trembler. Cela dit, c’était aussi d’excitation. Qu’allait-il découvrir ? Il reprit son chemin vers l’ouest, ne perdant pas de vue sa boussole. Les herbes et la canopée bruissaient toujours, le regard de Pavlos allait et venait sans cesse. Enfin, il aperçut, au milieu des arbres, une petite habitation qui semblait faite en papier.

-          Aah ! Nous y voilà ! Mais oui, ces petites feuilles viennent de là…

Et Pavlos s’y dirigea tout droit. Il s’attendait à y trouver un prêtre, un ermite occupé à sa religion, ou peut-être à faire de l’origami ? Mais quand il posa le pied sur la première marche, la longue créature rouge se dévoila, se dressant devant lui. Elle avait une tête de dragon, était pourvue de quatre pattes et de deux petites ailes dorées qui semblaient tout à fait aptes à fendre l’air. Dans la gueule de l’animal pointaient de petites dents, certes, mais acérées. Pavlos déglutit, puis tendit un bras.

-          Là-à… tout doux…

Mais le dragon prit un air menaçant.

-          Quel trésor gardes-tu ? Je ne te veux pas de mal, je ne suis qu’un tou… euh…

Pavlos ne voulait pas perdre de sa superbe.

-          Peut-être ne connais-tu pas ma langue ?

C’était une sottise de dire cela, et il le savait. En réalité, Pavlos était tout décontenancé de se trouver face à un vrai dragon, un être fantastique. Déjà, une de ses précédentes conquêtes, en parlant de leur chat, disait que les animaux connaissaient toutes les langues, que les chats se faisaient ainsi comprendre partout. Sur le fond, il était assez d’accord, mais il trouvait incongru de parler grec à un dragon japonais…. Il eut un geste de recul, et l’animal sembla se rassurer.

-          Ton maître est-il un sage aussi ? demanda quand même Pavlos.

La créature ouvrit grand la gueule, fallit attraper sa main.

-          J’aimerais entrer !

Il y eut un « pfuitt » sonore, et le dragon passa à l’attaque, dressant bien haut sa longue queue, tête en avant, et Pavlos ne put faire autrement que de se défendre. Il dégaina donc un couteau suisse de sa banane. Ce fut très rapide, mais la lame du couteau ne fit qu’entailler une oreille, même si un peu de sang perla, et en même temps, la porte en papier de la maisonnette s’écroula. Pavlos sursauta, surpris. Le dragon s’était affalé dans l’herbe, et un chat sortit du tas de papiers. C’était une jolie bête toute noire et blanche, et Pavlos ne put retenir une exclamation :

-          Qu’il est mignon !

Puis il entendit une voix féminine :

-          Mon dragon ! Fétiche ! Où es-tu ?

Le chat miaula, en se dirigeant vers le dragon qui geignait doucement.

-          Tu t’appelles Fétiche ? demanda Pavlos au chat, mais le petit animal ne réagit pas ; en revanche, le dragon leva la tête vers lui. C’est toi, Fétiche ?

Mais Pavlos ne s’enhardit pas au point de caresser une telle bête. Et la voix reprit :

-          Et toi, Rêveur, que fais-tu ?

Le chat et Pavlos regardaient Fétiche, l’air tout désolé tous les deux.

-          Et toi, je peux te caresser ?

Et Pavlos tendit la main vers le chat. Lui, au moins, se laissa faire, puis miaula. Alors, tout doucement, une main vint se poser sur l’épaule de Pavlos. La femme s’était approchée sans bruit, telle une fée. Mais une fée aux longs cheveux noirs, et pas du tout du type asiatique. Pavlos l’aurait presque prise pour une compatriote, hâlée, avec de grands yeux noirs aussi, comme lui.

-          Qui êtes-vous ? demanda-t-il en anglais.

-          Je comprends le grec.

-          Vous n’êtes pas japonaise.

-          Non, je suis maghrébine. Vous me cherchiez ?

-          Je ne cherchais qu’une aventure qui sorte de l’ordinaire, et je suis servi…. Nom d’une pipe ! comprit d’un coup Pavlos, reprenant la petite feuille qu’il avait froissée, avec ses caractères, et la vérifiant. C’est donc de l’arabe !

