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l'imagination au pouvoir
18 avril 2020

message du futur

Questions existentielles.

 

-          Assieds-toi bien mon chéri, j’ai quelque chose d’important à te dire, annonça Sophie, posant deux tasses de café sur la table basse.

Yannis regarda sa compagne, toujours subjugué par sa beauté, sa sollicitude. Sophie le lut dans son regard, et eut un petit sourire qui le charma, avec ses adorables boucles grises. Elle s’assit à côté de lui, et il lui caressa les cheveux.

-          Tu sais que tu es encore beau, toi aussi ? Et j’aime comme tu roules les « r »…

-          Excuse-moi, ça fait partie de mon ADN… En plus, ma femme italienne les roulait aussi.

-          Tu as su l’oublier, depuis… quatre-vingt ans ?

-          J’ai eu du mal, mais j’ai fini par y arriver… grâce à toi, ma sagesse.

L’apostrophe fit sourire Sophie, comme souvent. Elle savait que son prénom venait du grec, même si ce n’était pas pour cela que ses parents l’avaient choisi.

-          Mais je ne sais pas si nous avons été si sages que ça, mon cœur, dit-elle doucement.

-          Que veux-tu dire ? Tu parles de mes recherches ? D’autre chose ?

-          D’autre chose. Moi aussi je fais des expériences, comme tu sais. J’ai cessé de prendre la pilule depuis bien longtemps, mais…

Sophie hésitait, et Yannis la regarda. Ses cheveux gris en pétard, très professeur Nimbus avec ses petites lunettes, la firent rire. Il avait toujours eu ce tic d’embroussailler sa tignasse à tout propos, et ce n’était pas à son âge que ça allait changer.

-          Vas-y, dis-moi. Quelle expérience as-tu faite, alors ?

Sophie se jeta à l’eau :

-          Je me demandais si je pouvais encore être fertile. Et maintenant, je peux te dire que oui.

-          A… à nos âges ?

Il croyait comprendre, se gratta la tête.

-          Mon Dieu, avec nos arrière-arrière-petits-enfants… dit encore Yannis.

-          Je sais, ça ne te rajeunit pas. Ni même moi, malgré notre différence de cinquante ans.

-          Au point où nous en sommes, ça ne compte plus…

-          Et je vois ça comme toi, mon chéri. La bonne nouvelle, c’est que tu vas de nouveau être papa.

Les yeux de Yannis se mirent à pétiller.

-          Mon grand fou, tu as encore l’air d’un gamin…

-          Face à sa sagesse. Je serai ravi d’avoir un enfant de toi. La révolution est de plus en plus en marche, c’est génial !

Il saisit son café, vida la tasse d’un trait.

-          Et tu as fait le café comme j’aime, comme en Grèce !

-          Tu m’as convertie. Heureusement que nous avions trouvé ces vieilleries à Héraklion !

-          Oh, ma Sophie, ma Sophie !

Et Yannis la serra très fort dans ses bras. Puis elle but lentement son café, fermant les yeux.

-          C’est la plus belle chose qui pouvait m’arriver. A cent-dix ans ! dit-elle.

-          On aurait eu tort de prendre du bromure !

-          Et puis quoi encore ?! Je suis heureuse que tu le prennes ainsi.

-          C’est super, j’espère bien atteindre les trois ou quatre siècles, je suis sur ma lancée !

-          Et moi aussi ! répartit Sophie en riant.

-          Et tu trinques au café, toi ?!

-          Les femmes enceintes ne doivent pas boire de Champagne !

-          Et si je faisais des recherches pour… ?

-          Surtout pas, mon grand fou ! coupa Sophie. Même toi, tu respectes trop la vie pour faire une chose pareille !

-          Tu as toujours raison, ma sagesse, fit Yannis, et il l’attira à lui pour l’embrasser, comme s’ils avaient toujours vingt ans.

La seule concession à leur âge plus qu’avancé avait été leurs cheveux gris, et quelques rides imperceptibles qui rendaient si joli le sourire de Sophie. A vrai dire, Yannis, qui était un bon vivant, avait une petite brioche, mais qui n’était pas sans déplaire à sa compagne. Ils étaient si heureux d’être ensemble ! La cause était donc entendue : ils allaient avoir un enfant tous les deux. A cent-soixante et cent-dix ans. Ils étaient trop contents pour en mesurer pleinement les conséquences…

 

-          Henri, j’ai une super nouvelle à t’annoncer ! fit Yannis à son meilleur ami, à peu de temps de là, en sortant de leur réunion du comité d’éthique qu’ils avaient fondé tous les deux.

