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l'imagination au pouvoir
25 mai 2020

Les feux de la rampe

Clair de lune.

 

Lili franchit l’espace entre elle et le petit cratère, sans être aucunement incommodée par la gravité moindre. Au contraire, elle se sentait très à l’aise, et tendit la main vers son ami Michel, qui prenait le frais sur un genre de hamac. La voyant, il se leva, manquant tomber, et tous deux éclatèrent de rire. Michel se rétablit, vacillant à peine.

-          Toi aussi tu es ici ! fit-il.

-          Oui, je peux me libérer, sur le chemin du travail, j’ai l’esprit plus disponible. Ça me fait plaisir de te retrouver, mon vieux !

-          Et moi donc ! Toujours aussi jolie…

-          Merci. C’est le printemps, alors je vais plus à l’aise. Mais les hommes ne me voient pas.

-          Nous leur faisons peur, Lili.

Elle eut une moue dégoutée.

-          Mais je parle surtout de la gent masculine…

-          J’avais compris. Mais moi, je te trouve vraiment très jolie.

-          Mais nous sommes devenus aussi humains qu’eux. Je suis heureuse de pouvoir revenir ici, à ma façon, à notre façon. Je rêve d’y faire de belles rencontres. Et toi ?

-          Tu veux dire ici ? Dans notre monde ?

-          Oui. Puisque sur Terre, ça ne marche pas…

-          Sois raisonnable Lili, n’y pense plus. Tu dis toi-même que nous sommes humains. Viens plutôt voir le clair de Terre…

-          Bonne idée, approuva-t-elle, secouant ses boucles brunes.

Michel lui saisit le bras, et ce contact fit du bien à la jeune femme. Il avait une carrure rassurante, avec ses épaules de déménageur, et son regard franc. Tous deux se mirent en route, pour aller quelques centaines de mètres plus loin, et y mieux admirer le ciel nocturne.

-          Ici, la lumière du soleil me manque, déclara Lili en arrivant au milieu de ce que l’on appelle « mer ».

-          Tu vois, que tu apprécies la Terre. Mais moi, je préfère l’admirer de ce point de vue. Toute cette eau, toutes ces promesses…

-          Il n’y a plus de terra incognita…

-          Si, au fond de leurs océans.

Et Michel regarda Lili.

-          Bof, fit-elle. Je suis un peu comme les chats, je n’aime pas tellement l’eau…

-          Ah oui, toi la citadine ! fit Michel en riant. Moi, je préfère Rio…

-          Tu es donc à Rio de Janeiro en ce moment.

-          Oui. Et toi ?

-          Je suis à Paris. Je m’y suis fait une place en tant qu’actrice, maintenant.

-          Je suis sûr que tu te débrouilles comme un chef. Tiens,  distingues-tu la France ?

-          Non, je vois le Brésil, badina Lili.

Cela les fit rire. Puis elle fit un pas en avant.

-          Je voudrais aller me balader le long des failles, dit-elle encore. Si j’en ai le temps. Attends…

Elle ferma les yeux, vit le chemin qui lui restait.

-          Je ne vais pas vite. Quand on est dans la lune, comme disent les Français… On peut y aller.

-          Si tu veux.

Et ils bifurquèrent légèrement vers l’arrière, puis marchèrent vers une petite faille, qu’ils longèrent, tout en parlant de la vie sur Terre. Absorbés par leur discussion, ils furent surpris de voir tout à coup arriver un beau gosse aux cheveux mi-longs. Cette vision coupa le souffle à Lili, qui le reconnut : il était l’homme dont elle rêvait, avec un magnifique sourire.

-          Salut l’ami ! fit Michel, et il posa un doigt sur le nez de l’autre.

-          Salut…

Et l’arrivant fit de même avec Michel, lui touchant le nez, avant de mettre un genou en terre devant Lili.

-          Ma princesse…

-          Mon prince ! Tu es là !

Le cœur de Lili battait à tout rompre. Oh ! Elle voulait tellement aller dans ses bras ! Mais elle n’osa pas, demanda en balbutiant :

-          Comment sais-tu que… ?

-          Moi aussi je suis sélénite. Je t’ai cherchée dans le pays où je vis, au Maghreb, et puis j’ai fait l’Europe du sud et… Mais vous ne vous êtes pas présentés !

-          Oh, pardon, je… je m’appelle Lili. Et voici mon ami Michel.