La femme, jeune, le regardait en souriant, et il se sentit fondre.

-          Oui, répondit-elle simplement. Ici au Japon, je suis parfaitement inconnue, je peux donc faire de la calligraphie. Arabe, japonaise…

-          Grecque ?

-          Non, pas vraiment. Quoique vous avez de grands poètes, vous aussi. Je connais  un peu Cavafy.

-          Mais qui êtes-vous ? redemanda Pavlos.

-          Mon prénom est Mounia. Et quel est le vôtre ?

Pavlos préféra répondre, mais, lui aussi, n’indiqua que son prénom. Et il ajouta :

-          Je travaille dans une agence proposant des voyages exotiques.

-          Je me suis retirée du monde.

-          Mais vous êtes jeune !

Mounia le regarda, sourire aux lèvres.

-          Il faut que je soigne mon dragon.

-          Il vous garde bien… mais votre chat est trop mignon pour être crédible, ajouta encore Pavlos en avisant le chat qui se lavait.

-          Soit. Je vous accepte, décida Mounia. Venez donc boire le thé dans ce qu’il reste de ma maisonnette.

-          Si vous voulez, je vous aide à la remettre d’aplomb, fit Pavlos, et il se liquéfia devant le sourire de Mounia.

-          Mon dragon d’abord.

Et Mounia s’agenouilla auprès de l’animal. Peu à peu, Fétiche se reprenait, posa sa tète dans le giron de sa maîtresse. Elle le caressa pour l’apaiser, vit son oreille et partit d’un grand éclat de rire.

-          Mais ce n’est rien du tout, mon Fétiche !

-          Pfuit ? Psshh…

Elle le calma tout à fait, lui dit de se reposer, et alla chercher une écuelle d’eau pour lui. Le chat la suivait, mais Pavlos hésita. Mounia dut lui dire de venir. Devant cette beauté qui ne cachait guère ses attraits, il devenait tout timide. Et pas du tout le genre d’une maghrébine, que  la religion islamique semblait recommander de recouvrir d’un voile intégral. Mieux que cela : elle allait même pieds nus dans les hautes herbes. Moult questions se pressaient dans l’esprit de Pavlos, mais une fois à l’intérieur, il commença à vouloir remettre la porte de papier.

-          Oh, vous n’êtes pas le premier, lui dit Mounia. Peu, par ici, ont assez de cran pour passer outre la vue de mon dragon gardien. C’est arrivé quand même, mais… ce n’est rien d’insurmontable.

Mais le machisme du Grec reprit le dessus, et il insista. Mounia le regardait en souriant.

-          Laissez, finit-elle par dire. Même à la fin du monde, je boirai du thé avec… un Méditerranéen.

Alors Pavlos lui rendit son sourire, et ils burent le thé, assis par terre sur de petites nattes bien japonaises, et le chat vint les retrouver, pour flairer le nouvel arrivant. Cela fit rire sa maîtresse, si bien que l’entretien fut détendu. De plus, en resservant son hôte, Mounia se pencha sur les tasses, et effleura son nez de ses lèvres, qui terminèrent leur trajet sur la bouche de Pavlos. Peu après, ils échangèrent un timide baiser.

-          Mais je ne vous connais pas…

-          Pas tant de salamalecs…. dit doucement Mounia. Voulez-vous rester avec moi… ?

Pavlos ne comprenait plus rien à ce qui lui arrivait. Mounia le vit, s’en amusa. Elle se mit à lui raconter son histoire, expliquant qu’elle était née en Libye, où l’islam était souvent fort radical. Or, elle aimait les livres, avait voulu étudier pour devenir professeur de littérature. Mais elle avait dû se réfugier à Londres pour mener à bien ses projets, car sa façon de penser, le fait qu’elle soit une femme, ne plaisait pas du tout aux autorités libyennes. Malheureusement, il n’avait pas été difficile pour eux de la retrouver, même si entre-temps, elle avait eu le temps d’obtenir un diplôme britannique, et de commencer à enseigner. Une fatwa la poursuivait, et elle avait eu très peur de tomber entre les mains d’islamistes. Alors que tout semblait se déchaîner contre elle, ne se fiant plus à quiconque, elle était montée dans un avion pour le Japon, avec la ferme intention de rester dans ce lointain pays. Pour davantage de sécurité, elle avait choisi de bâtir cette petite maison en papier, là où on ne la chercherait pas. Les Japonais avaient été très gentils, la confiant à Fétiche, et lui donnant un autre petit compagnon à aimer : Rêveur, le chat noir et blanc qui les surveillait depuis son petit coussin en bout de table. Mounia avait apprivoisé le dragon, et Rêveur la charmait, comme il charmait présentement Pavlos. Toute cette histoire fascinait ce dernier, et il n’en revenait pas : trouver une Méditerranéenne au Japon ! Et manifestement, Mounia s’amusait en le voyant ainsi.