-          Oui, tu m’avais l’air très excité… Aurais-tu eu une quelconque avancée dans tes recherches ?

-          Mieux que ça ! Sophie attend un bébé !

-          De toi ?

-          De moi.

Mais Henri avala sa salive.

-          Mais... qu’avez-vous encore fait comme bêtise ?

-          Comment, une bêtise ? Pourtant, c’est logique mon cher, fit sentencieusement Yannis. Si nous repoussons l’âge de la mort à ce point, nous le faisons du même coup avec l’âge de la fertilité…

-          Tu sais que je suis presque toujours d’accord avec toi… mais là, tu vas un peu loin.

Mais Yannis était trop content, trop exalté pour écouter ce que son ami pouvait bien lui dire. Pourtant, Henri insista :

-          Ce n’est pas raisonnable.

-          Henri, as-tu lu la Bible ?

-          C’est complètement dépassé. Aucun intérêt.

-          Le problème, c’est que de nos jours, on ne croit plus en rien. Les patriarches atteignaient plusieurs siècles d’existence, et quelquefois, leurs femmes enfantaient à cent ans….

-          Toi le Crétois, tu ferais mieux de croire à tes belles légendes anciennes de dieux et de déesses… C’est plus dans l’air du temps.

-          Pour que les hommes puissent atteindre leur idéal, oui, je sais.

-          L’homme ne deviendra dieu que quand il sera vraiment immortel. Et à mon avis, tu le sais, ce n’est pas souhaitable. Qu’on vive trois ou quatre siècles, soit, mais pas plus. Regarde ceux qui ne veulent pas le devenir, ils n’atteignent pas les cent ans, et c’est pour cela qu’ils sont heureux de vivre. La vie a besoin d’un sens.

-          Sauf si on a des enfants, fit remarquer Yannis.

-          A condition de bien s’entendre avec les parents ! Et pas seulement les géniteurs. Et de toute façon, depuis quelques décennies, la Terre souffre d’un manque de place pour nous autres.

-          Il y a des habitants sur la Lune.

-          Tu es vraiment un illuminé, Yannis. Tu n’as que la science en tête. Et peut-être les femmes aussi, ajouta Henri après un temps, non sans malice.

Tous deux se regardèrent, et échangèrent un éclat de rire.

-          C’est Sophie qui m’a mis devant le fait accompli…

-          Tu ne te méfies pas assez des femmes.

-          Ce que femme veut, Dieu le veut…

-          Et en plus, tu as réponse à tout… Ah, Yannis ! Mais sais-tu bien d’où nous sortons ?

-          Eh bien, de notre comité d’éthique !

-          Il faudra en parler. Passé cent ans, peut-on encore avoir des enfants ? Je vois que la question se pose, à présent. Tu étais déjà le premier homme à atteindre les cent-cinquante ans, il y a dix ans.

-          Et je suis en pleine forme ! Toi aussi, d’ailleurs.

-          C’est vrai que je n’ai pas tardé à te rejoindre… et je n’arrive pas à ne pas travailler.

-          Fuirais-tu toujours autant le souvenir de ton unique femme ? reprit Yannis plus sérieusement. Je n’oublie pas pourquoi tu t’es tellement impliqué dans ce comité d’éthique…

Henri secoua la tête.

-          Eh bien, je n’ai pas changé, dit-il. Et puis les Grecs sont plus coureurs que les Français…

-           Tu oublies la raison pour laquelle j’étais d’accord pour notre comité d’éthique.

-          Ça ne t’a pas rendu Angela, Yannis. C’était il y a quatre-vingt ans, mais je m’en souviens comme si c’était hier. Tu étais fou.

-          La mort d’Angela m’a rendu fou, oui. J’avais quitté Martine et les enfants pour elle, et puis… ça a duré vingt ans… Mais tu vois, on ne meurt presque plus du cancer, maintenant.

-          Tu ne vaincras pas la mort, prédit Henri. Et je te signale que tes enfants risquent de t’en vouloir, si tu leur annonces la grossesse de Sophie.

-          Oh, tout le monde me prend pour un coureur… N’empêche qu’avec Angela, nous avions adopté Sacha, et lui, il comprend tout.

-          Tu dis cela parce qu’il te soutient dans tes recherches….

-          C’est vrai, les enfants que j’ai eu avec Martine ne sont pas comme ça. D’ailleurs, ma fille est morte aussi… Mais tu m’embêtes, à remuer ainsi le passé, Henri.