-          Et moi, je suis Amir. Mais je t’appellerai ma princesse. Ma princesse des étoiles…

Lili le regardait, l’écoutait, subjuguée. Amir se releva, pour la mettre plus à l’aise. Mais il lui toucha les lèvres, et Lili comprit tout de suite, se laissant enlacer :

-          Mon prince…

 

-          Attention !

 

Lili revint sur Terre d’un coup, n’eut pas le temps de réagir. Un gars en trottinette passait en plein milieu du trottoir, elle tombait, ne sachant où se raccrocher ; mais Lili eut la présence d’esprit de se recevoir bras en avant. Malgré tout, elle ressentit une vive douleur au genou gauche.

-          Ça va, madame ? Voulez-vous que je vous aide ? proposa la jeune femme qui avait mis Lili en garde, un peu trop tard.

-          Que s’est-il passé ?

Lili saisit la main de la dame qui se penchait sur elle, pour se relever.

-          Ce con a filé sans s’excuser !! s’insurgea cette dernière.

-          Ces gens en trottinette se croient tout permis, maugréa Lili. Mais je ne comprends pas comment je suis tombée… Aïe !

-          Mais vous êtes blessée ! Regardez votre jambe !

Lili se pencha légèrement, s’étant remise debout : son genou gauche était orné d’une blessure sanguinolente, et le sang coulait sur sa jambe. Elle fit la grimace. Ce n’était pas joli à voir…

-          Vous pouvez marcher ? Il y a une pharmacie à deux cents mètres… Je viens avec vous.

Lili dut se reprendre. Qu’allait-elle faire, pour la représentation du soir ? Son metteur en scène avait modernisé les costumes de Dom Juan, et elle devait apparaître en mini-jupe… Elle eut un gros soupir, et accepta l’invite. Elle marcha tant bien que mal jusqu’à la pharmacie, non sans s’être essuyé la jambe au préalable, avec un mouchoir en papier.

-          Ça va aller, madame ? Tenez, je vais vous donner mon numéro de téléphone. Vous devez avoir mon âge…

-          J’ai trente-neuf ans.

-          Ah ? Vous ne les faites pas. J’ai trente-deux ans… Je m’appelle Olivia.

Et elle griffonna son nom, son numéro sur une feuille de carnet, tandis que le pharmacien sortait de derrière son comptoir pour soigner Lili.

Elle sortit de là dix minutes plus tard, avec un énorme pansement, et la mine inquiète pour son rôle. C’était sûr, le metteur en scène ne serait pas content. Elle pensait, en plus, au baiser qu’Amir n’avait pas eu le temps de lui donner… « Il ne faut pas que je reparte  dans la lune », se dit-elle, et ses yeux s’embuèrent, ne sachant si elle reverrait le bel Amir. Lili eut un gros soupir, à cette évocation, et décida de prendre un quart d’heure pour boire un coup dans le premier bar venu. En s’y rendant, elle eut l’impression que tout à coup, on la regardait, mais à cause de son genou. Mal à l’aise, ce fut une bière, qu’elle but.

 

-           Qu’est-ce que c’est que ce truc ? s’exclama le metteur en scène en voyant arriver Lili un peu plus tard.

-          Je me suis blessée en venant, je suis tombée…

-          Avant une représentation ?! Mais enfin mademoiselle Lacour, vous ne pouvez pas monter sur scène ainsi !

Comme Lili s’y attendait,  il n’était vraiment pas content, et elle fit profil bas.

-          En plus, vous avez LE rôle féminin !

-          Laisse-la, Paul, lui dit l’acteur qui jouait Dom Juan. Il y a sûrement une solution. Viens Lili, allons voir la costumière. Elle saura sûrement quoi faire.

-          Merci, Daniel, souffla l’interpellée.

Lili fut encore plus contrariée, en  constatant que la seule solution envisageable était de porter des collants. Noirs, de surcroît. Couleur chair, les spectateurs auraient vu le pansement, avait jugé la costumière.

-          Je suis désolé, dit Daniel à Lili, chacun fait ce qu’il peut… Pour draguer Dom Juan, il faut être parfait…

-          Je sais bien que je ne suis pas parfaite, avec mes rondeurs. Mais des collants opaques en cette saison...