-          Et cela fait combien de temps, que vous êtes ici ? s’enhardit-il à demander.

-          Cinq ans.

-          Peut-être vous a-t-on oubliée, là-bas en Libye….

-          Je ne sais pas. J’ai eu peur de contacter ma famille sur place. Ils me comprennent, mais les autorités islamistes me terrorisent.

-          Plus que de vivre ici, loin de tout ?

-          C’est le meilleur moyen de faire croire que j’ai disparu de la circulation…

-          Mais… Pavlos regarda franchement son interlocutrice : C’est dommage. Rhodes aussi est une île.

-          Que voulez-vous dire ?

-          Nous serions bien là-bas, tous les deux. Et puis… vous pourriez changer de nom, au moins de nom de famille, je veux dire, cafouilla Pavlos sans cesser de regarder Mounia, qui sourit.

-          Vous aussi vous êtes jeune.

-          Oh… j’ai quarante ans, quand même.

-          Vous avez une carrure de prince charmant, de chevalier… je suis sûre que vous sauriez me défendre. Mais ce n’est pas une décision que je prendrai à la légère. Et puis ici, les gens m’aiment bien.

-          Voyons Mounia, ce n’est pas votre culture…

-          C’est vrai, mais j’ai su apprivoiser un dragon… et ce n’est pas donné à tout le monde.

-          Seriez-vous une sorcière ?

Mounia regarda Pavlos, et eut un petit sourire.

-          Eh bien oui, d’une certaine façon… Vous savez, je suis très indépendante. Je n’ai pas fréquenté d’homme depuis une dizaine d’années…

-          Venez avec moi. A Rhodes. Vous pouvez très bien ne plus en bouger. Et je… m’occuperai de vous. Je crois que vous n’aurez jamais une autre occasion de retrouver le monde. Et ce serait dommage, car vous êtes une femme belle et intelligente. Ne vous cachez pas davantage, Mounia.

Elle se mit  à hésiter, réclama une nuit de réflexion. La maison étant tout petite, Pavlos retourna à son hôtel, après avoir convenu que, si Mounia se décidait, elle serait devant le torii indiquant l’entrée du sanctuaire le lendemain.

 

Et  à la première heure, Pavlos y courut littéralement, le cœur battant la chamade. Il avait été hanté par Mounia jusque dans ses rêves, et comprenait qu’il ne pouvait repartir sans elle. Aussi poussa-t-il un soupir de soulagement en la voyant parler avec un prêtre au pied du torii, habillée un peu plus décemment que la veille.

-          Pavlos, je n’ai pas de vêtement civilisé… minauda-t-elle. Et emmènerais-tu Rêveur aussi ?

Le petit chat se tenait devant sa maîtresse, et fit comme un signe de la patte  à l’arrivant. Pavlos le caressa, puis osa un baiser léger sur la bouche de sa belle. Le prêtre s’inclina, leur souhaita bonne chance, et l’homme, la femme et le chat s’éloignèrent, encombrés d’une malle de papiers.

 

Moins d’un an plus tard, Pavlos et, désormais, Mona Grigoriadis accueillaient leur premier enfant, une petite fille. Mounia/Mona avait repris pied dans le monde méditerranéen, et Rêveur accueillait toujours leur grande famille avec un signe de la patte, en vrai maneki-neko, porte-bonheur japonais qu’il était…

 

© Claire M., 2020

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Commentaires
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