-          C’est mon devoir de t’avertir, en tant qu’ami. Et je m’étonne que ta « sagesse », comme tu l’appelles, t’annonce tout à coup qu’elle attend un bébé. Je la croyais plus raisonnable.

-          Et c’est elle qui m’appelle « grand fou »… observa Yannis, songeur tout à coup, au point de manquer de s’étaler sur le trottoir roulant.

Il se rétablit en remuant les bras dans tous les sens, en riant, et Henri éclata de rire.

-          Le ridicule ne tue pas, déclara Yannis. Je ferai rire mon petit à naître !

-          Eh bien, tu seras un père rock n’roll, comme on disait il  y a quelques générations !

-          Et fier de l’être ! Je te raccompagne jusque chez toi ?

-          Ce serait plutôt à moi de te raccompagner… grand fou ! Veux-tu monter dans mon aéromobile ? Et j’embrasserai Sophie….

-          A condition que tu ne lui fasses pas la leçon !

-          Je te le promets. Mon aéromobile est garé au coin là-bas.

-          Merci, c’est gentil. Je t’invite avec plaisir.

 

-          Monsieur Petrakis ? Frank Hubert, du Matin de Paris… Heureux de vous rencontrer, ajouta l’arrivant en tendant la main à Yannis.

 

-          Bonjour monsieur Hubert, fit celui-ci en broyant la main tendue. Je vous en prie, asseyez-vous. Voulez-vous du café ? Un verre d’ouzo ?

Le journaliste fut quelque peu désarçonné, car ce n’était pas le genre de boisson qu’on offrait habituellement, et demanda :

-          Vous n’avez pas une boisson énergisante ?

-          Ma boisson énergisante, c’est le café. Je suis d’origine grecque, et là-bas, on le boit très fort. Voulez-vous essayer ?

-          Eh bien… soit, je vais essayer.

Yannis disparut dans la petite cuisine du centre de recherches où il travaillait, et revint une dizaine de minutes plus tard, avec deux tasses de café brûlant.

-          Faites attention, c’est très chaud.

-          Merci. Nous sommes prêts ? Mes appareils sont là pour recueillir vos paroles.

Yannis prit ses aises dans son fauteuil, s’amusant de l’air sérieux du journaliste. Un jeunot, jugea-t-il en voyant ses cheveux blond-roux, qui ne devait pas avoir plus du tiers de son âge… Ce Frank Hubert lui semblait un peu coincé, et il choisit de s’attendre à tout.

«  Première question, monsieur Petrakis : est-il vrai que de plus en plus de gens choisissent de vivre pour plusieurs siècles ? Et qu’entend-on par là ?

Y P : A vrai dire, le phénomène est récent, alors dire « de plus en plus »… Il n’y a guère, en France, que quelques dizaines de personnes qui le font. C’est un choix qui doit être réfléchi, d’autant que nous avons l’ambition de vivre jusqu’à trois ou quatre siècles, ce qui est déjà énorme. C’est pourquoi j’ai fondé, avec un ami, un comité d’éthique, qui a vocation à réfléchir à ces choses-là, à tous les problèmes que la décision de vivre aussi longtemps implique.

F H : Que voulez-vous dire par « phénomène récent », exactement ?

Y P : Une dizaine d’années, pas plus. Moi-même, en 2090, j’ai été le premier à atteindre le cap des cent-cinquante ans.

F H : Ce qui est remarquable, c’est que vous ne les faites pas…

Y P : Merci. Mais j’attribue ce fait à différents facteurs, en ce qui me concerne. Dans mes travaux, j’ai tout pris en ligne de compte. Si vous survivez au café grec, vous êtes mûr ! »

Frank Hubert regarda sa tasse toujours fumante, un peu inquiet.

-          Je vous en prie… reprit Yannis. Pourquoi avez-vous éteint les casques ?

-          Je… pardonnez-moi.

« F H : Et qu’ont révélé vos recherches, exactement ?

Y P : Déjà, il faut être un sujet sain, lorsqu’on est candidat à… la quasi immortalité. Depuis quelques années, nous le proposons à des jeunes d’une vingtaine d’années, ce qui simplifie beaucoup les choses. Passé l’âge de cinquante ans, en effet, si on a fumé, bu plus que de raison, si on est sédentaire, la quasi immortalité pourrait ne pas être pour vous. La difficulté est que, justement, nous sommes tous devenus de plus en plus sédentaires. J’estime d’ailleurs que les trottoirs roulants sont une erreur ! Et ce n’est qu’un exemple. Ensuite, il faut vraiment être convaincu de son choix. Vivre trois ou quatre siècles suppose que l’on sache comment  s’occuper, se rendre utile. L’ami avec lequel j’ai fondé le comité d’éthique me disait il n’y a pas si longtemps que les mortels, ayant donc une mort… jeune pour horizon, connaissaient mieux le sens de la vie que nous autres, et en jouissaient davantage.