-          Paul appréciera… Bon, allons mettre les choses au point…

Lili en avait gros sur le cœur. Alors elle se concentra sur son texte, d’autant qu’en coulisses, il faisait déjà très chaud. Et elle était censée être à l’aise sur scène. Elle résolut d’agir avec Dom Juan comme elle aurait voulu le faire avec Amir. Et elle s’abîma dans son rôle, tâchant de ne penser qu’à cela, sentant néanmoins la moiteur de ses cuisses, et sa blessure lui faisant encore mal. Aussi faisait-elle comme si de rien n’était avec naturel, d’autant plus que le rôle la faisait supplier Dom Juan de s’amender. Sa dernière réplique une fois dite, dès la fin du quatrième acte, elle s’octroya du repos en coulisses, pour enlever ses collants et voir ses collègues aller et venir. Elle ne reparaîtrait qu’au baisser final du rideau, et se reprit tout d’abord en buvant un grand verre d’eau. Peu après, avant le cinquième acte, Daniel revint la voir, pour demander comment ça allait.

-          Tu as enlevé tes collants…

-          Je les remettrai pour reparaître… sinon, je vais me faire incendier. Mais on crève de chaud, ici.

-          Je te comprends. Mes félicitations, tu as été parfaite. Tes larmes ne semblaient pas feintes… Il faut vraiment être un vrai Dom Juan, pour ne pas se laisser attendrir.

-          J’étais dans mon rôle. Et toi aussi, je crois ?

-          Oui, c’est vrai. Heureusement, la scène est un autre monde…

Ils se regardèrent en souriant. Lili ne songeait plus à sa promenade avec Michel.

-          Ne reste pas loin, quand je tomberai en Enfer. Aie mis tes collants juste avant.

-          Merci du conseil.

Daniel eut un regard vers le genou de Lili : il y avait encore un peu de sang visible sur le pansement.

-          Tu ne t’es pas ratée, commenta-t-il.

-          Un petit con est passé en trottinette alors que je pensais à autre chose… et le trottoir était mal fichu.

-          Excuse-moi, je t’embête.

Lili sourit encore.

-          Ça ne fait rien.

 

-          « Mes gages, mes gages, mes gages ! »

 

Le rideau se baissa mais, à la surprise générale, les effets spéciaux ne s’arrêtaient pas.

-          Mon Dieu, la scène va prendre feu ! s’exclama le metteur en scène. Vite ! Relevez le rideau ! Tout le monde est là ? Mademoiselle Lacour !

Lili parut, ayant de nouveau caché sa blessure. Dom Juan sortit de son réduit, eut des effets de manche, et la salle applaudit à tout rompre.

-          Mais que se passe-t-il ? continua le metteur en scène.

-          Stop ! hurla Lili, comprenant enfin ce qu’il se passait. Là-haut ! Je t’ai vu, mon pr…

Mais elle se tut, craignant de se trahir. Il y eut une dernière flamme de lumière, immédiatement suivie de la voix du Commandeur.

-          Lili ! C’est le ciel nocturne qui t’appelle !

-          Alors je suis Elvire ! rétorqua-t-elle.

-          Oui, applaudissez Elvire ! répartit aussitôt Daniel, tendant les deux bras vers elle pour la désigner.

La salle, enthousiaste, eut même des vivats pour elle. Lili était toute rouge.

-          Le ciel nocturne, Lili !

-          Cessez vos manigances ! Je reste ici ! déclara fermement Lili, pas trop fort.

-          Ne veux-tu pas rester parmi les tiens, là-haut ?

-          Non !

Tout redevint aussitôt normal, et le metteur en scène souffla.

-          Moi aussi j’aime bien les plaisirs terrestres, minauda Lili, puis elle reprit plus sérieusement : Applaudissez encore Dom Juan ! Sganarelle ! Toute la troupe ! Et merci à tous !

« Cette fille-là est une grande », songea le metteur en scène à part lui. Quant à Lili, elle se sentait reconnue, revigorée, ne pensait plus à ce qu’on considérait comme ses bizarreries, ni même à ses collants. Elle voulait continuer dans cette voie, faire plus jeune que son âge était un atout, au théâtre.

-          Et je leur dirai qui je suis vraiment, lors d’un seul en scène humoristique… Oui, je ferai un seul en scène, et je l’écrirai moi-même ! Lili Lacour, tu feras une grande carrière !

Et elle fit plusieurs révérences, sous les applaudissements, attirant toute la lumière vers elle.

 

© Claire M., 2020

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