F H : C’est très paradoxal, ce que vous dites là… En effet, ce sont ceux qui aiment la vie, je suppose, qui veulent reculer l’âge de la mort…

Y P : Là, je ne peux parler que pour moi… C’est vrai, j’aime la vie, et j’en suis à ma cent-soixantième année… Nous y réfléchissons, avec ce comité d’éthique, pour repenser la question du travail, ou de toutes ces occupations qui nous permettent de passer le temps agréablement. Aimez-vous votre travail, monsieur Hubert ? »

-          Fichu métier, songea l’interpellé, se coinçant de plus en plus, et il ne répondit pas.

Yannis le regarda avec un petit sourire narquois, toucha de nouveau son casque.

-          Pardonnez-moi, reprit Frank.

-          Je vous ai demandé si vous aimiez votre travail, monsieur Hubert…

-          C’est moi qui dirige l’interview, répliqua le journaliste pour se donner une contenance.

Yannis réprima un soupir, et l’entretien reprit.

« Y P : Si je vous regarde, je conclus de moi-même que non… Et si on recule l’âge de la mort, on recule celui de la retraite aussi, et ce ne sont pas les seules implications…

F H : Voulez-vous dire que toute notre société est à repenser ?

Y P : Oui, je le pense, et je ne suis pas le seul. S’il le faut, nous devrons revenir un peu en arrière, ne serait-ce que pour bouger plus, et retrouver les sages principes de nos lointains ancêtres. Si je vis vieux, c’est aussi grâce à cela. En Crète, où je suis né, nous avons un régime très sain, et en outre, c’est une île, où nous vivons au grand air depuis des millénaires. J’y suis retourné l’an passé, et c’est encore assez préservé. Le spectacle de la Nature est bien plus beau que ce que Paris est devenu ! Je retrouve ces valeurs à chaque fois que je retourne à mes chers vignobles bordelais aussi, par exemple.

F H : Comment, vous buvez du vin ?!

Y P : Raisonnablement. Rarement plus de deux verres par jour. Je privilégie la qualité à la quantité.

F H : Excusez-moi, mais on pourrait dire ça aussi du temps de vie…

Y P : J’ai assez de contradicteurs au quotidien, alors ne vous y mettez pas vous aussi, monsieur.  Mes recherches n’engagent que moi et mon équipe. Rien ne dit que je les mènerai à terme. Ça dépend de quantité de paramètres. Je me donne pour horizon l’année 2150. »

A ces mots, Frank Hubert se sentit pris de vertige, manqua défaillir. Yannis éteignit de lui-même son casque, et rattrapa le journaliste presque dans ses bras, lui tapotant les joues. Frank eut un faible sourire.

-          Excusez-moi. Malgré vos excentricités, c’est vrai que vous êtes très gentil, dit-il.

-          Vous ne devez pas aller bien, jeune homme. Et si vous preniez quelques congés pour aller au grand air ? Vous autres journalistes ne cessez de courir…

-          Pourquoi, vous ne voulez pas que cette interview paraisse ?

-          Ah non, je ne veux pas que nous l’ayons faite pour rien ! Mais qu’ai-je dit de si incongru ?

-          Dans… cinquante ans, quel âge aurez-vous ?

-          Plus de deux cents ans.

Frank ouvrit un bouton de sa chemise.

-          Je vous apporte un verre d’eau.

Le journaliste but coup sur coup deux verres d’eau, puis son café.

-          Mais c’est très bon !

Yannis eut un beau sourire.

-          Rien ne vaut un café grec fait dans les règles de l’art…

 

-          Là, papa, tu exagères ! tempêta Alexis quand Yannis annonça à ses enfants qu’ils auraient un nouveau petit frère, ou petite sœur.

 

-          Oh, toi et ton frère, vous n’êtes jamais d’accord avec moi… Et toi Sacha, qu’en penses-tu ?

 

-          Je trouve ça très bien, papa. Et puis ce sera une grande avancée scientifique…

 

Ses deux demi-frères le fusillèrent du regard.

-          Non Sacha, lui dit Andreas, qui était plus mesuré qu’Alexis. Tu dis ça parce que tu as à peine connu ta mère adoptive… C’est vrai qu’elle était adorable, mais quand on la perd à dix ans, on a envie d’allonger la vie…

-          Tu vas dans le même sens que papa ! reprit Alexis, de plus en plus furieux.

-          Non, je t’explique l’état d’esprit de Sacha. Je ne dis pas que papa a raison, j’essaye de comprendre, c’est différent.

-          Et cette interview ?!  Papa emmerde les journalistes en parlant de retraite, mais ce n’est pas le vrai sujet !

-          Là, tu marques un point, Alexis, reconnut Yannis. Et j’hésite à parler trop de moi en interview, vous le savez tous.

-          Moi, je soutiens papa.

-          Même si j’essaye de comprendre… tout cela m’effare, avoua Andreas. Etre parent passé cent ans… Mélanie et moi n’aurions jamais fait une chose pareille.

-          On n’a pas besoin d’avoir cent ans pour être fertile, persifla Alexis. Ça ne me serait même pas venu à l’idée. Notre sœur Hélène aurait détesté. Nous avons eu le temps d’avoir des enfants, et la Terre est assez peuplée comme ça !

Quelque peu atterré par cette réaction de ses enfants, Yannis baissait la tête, pensant à Sophie. Ce fut Sacha qui mit les pieds dans le plat :

-          Vous dites ça, mais vous n’étiez pas les derniers à vouloir vivre plus, vous aussi…

Gênés, Alexis et Andreas se regardèrent, et Yannis remercia Sacha avec reconnaissance, mais de manière pas trop appuyée.

-          Je voulais voir grandir les miens, avoua Andreas. Et toi aussi, Alexis…

L’interpellé souffla un « c’est vrai », se poussa dans un coin, et ne dit plus rien.

-          La mort est inéluctable, de toute façon, rappela Yannis. Je ne fais que la reculer. Je ne vois pas où est le mal…

-          Ce sera sans moi, fit Andreas. On n’a pas encore éradiqué le suicide !

-          Mon Dieu, tu me fais peur ! s’exclama Yannis, levant les bras au ciel, s’ébouriffant au passage.

-          Donc Sophie n’avortera pas, comprit Sacha.

-          Oui, ça m’étonnerait, confirma Yannis.

-          Tu as passé beaucoup plus de temps avec maman, qu’avec même Angela. Alors Sophie… Comment peux-tu en être aussi sûr, papa ?

-          C’est dans l’air du temps, répondit Sacha à la place de Yannis.

-          L’air du temps a bon dos, grommela Yannis à part lui. Et si on changeait de paradigme ? suggéra-t-il.

-          Ça fait au moins une centaine d’années qu’on en parle, papa, fit Andreas. A l’horizon 2150 ?

-          Vous êtes pénibles. J’ai été un pionnier ! Et Sacha m’a beaucoup aidé.

-          Sacha a combattu le cancer, et nous savons tous pourquoi, rappela Andreas. Mais de là à vivre trois ou quatre siècles…

Yannis haussa les épaules.

-          Au besoin, après la Lune, nous conquerrons Mars, pour caser tout le monde…

-          Non papa, ce n’est pas raisonnable, reprit Andreas en secouant la tête. A ce compte-là, je te dirai d’avoir cet enfant, mais pas un de plus. Sophie et toi êtes complètement fous. Il faudra faire des recherches sur vos âges canoniques…

-          J’en suis ! lança Sacha. Voyons Andreas, papa a toujours été comme ça…

Et Alexis et Andreas se regardèrent, confirmant la chose en prenant un air désolé….

 

« Le matin de Paris, carnet rose.

En ce 21 juin 2101, nous apprenons la naissance de la fille d’un pionnier de la biologie, Yannis Petrakis, Hermione. La maman et le bébé, malgré l’âge fort avancé de la parturiente (111 ans), se portent bien toutes les deux. Toutes nos félicitations !

 

Le matin de Paris, avis de décès.

22 juin 2101. Nous apprenons, à l’heure où nous mettons sous presse, la mort d’Andreas Petrakis, par pendaison, pour une raison inexpliquée. Il était le fils cadet de Yannis Petrakis, le fameux chercheur en biologie, père depuis hier de la petite Hermione. Andreas Petrakis a exercé comme professeur de Lettres classiques dans plusieurs universités réputées et avait lui-même une grande notoriété dans ce milieu. Toutes nos condoléances vont à la famille… »

 

© Claire M., 2020

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